
~ 28 ~
" L'alchimie du bonheur dépend juste d'un dosage des oublis "
Luis Sepulveda
*
— Bon et alors comment va ton Snooky ?
— Il s'appelle Kennedy Nilani !
— Drôle de prénom. Je crois que je préférais encore son pseudo...
— J'aime bien moi. Ça fait très masculin !
— En voilà une qui est tombée dans le filet de l'oiseleur. Et il a été comment avec toi ?
— Plutôt mignon.
— Mais encore ?
— Sympa, bien élevé et cultivé.
— Humm !
— Quoi humm ?
— Je ne te sens pas emballer Elsie, que se passe-t-il ?
— Il est divorcé.
— Et Alors, depuis quand être divorcé est un problème ?
— Je suis déjà cabossée par la vie, j'ai besoin de quelqu'un qui le soit beaucoup moins que moi.
— Drôle de théorie !
— C'est vrai quoi ! Nous sommes tous les deux des estropiés de l'amour. Ça n'va pas le faire là.
— Raconte.
— Sa femme s'est barrée il y a trois ans et il s'en remet à peine.
— Ils se sont mariés jeunes alors ?
— Oui. Vingt trois ans. Huit ans plus tard, c'est le divorce.
— Des enfants ?
— Un, en bas-âge !
— Je vois.
— Tu vois quoi ?
— Pourquoi tu ne t'emballes pas.
— C'est lui qui en a la garde.
— Tu sais pourquoi ?
Mon amie est plus curieuse que la curiosité.
— Allez balance cocotte !
— La petite est atteinte de Trisomie 21, sa mère l'a rejeté à la naissance. D'où la séparation, puis le divorce.
— Et bien mon vieux, je ne sais pas lequel de vous deux est le plus cabossé. Lui as-tu parlé de ton "cas" ?
— Je te remercie pour le « cas ». T'es la pire des amies Nini.
Elle éclate de rire avant d'ajouter que je suis un cas avec un grand "K".
Quelle pestouille !
— Alors ?
— Alors, je lui ai raconté un peu, sans vraiment rentrer dans les détails.
— Vas-tu continuer à le voir ?
— Je n'en sais rien. Ça fait bientôt une semaine que je n'ai plus de ses nouvelles. Peut-être que notre dernier rendez-vous lui a déplu ?
— Appelle-le.
— Pas question !
— Peut-être qu'il attend que tu montres des signes d'intérêt ? Prends des nouvelles et tu verras bien ce que ça donne.
— Je lui enverrai peut-être un message. Pour l'instant, je dois préparer le concert de demain soir. Je serai soliste et je ne veux pas décevoir.
L'interrogatoire de Nilani m'a littéralement épuisé. Cette dernière a cette capacité à aller au fond des choses. Elle analyse toutes les situations avant de prendre une décision et je sais qu'elle est en train de se forger un avis concret sur ma nouvelle relation.
Si on peut appeler ça relation.
Je sais que mon amie fait tout cela dans mon intérêt et j'apprécie ses bons conseils mais cette fois-ci, je n'ai pas envie de l'entendre tergiverser. Il n'y a encore rien de sérieux entre Kennedy et moi. Rien qui puisse permettre que je me pose autant de questions.
Surtout que dans sa vie, il y a une priorité absolue. Joy, sa fille de trois ans. Je ne veux rien perturber de leur équilibre et je ne veux pas non plus vivre un nouveau tourment.
Aujourd'hui, je chéris plus que tout ma tranquillité d'esprit.
*
Hier après le travail, j'ai bu un verre avec Aline. Étonnement, tout s'est bien passé. Nous avons échangé sur nos parcours. Nous avons parlé de son mariage, de ses enfants, de son travail dans la musique. Cette femme est un Caterpillar, elle mène sa vie avec un optimisme sans borne. Elle manage de nouveaux groupes vocaux en plus d'assurer la direction artistique de Chorus. C'est d'ailleurs lorsque nous évoquons nos souvenirs dans ce groupe que le cas de Stanislas fait surface.
