Chapitre 6
« Je n'ai pas eu de nouvelles de Wren depuis un moment. Je m'inquiète dès que je m'allonge sur la banquette du baraquement où je suis stationné. Les scientifiques n'ont pas plus de confort que les militaires. Au contraire. Je préfère laisser ma place au chaud à un mec qui va sûrement perdre la vie demain. Au moins, j'ai l'impression de servir à quelque chose.»
Extrait du journal de guerre de Charles Michael Montalemont- sept. 2034
Wren.
Depuis que j'avais vu la photo de Clarie, ma Clarie plus âgée, j'avais un pincement au cœur. Je l'avais aimée plus qu'aucune autre femme. Et même si j'aurais préféré être celui qui la rendrait heureuse, il était évident que Mike avait réussi. Je ne savais pas pourquoi Dieu m'avait infligé une telle épreuve mais je comptais bien le découvrir... et peut être que les carnets de mon ami allaient pouvoir m'aider. Je devais y avoir accès. Mais pour le moment, ma place était là, près de sa petite fille. Elle releva les yeux vers moi, et mon cœur loupa un battement.
Elle avait beau pensé qu'elle ne ressemblait pas à Clarie, c'était faux. Je voyais la beauté de son âme d'ici. Élora voulait changer le monde, elle aussi. Et surtout... elle avait ses yeux. Comment ne l'avais-je pas remarqué plus tôt ? La petite-fille de mon premier véritable amour était une véritable beauté. Ses yeux bleus, ses cheveux bruns, sa bouche aux lèvres bien dessinées. Ses cils, longs, lui donnaient un air innocent. Mais je me doutais qu'elle ne l'était pas autant qu'elle le laissait paraître. Les informations que j'avais d'elle concordaient avec ce que je savais de sa famille. Les descendants de Clarie et Mike étaient tous des petits génies, et surtout elle. Ils travaillaient tous pour Montalemont Tech, sauf une : elle était devenue artiste peintre, comme la mère de Mike. Mais elle avait fini major de sa promo tout de même.
– Wren ? Je sais que ça peut paraître bizarre mais j'aimerais bien qu'on se revoie. Et pas en tant que victime et flic. Je veux vous inviter à dîner.
– Non.
Elle parut déçue et retira sa main de sous la mienne.
– Je suis vieux jeu, je vous invite à dîner. Pas question de vous laisser payer. Je pense qu'avec votre travail, vous avez beaucoup de dossiers à traiter alors... donnez-moi une date.
– Après-demain ?
Je hochai la tête tandis que mon cerveau enregistrait ce rendez-vous.
– Je vous ferai découvrir le vrai Seattle, celui qui vaut le coup d'œil ! Surtout si vous acceptez de rester avec moi le temps d'une balade digestive.
– Volontiers !
Elle était de nouveau contente. C'était très plaisant de voir son sourire illuminer ses traits. Je m'en sentis ragaillardie. J'aimais vraiment la voir ainsi. Son cocktail terminé, elle en commanda un autre alcoolisé, puis encore un autre. Ses yeux commençait à s'attendrir, ses joues à rosir. Sa tête se pencha sur le côté, les lèvres légèrement entrouvertes. Elle me draguait éhontément, et ce n'était pas pour me déplaire. J'étais plus âgé qu'elle. J'avais survécu à la fin de notre monde et j'avais vu les balbutiements d'un nouveau, mais je n'étais pas insensible à son charme. L'alcool commençait à me monter à la tête moi aussi, mais pas autant que pour la jeune femme.
– Il faudrait que je rentre, mais je n'en ai pas du tout envie.
J'aurais adoré la ramener chez moi, la faire soupirer mon nom dans mon cou, lui faire monter des larmes de plaisir au coin des yeux, mais... je ne le pouvais pas. Je ne le pourrais jamais. Les femmes de la famille Montalemont m'étaient interdites, aussi mignonnes soient-elles.
– Je crois que votre Guardbot va vous ramener que vous le vouliez ou pas, Élora.
– Il ne me suit pas constamment.
Elle glissa son doigt sur ma main, entrainant un frisson dans tout mon bras. Je repensai à mon meilleur ami... il me détesterait si je faisais ça. Je ramenai la main de la jeune femme près de mes lèvres pour la biser avant de me lever. C'était le moment de la ramener à sa voiture. Elle se rhabilla et attrapa mon bras, qu'elle ne lâcha que lorsque sa voiture arriva. Elle ordonna au robot de remonter en voiture, me laissant seul avec elle devant sa portière ouverte.
– Vous êtes sûr que je dois rentrer sans vous, lieutenant Abbot ?
– Certain, Miss Élora.
Son regard s'illumina.
– C'était comme ça qu'il m'appelait. Mon arrière-grand-père, ajouta-t-elle. Miss Élora. C'était vraiment un super moment. Merci, lieutenant.
Elle s'approcha de mon visage pour m'embrasser sur la joue, mais au dernier moment, elle dévia vers le coin de mes lèvres. Elle se recula légèrement. Eh puis merde. Je pressai ma bouche contre la sienne, goûtant ce fruit défendu qu'était Élora Montalemont. J'avais aimé Clarie plus qu'aucune autre femme, mais même elle ne m'avait pas donné l'impression d'être à ma place dès le premier baiser. La jeune femme me rendit mon baiser avec ardeur avant de m'éloigner d'elle.
