Chapitre 34
***AMINA SALL***
Après que cette femme au visage larmoyant m'ait appelée "ma fille" devant tout le monde, un silence électrique s'installa. Les murmures étouffés et les regards curieux se posèrent sur moi, créant une atmosphère lourde de tension et d'incertitude.
Mes émotions étaient en ébullition, un mélange de choc, de confusion et d'incrédulité. Stupéfaite, croyant n'avoir pas bien entendu, je balbutiai :
—Q....quoi ?
Mon ton trahissait l'incrédulité qui m'envahissait tandis que mes yeux s'écarquillaient, cherchant cette femme du regard, espérant peut-être que mes sens la trompaient.
Les larmes perlèrent aux coins de ses yeux, alors qu'elle inspirait profondément pour rassembler le courage de poursuivre.
—Je suis ta mère, Amina. Ta mère biologique, me confirma-t-elle, la voix empreinte d'émotions qu'elle avait sûrement gardées cachées pendant si longtemps.
Un murmure d'étonnement et de surprise se propagea parmi la foule, captivée par cette révélation qui semblait tout droit sortie d'un drame.
Cependant, une autre voix s'éleva, brisant le silence qui avait enveloppé la scène.
—Et moi, je suis ta demi-sœur. Ajouta la jeune femme comment s'appelle-t-elle encore....je ne me rappelle plus, qui demeurait jusqu'alors en retrait.
Ses paroles s'abattirent comme un éclair, apportant une nouvelle complexité à la situation déjà époustouflante.
Face à cette avalanche de vérités, je restai figée comme si le monde s'était arrêté de tourner. Mon esprit était en tumulte, essayant d'assimiler ces informations qui remettaient en question toute ma réalité
Puis, soudainement, un éclat de rire éclata de ma part, un rire mêlé d'incrédulité, de surprise et peut-être même d'un soupçon de folie. Mais en tout cas, un rire qui exprimait toute la confusion et l'incompréhension qui régnaient dans mon esprit.
Le simple fait que cette femme prétende être ma mère avait secoué mon monde déjà fragile. Les souvenirs d'enfance, la quête de réponses, tout cela était devenu subitement bien réel, comme si un voile avait été levé sur une partie de ma vie dont j'ignorais tout.
Je remarquai les policiers qui se préparèrent à intervenir, mais Birame, d'un geste discret, demanda à l'un d'eux quelque chose, peut-être d'attendre, de nous accorder quelques minutes supplémentaires. Celui-ci, en ayant une lueur de compréhension dans son regard, acquiesça silencieusement.
Mon rire, d'abord déroutant, se répandit et tout le monde s'étonna de ma réaction, pensant que j'accueillais avec joie les retrouvailles avec « ma mère ». Même celle-ci afficha un sourire timide, soulagée de voir une lueur de réconciliation.
Juste au moment où elle allait reprendre la parole pour confirmer sa maternité, je pris à nouveau les devants, l'interrompant brusquement.
—Tu as dit quoi ? M'exclamai-je sur un ton qui reflétait plus la colère que de l'incompréhension dans ma question.
Elle ouvrit la bouche pour répondre, mais je ne lui laissa pas l'opportunité de le faire, m'emparant de la parole avec une intensité croissante.
—Vous avez entendu ? S'écriai-je en regardant Birame, l'interpelant avec une pointe d'amusement dans la voix. C'est elle, ma mère ? Fifi, tu y crois, toi ?
La confusion régnait, les regards se croisant, cherchant à comprendre ma réaction.
—Ma fille. Commença la dame.
—Arrête de m'appeler 'ma fille' ! Tu arrêtes avec ce surnom ok ?! Criai-je presque avec hystérie. Moi, je n'ai pas de famille, je n'ai pas de mère ! Oh !
Je mis ma main sur ma bouche de manière théâtrale, comme si je venais de réaliser quelque chose.
—Que je suis bête ! Qu'est-ce que je suis en train de raconter là ! J'avais oublié que personne ne naît sans parents ! Et donc moi aussi, forcément, je dois avoir des parents. Oui c'est ça. J'ai des parents alors laisse-moi te dire ceci. Tu vois cette femme là -en pointant du doigt Lisoune- c'est elle ma mère, et cet homme-là est mon frère. La fille à ses côtés, c'est ma sœur, ajoutai-je en pointant Fifi, regardant ma dénommée « demi-sœur » droit dans les yeux. Ce sont eux, ma famille. Et personne d'autre.
Après avoir lâché ces mots empreints de colère et de dédain, je les observai tour à tour, mes yeux passant d'un visage à l'autre. Mon souffle était devenu erratique, un rythme effréné qui semblait s'accorder avec les battements frénétiques de mon cœur.
