Chapitre 17
28 novembre.
Chris serra les doigts sur l'anse de sa tasse et ferma les yeux.
Sa mère lui donnait le tournis.
Depuis qu'il avait rejoint la cuisine, elle tourbillonnait autour de lui en parlant, parlant et parlant encore.
Elle avait posé un billet de cinquante sur la table. Puis une tasse de café pleine. Puis un croissant. Puis une tranche de pain. Elle était ensuite venue déposé un baiser sur sa joue. L'avait serré dans ses bras, indifférente à sa légère crispation puis au ramollissement de son corps.
Quand elle avait commencé à ...., Chris avait sorti son téléphone de sa poche pour envoyer un appel à l'aide à tout son répertoire.
[C'est à dire, à Py, Clem, Lizzie, Ellie et après avoir hésité, à Cam. Après la soirée que nous avions passée, je ne pouvais que le considérer comme l'un de mes meilleurs amis.
Enfin, non, j'aurais pu le considérer autrement, mais... bref.
Meilleur ami a été ma conclusion alors que je cherchais le sommeil, bien après le départ de mon adorable voisin, une fois que l'euphorie des événements avait laissé place à la réflexion.
Bon avec le recul, rien que ça aurait dû me défibriller le cerveau : j'ai bien eu quelques meilleurs amis par le passé... en particulier avant d'accepter ma sexualité et... chaque fois, mais vraiment chaque fois, j'avais en réalité un crush qui me poussait à rechercher leur présence un peu exclusive.
Dire que j'étais persuadé que vouloir embrasser son meilleur ami n'avait rien d'anormal. Que c'était juste la proximité qui faisait ça. La curiosité.
Oui, bon, j'ai toujours eu un fond de déni en moi !]
— Il faudrait que j'aille chez le coiffeur, s'exclama Mme Heuron alors que son fils lisait la réponse de sa jumelle. Tu ne trouves pas ? On commence à voir mes racines.
{Ellie, 8h25} Tu veux que je saute dans un train pour venir te sauver comme si tu étais un chaton en détresse ?
Debout devant le four, elle se glissait les mains dans les cheveux.
— Hm.
{Chris, 8h25} Miaou
Sa mère claqua des doigts, puis soupira.
— Et le voilà absorbé par son téléphone. Tu es sûr que ça va aller aujourd'hui ? Je rentre tard ce soir et Lise dort chez une de ses amies. Un exposé à faire, ou un partiel à préparer ? Je ne sais plus quelle fausse excuse elle m'a donnée.
{Ellie, 8h26} Si tu es coincé dans un arbre, tape 1. Si tu es coincé dans un lave-linge, tape 2. Si tu n'as plus de croquettes, tape 3. Si tu as un problème relationnel avec ton bipède, tape 4.
— Hm.
{Chris, 8h 26} La réponse D.
— Oh, et ton père passe dans l'après-midi, mais il repart en déplacement jusqu'à mercredi. Tu penseras à lui faire un coucou ? Tu lui manques.
{Ellie, 8h26} OMG ! Code rouge, CODE ROUGE !! J'appelle tous mes potes, on saute dans le premier train et on vient te sauver !
— Hm.
{Chris, 8 h 27} Je crois que je préfère encore demander de l'aide à Lise ! xD
{Ellie, 8 h 27} tout de suite... je suis vexé. Bon, survis encore un peu p'tit frère, je rentre bientôt. Je t'aime.
{Chris, 8h27} pareil
Chris reposa son téléphone pour avaler une gorgée de café.
— Et n'oublie pas d'aller en courses ! Et de prendre une douche avant. Oh, et si tu pouvais me passer un coup de serpillère dans la cuisine, ça m'aiderait pas mal !
— Hm hm.
Elle s'arrêta un moment et se retourna pour dévisager son fils un long moment. Un très long moment. Un si long moment que Chris finit par s'agacer.
— Quoi ? Je me suis renversé du café dessus ?
— Oui, un peu sur ton T-shirt, tu pourras me le mettre sur ta pile. Celle de droite dans la salle de bain.
— Je sais... je vais survivre, tu peux y aller.
Elle lui sourit. Revint le serrer contre elle.
— Je sais, et je pars rassurée ce matin. Ca faisait longtemps que je ne t'avais pas vu si heureux. Plus d'un mois.
— Hein ?
— Tu es radieux ! Je suis contente pour Cam et toi, j'espère juste que sa mère ne vous ennuiera pas ! Sincèrement, mon chéri, je commençais à m'inquiéter de te voir si morose !
