Chapitre 28
2 décembre
— Et donc...
Cam s'interrompit et se racla la gorge.
Depuis que Lise avait rejoint son rendez-vous, ils suivaient les deux jeunes femmes en silence. Aucun des deux n'avait osé briser le silence pour autre chose que des exclamations ravies face à des décorations.
À présent, ils cheminaient dans une ruelle traversante. Seuls.
— Tu veux parler de Côle, j'imagine.
— C'est pour ça qu'on est là, confirma Cam. J'aimerais vraiment comprendre... ce qu'il se passe dans ta tête. Ce que tu ressens exactement. Ce qu'il représente pour toi... pourquoi tu te mets dans cet état à cause de lui.
Chris se mordilla la lèvre. S'il n'avait pas fait si froid, il se serait passé les mains sur le visage, mais il préféra les garder bien au chaud dans ses poches.
— Je crois que j'aimerais comprendre, moi aussi, souffla-t-il. Je sais pas pourquoi avec lui, ça a pas fait comme avec les autres. Parce que j'ai eu d'autres copains en ligne avec lui, mais... rien d'aussi intense.
— C'était le premier avec qui tu as... par écran interposé, peut-être.
— Non, même pas. Mais... je crois que c'est le premier qui m'a vraiment donné confiance en moi. Au début. Il est pas méchant, au fond, c'est juste que... enfin, je sais pas.
Cam remonta ses lunettes avant de s'arrêter devant une crèche. Il observa les santons en silence pendant quelques secondes, puis se tourna vers Chris.
— Je ne peux pas vraiment juger, vu que je ne le connais pas...
Cam se tut. Attendit que son ami reprit la parole sans que le jeune homme ne le fasse. Au terme de quelques minutes pendant lesquelles Chris observa Lizzie et sa soeur, il soupira :
— Si tu ne veux pas en parler, c'est OK.
— C'est pas ça ! C'est que je... je sais pas comment ordonner mes pensées, alors je pense que le mieux, c'est que tu me poses des questions précises.
— OK, alors... je sais que tu as rencontré Côle sur un jeu en ligne, que vous êtes tombés amoureux et qu'il t'a quitté parce que tu ne voulais pas le rencontrer. Mais du coup, je ne comprends pas pourquoi ça t'atteint à ce point. Tu regrettes ?
— Non. Enfin, peut-être un peu... je peux pas m'empêcher de me demander si j'ai eu raison, tu vois ! Il m'a collé un ultimatum : si tu changes pas d'avis, c'est fini ! Et je me dis que, peut-être, que j'aurais dû me forcer un peu.
Cam se raidit.
— Te forcer ? C'est à dire ?
— Eh bien, quand parfois, j'ai pas envie d'un truc, mais si je me force, après, j'aime bien. Comme les câlins de tout à l'heure.
— Ce n'est pas comparable, trancha Cam d'une voix sèche.
— Pourquoi pas ?
— Parce que je ne t'ai pas fait de chantage pour que tu acceptes.
— Mais lui non plus !
— Il t'a posé un ultimatum, grogna Cam d'une voix désabusée qui surprit Chris. Et je dis pas que les ultimatums sont forcément mauvais ou que c'est toujours du chantage, mais là... là, ça y ressemble quand même beaucoup. Parce qu'il a voulu te forcer à faire quelque chose que tu ne voulais pas.
— J'avais jamais vu les choses sous cet angle...
— C'est con qu'on doive suivre les deux L, parce que je serais bien allé sur le rempart.
Surpris par la véhémence de son voisin, Chris se figea sur le trottoir.
— Cam, ça va ?
— J'aime pas ce Côle. Et plus tu m'en dis sur lui, plus j'ai envie de lui coller mon poing dans la tronche. Et ça m'énerve, parce que je suis plutôt contre la violence, normalement, mais lui, il me tend ! Et... bon sang, désolé, Chris, on est là pour que tu puisses décharger tout ce que t'as dans la tête, et je ramène les trucs à moi.
— Pas de souci...
Le silence retomba sur eux, seulement brisé par les éclats de rire des deux jeunes femmes devant eux. Inconsciemment, ils avaient accéléré le pas pendant leur discussion et ne se trouvaient plus qu'à une dizaine de mètres de Lise et Lizzie.
Sans avoir besoin de se concerter, ils s'arrêtèrent pour admirer une autre crèche.
