Chapitre 67
24 décembre
[Déjà le 24 décembre, autrement dit : hier. Je n'arrive pas à croire que je suis presque à la fin de mon épopée mentale. Et je peine encore à assimiler toutes les émotions par lesquelles je suis passé dans la journée d'hier. Par contre, je sais que sans Py, Clem et Lizzie, je serais encore une flammèche tremblotante. Sans Cam aussi. Cam, c'est la flamme la plus brillante qui soit : il compense le vacillement de la mienne à merveille !
On ne va pas se mentir, je ne suis pas non plus au top de ma vaillance, là. Mais au moins, je peux de nouveau faire le malin dans ma tête et ce n'était pas la même chose jusqu'à tard dans la soirée.
Mais prenons les choses dans l'ordre. Ma Team a débarqué. Ma Team m'a consolé. Ma Team a insulté Côle de tous les noms et Py a regretté de ne pas être venu en voiture (il était prêt à conduire jusque chez Côle pour lui donner une leçon). Ma Team m'a également conseillé de porter plainte contre ce salopard dès que je m'en sentirai capable. Lizzie a promis de m'accompagner. Mon père, qui traînait dans le salon à nous espionner comme si on ne le voyait pas (comme si on pouvait louper un grand gaillard d'un mètre quatre-vingt), n'a pas pu s'empêcher d'intervenir pour me proposer de nous conduire à Colmar.
J'ai accepté sans donner de date : apparemment, j'ai le temps pour le faire, et je ne me sens vraiment pas d'y aller pour le moment.
Après ça, nous avons passé une soirée chill, toujours chez mes parents. Impossible pour moi de retourner dans mon studio. C'est là que j'ai vraiment compris que cette agression que je ne pensais pas voir comme telle m'a traumatisé.
Merci à mon cerveau qui a décidé de prendre le déni comme compétence secondaire. Je ne suis pas persuadé que ce soit hyper efficace. Dans mon cas, évidemment, pour les autres, je ne vois pas comment je pourrais le savoir.
Et donc, hier soir, après cette prise de conscience et après avoir paré des heures avec la Team, Clem a proposé de faire une partie... de E&W. Histoire de vaincre le mal par le mal.
Évidemment, elle ne s'attendait pas à ce que je me connecte en tant que Khystal, jamais elle ne m'aurait demandé ça ! Non, son but, c'était que je n'associe pas le jeu à l'autre abruti, mais à eux, ma Team. Mes amis. Ma famille de cœur.
Je ne vais pas mentir : j'étais tout sauf convaincu et si j'avais eu un endroit où fuir, je l'aurais fait. Sauf que je ne voulais pas retourner chez moi et que je ne me voyais pas fuir chez Cam. C'est d'ailleurs en pensant à lui que j'ai fini par vraiment céder. Pourquoi ? Parce que mon adorable voisin s'était mis en mode silencieux depuis son départ de chez moi et que j'espérais le voir connecté sur le jeu.
Il ne répondait à aucun appel ni message. Ni par SMS, ni sur les messageries en ligne.
C'est Cam, il avait bien sûr une raison valable. Cam est adorable et c'est le « green flag » par excellence, alors évidemment qu'il avait une raison valable. Moi, en revanche, j'ai bien peur de ne pas vraiment être « green », sans pou autant être « red ». Parce qu'hier encore, je n'étais ni capable d'y réfléchir, ni de vraiment m'inquiéter de cette « disparition ».
Faut pas croire, j'ai honte de mon comportement ! Même si mon adorable Cam ne m'en veut pas, même s'il a compris pourquoi je n'ai pas essayé de le trouver... j'ai honte. Mais c'est réservé à la journée du 24, ça, et là, je suis encore dans la soirée du 23.
La Team est allée jouer en ligne, donc, pendant que je lorgnais tous les tchats possibles dans l'espoir de voir apparaître Cam. Clem a même accepté (enfin, elle a surtout eu pitié de mon air de chien battu) d'envoyer des demandes d'ami à tous les pseudos de Cam que je connaissais !
Et puis il s'est passé un truc de folie.
Avec ma sœur.
Pour être tranquille, Py, Clem et Lizzie avaient choisi des avatars anonymes et jouaient dans des petites maps avec presque aucun joueur. Et puis, Lizzie (qui jouait une clerc pour une fois) a eu besoin de potions, alors elle est allée dans la ville la plus proche. Elle en a presque lâché son ordinateur tellement elle a été surprise.
C'était sur toutes les lèvres... enfin, sur toutes les touches de clavier. La guilde de ma sœur dans sa totalité se désolidarisait de son ancien leader contre lequel ils avaient déposé une main courante. Ils appelaient à la vigilance et la liste de tous ses pseudos connus a été divulguée.
Mais le pire, ce n'est pas ça. Le pire, c'est que je n'étais pas sa seule victime, juste la seule avec qui il soit allé aussi loin. Il a dragué et entretenu des relations virtuelles avec au moins une quinzaine de joueurs et joueuses.