Je n'aime plus parler du passé mais c'est inévitable. Je reste calme et polie et je laisse Aline s'exprimer :
— Vous vous êtes passés à côté. C'est dommage !
— Peu importe... C'est de l'histoire ancienne.
— Tu es peut-être mieux sans lui. Je l'ai toujours mis en garde. Tu étais trop fragile, trop amoureuse...
— Ce n'est rien de le dire.
— Tu sais, si je t'ai menti, c'était pour te protéger, moi non plus je n'avais pas de nouvelles de lui.
— Je le sais. Il me l'a expliqué.
— Je pensais que c'était mieux de ne rien dire. Je sais aujourd'hui que j'aurai dû faire autrement. J'ai participé à ta souffrance et je te prie de m'excuser.
— Je ne t'en veux pas et puis je veux tout oublier. Stan, ma souffrance et le reste. Je voudrais réussir ma vie maintenant.
— Tu l'as réussi. Tu es une jeune femme accomplie.
— C'est gentil Aline, merci.
— Je le pense. Ne laisse plus jamais personne te submerger. La passion ce n'est jamais bon.
— Je peux te poser une question ?
— Bien sûr.
— Il s'est déjà passé quelque chose entre Stan et toi ?
— Oui. À l'adolescence. Il a été mon premier grand amour. Et puis ça s'est fini. Nous sommes restés amis et collaborateurs plus tard. Rien de plus.
— Je me disais bien...
Nous restons encore quelques instants à bavarder avant de nous séparer. Aline a été franche et j'ai aimé sa façon d'apprécier ma situation. Nous décidons de nous revoir et de nous donner des nouvelles de temps en temps.
Je me rends compte que parler de Stan ne me dérange plus vraiment. Je suis heureuse qu'il s'ancre un peu plus dans mon passé chaque jour. C'est une belle avancée.
***
Plus je fréquente cet homme, plus je me dis qu'il pourrait me correspondre. Kennedy est adorable, il ne se prend pas la tête, c'est quelqu'un de facile. Il est très ouvert et se satisfait d'un rien. Il n'exige rien de moi, et me donne un peu de son temps sans rien attendre en retour.
La seule chose qui pourrait se mettre entre lui et moi, c'est son enfant. Je voudrais plus m'engager mais il me freine. Je le comprends, dans sa situation j'en aurai certainement fait autant. Simplement, je trouve notre progression trop lente, je ne suis encore jamais allée chez lui et ce soir c'est la première fois qu'il vient chez moi.
Ça fait quand même plus d'un mois.
Je lui ai proposé de partager un dîner avec mon frère et Maïsha. Histoire que Maceo se fasse une idée du gars que je côtoie. J'espère juste que le courant passera avec mon frère, parce que ce type me plaît réellement. En même temps, je ne veux plus me tromper, les déceptions amoureuses çà me connait trop.
*
Je suis affairée dans cette foutue cuisine depuis trois heures et je n'en vois pas le bout.
J'aurais dû les inviter au Resto !
Une fois la table mise et le repas prêt, je me décide à prendre une douche histoire de ne pas sentir le graillon. En m'apprêtant, je réalise que je ne lui ai pas donné le code de la porte d'entrée de l'immeuble. Je saisis mon téléphone et composé son numéro, Kennedy répond immédiatement. J'aime tellement sa voix grave, presque dure. C'est impressionnant !
— Ah ! Tu tombes bien dit-il, j'allais justement t'appeler.
— Ah oui ?
— Écoutes, la nounou de Joy a eu un empêchement et je n'ai pas de solution de secours alors.
Avant qu'il ne dise un mot de trop, je le coupe directement.
— Emmènes-la avec toi ! Je serai ravie de la rencontrer.
