Trop de neige. Routes bloquées. Cours annulés.

La nouvelle avait fait sauter de joie Agathe ce matin-là. Et pour accompagner son bonheur, elle avait vu avec joie que sa mère n'était pas à sa place habituelle. Elle n'était plus avachie sur son canapé défoncé, en mode coma post-traumatique. Selon les sons émis en provenance de la chambre de son frère, leur mère était sortie. Et ça, ça faisait plaisir à Agathe.

Après avoir fini ses devoirs forcés, elle se dirigea vers leur petite cuisine. On ne préparait pas de grands festins ici, mais les plats que cuisinait sa mère quand elle était encore en état comblaient Agathe autant qu'un repas du Lucas Carton parisien comblerait un riche.

Suite aux déboires des adultes de cette maison, Agathe était très vite devenue autonome et avait appris par la même occasion à cuisiner des plats simples. Mais ce qu'elle aimait préparer par-dessus tout, était ces petits gâteaux en demi-lune.

En rentrant la veille au soir de l'école, avant sa rencontre plus approfondie avec le sans-abri, elle était passée dans une supérette proche, pour acheter les ingrédients nécessaires à la confection de ses gâteaux.

Elle se hâta à la préparation de la pâte, enclenchant dans son vieux tourne-disque un vinyle d'un grand groupe anglais qui marchait sur les passages piétons.

Tout en chantonnant, et une fois sa pâte prête, elle commença à confectionner ses lunes. Elle n'utilisait pas d'emporte-pièce, non, elle modelait ses futurs petits gâteaux à la main. Elle trouvait ça extrêmement barbant mais pourtant, elle le faisait à chaque fois. "C'est là que se trouve la magie" disait-elle.

La lune, contait-elle aussi, était la chef de ses meilleures amies. Celle qu'on ne pouvait pas atteindre, de par sa prestance et sa grandeur. Elle disait aussi, quand elle était plus jeune, que si la lune avait ce teint si blafard, c'était à cause du soleil. Le soleil n'aimait pas la lune et c'est pour cela qu'elle s'enfuyait à chaque fois que celui-ci arrivait, ou qu'il la chassait quand c'était son tour de régner. La lune était triste. La lune était grise. Mais étrangement, Agathe trouvait ça beau. Une tragédie amoureuse.

C'est pour cela qu'à chaque fois qu'elle confectionnait ses gâteaux, elle mettait autant d'amour dedans. Elle se disait qu'en lui prêtant de l'attention, cela rendrait un peu d'éclat à la lune.

Mais pourtant, ce jour-là, elle n'avait pas fait ces demi-lunes dans l'espoir de redonner de l'éclat à cet astre. Elle voulait rendre de l'éclat à tout autre chose.

Une fois les gâteux sortis du four et encore chauds, elle posa une moitié sur une petite assiette, et mit l'autre dans une serviette en papier. Elle se rendit dans le grenier, avec cette fois-ci une lampe torche et chercha une couverture pas trop poussiéreuse. En chemin, elle prit aussi un bout de carton assez propre.

Sur la table de la cuisine et à l'aide d'une vieille liste de course, elle mit un mot à l'attention de sa mère et de son frère, dans l'espoir qu'ils seraient assez sains d'esprit pour le voir.

"Je me suis dit que mes demi-lunes vous feraient plaisir. Enfin, j'avais surtout faim. Mangez-les, ça ne me dérange pas.

Agathe".

Elle rigolait face au sérieux de son mot. Une fois que tout fut préparé, elle et ses affaires, elle partit en direction de l'emplacement du clodo.

Celui-ci était couché par terre, dormant, mais surtout semblant souffrir le martyr.

Agathe le recouvrit d'une couverture, posa le carton près de lui, et les biscuits dans leur serviette devant son visage. Ayant prévu le coup, elle lui écrivit à lui aussi un petit mot, sur une vieille liste de course.

"Je suis venue quand vous dormiez. Je ne voulais pas vous réveiller, cela aurait été malpoli. Je me suis permise de vous couvrir d'une couverture. Vous semblez souffrir, et je ne veux pas ça. Le carton est pour votre derrière. Ce ne doit pas être agréable d'être assis dans la neige. Et les gâteaux, c'est moi qui les ai faits. Ils sont certainement meilleurs que mes manalas. Ces demi-lunes représentent la triste chef de mes amies, qui sont les étoiles. Je vous raconterai leur histoire un jour.

Agathe".

En rentrant chez elle, après avoir flâné et regardé les flocons de neige tomber, elle ouvrit la huitième fenêtre de son calendrier. Un feu était là, des personnes dansant autour. Agathe eut un mouvement de recul et manqua de s'écraser au sol, des images lui revenant à l'esprit tel un flash back.