L'ambiance dans la pièce semblait chargée d'électricité, palpable, comme si chaque personne présente avait été touchée par le poids des révélations qui venaient d'éclater au grand jour.
Le silence persistait, suspendu dans l'air comme une lourde chape. Les regards curieux des visiteurs des détenus, surpris, incrédules, se croisaient, créant une toile complexe de regards qui se cherchaient les uns les autres.
Mon cri de frustration et d'incompréhension semblait encore résonner, laissant une empreinte profonde dans l'espace qui nous entourait.
Les paroles que j'avais prononcées avec tant d'intensité, teintées d'une rage que je ne pouvais plus contenir, étaient comme un écho qui me revenait en plein visage. Mais plus que cela, elles avaient le pouvoir de mettre à nu les mensonges et les secrets qui avaient jusqu'alors défini ma vie.
Toutes ces années de confusion, de quête de vérité, semblaient se cristalliser en cet instant, exposées au grand jour devant un public inattendu.
Je ressentis le besoin de prendre de nouveau la parole, de rompre ce silence écrasant qui pesait sur nous tous. Je m'adressai cette fois aux policiers, cherchant à mettre un terme à cette situation hors du commun, à trouver un moyen de reprendre le cours des événements, aussi déstabilisants soient-ils.
—Pouvons-nous y aller ? Demandai-je d'une voix empreinte d'un mélange de résolution et de vulnérabilité.
C'était comme si cette simple question était à la fois une demande de répit et une tentative de reprendre le contrôle sur ma propre réalité.
Néanmoins, une brève hésitation plana dans l'air, comme si même eux étaient pris au dépourvu par ma demande. Mon regard s'ancra sur leurs visages, cherchant une réaction, une réponse à ma requête.
Ils échangèrent des regards rapides, s'évaluant mutuellement, comme s'ils cherchaient une approbation tacite pour prendre une décision qui semblait dévier de leur protocole habituel.
Finalement, c'est le grand commissaire qui brisa le silence, prenant la parole d'une voix grave et autoritaire.
—Très bien, nous allons procéder maintenant au transfert, déclara-t-il d'un ton ferme.
Les policiers semblaient soudainement prendre une nouvelle énergie, se mettant en action pour coordonner notre départ vers notre destination.
Des ordres brefs furent donnés, des gestes précis exécutés avec efficacité alors que les policiers se mettaient en mouvement pour encadrer Yama et moi.
Alors que nous avancions, encadrées par les policiers, je remarquai Birame restant en retrait, son regard fixé sur moi avec une lueur de préoccupation. Même si je ne pouvais pas entendre ce qu'il disait, je lisais sur ses lèvres le mot "courage".
Cela me donna une petite bouffée de détermination alors que je m'apprêtais à faire face à l'inconnu. Le trajet jusqu'à la sortie du commissariat fut marqué par un silence tendu, interrompu uniquement par les bruits de pas résonnant sur le sol dur.
En passant devant les visiteurs des détenus, je sentais leurs regards curieux peser sur moi, une sensation étrange et dérangeante qui m'envahissait. Je me sentais exposée, vulnérable, comme si ma vie personnelle avait été soudainement étalée devant eux.
En sortant, la lumière vive du soleil m'éblouit momentanément, alors que nous atteignîmes la voiture qui devait nous conduire à la prison pour femmes.
Nous prenions place à l'arrière de la voiture, le silence régnant toujours en maître. L'habitacle exigu semblait rétrécir davantage sous le poids de nos pensées, créant une atmosphère étouffante.
Mon regard se posa sur mes mains, mes doigts s'entrelaçant nerveusement, tandis que mes pensées commençaient à errer dans le dédale de ma vie passée.
Le moteur démarra d'un grondement sourd, marquant le début de notre trajet vers un destin incertain, vers un endroit dont je ne savais rien, sinon ce que l'on m'avait raconté.
Mes yeux fixaient le siège devant moi, mais je ne voyais rien. Mon esprit était ailleurs, plongé dans un tourbillon de souvenirs, de questions et de remords.
Les révélations à peine évoquées quelques minutes auparavant se jouaient en boucle dans ma tête, comme un film qui ne voulait pas s'arrêter.
La confrontation avec les femmes qui prétendaient être ma mère et ma demi-sœur avait provoqué une déferlante d'émotions difficiles à maîtriser.
Colère, incrédulité, confusion... tout s'entremêlait en une tempête intérieure difficile à apaiser.
Mon esprit se tournait vers le passé, revivant chaque instant où j'avais cherché désespérément des réponses, des indices, une identité. Mes erreurs, mes choix, tout prenait une nouvelle signification à la lumière de ces révélations.
