Chapitre 15
***VOIX EXTERNE***
Les jours s'écoulaient inexorablement depuis la disparition mystérieuse d'Amina. Ni sa famille ni les forces de l'ordre n'avaient réussi à trouver la moindre piste ou indice quant à son sort. L'inquiétude grandissait de jour en jour.
Depuis son plus jeune âge, Amina avait toujours mené une vie plutôt recluse, n'ayant que très peu de liens sociaux.
Ce manque de réseau rendait les recherches encore plus ardues, personne ne semblant en mesure de fournir la moindre information susceptible de faire avancer l'enquête.
La situation devenait de plus en plus préoccupante pour Ndeye Lisoune. Celle-ci, envahie par l'angoisse, en était même venue à refuser toute alimentation et toute activité, au grand désarroi de ses autres enfants, notamment de la jeune Fifi.
Malgré les nombreuses tentatives de leurs proches pour la raisonner, rien ne semblait pouvoir la sortir de cet état de prostration.
De son côté, Bireume, avait fait appel à deux personnes pour épauler les recherches. Il mettait un point d'honneur à tout mettre en œuvre pour retrouver sa sœur, quitte à en négliger quelque peu son épouse Noémie.
Aujourd'hui encore, il passait la majeure partie de ses journées aux côtés de sa mère, dans l'espoir d'obtenir la moindre piste.
Alors que Fifi s'était endormie dans sa chambre, Bireume était assis sur un matelas déployé dans la cour de la maison, veillant sur sa mère.
Un calme apparent régnait sur les lieux, jusqu'à ce qu'il soit soudainement brisé par la voix rauque d'un jeune homme.
—Assalamou Anleykoum, dit-il.
—Wahanleykoum Salam. Répondit spontanément Bireume et Lisoune quelque peu surprise par cette visite inattendue.
La mère de famille scruta l'homme de haut en bas avec une mine inquisitrice, méfiant face à son accoutrement suspicieux. Sa peau d'un noir d'ébène et son visage inquiétant donnèrent la chair de poule à la jeune femme. Voyant que l'homme commençait à être agacé par leur regard, il reprit la parole.
—J'ai besoin de parler avec Mina. Est-elle là ? Questionna-t-il, visiblement pressé.
—Amina ? S'exclama Lisoune en se levant illico presto de son matelas. 'Da ngua xam foumou nék ?' « Savez-vous où est-ce qu'elle se trouve ? »
-'Yaye dalal ! Boul gagn sa bopp' « Maman calme-toi ! N'aggrave pas ton état de santé » intervient Bireume d'un ton apaisant.
—Mère, je ne sais pas de quoi vous parlez mais j'ai besoin de voir Amina toute suite. Dit le jeune homme.
—Ma sœur n'est pas là ! Qu'est-ce que tu lui veux ?
—'Sa way bou féké Amina mi ngui si biir démal ngua waxx ko mou guéneu nieuw wakh ak mane. Beugouma fi indi beine thiow' « Frère, si Amina est à l'intérieur, mieux vaut que tu ailles lui dire de sortir parler avec moi. Je ne veux aucunement faire un boucan ici ».
—Yaw tu fais exprès d'être sourd ou tu me prends pour ton menteur ? Amina n'est pas là. Si tu as quelque chose à lui dire, vas-y et je lui transmettrai ton message. Répliqua Bireume, agacé
—D'accord. Si elle revient, dis-lui que Ousmane est passé pour récupérer son argent. Et elle ferait mieux de m'appeler si elle ne veut pas finir en prison.
Les mots lâchés, il tourna les talons et s'en alla aussi vite qu'il était venu. Bireume et Lisoune échangèrent un regard perplexe, l'incompréhension se lisant sur leur visage. Le cœur de Lisoune faillit sortir de sa poitrine à l'évocation de la prison
—Ay Bireume dans quoi Amina s'est fourrée ? S'inquiéta-t-elle.
—Je ne sais pas Maman. Je ne sais pas. Fit-il plus troublé que jamais.
***NOÉMIE LAPORTE***
Oh là là !
Dans quelle famille suis-je donc tombée ?!
Alors que je m'étais imaginée un séjour serein et paisible au Sénégal aux côtés de mon mari Bireume, la réalité s'avère bien différente.
À quoi ai-je donc pu penser en décidant de l'accompagner dans son retour sur sa terre natale ?
Assise devant le miroir de la chambre d'hôtel, je ne cesse de me poser ces questions, complètement déboussolée face à la situation dans laquelle je me trouve.