— Je... j'ai juste parler avec Ellie sur mon tel.
— Tu étais déjà lumineux avant cet échange avec ta sœur. Je suis ta mère, Chris. Je ne comprends peut-être pas tout à tes réactions ni à ta manière de penser, mais je sais voir quand mon fils ne va pas bien, quand il est triste ou... amoureux.
— Amoureux ? Pourquoi tu me parles d'amour ?
— A cause de Cam. Qui te rejoint presque tous les soirs dans ta chambre et... oh, tu as ce qu'il faut, j'espère ? Lubrifiant ? Préservatifs ? Tu fais bien attention aux dates !?
[Ma mère, et je l'en remercie, met depuis toujours un point d'honneur à nous parler protection que ce soit pour les MST ou pour les grossesses. Probablement que se retrouver enceinte de jumeaux et avec tout un tas d'analyses à faire en urgence l'a un brin traumatisée.
Je savais donc bien avant d'en avoir besoin comment mettre un préservatif, dans quelle circonstance, pourquoi refuser le sexe sans protection, comment vérifier la date... et quand elle a compris que j'aimais les hommes, j'ai eu le droit à des leçons sur le lubrifiant en plus. Lesquels sont irritants, lesquels sont les plus doux, lesquels sont incompatibles avec le latex...]
— Maman ! On a joué à Elfes & Warlocks, qu'est-ce que tu vas t'imaginer !!
Elle marqua une pause, surprise.
— A chaque fois ?
— Non, il regarde d'habitude.
— Donc tu as encore des préservatifs ?
— Evidemment ! la boîte est neuve, comme toutes les autres, je m'en suis jamais servi !
— Oh. Le sexe ne t'intéresse pas ? Si c'est le cas, sache que ce n'est pas anormal, c'est...
— Mais rien à voir ! Cam est un pote ! Un pote hétéro, en plus, je vais pas m'envoyer en l'air avec !
[Avouons que l'idée n'était pas déplaisante. Et un brin trop obnubilante.]
La mère de Chris plissa les yeux. Son index caressait sa lèvre, comme chaque fois qu'elle n'était pas convaincue par quelque chose.
Elle l'observa encore quelques secondes en silence tandis qu'il achevait son café.
— Au temps pour moi alors. Si tu es sûr de toi... murmura sa mère en fouillant dans son sac à main.
— Qu'est-ce que tu insinues ? grogna Chris tout en lavant sa tasse dans l'évier.
— Rien du tout.
— Je suis pas avec Cam.
— Si tu le dis.
Chris se crispa. Il sentait le regard inquisiteur de sa mère sur lui et ne connaissait que trop bien cette manière qu'elle avait de faussement accepter la défaite.
— Maman ! Je le saurais, quand même !
— Si tu étais avec Cam, si tu étais amoureux ou s'il était pas hétéro ?
— Mais les trois ! Et pourquoi on a cette conversation maintenant ?
— Parce que c'est excessivement dur de te mettre la main dessus en ce moment. Ecoute, mon chéri... peu importe ce qu'est ta relation avec Cam...
— On est amis. A. M.I.
—... l'important, c'est qu'il te fait du bien au moral.
— Je...
— Oh mince, il est déjà 40 ! Je file, mon cœur ! Et ne prends que le strict minimum au proxi, je ferai les courses demain à Ribeau. Tout de même, si tu pouvais prendre un peu le volant... mais bon !
[Cette conversation que j'ai eue avec ma mère un beau lundi matin de novembre (en réalité, il faisait un froid de canard, le ciel était couvert et j'aurais préféré rester au lit) fut la première à réellement ébranler mon déni.
Bon, seulement ébranlé, il a fallu bien plus que ça pour que j'ouvre les yeux, mais ça n'arrivera pas avant plusieurs jours. Semaines. Mois. Enfin, non, pas mois puisque tout s'est terminé le 24 décembre.
Pas que mon histoire soit terminée, mais nous sommes présentement le 25 et Cam ronfle à côté de moi pendant que je ressasse mon mois de décembre à la fois génial et catastrophique.]
Chris se rassit, sonné par la conversation tandis que sa mère vérifiait une dernière fois le lave-vaisselle, la prise du grille pain et le gaz. Puis, alors qu'elle faisait claquer ses élégantes boots vers le couloir, elle se retourna une dernière fois.