Évidemment, mes amis ont déconnecté leur noob pour reprendre leur avatar connu. Évidemment, ils sont allés parler à l'ancienne guilde de Côle. Évidemment, ma sœur était à l'origine de tout. Elle a convaincu ses potes, ceux qui étaient à la maison l'autre jour, de parler de ce qu'ils avaient vu et entendu, tout ça sans me nommer.
Bon, mon pseudo est quand même sorti dans la liste de ses « flirts », mais personne ne sait que je suis le point de départ de ce call out. Et ça m'arrange. Honnêtement, je suis mal à l'aise à l'idée d'être à l'origine de tout ça. Je sais, ça va protéger beaucoup de potentielles victimes, mais je n'étais pas... je ne suis pas prêt à gérer tout ça.
Alors on a coupé tous les PC et ils ont commencé à parler de tout et de rien. Et surtout de n'importe quoi. Le seul moment sérieux, ça a été quand ils sont revenus sur notre partenariat avec l'association, mais je dormais déjà à moitié et je ne me souviens pas de ce qu'ils en ont dit. Il faudra que je leur redemande.
Donc, finalement, on n'était pas encore au 24, mais toujours au 23. Mais cette fois, on est bien au 24 décembre. Le jour où Agy et Ely sont arrivés. Le jour où ma Team est repartie pour nous laisser fêter Noël en famille, ou pour fêter Noël dans le cas de Lizzie. Le jour où j'ai retrouvé Cam.]
— Allez, debout les jeunes, beugla le père de Chris, amusé. Le covoit de Py part dans une heure et demie et le train de Clem dans deux heures et quart !
Clem émergea de son duvet, les yeux collés et les tresses en désordre. Chris battit des paupières : il n'avait pas meilleure mine. Pire encore, ses cheveux s'étaient emmêlés et son visage lui semblait bouffi.
Il se frictionna le visage et observa ses amis, encore hébété de les savoir ici, avec lui. Lui qui n'avait jamais voulu, jamais osé les rencontrer. Chris était à la fois heureux et inquiet de cette situation. Heureux parce qu'en ces circonstances bien particulières, leur présence était une bonne chose. Inquiet parce qu'il craignait que ce précédent ne se transforme en habitude.
[Même si au fond, je sais très bien qu'ils ne me feront jamais le coup de s'imposer sans raison.]
Pendant que Py aidait son père à leur préparer le petit déjeuner (lui, Clem et Lizzie avaient gentiment été renvoyés de la cuisine), Chris pris son courage à deux mains pour leur parler.
— Dites... à propos de votre arrivée surprise...
— À situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle, s'exclama Lizzie. Si on t'avait prévenu, tu aurais refusé.
— Oui, admit Chris sans hésitation. Ne recommencez pas. S'il vous plaît.
— On peut te promettre qu'on le refera jamais, mais on va aussi te promettre qu'on le refera si besoin, rétorqua Clem en fouillant dans son sac à la recherche de vêtements propres. Évidemment qu'on va pas débarquer tous les quatre matins pour rien. Jamais on ferait ça. Par contre, si tu retombes dans un gouffre comme ça, on sera là. Parce qu'il est hors de question de t'abandonner tout seul. Et si je vois Cam en repartant, je lui tire les oreilles ! C'est quoi, ça d'abandonner son mec d'un coup ?
Pendant sa tirade, Clem avait reposé ses affaires et planté ses poings sur ses hanches. La jeune femme en voulait à Cam. Elle lui en voulait d'avoir abandonné Chris autant qu'elle lui en voulait de l'avoir fait au pire moment. Mais par-dessus tout, elle s'en voulait à elle-même d'avoir cru qu'il finirait par revenir et que eux, la Team, n'avaient pas besoin de venir.
Sans Lise pour les prévenir de l'état mental en miettes de Chris, personne ne serait venu le réconforter.
— Clem, tempéra Lizzie, il a forcément une raison. On parle de Cam, là, le mec qui a galéré des mois pour faire comprendre ses sentiments à Chris. Ça se trouve, il ne sait même pas ce qui est arrivé...
— Je lui ai laissé au moins cent messages !
— Moi aussi, admit Lizzie.
— Pareil, chuchota Chris, abattu. Peut-être qu'il voulait juste... coucher avec moi. Et puis le reste était dans ma tête.
— Non, s'entêta Lizzie, je suis sûre que non. C'est ton voisin, alors on va aller toquer chez lui ensemble, dès qu'on sera habillés, et on va lui tirer les vers du nez ! D'accord ?
Chris frissonna. Allez sonner chez Cam, il n'était pas sûr de pouvoir le faire. Sa mère le détestait après tout.
Sa mère...
[Illumination mentale et souvenirs sauvages ! Pas les meilleurs souvenirs des derniers jours, mais contrairement à ce que j'ai pensé à ce moment-là dans la rue, pas les pires non plus.]
— Sa mère... a menacé de le mettre à la porte, murmura le jeune homme. Quand elle nous a vus. J'avais oublié ça. Vous croyez qu'elle aurait pu... vraiment le faire ?
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