Je n'aurais jamais cru que quitter Paris pour venir découvrir ce pays si "beau et sympathique", comme on me l'avait tant vanté, se solderait par un tel désastre.
Pourtant, tout avait semblé si simple et idyllique lorsque Bireume m'avait proposé de l'accompagner. J'étais emballée à l'idée de découvrir ses racines et de rencontrer sa famille.
Mais dès notre arrivée, j'ai vite déchanté. La famille de Bireume a pris toute la place, me reléguant au second plan. Ses journées sont désormais passées dans leur maison familiale, me laissant seule la plupart du temps.
Au début, je faisais preuve de compréhension, espérant que la situation s'améliorerait. Mais les jours passent et se ressemblent tous.
Maintenant, il est presque impossible de voir mon mari de la journée. Il part très tôt le matin et ne rentre que tard le soir, juste le temps de dormir un peu avant de repartir.
J'ai l'impression d'être invisible à ses yeux, comme si sa famille passait avant moi.
Malgré tout, par amour pour lui, je tente de garder mon calme, mais il semble s'en moquer complètement.
Je fus tirée de mes profondes réflexions par la sonnerie soudaine de mon téléphone portable posé sur la table à côté de moi. J'ai jeté un coup d'œil sur l'écran affichant un appel entrant WhatsApp, et j'ai rapidement décroché dès que j'ai reconnu le nom affiché.
—Salut Sébastien, dis-je d'une voix un peu tendue, anticipant déjà ce qui allait suivre.
—Ah enfin, j'arrive à te joindre ! Salut Noémie. Comment vas-tu ? Répondit-il d'un ton pressant.
—Ça va, je vais bien, merci. Et toi ? Répondis-je, essayant de rester calme et polie malgré son ton direct.
—Boff, comme-ci comme-ça hein. Et tes vacances ? Ça se passe bien j'espère ?
Je ne pus m'empêcher de faire une petite grimace de dépit en entendant le mot "bien".
Ce n'était clairement pas le mot qui convenait pour décrire ce que je traversais ces derniers jours. Mes vacances étaient tout sauf "bien" à mes yeux.
—Oui, oui, mentis-je malgré moi, ne voulant pas entrer dans les détails de ma situation actuelle.
—Mmh, c'est cool alors. Bon, vois-tu, je ne t'ai pas appelé pour ça. Je voulais te demander quand est-ce que tu allais te décider à rentrer ? Oublies-tu que nous avons des dossiers à traiter ? lança-t-il d'un ton autoritaire.
Je retins un soupir d'exaspération. Bien sûr que je n'avais pas oublié le travail qui m'attendait, mais mon mari avait besoin de moi en ce moment et je ne pouvais pas l'abandonner.
—Oui, je sais, je ne l'ai pas du tout oublié. Mais il me faut encore rester quelques jours ici avant de revenir. Mon mari a besoin de moi à ses côtés, répondis-je calmement.
—D'accord. Si je comprends bien, tes vacances avec ton mari sont beaucoup plus importantes que ton avenir ? Tes projets ? Tu comptes rouler d'un coup de pied tout le travail dont tu t'es donnée arrache-pied juste par pure plaisir ? Et le procès de Mme Gradel ? Je te rappelle que c'est pour bientôt.
Sa voix devint plus virulente, trahissant sa colère. Bien sûr, en tant qu'homme amoureux de moi, le fait que je parle de mon mari le contrariait au plus haut point.
—Oh, Sébastien, arrête, d'accord ? Je suis désolée de te le dire, mais mêle-toi de tes affaires. Ma vie et mon travail me regardent. Je ne vois donc pas pourquoi tu devrais t'en mêler. Je t'ai dit que je ne pouvais pas venir avant d'avoir réglé ce que j'avais à faire. Si tu veux, tu peux prendre ma place et plaider pour elle, je ne t'en empêche pas, répliquai-je d'un ton ferme.
—Toi mieux que quiconque sais que je ne peux en aucun cas prendre ta place. L'affaire est déjà entre les mains du procureur, et tu t'es présentée comme son avocate. De plus, cette femme a placé sa confiance en toi, et je te rappelle que tu lui as aussi donné la tienne. Donc, ne viens pas me dire le contraire. Et pour finir, tu m'excuseras si tu trouves que je me mêle de ta vie.
Je posai mes doigts sur ma tempe en fermant les yeux, ne sachant plus quoi répondre pour argumenter, et je sortis.