J'avais grandi sans la présence maternelle qui aurait pu me guider, me protéger, et cette prise de conscience pesait sur moi comme un fardeau.
J'avais certes Lisoune, Birame et Fifi, ma famille adoptive, toujours à mes côtés, me montrant un amour inconditionnel, comme ils l'avaient toujours fait.
Lorsque le monde extérieur devenait trop tumultueux ou que je me trouve dans des moments difficiles comme c'est le cas en ce moment, leur soutien indéfectible n'avait jamais changé même avec mes dérives et mes agissements envers eux.
Cependant, malgré toutes leurs attentions et leur dévouement, rien n'équivalait à la présence de ma vraie famille à mes côtés.
Alors que le paysage défilait devant moi à travers la vitre, mon esprit se perdait dans des scènes imaginaires, peuplées de moments que j'aurais aimé vivre avec ma mère biologique.
J'imaginais qu'elle serait à mes côtés chaque fois que je tomberais malade, posant sa main fraîche sur mon front fiévreux, me murmurant des paroles apaisantes pour me rassurer.
Elle aurait été là pour m'aider à traverser les méandres complexes de la féminité naissante, avec toute la patience et la tendresse du monde.
Les moments parfois troublants de la puberté auraient été adoucis par sa présence réconfortante, chaque question ou inquiétude trouvant une réponse rassurante.
Un père aimant, protecteur et soucieux aurait été le roc sur lequel je me serais appuyée à chaque étape de ma vie. Il m'aurait accompagnée lors de ma première journée d'école, sa main solide dans la mienne, essuyant les larmes d'angoisse.
Mes réussites scolaires auraient été l'occasion de célébrer ensemble, sa fierté pour mes accomplissements brillant dans ses yeux. Sa présence aurait comblé le vide émotionnel que j'avais toujours ressenti, m'offrant une sécurité et un amour constants.
Des sorties au parc en famille, des escapades au cinéma où nous aurions partagé des rires et des moments de complicité, tout aurait été prétexte à créer des souvenirs inoubliables et chéris.
Et enfin, une sœur ou un frère, un compagnon de confidences et de complicité, aurait été bien plus qu'un simple membre de la famille.
Ensemble, nous aurions tracé notre chemin à travers les hauts et les bas, partageant nos rêves les plus fous, nos doutes les plus profonds et nos peines les plus lourdes.
Les liens indéfectibles que nous aurions tissés auraient été le socle solide sur lequel nous nous serions appuyés pour grandir et évoluer.
Dans les moments de joie, nos rires auraient résonné comme une mélodie enchanteresse, illuminant nos journées et gravant des souvenirs précieux.
Lorsque les nuages sombres de l'adversité se seraient amoncelés, nous aurions puisé dans la force de notre connexion, trouvant du réconfort dans la certitude que nous ne sommes jamais seuls dans nos luttes.
Je fermais les yeux un instant, me laissant emporter par ces images idylliques de ce que ma vie aurait pu être. L'imagination créait un monde parallèle où ma famille biologique m'entourait de son amour et de son soutien inconditionnel.
C'était un doux rêve, une évasion temporaire de la réalité qui m'entourait, un refuge où je pouvais ressentir ce sentiment d'appartenance que j'avais toujours désiré.
Pourtant, alors que le doux ronronnement du moteur de la voiture m'entourait, je revenais à la réalité brutale de la situation présente.
Mon regard se perdit dans le vide, mes pensées divaguant de l'événement du commissariat à mes expériences passées. Je me souvenais de chaque fois où je m'étais sentie différente, où j'avais ressenti ce vide béant en moi, ce manque d'appartenance.
Je m'interrogeais sur les raisons qui avaient conduit ma mère biologique à s'éloigner de moi, à prendre des décisions qui avaient façonné ma vie sans que je puisse en être témoin. Je me demandais si elle avait pensé à moi, si elle avait été influencée par des circonstances extérieures ou si c'était une décision délibérée.
Mes émotions se mêlaient dans un kaléidoscope de tristesse, de frustration et de désir ardent de comprendre.
Je n'avais pas eu le temps de me préparer à tout cela. J'étais submergée, dépassée par la tournure que prenaient les événements.
Le paysage urbain défilait devant mes yeux sans que je le remarque vraiment. J'étais perdue dans mes réflexions, dans mes regrets et mes espoirs. Une partie de moi voulait en savoir plus, creuser plus profondément dans mon passé, tandis qu'une autre partie était encline à fuir, à ne pas vouloir affronter cette réalité déconcertante
Le silence dans la voiture était si épais qu'il semblait presque tangible. Alors que mes pensées tournoyaient, j'entendis la voix douce et préoccupée de Yama, à côté de moi.
—Amina tu....
