[Un modèle sublime, moelleux et très cher... qui n'avait jamais servi. Mais bon, ma mère étant ma mère, elle a insisté pour me l'acheter quand j'ai emménagé dans le studio. « Au cas où tu te déciderais à inviter de vrais amis un jour ».]

—... Je... bon, OK. Sérieux, comment tu fais pour me comprendre aussi facilement ? Même Ellie y arrive pas, et c'est ma jumelle.

— Ne va pas croire que c'est simple, soupira Cam en vérifiant la salle de bains.

Chris attendit que Cam développe, ce qu'il ne fit jamais.

[Du moins, pas à ce moment-là. Nous avons rattrapé énormément de conversations perdues cette nuit. Et il se trouve que, contrairement à Ellie, mon cher et tendre Cam avait une motivation toute particulière : gagner mon cœur.

Même si, physiquement, j'ai plu à Cam dès notre première rencontre (dont je ne me souviens absolument pas), il n'a pas eu de coup de foudre pour moi. Pendant des années, il s'est contenté de me regarder de loin. Au début, intrigué de ce qu'un autre garçon provoquait comme sensations chez lui (il a découvert sa bisexualité grâce à moi, quand même !), ensuite parce qu'il appréciait de se rincer l'œil à l'occasion.

Tout a changé au divorce de ses parents, quand il a déménagé dans ma rue et qu'il a débarqué chez moi un soir.

Quand on y réfléchit... tout tient à si peu de choses...

Si la mère de Cam avait fait les courses ce jour-là... il ne serait jamais venu. Et probablement que nous ne serions pas ensemble maintenant. Lui à ronfler dans mon lit, moi à boire un café en le contemplant.]

— Pas d'explications, donc. Partons à la chasse aux renoncules !

Cam éclata d'un rire qui chatouilla le ventre de Chris.

— Tu te ficherais de moi que ça ne m'étonnerait même pas !

— À ton avis ? s'amusa Chris en lançant un clin d'œil malicieux à Cam, davantage pour calmer les battements un peu trop désordonnés de son cœur que pour taquiner son ami. Là ! Dans la cuisine !

— Tu ne vas pas me répondre ? s'exclama l'adorable voisin, faussement outré. Je croyais que j'étais ton meilleur ami, et que des meilleurs amis se disaient tout.

[Bien évidemment, Cam blaguait autant que moi. Sauf que son ton sérieux m'a induit en erreur...]

— Pourtant, tu me dis pas qui est ton crush, rétorqua Chris sur le même ton en approchant de Renoncule calfeutrée sous une chaise.

— C'est normal, c'est parce que c'est toi !

[Une manière pour mon voisin préféré de me faire une déclaration sous couvert d'humour. Mais encore une fois... ça m'est totalement passé au-dessus. À travers. Dessous. Partout sauf dans mes neurones.]

— ... hein ?

À deux doigts d'attraper la chatte, Chris se figea. Renoncule en profita pour s'échapper, laissant tomber le bolduc au passage.

— Ramasse le bolduc avant qu'elle ne revienne !

Mais Chris ne bougea pas.

[Erreur système. Traitement de la requête impossible.]

— Chris ? Tu es avec moi ?

Cam s'approcha. Ramassa la bobine avant de se planter devant Chris qui soutint son regard sans vraiment le regarder.

[CODE SCC_E_TYPENOTSUPPORTED : ce type de fichier n'est pas pris en charge par le système de contrôle du code source.]

— He merde, je t'ai fait bugguer... Vas-y frontalement, qu'elle disait. Tu parles.

— Je... quoi ?

— Tu réfléchis trop, Chris, tu devrais juste laisser couler...

En douceur, il se pencha. Chris ne recula pas, ne protesta pas, ne se déroba pas alors même que la chaleur de l'autre jeune homme irradiait son visage. Cam déposa un baiser sur sa joue. Doux. Rapide.

[Et pourtant affolant.]

Puis il retourna vers les sacs.

Chris avait l'impression d'avoir vécu un moment hors du temps. Un moment irréel. Il n'était même pas sûr de réellement l'avoir vécu.

— Je ne suis pas sûr d'avoir compris tout ce qu'il vient de se passer, là...

— Obviously.

— Tu te payais ma tête, n'est-ce pas ? Ou alors l'épuisement moral a grillé ma cervelle ?

— À ton avis ?

— Si j'avais un avis je poserais pas la question, bougonna Chris dans sa barbe avant de rejoindre Cam en traînant des pieds.

[Et encore une blague qui tombe à l'eau !]

— Peut-être bien que j'ai un crush, en vrai, ajouta-t-il en tirant une guirlande lumineuse de son carton.