—Très bien, je t'ai entendu. Maintenant, je vais raccrocher. Ciao.
Chose dite, chose faite. Bien que j'étais en colère contre son comportement déplacé, je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même.
Depuis que je suis devenue Noémie, avocate reconnue, personne n'avait jamais osé me parler avec autant d'audace, encore moins me rappeler mes obligations professionnelles.
Cependant, tout cela me dépassait à présent, et je ne savais plus où donner de la tête. Rester ou partir était un véritable dilemme auquel je devais faire face.
Bon sang, que suis-je censée faire maintenant ?
***SOKHNA DIARRA TAVARÉZ***
La solitude était une compagne qui avait longtemps pesé sur moi, mais ces derniers temps, c'était bien différent.
Depuis ma sortie de l'hôpital, où j'avais été admise suite à une tentative d'empoisonnement, je m'étais réfugiée chez moi, loin de mon cabinet d'avocate.
C'était la meilleure décision que j'avais prise, même si cela ne m'empêchait pas de travailler et de mener ma propre enquête pour découvrir qui avait voulu ma peau.
J'étais plus que déterminée à mettre la main sur ce criminel, persuadée qu'il s'agissait d'un homme. Car en effet, dans mes affaires, je me confrontais rarement à des adversaires féminins.
Assise en tailleur sur mon fauteuil préféré, je savourais tranquillement une salade de fruits tout en me penchant sur un dossier épineux.
Cette quiétude ne dura cependant pas longtemps. Vers 18 heures, la sonnette de la porte d'entrée retentit, brisant le silence de mon appartement.
Paresseuse comme je l'étais devenue ces derniers jours, j'hésitai un moment à me lever, espérant que le visiteur finirait par partir. Mais la sonnette persistait, me forçant finalement à abandonner mon travail pour aller ouvrir.
Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je découvris Maître Fall, sur le pas de ma porte !
—Vous ?! S'exclamâmes-nous en même temps.
Vous vous demandez sûrement de qui il s'agit ?
Eh bien, c'est Maître Fall, cet avocat qui était mon adversaire au tribunal il y a un mois pour une affaire de "trahison sans fondement" qu'il avait perdue en raison de son incompétence criante.
Et le voilà, en chair et en os, se tenant devant moi, les yeux écarquillés comme s'il venait de voir un fantôme.
—Mais... comment se fait-il que vous soyez ici ? Demanda-t-il, encore sous le choc de cette rencontre fortuite.
—Je vous pose la même question, répliquai-je. Vous êtes devant ma porte, au cas où vous ne l'auriez pas remarqué.
Il parut un instant désorienté, comme s'il venait de réaliser où il se trouvait.
—Euh... désolé, mais je pense qu'il y a une erreur. Soit ma mère s'est trompée de personne, soit je me suis trompé d'adresse, se mit-il à marmonner, parlant plus à lui-même qu'à moi.
Ne pouvant retenir mon agacement, j'intervins en claquant bruyamment des doigts devant son visage pour capter son attention.
—Eh, oh ! Vous pouvez arrêter de parler à la troisième personne du singulier ? Je suis là, vous savez.
Surpris par mon geste, il tourna brusquement la tête pour me dévisager.
—Bien, je pense que ma mère a fait une erreur. Excusez-moi, dit-il avant de faire demi-tour pour s'éloigner.
Je restai là, stupéfaite par son comportement, incapable de m'empêcher de l'interpeller alors qu'il s'en allait.
—Attendez ! Pourquoi étiez-vous venu ici, au juste ?
—Suis-je obligé de vous le dire ? Répliqua-t-il sur la défensive.
J'haussai les épaules.
—Cela dépend de vous. J'ai compris que vous cherchiez quelqu'un dans ce secteur. Qui sait, peut-être que je pourrais vous aider.
Il me regarda longuement sans dire un mot, comme s'il pesait le pour et le contre. Je ne savais pas si son silence était un oui ou un non.
—Alors ? Dis-je, interrompant ce silence pesant.
—J'avais une commission pour une certaine Sokhna Diarra. Mais je ne sais même pas comment je suis arrivé ici.
Je fronçai les sourcils, surprise.
—Mais... c'est moi, Sokhna Diarra.
—Pardon ? S'exclama-t-il, visiblement pris au dépourvu.
—Oui, je m'appelle Sokhna Diarra Tavaréz.