-Yama, s'il te plaît pas maintenant, lui dis-je doucement, sans même la regarder.
Ma voix était chargée d'une mélodie triste et lointaine, reflétant l'état d'esprit dans lequel je me trouvais. Je sentais qu'elle était inquiète pour moi, mais en cet instant, je devais faire face à mes propres démons intérieurs.
***VOIX EXTERNE***
Pendant ce temps, après que les policiers eurent emmené Amina et Yama, les autres sortirent du bureau du commissariat, se retrouvant en silence devant l'entrée.
Keisha et Charlotte n'étaient pas restées sur place plus longtemps et s'étaient éclipsées croyant que c'était la meilleure chose à faire, contrairement à Samira
L'impact de la révélation de Samira, sur Amina et sa filiation, était encore frais dans leurs esprits. Lisoune, Birame et Fifi se tenaient là, dans un silence éloquent, les yeux se croisant mais aucun mot ne trouvant le courage de franchir leurs lèvres.
Un poids palpable flottait dans l'air, chargé d'une colère mal contenue et d'une confusion totale. Soudain, Birame décida de briser ce silence d'une manière toute particulière.
Il se mit à applaudir lentement et sarcastiquement, faisant tournoyer ses mains avec exagération, puis, d'une voix cinglante, il déclara :
—Waouh, bravo ! Vous avez vraiment excellé, vous savez. D'abord, vous abandonnez votre propre fille, et maintenant, vous osez revenir pour revendiquer votre maternité. Décidément, vous faites preuve d'une audace remarquable.
Le visage de Fifi, d'ordinaire si doux, était maintenant en proie à une fureur qu'elle ne pouvait contenir. Elle s'avança vers Samira, le regard brûlant d'une indignation profonde.
—Non, mais sérieusement, quel genre de mère fait cela ? Comment avez-vous pu, ne serait-ce qu'envisager, abandonner votre propre enfant ? L'abandonner dans les rues, livrée à elle-même, vulnérable et seule. De base, les mères sont censées être les piliers de soutien, les protectrices, celles qui apportent l'amour et la sécurité inconditionnels à leurs enfants. Et vous... vous avez fait tout le contraire. Vous avez brisé ce lien sacré, vous avez négligé cette responsabilité fondamentale.
Sa voix était chargée d'une colère juste et d'une douleur intense, comme si elle portait le fardeau des années de souffrance d'Amina.
Les mots de Birame et Fifi étaient des éclats d'accusations amères, des reproches longtemps retenus qui jaillissaient comme un torrent. Samira, les larmes coulant toujours, se sentait écrasée par la culpabilité et la honte.
Comment pouvait-elle expliquer ce choix qu'elle avait fait il y a tant d'années, un choix qu'elle regrettait désormais profondément ?
Lisoune, la matriarche de la famille, tenta d'apaiser la situation avec une voix ferme empreinte de sagesse maternelle.
—Assez ! Arrêtez !
Son autorité était incontestable, mais les émotions de ses enfants étaient trop fortes pour être étouffées aussi facilement.
—Non maman, nous ne pouvons pas nous taire, reprit Fifi d'un ton ferme, la détermination s'accrochant à chaque syllabe. Après toutes ces années passées à nous interroger sur les parents d'Amina, sur les raisons de son abandon, nos voix méritent d'être entendues. Nous avons grandi en cherchant désespérément des réponses, des indices, la moindre piste sur la vie d'Amina après qu'elle soit dans notre famille. Nous avons supporté son chagrin silencieux sans pouvoir lui apporter de réconfort véritable. Et maintenant, voilà que tout éclate au grand jour, que nous découvrons que la femme qui a donné naissance à Amina, celle que nous pensions ne jamais connaître, est là, à nos côtés. Et tu veux que l'on fait comme si de rien n'était ? Je suis désolée mais non. Nous voulons comprendre, maman. Comprendre pourquoi elle a pris cette décision, pourquoi elle a laissé sa fille. Nous méritons de savoir. L'histoire d'Amina, c'est aussi la nôtre. Chaque fragment de vérité nous appartient, à elle et à nous. Et si cela implique d'affronter les ombres du passé, de révéler les secrets douloureux longtemps évités, alors c'est exactement ce que nous ferons.
Une fois qu'elle eut fini de parler, sa mère, le visage en feu et les yeux emplis d'une fermeté implacable, s'élança vers elle d'un pas déterminé.
—Waay Fifi mbéffé (Tais-toi Fifi !) s'exclama-t-elle d'un ton brusque, sa voix empreinte d'une autorité incontestable. Tu te tais maintenant. Yeine bi khétou réwandé moy lane ak foumou diongué ? Ni la leine yaré han ? Iow mom Fifi kouma bétt nga. Bétt nguama trop. Naka ngua meuneu dokhalé ni té nguay magg warona apaiser mbiir yi di topp Birame.