— J'aime bien celle-là, remarqua Chris.
[On peut même dire que la crèche en question est ma préférée. Comme tous les ans. Installée derrière deux vitres du salon, elle est composée d'un mélange de lego et de playmobils. Plus qu'une crèche, c'est un véritable décor de Noël que font les habitants de cette maison ! Entre les maisons alsaciennes en briques colorées, le lac avec ses patineurs, le Père Noël avec ses rennes... c'est un univers magique qu'ils nous proposent.]
— Ouais, ça change. Moi, j'adore celle de la Mosaïque !
Chris hocha la tête, préférant garder son avis pour lui.
[Si je salue le challenge de n'utiliser que des boîtes en carton et en fer pour faire une crèche 100% en matériaux recyclés, je n'arrive pas à voir l'émotion qui s'en dégage. En revanche, comme pour Cam, c'est la préférée de Lizzie !]
— Il m'a insulté en live, lâcha Chris de but en blanc alors qu'ils reprenaient leur route.
— Pardon ?
— Côle. L'autre soir. Je swipais, je suis tombé sur un de ses Streams et il m'a insulté. Sur le coup... j'ai cru qu'il parlait pas de moi, mais.. Je... mais si.
— Le soir de la réunion, c'est ça ? Quand je t'ai trouvé dans un état lamentable.
Le jeune homme acquiesça, incapable de prononcer un mot de plus. En douceur, Cam lui demanda s'il désirait lui en dire plus et ce fut d'une voix enrouée et chargée de sanglot que Chris vida son sac.
[Et finalement, tout y est passé. Non seulement les saloperies que Côle avait crachées ce soir-là, mais aussi toutes les fois où il s'était montré limite pendant nos conversations privées. Ces moments où il m'avait poussé à me dévoiler, à chaque fois grâce à des menaces voilées ou du chantage.
Je n'en avais pas encore conscience, mais Cam, lui, a tout de suite mis un mot sur le comportement de Côle.]
— Mais quel connard ! Comment il a pu dire ça en sachant que tu regardais ?
— Il... il savait pas.
— Tu t'es connecté en anonyme ? Si oui, je veux bien lui laisser le bénéfice du doute mais... mais vu que tu as l'air d'avoir vu un fantôme, je dirais que tu étais connecté avec ton pseudo. Il ne serait pas un peu toxique, ton ex ?
— Non, protesta vivement Chris. Il veut juste garder son image de bad boy ténébreux ! Au fond, il est gentil ! Il sait juste pas comment montrer ses sentiments...
— Est-ce que tu crois vraiment à ce que tu dis, Chris ?
Cette fois, malgré le froid, Chris se passa les mains sur le visage.
— Je... je ne sais plus trop. Plus je te côtoie, plus je...
— Plus tu ? s'enquit Cam, plein d'espoir.
— Plus je me pose de questions.
— Comme quoi ?
— Ben, par exemple... je commence à me demander pourquoi Côle a jamais été foutu de faire des compromis. Rien que quand on jouait à E&W, y avait aucun dialogue entre nous. On faisait ce qu'il voulait et c'était tout. Et quand j'étais pas d'accord, il n'essayait pas de comprendre pourquoi, il se déconnectait et le sujet était clos.
— Et ça te convenait ?
— Je croyais que oui, mais j'en suis plus si sûr. Je veux dire, il a jamais boudé ni rien, il revenait comme si de rien n'était.
— Tu ne lui as jamais dit que ça t'emmerdait ?
— Une fois. Mais...
— Laisse-moi deviner. Il a retourné le problème pour te faire croire que le problème, c'était ta réaction et pas son comportement.
— Comment tu...
— Technique de base de manipulation.
[Gros choc pour moi. Autant, la team m'avait déjà parlé du côté toxique et connard de Côle, autant ils n'avaient jamais évoqué une potentielle manipulation. Mais il faut dire que même s'ils en savaient beaucoup, je leur avais livré moins de détails qu'à Cam.
Sans doute parce que je me sentais à la fois plus proche et plus éloigné que jamais de Cam.
Son aveu à demi-mot, un peu plus tôt, sur sa potentielle bisexualité, au lieu de me pousser à tenter quelque chose, m'avait convaincu que je n'avais aucune chance avec lui. Qu'il ne serait jamais rien de plus que mon meilleur ami. Que s'il m'avait avoué ça, comme ça et devant ma sœur, ça ne pouvait être que pour une chose : il galérait avec son crush (bon, sur ce point j'avais raison) et pensait à me demander mon aide pour le séduire.
