Pour la première fois depuis le début de ce mois de décembre, elle ouvrit la fenêtre du vingt le matin même. Elle se dit qu'elle resterait jusque tard le soir avec le sans-abri.

Très drôle.

Sous la vingtième fenêtre, elle vit avec tristesse l'image d'enfants qui accueillaient à bras ouverts les membres de leur famille.

Elle sortit de chez elle, sans grosse veste sur les épaules. Et sans quelque chose pour le clodo. Elle lui achèterait certainement un truc sur place.

Au tournant de sa rue, elle crut avoir une attaque. Il n'y avait plus rien. Rien.

Plus de carton, plus de couverture. Et surtout plus de sans-abri. Juste un mot écrit à la va vite sur la vieille liste de course se tenait là.

"Agathe,

Non je n'ai pas crevé. Non je n'ai pas changé de place. Je suis juste parti.

J'ai du partir.

Des policiers de Berlin sont venus. Ils ont emmené des clodos. Comme moi.

Ils veulent nous foutre dans un abri, entassés les uns sur les autres, comme les noirs pendant la traite.

"Au moins" disent-ils, "vous aurez un abris, de la nourriture et un endroit chauffé".

Sauf que moi, je voulais rester avec toi.

Tu es une petite fille formidable Agathe. Peu d'enfants, ni d'adultes accordent du temps à des SDF comme moi.

Les étoiles ont de la chance de t'avoir. Et moi aussi.

J'espère que quelque chose s'arrangera dans ta vie. Tu mérites tellement mieux.

Je suis désolé.

Le sans-abri".

Elle froissa en boule la lettre du clodo dans sa poche. Son cœur lui faisait mal. Trop mal.

Les larmes coulaient à flot sur ses joues. Un de moins sur sa liste. Son père en moins. Son grand frère partit. Et maintenant le sans-abri.

Il ne lui restait que deux personnes. Imaginaires toutes deux.

Plus personne. Elle n'avait plus personne.

Plus que jamais, elle était livrée à elle-même.

Tous étaient partis.

Pourquoi elle ne le ferait pas aussi ?

Mais d'une autre manière...