Ce fut au tour de Cam, de se figer, suspendu aux paroles de Chris. Sa voix n'était plus qu'un filet lorsqu'il demanda :

— Et qui ?

— C'est... un secret. Allez, aide-moi à accrocher ce truc !

Ils passèrent l'heure qui suivit à décorer le studio. Tout y passa. Les guirlandes, les figurines (celles que Chardon ne détruisit pas, en tout cas), les décorations de vitres et même un mini sapin que Chris installa sur son bureau.

Lorsque la dernière punaise fut fixée, ils reculèrent pour contempler leur œuvre... avant de se dévisager. Pendant une seconde, pour Chris, dix fois plus de temps pour Cam.

— Comment dire... commença Cam

— C'est...

— Assez...

— Moche. C'est moche. C'est hyper moche, bourbe, on est franchement mauvais en déco !

— Oh punaise, merci, je savais pas comment te le dire sans te vexer ! C'est affreux !

— C'est même terrible, y a rien qui va ! Moi, je pense qu'il faut un certain talent pour louper une déco à ce point.

— Tu marques un point, bailla Cam en se laissant tomber sur le lit. Je savais pas que c'était possible d'accorder aussi mal des couleurs.

— Un talent, je te dis. Pourtant, je t'assure que j'adore Noël ! Juste... j'aime pas spécialement décorer, j'arrive jamais à agencer les trucs.

Après avoir chassé un Chardon bien trop énergique vu l'heure tardive, Chris rassembla ce qui traînait encore par terre.

— J'adore aussi Noël, mais ma mère est plus douée que moi pour tous ces trucs... bon, je vais me rentrer moi, j'suis crevé.

— Bourbe, il est déjà deux heures ! Désolé, j'ai pas vu le temps passer ! Je range tout ça et j'te raccompagne.

— La porte est pas loin, s'amusa Cam d'une voix fatiguée.

Seul un grognement lui répondit.

[Oui, la porte n'était pas loin, mais j'avais envie de le raccompagner. De rester un peu plus longtemps en sa présence. Hors de question de le lui avouer cependant. Alors, pour profiter un peu plus longtemps, je pris tout mon temps pour rassembler les guirlandes, rubans et boules qui serviraient à Lise et Ely pour décorer leur chambre.

J'ai même failli pousser le vice jusqu'à aller poser le sac chez ma sœur en pleine nuit, mais j'ai eu pitié de Cam qui avait non seulement travaillé tard, mais dû rester après le taff à cause d'un client saoul qui l'avait empêché de nettoyer la cuisine en temps et en heure. D'où son retard.

Toujours est-il que quand je me suis retourné...]

— C'est bon, Cam, j'ai fini... Cam ?

Aucune réponse. Étalé en étoile sur le lit, Cam s'était endormi.

— Bourbe, qu'est-ce que je vais faire avec ça, souffla Chris en approchant à petits pas.

Il s'assit avec précaution sur le bord du lit. Appela son ami à voix basse. Le secoua sans trop insister. Se perdit à le contempler. À mesurer mentalement la longueur de ses cils. À admirer les différentes nuances de roux de son bouc. À apprécier les traits fins et encore un peu juvéniles de son visage.

Il avança le bras, mais juste avant d'effleurer la joue de Cam, Chris recula subitement.

— Non, mais ça va pas, Chris ? Depuis quand c'est OK d'espionner comme ça les gens qui dorment ! C'est chelou, là.

— Grmmbl.

Pendant une seconde, le cœur de Chris se figea tant il craignait d'avoir réveillé Cam... et surtout, d'avoir été entendu.

Oui, Cam lui plaisait, mais il ne désirait pas aller plus loin que ça. Il ne voulait même pas que son voisin le découvre. Après... Si Cam voulait expérimenter certaines choses avec lui, il n'allait certainement pas dire non, mais...

— Mais qu'est-ce qui me prend de penser des trucs pareils, s'agaça Chris avant de s'emparer de la couette pour en recouvrir l'endormi. Arrête ton délire. Crush, OK. Expérience, non. Bref. Dormir.

Pendant une seconde, Chris hésita à se glisser aux côtés de Cam, une idée aussi séduisante qu'effrayante. Il opta finalement pour son fauteuil convertible. De l'armoire, il tira un plaid à manches, s'enroula dedans et déplia son lit d'un soir.

À peine couché, la fatigue lui tomba dessus comme une souche. Mais avant de dormir, Chris ressentit le besoin de faire une dernière chose.

Les yeux papillonnants, il tapota quelques mots sur son téléphone à l'intention de Lizzie avant de le verrouiller et de clore les paupières, souriant.

Chris : 2 h 14
Hey, je crois que tu avais raison. Il se pourrait que je crush un peu sur Cam.