(Depuis quand êtes-vous devenus si insolents ? Est-ce ainsi que je vous ai éduqués ? Hein ? Toi Fifi, tu me déçois beaucoup. Comment peux-tu avoir ce comportement dans un pareil moment, alors que tu es l'aînée ? Tu devais être en mesure de canaliser la situation, de jouer le rôle de la sagesse et de l'apaisement, au lieu de suivre ton petit frère dans ses agissements impulsifs. Tu es censée être un exemple pour lui, pour tous).
Elle planta son regard dans ceux de ses enfants, son visage exprimait un mélange d'irritation et de déception.
—Et puis sakh, reprit-elle en s'adressant à eux d'une voix où transparaissait une légère exaspération mêlée à une touche de tristesse, qui vous donne le droit d'exiger des réponses ? Êtes-vous Amina ? Non, n'est-ce pas ? Alors le simple fait d'être ses frères ne vous confère en aucun cas le privilège de parler à cette femme, qui je vous le rappelle, pourrait très bien être votre mère, avec une telle audace. Vous saisissez ce que je dis ? La personne principalement concernée est parfaitement capable de gérer cette situation par elle-même. C'est à elle seule qu'il revient de poser des questions et d'exprimer ses émotions. Ce n'est ni vous ni moi, d'ailleurs, qui devons influencer le cours de cette situation dans une direction qu'elle ne doit pas prendre.
Ayant dit ces mots, elle fit une pause, laissant ses paroles résonner dans l'air tendu. Les yeux de ses enfants étaient rivés sur elle, oscillant entre la frustration et la réflexion. Birame, habituellement prompt à riposter, sembla retenir ses mots sous l'effet de la gravité des paroles de sa mère.
Samira, qui avait jusqu'alors observé la scène en retrait, les yeux embués de larmes, sentait le poids de sa présence dans cette confrontation familiale. Elle se demandait si elle devait intervenir, si elle devait tenter de justifier son choix d'antan ou bien laisser les membres de cette famille en colère exprimer leur ressentiment.
Après un moment de silence, Fifi inspira profondément, son visage mêlant regret et humilité.
—Nous sommes sincèrement désolés, s'excusa-t-elle au nom d'elle-même et de Birame.
Lisoune, les yeux toujours teintés de tristesse, inclina légèrement la tête en signe d'acceptation.
—Pouvons-nous partir maintenant ? Demanda Birame d'un ton qui reflétait à la fois la fatigue et la résignation, regardant leur mère.
—Retournez à la maison sans moi. Je vous rejoindrai plus tard, répondit Lisoune d'une voix douce mais ferme.
Birame et Fifi échangèrent un regard silencieux, sachant pourquoi leur mère ne pouvait pas rentrer avec eux. Ils étaient conscients qu'elle voulait s'entretenir en tête à tête avec Samira pour recueillir des explications afin de démêler l'écheveau complexe de toute cette histoire.
Ainsi, sans dire un mot de plus, ils se détournèrent et commencèrent à s'éloigner du lieu, leur laissant seules.
Une fois qu'ils furent partis, Ndeye Lisoune tourna son attention vers Samira, lui adressant un léger sourire chaleureux empreint de compréhension.
Elle pouvait sentir la tension qui flottait dans l'air, comme une corde raide entre elles, prête à se briser sous le poids des secrets et des émotions.
Timidement, Samira répondit à ce sourire, laissant transparaître un mélange complexe de gratitude et de gêne dans son regard. Elle se sentait comme une intruse dans cette famille, comme une pièce manquante dans un puzzle qu'elle avait contribué à éparpiller.
—Je tiens à m'excuser pour le comportement de mes enfants, commença Lisoune d'une voix douce, sa bienveillance sincère. Ils sont sous le choc, et cela les a poussés à réagir de manière impulsive.
Samira hocha doucement la tête, sa voix presque un murmure alors qu'elle répondait avec modestie et compréhension.
—Ce n'est pas nécessaire. Je comprends leur réaction. Pour eux, je suis une inconnue qui a surgi de nulle part donc c'est normal qu'ils soient perturbés.
Lisoune apprécia cette compréhension, mais elle savait que cette conversation allait bien au-delà des excuses. Elle chercha du regard un endroit où elles pourraient s'asseoir en toute quiétude. Ses yeux se posèrent sur un banc non loin de là, semblant les attendre.
—Viens, allons-nous asseoir là-bas, suggéra Lisoune, guidant Samira d'un geste de la main. Nous aurons besoin de parler.