—Tu es la fille de Tonton Philippe et de Tata Ndeye Khady qui habitent à Thiaroye Azur ?
—Mais comment connaissez-vous mes parents ?
Au lieu de me répondre, il rigola en passant ses mains sur son visage, comme s'il venait de réaliser quelque chose de stupéfiant.
—Le monde est petit ! Même dans mes rêves les plus fous, je n'aurais jamais imaginé qu'un jour mon adversaire redoutable et moi étions apparentés.
—Quoi ? Apparenté avec vous ? Vous faites sûrement erreur.
—Vous feriez mieux d'y croire. Je suis le fils de Fary Touré et de Mamour Fall. Nos grands-pères maternels ont le même père et la même mère. Mais bon, on va en rester là pour cette discussion ?
Avec un mini sourire en coin, il me demanda timidement mon autorisation de s'installer sur le fauteuil, que je lui accordai d'un signe de tête. Je me dirigeai ensuite vers la cuisine, sortis une bouteille de jus frais et versai deux verres.
Bien que je n'apprécie guère cet homme, je n'allais surtout pas le laisser ainsi sans rien lui offrir. Après tout, je traite toujours avec respect et courtoisie mes invités, quels qu'ils soient.
Une fois de retour dans le salon, il m'observa un instant, gêné par les documents et l'ordinateur portable posés sur le grand fauteuil en face de lui.
—J'espère ne pas vous avoir dérangé, me dit-il d'un air contrit.
—Oh mais bien sûr que si, répondis-je d'un ton sec.
Il sourit nerveusement et prit le verre que je lui tendais. Puis, jetant un coup d'œil appuyé à ma tenue, il ajouta :
—J'ai bien vu ça compte tenu de votre accoutrement...
Sans qu'il ne termine sa phrase, je baissai les yeux et vérifiai mes vêtements, ne comprenant pas où il voulait en venir. Pourquoi me parlait-il ainsi de ma façon de m'habiller ?
—Y a-t-il un problème avec mes vêtements ? L'interrogeai-je, sur la défensive.
—Non, pas du tout, se rattrapa-t-il. C'est juste que lors du procès, j'avais une image de vous en tant que femme décente, en dehors de votre caractère bien trempé, et je ne pensais pas qu'une femme comme vous pourrait s'habiller ainsi. Mais il n'y a rien de mal, je vous assure.
—Maître Fall, au lieu de penser, il vaudrait mieux savoir, le repris-je fermement. Vous n'avez jamais entendu cela ? Mis à part cela, permettez-moi de vous dire que ma façon de m'habiller ou de faire ne devrait pas vous importer. Ce n'est pas parce que je vous ai permis d'entrer chez moi ou que nous sommes des soi-disant « cousins éloignés » que je vais vous laisser me parler de cette façon. Ici, c'est chez moi, donc je suis libre de porter ce que je veux. Connaissez vos limites et allez faire vos remarques à votre femme, si vous en avez une bien évidemment.
Visiblement touché par ma réponse cinglante, il répliqua :
—Ce n'est pas par pur plaisir que je suis ici. Si je ne venais pas dans le coin, ma mère ne m'aurait pas donné cette commission. D'ailleurs, tenez - il me tendit un sachet contenant mon tissu cousu par sa mère. - Et ne vous inquiétez pas pour cela. Ma future femme le sait déjà.
—Donc, le problème est résolu, conclus-je d'un ton ironique.
Il reposa le verre de jus tel que je lui avais donné, sans même boire ne serait-ce qu'une gorgée, et se leva par la suite.
—Bref, je dois y aller. Merci pour l'accueil très chaleureux, dit-il sarcastiquement avec un petit sourire en coin.
—Le plaisir est pour moi, rétorquai-je sur le même ton.
Je le raccompagnai jusqu'à la porte et, avant qu'il ne me tourne le dos pour de bon, nous nous défièmes du regard une dernière fois. Ou plutôt, je lui lançai un mauvais regard avant de décider de fermer la porte avec fermeté.
Une fois seule, je m'appuyai sur la porte en expirant fortement. Deuxième rencontre avec lui et il avait encore réussi à gâcher ma bonne humeur. Au lieu de continuer mon travail, je me dirigeai vers ma chambre pour troquer mon grand tee-shirt robe contre un pantalon et un débardeur.
Je ne sais pas ce qui m'a pris de porter ce tee-shirt qui m'arrivait qu'aux cuisses. D'habitude, je ne me soucie guère des jugements des autres, mais le fait d'être critiquée par mon adversaire m'a affectée plus que je ne le pensais. Et maintenant, je me retrouvais à changer ma façon de m'habiller pour éviter de subir ses remarques acerbes.