— Tu en es sûre parce que...
— Certaine. Pas de souci.
— Je ne voudrais pas te déranger.
— Quand il y en a pour un, il y en a pour deux.
— Elle a déjà mangé et elle est en pyjama.
— Emmène-la, ne t'inquiète pas.
J'ai bien cru qu'il allait me dire qu'il ne venait plus. Avec tout ce que j'ai cuisiné, je ne lui aurais jamais pardonné !
Sans déconner !
Je raccroche soulagée qu'ils viennent mais stresser de cette rencontre avec sa fille. Pourvu qu'elle ne me rejette pas !
*
J'essaie d'évacuer le stress qui m'anime, quand mon frère et Maïsha débarque. Comme d'habitude, ils ne peuvent pas se décoller l'un de l'autre. Je les trouve beaux tous les deux, lui si blond et elle si noire. C'est un magnifique contraste. J'imagine déjà leurs enfants et surtout la tête des parents quand ils vont savoir. Après Dylane et Karim, Elsie et Stan, c'est au tour de Maceo et Maïsha... À croire que les Le Kervellen sont accrocs à la mélanine.
Et je n'ai pas encore évoquer le cas Kennedy qui n'a pas l'air tout blanc non plus... Bref !
— Alors il arrive quand ton mec, sœurette ? J'espère que celui-là il va rester, hein !
— Maceo un peu de respect pour ta grande soeur !
— Merci Maïsha, apprend lui le respect s'il te plait.
— J'ai le droit de t'embêter un peu ! Vous n'avez aucun humour les meufs.
— Je te demande juste de bien de tenir devant Kennedy, il vient avec sa fille de trois ans et...
— Il se tiendra à carreau, Elsie. Sans quoi, il ne me verra pas de si tôt !
— Tu me menaces, femme ?
— Ma pauvre Maïsha ! Comment fais-tu pour le supporter ?
— Il est capable du meilleur pourtant...
— Arrêtez de parler de moi comme si je n'étais pas là. Je déteste ça !
Maceo n'a pas le temps de finir sa phrase que déjà Kennedy et Joy sonnent à la porte.
— Hello!
— Hello ! Bienvenue. Entrez ! Entrez ! Attends je vais te débarrasser.
J'ai le coeur qui bat devant la mignonnerie qu'est Joy. Intimidée, elle se cache dans les bras de son papa.
Ça le rend encore n plus touchant !
Kennedy salue mon frère et Maïsha. Nous nous installons sur le canapé pour prendre l'apéro. Les discussions vont bon train, il faut dire que Maceo a la conversation facile. Personnellement, je ne parviens pas à quitter Kennedy et sa fille des yeux. Ils sont fusionnels. Du coup, je ne sais pas trop comment me positionner.
Maïsha propose à Joy de la porter sur ses genoux, la petite accepte sans problème de quitter les bras de son père. Elle lui propose un jeu de mains auquel elle adhère également. Kennedy sourit et son visage soucieux s'éclaire enfin.
— Dis-donc ma chérie, tu sais y faire avec les enfants ! Lance Maceo impressionné.
— Ce n'est pas pour rien que j'ai choisi la pédiatrie. Elle est trop chou Kennedy ! Je pourrais la manger.
— Merci.
— Je vais vous proposer de passer à table, comme ça on ne dînera pas trop tard.
— Oh si c'est pour moi que tu dis ça, ne t'inquiètes pas. Joy ne s'endormira pas avant un moment. Nous avons largement le temps.
— D'accord.
Je suis franchement stressée. Un, parce que je ne sens pas la connexion habituelle avec Kennedy et deux, parce qu'avec sa fille mes repères sont perturbés.
Détends-toi Elsie. Détends-toi.
*
Le dîner s'est super bien passé et pour une fois je n'ai pas trop cuit mon moelleux au chocolat. La petite Joy s'est endormie après avoir exploité les bras et les genoux des quatre adultes qui l'entouraient. Je l'ai couché dans mon lit pour qu'elle soit bien à l'aise.