Celle-ci acquiesça silencieusement et la suivit jusqu'au banc. Les deux femmes s'installèrent côte à côte, offrant un doux contraste entre l'agitation du monde qui passait autour d'elles et la gravité de leur conversation à venir.
L'atmosphère était tendue, empreinte de questions sans réponses et de souvenirs douloureux. Assises là, elles semblaient figées dans une bulle où seuls leurs mots et leurs émotions comptaient.
C'était un moment de rencontre inattendue, un moment où le destin avait choisi de réunir deux femmes liées par le même fil, celui d'Amina et de son histoire.
Soudain, une vendeuse ambulante proposant des bouteilles d'eau fit irruption, brisant le silence. Lisoune saisit l'occasion et acheta deux bouteilles d'eau fraîche, en tendant une à Samira avec un sourire chaleureux.
—Il fait particulièrement chaud aujourd'hui. Voici de l'eau pour te rafraîchir.
Un sourire timide s'étira sur les lèvres de Samira alors qu'elle acceptait la bouteille avec reconnaissance. Ce simple geste créa un lien subtil entre elles, une ouverture dans cette conversation chargée d'émotions.
En sirotant l'eau fraîche, elles pouvaient presque sentir le soulagement apaisant la chaleur du jour, bien que les émotions non exprimées continuassent à brûler en elles.
Lisoune ressentit que le moment était venu d'aborder les sujets sérieux. Elle prit une inspiration profonde, rassemblant ses pensées pour ce qui allait suivre.
—Alors, si je comprends bien, tu es la mère biologique d'Amina ? Déclara-t-elle, d'une manière qui ne laissait pas de place au doute.
La question, bien que simple en apparence, était chargée de toute la complexité de la situation. Elle reflétait l'incertitude de l'identité d'Amina et les émotions confuses qui tourbillonnaient autour d'elle.
Samira hésita, se laissant submerger par un flot de souvenirs et d'émotions. Son regard se fixa sur un point invisible devant elle, tandis qu'elle répondait d'une voix teintée de tristesse mêlée d'une pointe d'acceptation.
—Je suis la femme qui lui a donné la vie, admit-elle doucement, un léger sourire triste jouant sur ses lèvres. Mais je ne peux pas prétendre mériter le titre de mère après toutes ces années d'absence.
Le sentiment de tristesse était palpable dans sa voix, et Lisoune pouvait le ressentir comme une brume épaisse. La complexité de la situation et les émotions en jeu étaient difficiles à appréhender, même pour quelqu'un qui avait vu Amina grandir sous son toit.
Lisoune, débordante de compassion, répondit doucement :
—Ne dis pas ça.
Ses yeux exprimaient une compréhension profonde, comme si elle avait trouvé les mots justes pour pénétrer la carapace de chagrin de Samira.
—'Ak lou meunti xéw, lo meunti déf amna pathie bou magg boy jouer si doundou Amina nakhté boudoul dara amna louleine bolei mouy dérétt bi. Dara meunoul dindi lolou ak att you dialeu yi louniou meunti beuri beuri'
(Peu importe les circonstances, tu as un rôle à jouer dans la vie d'Amina. Rien ne peut effacer ce lien, peu importe les années qui se sont écoulées).
Samira baissa les yeux, les larmes menaçant de s'échapper à nouveau. Les paroles de Lisoune touchaient une corde sensible en elle, ravivant les doutes et les regrets qui avaient tourmenté son esprit pendant si longtemps.
—C'est facile pour toi de dire ça, murmura-t-elle, la voix chargée d'émotions contenues. Tu as été là pour elle, quand moi...
Lisoune posa doucement sa main sur celle de Samira, créant une connexion silencieuse entre elles.
—Je comprends que cela puisse être difficile à accepter, mais il n'est jamais trop tard pour essayer de réparer, pour essayer de comprendre et de guérir, dit-elle d'une voix douce. Amina de son enfance jusqu'à l'âge qu'elle a actuellement, elle n'a jamais su que mon défunt mari et moi n'étions pas ses parents parce que nous avions toujours cru qu'il n'y avait pas le besoin qu'elle le sache. Je l'ai toujours considéré comme la fille qui est sortie de mes entrailles et l'ai toujours mis au même pied d'estale que mes propres enfants, mais c'est juste, j'ai fait une erreur. Dans un moment de colère, je lui ai jeté à la figure la vérité comme quoi elle n'était pas ma fille biologique, et c'est cela en grande partie qui a amené aujourd'hui tout ceci. Tout cela pour te dire que ta fille, ta Amina n'a jamais vécu en ayant des doutes ou en se posant des questions sur ses origines, mais depuis cet incident, j'ai bien peur que c'est ce qui est arrivé. Elle se posait sûrement des tas de questions, et Alhamdoulilah aujourd'hui tu es apparue après toutes ces années. Elle doit donc sûrement avoir besoin des réponses. Peut-être que c'est le moment de commencer à partager ton histoire avec elle, peu importe à quel point c'est difficile.