Ce que je trouvais d'ailleurs très étrange, car je ne suis pas du genre à me laisser influencer par les autres. Mais je suppose que l'agacement constant que provoquait cet homme a fini par me faire céder.
Bref, je le détestais encore plus maintenant. Son comportement impertinent et son manque de respect m'exaspèrent au plus haut point.
***AMINA SALL***
Allongée sur le dos, je contemplais d'un regard mécanique le plafond de la chambre, laissant mes yeux se perdre dans les ombres et les recoins familiers.
Mes pensées, quant à elles, vagabondaient loin de cette pièce, s'égarant sur les méandres de ma vie misérable.
Depuis ma naissance, je n'avais connu que souffrances et blessures profondes. Parfois, je me demandais si je n'étais pas maudite, une erreur de la nature jetée dans ce monde sans raison.
Les événements passés ne cessaient de confirmer mes peurs les plus sombres.
Qui aurait pu croire que j'étais devenue une orpheline, sans mère ni père pour me protéger ?
Moi, qui avais toujours cru être une guerrière, n'étais en réalité qu'une enfant vulnérable, jetée à la rue comme un déchet.
Soudain, j'entendis un bruit familier provenant de la porte. Je me retournai vivement, feignant d'être endormie.
—Je sais que tu ne dors pas, Amina. Alors retourne-toi et parle avec moi.
C'était Rose, qui se tenait debout dans l'embrasure de la porte, les bras croisés sur sa poitrine. Je me levai lentement pour me asseoir sur le lit, le dos appuyé contre le mur, prête à affronter ses interrogations.
—Parle avec moi, Amina. Depuis que tu es arrivée ici, tu ne nous parles presque pas. Tu ne manges pas beaucoup non plus. Tu te renfermes dans cette chambre, à fixer les murs, et tu sembles nous fuir. Dis-moi ce qui se passe ? Me demanda-t-elle d'un ton doux mais ferme.
Je soupirai longuement avant de répondre d'une voix lasse :
—Que veux-tu que je te dise, Rose ?
—Dis-moi ce qui t'arrive. Je veux savoir la raison de ton état.
Je laissai ma tête reposer contre le mur derrière moi, sentant une boule se former dans ma gorge.
—Il n'y a rien à dire, répondis-je simplement.
—Comment peux-tu me dire ça ? Pourquoi pleures-tu les nuits sous ta couette ? Je t'entends renifler. Ne me dis pas que tu aimes ça ou que tu t'entraînes pour...
Je la coupai net, d'une voix sèche :
—Rose, j'ai découvert que je ne suis pas celle que je pensais être.
—Comment ça ? Demanda-t-elle, fronçant les sourcils.
—Je ne suis pas Amina Sall. Je n'ai pas de mère, ni de père, ni de famille, pour faire court. Je suis un gros point d'interrogation, si je peux me permettre.
—Tu veux dire que... commença-t-elle, les yeux écarquillés.
—Oui. J'ai été adoptée par la famille que je considérais comme la mienne.
Son expression passa de la stupéfaction à l'attendrissement en un éclair.
—Je suis désolée, ma chérie. Je n'imagine même pas ce que tu dois ressentir en ce moment.
—Je me sens très mal et seule, dis-je, sentant les larmes me monter aux yeux.
—Non, ne dis pas ça. Tu n'es pas seule. Tu as une famille qui t'aime et qui se soucie de toi, tenta-t-elle de me réconforter.
Mais je ne pus m'empêcher de rire amèrement.
—Une famille, tu dis ? Arrête, Rose, s'il te plaît. La famille, ce n'est pas seulement un lien de sang ou des parents ou des proches à côté. Non ! La famille, c'est l'union, l'amour, la solidarité, la fraternité, le fait de se soutenir dans les bons et les mauvais moments. Mais hélas, ce n'est pas mon cas. J'ai longtemps vécu comme une orpheline, sans même savoir que j'en étais une réellement. J'ai longtemps considéré que je n'avais pas de famille. Et quand j'étais dans les moments les plus sombres de ma vie, je n'ai jamais trouvé cette fameuse 'famille'. Même sortir le mal qui était en travers de ma gorge m'était impossible. Donc pour moi, je n'ai jamais eu de famille. Mis à part la simple et faible notion que j'ai de ce mot, je n'ai pas une connaissance parfaite de cela, répliquai-je fermement.