C'est donc plutôt naturellement que j'ai vomi tout ce que j'avais sur le cœur.
Et heureusement ! Si j'avais ne serait-ce qu'imaginé les sentiments de Cam à mon égard, je me serais tu de peur de le faire fuir. Ce qui, paradoxalement, aurait été le meilleur moyen de le faire détaler.
Parce que ce soir-là, je lui ai donné quelque chose qu'il n'avait pas encore : ma confiance.]
— Tu crois vraiment qu'il me manipulait ? murmura Chris, les cils bordés de larmes.
Il renifla. Tira un paquet de mouchoirs de sa poche et souffla dans l'un d'eux à grand bruit.
— J'en ai bien peur.
— C'était lui, hier. Quand on a joué. Le HL qui s'est arrêté devant nous. Démoniac97. C'est pour ça que j'ai fui.
Il s'essuya encore le nez avant de jeter son mouchoir dans une poubelle, puis souffla sur ses doigts gelés.
— J'avais compris. Chris, si je peux faire quoi que ce soit pour t'aider à passer à autre chose, chuchota Cam en saisissant ses mains pour les réchauffer. N'importe quoi.
Chris déglutit et leva les yeux sur Cam. Son visage était proche. Si proche. Il avait une soudaine et furieuse envie de l'embrasser. Il se contint toutefois : les baisers, c'étaient pour les couples et uniquement pour les couples.
[Et uniquement avec des personnes consentantes, au passage. ce qu'était Cam, sans aucun doute. Et lui aussi a bien cru que ce serait notre premier baiser !
Seulement... on le sait... rien ne se passe jamais comme prévu.]
Le souffle court, Cam se pencha... puis leva les yeux, comme attiré par quelque chose derrière Chris.
— Merde ! Lizzie !
Le cœur de Chris s'affola. Il recula, se retourna.
— Quoi, Lizzie ?
— Elle t'a vu.
Effaré, Chris découvrit que Lizzie marchait sur eux. Et son cerveau refusa de fonctionner davantage.
— Non. Coïncidence. Elle a pas pu. Elle...
— Chriiiis !!!
— Non, répéta Chris d'une voix blanche. Coïncidence.
— Je prends les choses en main, décida Cam.
Il s'empara de la main gauche de Chris et le tira à sa suite vers les deux jeunes femmes.
— Hey, salut ! Alors vous vous promenez dans le coin, vous aussi ?
Lizzie éclata de rire et lui lança un clin d'oeil, un sourire réjoui sur les lèvres.
— Lise m'a avoué qu'elle vous a demandé de jouer les gardes du corps ! j'ai voulu résister à l'envie de rencontrer Chris, mais... huh ! Je suis trop excitée !
Elle leva les bras comme si elle allait serrer son ami contre elle, mais se contenta de lui faire coucou des deux mains. Chris resta figé. Incapable de parler ou de proférer le moindre son.
[Et je n'étais même pas en mode "carpe", je n'arrivais pas à bouger du tout. Pas un muscle. pas un poil. Rien.]
— Je crois que mon frère est en erreur système, constata Lise.
— How, Chouchou, je savais que ça te bousculerait, mais pas à ce point ! On va vous laisser tranquille ! Mais je suis super contente de t'avoir vue !
— Je suis sûr que derrière cette couche de terreur, il est content aussi, assura Cam. Et je crois que je vais le ramener chez lui ! T'as clairement plus besoin de nous, Lise.
— Je te le confirme ! Et je vais même rester avec Lizzie le temps de son jeu !
Chris capta vaguement un regard en coin de la part de Cam qui s'humecta les lèvres.
— Et donc... vous êtes ensemble toutes les deux ?
— Oh, pas encore, s'amusa Lizzie. j'ai trop envie de faire touuuus les rendez-vous prévu par Chris avant !
— Et je suis tout à fait OK avec ça, renchérit Lise. On a décidé que... que si ça colle entre nous, on s'embrassera au marché de Noël de Ribeau !
— Donc, il me reste à peu près deux semaines, calcula Cam.
Puis, face à l'air intrigué de ses deux amies, il ajouta d'un air entendu :
— Pour conquérir mon crush.
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