—C'est exactement ça le problème. Je... je ne sais pas comment lui parler de tout ça, murmura Samira d'une voix tremblante. Comment lui expliquer pourquoi j'ai fait ce que j'ai fait, pourquoi j'ai choisi de partir, de la laisser derrière moi.
Elle marqua une pause en respirant fortement afin de contenir ses larmes qui menaçaient de couler à tout moment.
—J'ai commis une erreur impardonnable, reprit-elle d'une voix tremblante. Je n'aurais jamais dû l'abandonner, la laisser seule dans ce monde. Je le regrette chaque jour de ma vie.
—Le regret est un fardeau lourd à porter, mais il montre que tu es humaine. Nous faisons tous des erreurs, et ce que tu avais fait était sans doute une décision difficile, motivée par des circonstances que toi seule connaissais. Ce qui importe maintenant, c'est comment nous allons avancer à partir d'ici
Samira secoua la tête.
—Tu ne comprends pas.
Lisoune, consciente qu'elle avait encore beaucoup à exprimer, la laissa prendre une profonde inspiration, prête à écouter ses mots avec toute l'empathie qu'elle pouvait offrir.
—Tu ne comprends pas, renchérit-elle, sa voix empreinte de tristesse et de frustration. Mon absence dans la vie de ma fille n'était pas seulement une décision difficile. C'était un choix égoïste, motivé par ma propre peur et ma propre faiblesse. J'ai préféré fuir plutôt que de faire face à mes responsabilités.
Ses paroles résonnaient dans l'air, portées par une émotion brutale et honnête. Ndeye Lisoune sentait la douleur qui émanait de chaque mot, et elle pouvait presque ressentir le poids du fardeau que Samira avait porté pendant toutes ces années.
—Samira, murmura Lisoune doucement, tandis que sa main caressait doucement celle de Samira, toujours dans les siennes. Tu te condamnes peut-être plus durement que quiconque ne pourrait le faire. La vie est complexe, et nous ne sommes pas toujours prêts à affronter les défis qui se présentent à nous. Certes, je suis d'avis que cela ne justifie pas ton absence, mais cela explique ta réaction à l'époque.
Samira releva les yeux, ses larmes reflétant la lutte intérieure qu'elle vivait.
—Et si je m'étais efforcée de surmonter mes peurs ? Si j'avais trouvé le courage de rester, de lutter pour Amina, même dans les moments difficiles ?
Lisoune lui adressa un sourire réconfortant.
—Il est inutile de vivre dans le passé en se posant ce genre de questions, Samira. Li ame solo kay, moy ngua khol noy dokhalé légui. Mane tamit yaye la, donté meunouma yeuk li ngua yeuk bi nguay dieul décision wou bayi sa dôôm guinaw wayei meune nako natt. Keine meunoul bayi sa dôôm guinaw ba parei do yeuk dara. Lolou meunoul nék nakhté xolou yaye si dôômam dafa sori. Dioum ngua tei wayei li ame solo moy ya ngui ni légui nieuwatt parei déf lo meune nguir dioubanti sa ndioumté
(Ce qui compte, c'est ce que tu choisis de faire maintenant. Moi aussi je suis une mère, et je peux imaginer l'immense douleur que tu as ressentie en prenant une telle décision, en laissant ta propre fille derrière toi. Personne ne regarde son propre enfant et l'abandonne sans rien ressentir. C'est juste impossible car l'amour d'une mère pour son enfant est juste incommensurable. Mais tu es là maintenant, prête à faire face à cette situation, prête à te confronter à la réalité et à essayer de réparer ce qui peut l'être)
—Comment puis-je réparer quelque chose qui semble si irréparable ? Murmura Samira, les larmes coulant finalement doucement sur ses joues.
Lisoune lui adressa un sourire compatissant, laissant les émotions s'exprimer librement.
—Réparer ne signifie pas effacer les erreurs passées, mais plutôt construire un avenir meilleur à partir de ces expériences. Cela signifie ouvrir ton cœur, t'expliquer à Amina, même si les mots sont difficiles à trouver. Cela signifie montrer que tu es prête à affronter les conséquences de tes actions et à faire tout ce qui est en ton pouvoir pour reconnecter avec elle.
Samira essuya doucement ses larmes, ses yeux fixant le lointain.
—Tu sais, je n'ai jamais cessé de penser à elle, avoua Samira, sa voix chargée d'émotions. Chaque année qui passait, chaque anniversaire qu'elle célébrait, chaque moment important de sa vie que je manquais, cela me rongeait de l'intérieur.