Un silence pesant s'installa dans la pièce. Rose avait perdu l'usage de sa langue, incapable de prononcer le moindre mot.
Quant à moi, en disant ces paroles, j'avais senti une boule se former dans ma gorge et une avalanche de sentiments m'envahir. L'envie de pleurer et de tout détruire m'habitait à la fois, mais je ne pouvais rien faire.
Finalement, la voix de Rose me ramena à la réalité.
—Je t'ai écoutée attentivement, et si je peux me permettre, j'ai un conseil à te donner. Essaye de mettre de côté ta colère et ta rancœur, et retourne chez toi pour écouter la version de tes parents. Seuls eux peuvent te donner la vraie vérité. Même si tu ne veux pas l'entendre, ta famille, c'est eux. 'Bi ngua diaxlé niom ngua guissone té bo démé ba magg taxaw fii di waxx niom la tamit' « Depuis toute petite, tu n'as connu qu'eux ». Donc, le minimum que tu peux faire, c'est de les écouter attentivement. La vérité est peut-être plus proche que tu ne le penses. Réfléchis-y bien.
Après ces mots, elle se leva pour partir, mais se retourna aussitôt pour me faire face.
—Au fait, j'ai failli oublier. À ton retour, retrouve-moi dans ma chambre. Nous devons avoir une discussion très sérieuse, et tu sais très bien de quoi je parle.
Après m'avoir jaugée une dernière fois, elle quitta la pièce, me laissant seule avec mes pensées plus que moroses. Je me sentais perdue.
[...]
Après m'être préparée, je suis restée quelques minutes devant le miroir, examinant mon reflet avec un sentiment d'indifférence.
Mon regard semblait vide, dénué de toute émotion. J'avais l'impression d'être une coquille vide, dissociée de moi-même.
Prenant une profonde inspiration, j'ai mis fin à cette introspection stérile. Il était temps d'affronter la vérité, aussi désagréable soit-elle, comme Rose me l'avait conseillé.
Avec détermination, j'ai saisi mon sac et suis sortie de chez moi. Le trajet jusqu'à la maison familiale me parut interminable, rempli d'appréhension face à ce qui m'y attendait.
Arrivée sur les lieux, j'entendis la voix grave du frère de Lisoune, mon supposé oncle Maguette. Sa présence, qui m'aurait autrefois irritée, ne me dérangeait plus aujourd'hui. C'était le moment de tout mettre à plat.
—'Amina, noumou néké rék yéna kako si bayi, surtout ioe Lisoune. Au lieu ngueine yarr ko bamou néké xalei ngueine diapp ko diko néxél ak diko bayi si liko néxx. Motaxite losi guiss ? Dioylo woko wone motax tay mi ngui lay dioylo' « C'est uniquement de votre faute si Alina ose avoir ces comportements inacceptables avec les gens, surtout toi Lisoune. Vous ne l'avez tout simplement pas bien éduquée comme il le fallait dès son plus jeune âge, et voilà maintenant les tristes conséquences de vos manquements »,tonna-t-il d'un ton accusateur.
Lisoune se défendit aussitôt, la voix empreinte de lassitude :
—Vieux Maguette, tu sais pertinemment que je suis moi-même la première à déplorer et réprouver l'attitude déplorable de ma fille. Je l'ai pourtant sermonnée nuit et jour, mais c'était comme si elle n'avait tout simplement pas d'oreilles pour entendre mes mises en garde. J'ai consacré tout mon temps et mon énergie à l'éducation de mes trois enfants, afin qu'ils reçoivent la meilleure formation possible. Alors pourquoi viens-tu me tenir pour seule responsable de ces écarts de conduite ?
Il rétorqua, inflexible :
—Ce que je t'ai dit est clair. Tu n'as pas rempli à cent pour cent ton devoir de mère....
Pendant ce temps, Bireume et Fifi restaient silencieux, la tête basse. Les observant, je ne ressentais que dégoût et mépris. J'avais espéré que mon absence les forcerait à la réflexion, mais leur hypocrisie habituelle persistait. Rien ne semblait pouvoir changer cette dynamique familiale toxique.
—Amina ! S'écria Bireume en remarquant ma présence. Sa voix trahissait à la fois de la surprise et un soupçon d'inquiétude.
Lisoune releva alors lentement la tête, les yeux rougis par les larmes qui y brillaient encore. Sans un mot, elle se précipita vers moi, le visage baigné de chagrin.