– Bonne soirée, Wren.
Elle passa dans son véhicule et je refermai la portière. Je m'étais laissé aller, putain ! Je n'aurais jamais dû l'embrasser, mais maintenant que son goût était sur mes lèvres, ça me paraissait compliqué de l'oublier. De ne pas recommencer. Je rejoignis ma voiture, direction mon appartement où ma nièce avait débarqué le matin dans la nuit. L'arrière-petit-enfant de ma propre sœur. Je n'avais pas eu le temps de lui poser des questions, elle me paraissait vraiment fatiguée.
En poussant la porte de chez moi, je sentis la bonne odeur venant de la cuisine. Leïla était là, se trémoussant dans un tablier.
– Coucou oncle Wren ! J'ai cuisiné tes plats préférés toute la journée. Merci de me laisser crécher ici !
Son sourire entraina le mien, et je l'embrassai sur la tempe. Elle avait dû y passer un temps fou et l'alcool que j'avais vu m'avait ouvert l'appétit. J'attrapai des couverts pour dresser la table et une fois installé, je fis honneur aux plats concoctés avec amour.
– Bon, qu'est-ce que tu fais à Seattle ? Tu étais en Océanie y'a quelques jours, heureuse en couple.
– Je voulais te souhaiter une bonne année en direct !
– Mais encore ?
Son sourire se cassa tout à coup, retrouvant un air sérieux. Elle se passa une main dans les cheveux avant de boire une gorgée d'eau.
– Mon petit-ami s'est révélé être une véritable ordure.
Un frisson désagréable me parcourut l'échine alors qu'elle m'expliquait qu'il avait levé la main sur elle, le lendemain de Noël. Je me levai de ma chaise immédiatement.
– Je vais aller lui péter la gueule ! Réserve-moi un vol.
– Non ! Laisse-tomber ! me supplia-t-elle en me retenant par le bras. J'ai attendu qu'il parte de son appartement pour vider toutes mes affaires, prendre un vol et revenir ici. C'est pour ça que j'ai besoin que tu m'héberges. Je ne resterais pas longtemps. Juste le temps de...
– Tu resteras ici aussi longtemps que nécessaire, lui appris-je en me rasseyant. Ma maison est ta maison jusqu'à la fin de tes jours ou de ce monde. J'ai suffisamment d'espace pour toi.
– Tu veux bien que je reste ? C'est vrai de vrai ?
Elle me sauta dans les bras avant de se mettre à pleurer. Elle était heureuse, je pouvais le sentir. Quand elle se détacha de moi, elle s'essuya les yeux.
– On va instaurer des règles de vie.
– Promis, je débarquerai pas dans ta chambre quand tu seras avec une dame...
– Encore heureux. Je parlais plutôt des cheveux dans la douche et des fringues à trainer un peu partout. Je me souviens de ton tout premier appartement, chérie.
Leïla ricana, puis me fixa d'un air similaire à celui de ma petite sœur.
– Tu as une petite-amie en ce moment ou on va pouvoir aller draguer ensemble ?
– Je peux t'accompagner pour que tu sois en sécurité dans les boîtes de nuit, et... il se pourrait que je dîne avec une femme dans deux jours.
– Je veux tout savoir !
Elle attrapa la bouteille de vin, nos deux verres sur la table et fila sur le canapé avant de me demander de la rejoindre. Ma petite sœur aussi avait ce côté intrusif sur ma vie privée. C'était même elle qui m'avait conseillé de demander Clarie en mariage.
Sur son lit de mort, alors que je la serrai dans mes bras, elle m'avait enjoint au bonheur, malgré ma situation. Elle avait toujours veillé sur moi, même si j'étais l'aîné. Et sa petite-fille faisait la même chose.
– Eh bien, ça peut paraître très étrange, mais j'ai rendez-vous avec Élora Montalemont.
– Comme dans Montalemont Tech ? C'était pas le nom de ton meilleur ami... celui qui a épousé ta fiancée ?
– Hum... Si.
Elle se tut mais son regard reflétait toute sa surprise.
– Whaou. Belle revanche ! Tu me piques ma femme, je baise ta descendante !
– Je n'ai pas de revanche à avoir et je ne vais pas la baiser, jeune fille ! Quel vocabulaire !
– Tu vas lui dire la vérité ? Sur ce qui tu es véritablement ? Parce que je lui dirais, moi.
Je me rembrunis à cette idée. Non, ce n'était pas dans mes intentions parce que je ne comptais pas aller plus loin avec elle.
– Wren. Tu n'as pas à le cacher à qui que ce soit. Alors oui, je sais toute cette histoire de secret international mais... sans ton idée, on ne serait pas là, putain ! Tu as sauvé notre espèce, tu mérites de la reconnaissance. Tu es un homme incroyable !