Lisoune écoutait attentivement, la laissant exprimer les émotions qu'elle gardait en elle depuis si longtemps.
—Parfois, je m'imaginais à quoi ressemblerait sa vie. Est-ce qu'elle serait heureuse ? Est-ce qu'elle me détesterait pour être partie ? Je n'avais aucune réponse, seulement des regrets et des "et si" qui me hantaient.
Lisoune sourit, touchée par cette confession.
—C'est un début. Il y a une histoire, une histoire d'amour et de lien entre vous deux, même si elle a été cachée pendant un certain temps. Peu importe les circonstances, tu es toujours une partie de sa vie.
Samira releva les yeux vers elle, un mélange d'appréhension et d'espoir dans son regard.
—Et si elle me rejette ? Si je lui racontais tout, voudra-t-elle me connaître ?
—'Anhankey !' (Bien-sûr !) Amina a beau être têtue mais je sais une chose et je peux te le jurer c'est qu'elle a un bon fond. Si elle sent que tu regrettes ton acte, que tu es sincère dans ton désir de la connaître et de rattraper le temps perdu, il y a une chance que vous puissiez reconstruire ce lien, lentement mais sûrement. Prends juste le temps de lui montrer qui tu es maintenant, comment tu as évolué et ce que tu ressens vraiment pour elle. D'ailleurs tu ne seras pas seule dans ce cheminement. Tu m'as moi, Birame également est là et Fifi. Nous tous nous contribuerons à ce que vous ayez une bonne relation mère fille In Shaa Allah.
Avec ces paroles réconfortantes, Samira dirigea son regard vers elle, et à travers ses yeux, transparaissaient clairement le soulagement mêlé à une profonde gratitude.
—Tu n'as même pas posé de questions sur comment toute cette histoire s'est déroulée, fit-elle remarquer.
Un fin sourire naquit sur les lèvres de Ndeye Lisoune, ses yeux reflétant une lueur d'intérêt tandis qu'elle baissait doucement la tête avant de la relever.
—À quoi bon ça servirait ? Si je connaissais les détails de l'histoire, il est probable que tu t'attendrais à ce que je te juge sévèrement ou que je te condamne de toutes les manières possibles or que jamais je ne me permettrais de porter un jugement sur toi. Mon rôle n'est pas de critiquer ou de condamner, mais d'offrir un soutien et une écoute bienveillante. D'ailleurs, l'aptitude à juger appartient à Allah Soubhanahou Wa Tahala. En tant qu'êtres humains, nous sommes tous imparfaits et sujets à l'erreur, mouy mane wala sama morom niosi yam keine parfait woul (que ça soit moi ou une autre personne. Aucune Créature d'Allah n'est parfaite). Chacun de nous chemine dans cette vie, apprenant des expériences passées, et c'est ainsi que nous évoluons en tant que musulmans. La grâce infinie d'Allah nous entoure, Sa bonté et Son pardon sont sans limite, et c'est vers eux que nous devrions tendre. Ce qui compte par-dessus tout, c'est ton désir de faire face aux conséquences passées et ta volonté profonde de te réhabiliter, de bâtir un lien solide avec Amina. Le reste, honnêtement, importe peu.
—En tout cas, merci. Je te remercie profondément pour tes paroles réconfortantes et pleines de sagesse. Je te remercie également d'avoir accueillie ma fille à bras ouverts, de lui avoir offert une maison et une famille aimante pendant que je n'étais pas là.
Ndeye Lisoune lui adressa un sourire doux.
—Il n'y a pas besoin de remerciements, Samira. C'était naturel pour moi de prendre soin d'Amina. Elle est une partie de notre famille, une source de joie et de lumière, même durant ton absence.
Elles se turent pendant un moment.
—Finalement, je vais devoir partir, annonça Lisoune avec douceur. Si tu me permets, échangeons nos numéros de téléphone. Ainsi, nous pourrions continuer à discuter et planifier éventuellement ta rencontre avec Amina In Shaa Allah. Je pourrais te donner par la même occasion l'adresse de notre maison.
—D'accord pas de problème. Répondit Samira en se retenant de lui dire qu'elle connaissait déjà leur adresse.
Ainsi, elles procédèrent à l'échange de leurs contacts, échangeant ces chiffres qui symbolisaient le début d'une nouvelle connexion entre elles. Ceci étant fait, s'ensuit quelques mots d'au revoir empreints de gratitude et de promesse avant que Ndeye Lisoune se leva doucement et partit laissant derrière elle une Samira remplie d'espoir pour l'avenir, une lueur nouvelle brillant dans ses yeux.
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À suivre....
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