Je ne répondis pas à son étreinte, mon regard cherchant plutôt à capter celui de son frère. Mais celui-ci garda obstinément le silence, évitant soigneusement de croiser mon regard.
À cet instant précis, une violente colère m'envahit, et je n'eus qu'une envie : le faire payer pour son attitude lâche et indifférente. Peu m'importait d'être condamnée et de passer le reste de mes jours en prison. À ce stade de ma vie, rien ne me faisait plus peur.
Quand la main tremblante de « ma soi-disant mère » effleura timidement mon bras, je revins sur terre et me poussai aussitôt sur le côté, m'éloignant de son contact.
Elle me regarda, surprise et blessée par ma réaction, mais cela ne m'émut guère. J'étais restée de marbre, incapable du moindre sentiment à son égard.
Fifi, toujours aussi attentionnée, était partie chercher une chaise pour moi et me demanda doucement de m'asseoir. Je la gratifiai d'un regard étonamment apaisé. Malgré la haine que je ressentais, je ne parvenais pas à la détester, elle.
J'aurais voulu le faire, mais c'était bien au-delà de mes forces. Elle avait toujours été un modèle de sœur, respectueuse, travailleuse et dotée d'un caractère impénétrable que j'avais toujours rêvé de posséder. Mais comme on dit, on n'a pas toujours ce qu'on veut.
Je me dirigeai lentement vers la chaise et m'y assis, consciente que tous les regards étaient rivés sur moi, observant le moindre de mes faits et gestes avec une attention à la fois curieuse et inquiète.
—Amina, où étais-tu ? Nous t'avons cherchée partout, ma fille. Pourquoi nous fais-tu cela ? Commença Lisoune d'une voix tremblante.
—Je ne suis pas là pour subir une série d'interrogations sans fin, ni pour assister à vos séances de sketchs. J'ai besoin de savoir des informations concernant mes vrais parents... ou sur le nom de l'orphelinat où vous m'avez adoptée, continuai-je sans lui accorder la moindre importance.
Bireume amorça un mouvement pour m'interrompre, mais sa mère lui lança un regard sévère qui le dissuada d'intervenir. C'était mieux ainsi, car sinon je n'aurais pas hésité à leur cracher toute la vérité en pleine figure.
—Laissez-la parler. Elle a le droit de demander tout ce qui la tourmente. C'était à nous de prendre les devants en te disant toute la vérité depuis le début, mais puisque tu demandes à savoir, je vais te raconter les faits, reprit Lisoune d'un ton posé. D'abord, sache que nous ne t'avons pas adoptée à l'orphelinat. Loin de là. Ton père t'a trouvée abandonnée dans un coin de rue un matin d'août alors qu'il revenait de la mosquée. Ce sont tes cris qui l'ont alerté, et il a été surpris de voir un nouveau-né posé dans cette ruelle, en train de pleurer sans que personne ne soit à tes côtés. Il t'a pris et t'a amenée dans cette maison. Nous attendions que le jour tombe pour nous rendre au commissariat, mais nous avons trouvé une note insérée dans tes vêtements sur laquelle était écrit : "Je demande à la personne qui trouvera ma fille de prendre soin d'elle. S'il vous plaît, éduquez-la, inculquez-lui les bonnes valeurs. Mais je vous en supplie, donnez-lui le nom d'Amina, comme ma mère". C'est ainsi que nous t'avons baptisée Amina Sall avant de te garder.
Pendant tout son monologue, j'avais gardé la tête baissée, mordant l'intérieur de ma bouche pour ne pas laisser échapper les cris de douleur qui menaçaient de s'en échapper.
Je ne pouvais prononcer aucun mot, mais l'expression tourmentée de mon visage suffisait largement à montrer l'état de profonde détresse dans lequel je me trouvais. J'étais partagée entre un amalgame de sentiments contradictoires, mais la colère dominait nettement.
Comment une personne dotée d'un cœur pouvait-elle jeter un enfant innocent dans les rues ?
Comment une mère pouvait-elle donner la vie à un enfant pour finalement l'abandonner à la merci de la rue ?
Pourquoi tomber enceinte si l'on sait qu'on ne prendra pas soin de son propre enfant ?