Je trouve que Kennedy fait un travail merveilleux avec elle car malgré son handicap, Joy parle et réfléchit avec beaucoup de vivacité.
Maceo et Maïsha sont rentrés et je me retrouve enfin seule avec mon architecte. Il est toujours aussi calme et souriant. Aucun de nous deux ne parle. Ce silence est un supplice pour moi.
Surtout lorsqu'on a vécu des années avec une certaine Nilani qui bavarde sans arrêt.
Je décide de le rompre en lui proposant une tisane, il accepte et nous finissons par discuter un peu.
— Ton frère et sa copine sont très sympas.
— Ils sont adorables, c'est vrai.
— J'ai compris que vous aviez une soeur, elle aussi vit à Paris ?
— Dylane déteste Paris. Elle préférerait mourir plutôt que de vivre ici. Elle est installée dans le sud. Là-bas, il y a la mer.
— Tu ne m'avais pas dit que tu étais une bretonne pure souche !
— Une bretonne pure souche qui a grandi dans le sud et qui vit à Paris.
Ses yeux noirs se plissent, Kennedy rit de moi.
— Je suis un peu comme toi. Breton et Ghanéen par ma mère, elle est métisse et Girondins par mon père.
— Côte Atlantique, alors ?
— Côte Atlantique Madame !
— C'est étrange, le métissage. Jamais je n'aurais imaginé que ta maman soit métisse.
— Mon grand-père est encore plus noir que Maïsha. Et ma mère est sortie blanche comme sa mère, et pourtant elle ressemble vraiment à son père.
— Et ta fille a un teint différent du tien. Maceo pourrait avoir un enfant comme toi alors ?
— Ou comme Maïsha, ou comme Joy, ou entre les deux. Tu sais les gènes font ce qu'ils veulent !
— C'est vrai. Je trouve ça génial !
— Je suis ravie d'en avoir appris plus sur toi Elsie.
— Moi aussi.
— On a jamais vraiment l'occasion de discuter de cette façon. Là c'était moins conventionnel.
— C'est vrai. Mais c'est appréciable, je suis surtout ravie d'avoir rencontré ton petit bout de chou.
— Ma tornade tu veux dire !
— C 'est ça, ta tornade !
Nous rions ensemble.
— J'aimerai te remercier de l'avoir accepté. Vous avez été géniaux avec elle ce soir !
— Ne me remercie pas. C'est tout à fait normal.
— Elle en a fait fuir plus d'une.
— C'est complètement idiot !
— Je trouve aussi, dit-il dans un éclat de rire avant de poursuivre :
— J'ai l'impression qu'on communiquait mieux lorsqu'on s'écrivait sur le CHAT.
— La transition n'est pas simple.
— J'aimerais apprendre à mieux te connaître.
— J'aimerais te connaître mieux aussi Kennedy.
— Je le montre peu, mais tu me plaîs vraiment...
— Tu me plais aussi. Même si c'est toujours délicat de faire confiance à une personne rencontrée au hasard sur le net.
— Effectivement, il n'y a rien d'évident. Cependant, si je me suis inscris sur ce site, c'est pour rencontrer quelqu'un. Je suppose que toi aussi ?
— Évidemment.
Il s'approche lentement de moi et me gratifie d'un doux baiser que je lui rends timidement.
Il lui en a fallu du temps pour se déclarer.
— J'aurais dû faire ça plus tôt.
Tu m'étonnes, un vrai diesel le bonhomme !
Je prends l'initiative de l'embrasser à mon tour. Tout ce que je peux dire, c'est que son contact est plus qu'agréable.
Alchimie ?
À ce stade, on ne peut pas encore parler d'amour en revanche, j'espère que notre relation évoluera.
Ce type me plaît vraiment !
***
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