— Mon chéri... est-ce que tu as au moins quelqu'un à qui parler ? Parce que... si ce n'est pas le cas, tu pourrais reprendre rendez-vous avec Capucine, non ?
— C'est pas la peine, grogna Chris.
— La dernière fois aussi, tu m'as répondu que ce n'était pas la peine.
— Tu m'as dit y a dix minutes que tu me trouvais heureux, faudrait savoir, ironisa Chris.
Sa mère pinça les lèvres, ferma son sac à main après en avoir extirpé ses clefs de voiture.
— C'était avant de... peu importe. Ca te faisait du bien d'aller voir Capucine.
— J'y allais juste parce que je savais pas comment te dire que je voulais arrêter, Maman ! J'ai pas envie d'y retourner. En plus, ça n'a rien à voir avec ma neuroatypie, cette fois.
— Comment je peux en être sûr, mon chéri ?
— Tu vas pas me lâcher, hein ?
— Je m'inquiète pour toi. C'est mon rôle de maman.
[A ce moment, ma langue m'a démangé et j'ai bien failli balancer à ma mère un beau : "Je me suis fait larguer par le mec avec qui je me masturbais en ligne, tu veux les détails ?"
Parce que j'étais agacé par son insistance. Parce que j'étais perturbé par ses paroles. Parce que je ne voulais pas que Cam représente autre chose qu'un ami pour moi. Parce que je commençais à douter de moi, à entrevoir la réalité à travers les fissures de mon déni et que ça m'effrayait.
Et quand je pensais à me protéger derrière la sexualité de Cam, sa blague de la veille me revenait en mémoire, enrobée de "Et si c'était vrai ?" qui entraînait bien trop de spéculations à mon goût.]
— Je parlerai avec Py, finit par lâcher Chris pour avoir la paix.
— Chris... je sais que tu aimes bien ce garçon, mais j'entendais plutôt avoir une vraie conversation avec un vrai ami !
— Py est une vraie personne, tu sais, c'est pas juste une image qui bouge sur un écran, répliqua le jeune homme, piqué au vif. Derrière le clavier, il y a ce mec pas hyper bien dans sa peau, comme moi, qui a du mal avec les autres, même si c'est pas aussi catastrophique que moi. Ce mec qui ressent des trucs, qui a des émotions et qui est tout à fait capable de m'écouter et me donner des conseils.
— Ca reste virtuel, Chris...
[Voilà un sujet aussi récurrent qu'agaçant : pour ma mère (Et pour Ely, j'ai réussi à rallier Lise à ma cause), rien ne remplace ce qu'elle appelle les "vraies" relations. Les seules qu'elle connaissent, en vérité.
Voir ses amis de visu, pouvoir les serrer dans ses bras, leur faire la bise, leur taper dans le dos, boire des verres avec eux, pouvoir échanger des blagues, se confier ou papoter sans prise de tête.
Elle est persuadée que tout ça est impossible sur le net.
Alors, certes, serrer ses amis, faire la bise et ce genre de choses est fortement compromis en ligne (ce qui ne va pas pour me déplaire), mais pour tout le reste... et bien c'est identique.
Je plaisante avec Lizzie, je me confie à Py (qui se confie également à moi), je papote avec Lizzie. On boit des coups ensemble, juste par écran interposés. On se voit (Oui, je sais, eux voient surtout mes mains).
Honnêtement, je ne vois pas ce que mon amitié avec la Team a à envier à celle de ma mère pour son groupe de vieux qui font faire de la randonnée un dimanche par mois.]
— C'est peut-être en ligne, mais c'est l'amitié la plus réelle que j'ai jamais connu. Et la plus sincère aussi, au moins, ils attendent pas de moi des trucs que je peux pas leur donner.
— Je préfèrerai que tu vois Capucine.
— Maman !
— S'il te plaît.
— Non, je...
Sa détermination faiblissait face au regard inquiet de sa mère.
— Appelle-là pour discuter, au moins ! Si le rendez-vous te fait trop peur...
— OK, abdiqua Chris. J'appelerai.
[Je n'ai jamais appelé. A vrai dire, si ma mère m'avait forcé, j'aurais été capable de prendre mon vélo pour filer jusqu'à Colmar et prendre un rendez-vous directement au secrétariat si ça m'avait éviter le téléphone. Sauf que si j'avais fait ça... Capucine ne m'aurait jamais laissé repartir sans programmer une dizaine de séances. Des séances pendant lesquelles elle aurait inévitablement voulu parler de Côle.
Et de Cam.]
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