– J'aurais dû mourir avec les autres. Si je suis là, c'est grâce à Mike et son génie. Grâce à Clarie aussi. Ils m'ont sauvé, conjointement et quand j'ai repris connaissance, elle était morte ete déjà devenue grand-mère. Elle a eu raison de ne pas m'attendre. Même si ça m'a fait un choc de découvrir que c'était Mike qui était devenu veuf.
– Tu ne peux pas constamment ressasser le passé, oncle Wren. Tu sais, je crois en la divine providence. Si tu es là actuellement, c'est pour une véritable raison. Tu dois découvrir laquelle. Je peux t'y aider.
Elle n'avait pas tort. Le monde était équilibré. Je n'étais pas ici par hasard. Comme à son habitude, Leïla finit par me demander plus de détails sur notre famille. Le décès de sa mère, c'était ça qui m'avait poussé à devenir flic dans cette vie. Ça avait brisé une nouvelle fois notre famille. En tout cas, moi ça m'avait brisé. Le fils de ma sœur était parti vivre sa vie, abandonnant sa famille. Il n'en avait rien à faire, d'après ce que j'avais compris de ma cadette. Lorsque sa propre fille était morte, il ne s'était pas occupé d'elle, la laissant au bon soin de sa mère... et entre mes mains. Ma filleule. Ma petite Leïla. Ma seule famille actuellement.
– Quand as-tu grandi Leï ?
– Quand j'ai compris la signification des bruits venant de ta chambre quand tu invitais des « amies ».
Je faillis lui cracher ma boisson dessus alors qu'elle se bidonnait sur mon sofa. Elle finit par me fixer, sa tête légèrement penchée.
– Je t'aime oncle Wren. J'ai l'impression que je peux tout te dire ! Tu es à la fois, un père, un oncle, et l'un de mes meilleurs amis. Je suis désolée de faire peser sur toi, tous mes problèmes.
– Et moi, je te remercie aussi. D'être toi. De me supporter, alors que je suis... un monstre.
– Tu ne l'es pas, Wren. Je t'interdis de continuer à te morfondre en plus de ça ! Je te propose qu'on fasse un pacte tous les deux. Plus de morosité.
– Vendu. Mais je vais quand même payer des types pour dévaster la gueule de ton ex ou son appartement. Ou les deux, ajoutai-je en la voyant rire.
Elle s'installa auprès de moi, la tête posée sur mon épaule. J'allumais mon écran pour chercher un programme d'avant-guerre.
– J'adore Lucifer. On devrait regarder ça. Tu étais né quand c'est sorti ?
– Oui, j'étais né. C'était un temps... je ne vais pas t'ennuyer avec ça.
– Au contraire... raconte-moi comment c'était... avant.
C'était toujours ce qu'elle adorait me demander plus jeune. De lui raconter ma vie d'enfance, la vie d'avant la guerre. Je lui racontai des histoires avant de s'endormir qui avait dû être oubliée avec le temps. Lorsqu'elle s'endormit, je la portai jusqu'à sa chambre avant de la border et de l'embrasser sur la tempe.
– Dors, petit trésor.
Elle grogna un truc comme « je ne suis pas petite », avant d'apaiser sa respiration. Je quittai sa chambre pour rejoindre la mienne. Une fois déshabillé, je fixai la ville de Seattle. La neige tombait de nouveau, drue. Rien qu'à la regarder, je repensai à Élora. À notre toute première rencontre, alors qu'elle allait clairement rendre visite au leader des États-Unis. Elle avait croisé mon regard et je n'avais pas réussi à me la retirer de la tête, même sans savoir qui elle était réellement. Et maintenant... Rien que la pensée de cette femme me serrait les tripes. J'avais envie de la revoir, mais je savais d'avance que je culpabiliserais... Je culpabilisais déjà.
Mike m'aurait détesté de tenter de séduire sa petite-fille. Il était loin d'être un parangon de vertu contrairement ce que l'Histoire avait retenu mais pour autant, il n'apprécierait pas ça. De nous deux, c'était moi qui était fermement attaché à certaines valeurs traditionnelles comme le mariage. Et pourtant, je n'avais pas réussi à épouser la seule que je voulais vraiment. Clarie. Je l'avais rencontré un soir d'Halloween et j'avais eu un coup de foudre. Je n'avais jamais eu du mal à mettre des filles dans mon lit mais elle... ce n'était pas la même chose. Elle m'avait avouée qu'elle ne voulait pas avoir de relations sexuelles avant son mariage. Quand je l'avais appris et que j'en avais parlé à ma sœur, elle m'avait ri avant de me dire d'un ton évident : « Bah, demande-la en mariage ». Nous vivions ensemble, elle acceptait que nous dormions dans le même lit, elle aimait que je la câline, que je l'embrasse, mais je n'avais jamais eu le plaisir de sentir son corps en pleine extase.
Je tapotai ma fenêtre.
Ma nièce avait raison. Il ne servait à rien de ressasser le passé. Clarie m'avait pleuré, elle avait épousé mon meilleur ami, eu des enfants et était morte. Ils étaient morts, tous les deux. Je ne savais pas pourquoi j'avais survécu, il y avait quatre-vingts ans mais il devait y avoir une raison.
Et j'allais la trouver.
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