Parfois, je me demande pourquoi Dieu a donné à certaines femmes la capacité de porter des enfants alors qu'il aurait pu simplement les en priver, leur facilitant ainsi la vie.:
Après le long silence qui s'était installé, je décidai finalement de le rompre. Je levai la tête et regardai tour à tour Lisoune, Bireume et Fifi, ainsi que le vieil homme assis en face d'elle. Une colère sourde bouillonnait en moi , prête à exploser à tout moment.
—Je comprends maintenant pourquoi vous ne vous êtes jamais souciés de moi, commençai-je d'une voix tremblante. Je comprends pourquoi vous ne m'avez jamais accordé autant d'attention qu'à mes frères. C'est parce que je suis l'enfant maudite, n'est-ce pas ?
Le vieux m'interrompit alors.
—Ce n'est pas une question de qu'on ne te déteste ou qu'on te veux du mal, mais on... tenta-t-il d'expliquer.
—Ferme-là toi ! L'interrompis-je avec véhémence. Je ne veux même pas t'entendre, sale vieux ! 'Yaw nieupe meune naniou oubi sén guémine bi di waxx bamou déss yaw naxté vrai goor djiguéne moy iow....' « Je peux permettre à tout le monde de s'adresser à moi sauf toi. Tu n'as pas le droit d'ouvrir ta grosse gueule car tu n'es qu'un gros porc... »
—AMINA !!! S'écrièrent alors Lisoune, Bireume et Fifi en même temps, choquées par mon emportement.
—Vous voyez ce que je vous disais ? Elle est très impolie cette gamine, se défendit le vieil homme en tentant de me réduire au silence.
Sans crier gare, je me levai brusquement de ma chaise et lui lançai mon sac à main avec virulence. Le sac frôla le visage du vieillard, manquant de peu de l'atteindre. Bireume réagit rapidement et parvint à neutraliser mes mains, mais la colère viscérale qui s'était emparée de moi ne semblait pas vouloir s'éteindre.
—MÊME SI VOUS CRIEZ, JE N'ARRÊTERAI PAS DE PARLER ! Hurlai-je. J'AI DIT ET JE REDIS ENCORE QUE CET HOMME N'EST QU'UN IMBÉCILE, UN CONNARD, UN MANIPULATEUR DE LA PIRE DES ESPÈCES. VOUS VOULEZ SAVOIR POURQUOI ? BAH SACHEZ AUJOURD'HUI QUE CET HOMME QUI SE FAIT PASSER POUR UN SAINT, UN CONSEILLER, L'ONCLE PARFAIT OU PIRE MÊME LE FRÈRE MODÈLE EST LE PÈRE DE CELUI QUI M'A VIOLÉE !
—QUOI ??? S'exclamèrent-ils en choeur, sous le choc de cette révélation.
—OUI VOUS N'AVEZ PAS À ÊTRE ÉBAHIS ! Poursuivis-je, les larmes aux yeux. J'AI ÉTÉ VIOLÉE PAS UNE NI DEUX FOIS MAIS À MAINTES REPRISES PAR CELUI QUI ME SERT DE 'COUSIN', ET TOUT ÇA AVEC LA COMPLICITÉ DE CET HOMME VIL ET DE SA SATANÉE DE FEMME. IL AVAIT FAIT DE MOI 'SA PETITE FEMME', ET À CHAQUE FOIS QU'IL VOULAIT ASSOUVIR SES DÉSIRS SEXUELS, IL SE RETOURNAIT VERS MOI... D'AILLEURS MÊME SI JE SUIS DEVENUE UNE FEMME DE PETITE VERTU C'EST-À-DIRE UNE PROSTITUÉE AUJOURD'HUI, C'EST QUELQUE PART À CAUSE DE LUI ET DE CES ÂNES QUI LUI SERVENT DE PARENTS, QUI ÉTAIENT AU COURANT DE TOUTE CETTE HISTOIRE DÈS LE DÉBUT MAIS AU LIEU DE M'AIDER, ILS ONT PRÉFÉRÉ OBTURER LA SITUATION EN APPLIQUANT LEUR FAMEUX 'NEUPP NEUPPEUL'... « discrétion ». ILS ONT UTILISÉS DES FORMES DE VIOLENCES PAS TRÈS USITÉS POUR ME FAIRE TAIRE ET AINSI PROTÉGÉS LEUR FILS CHÉRI ET LEUR SEMBLABLE DE DIGNITÉ À L'ÉGARD DES AUTRES, PARTICULIÈREMENT VOUS. POURTANT À CHAQUE FOIS QUE VOUS VENIEZ LEUR RENDRE VISITE, J'ESSAYAIS DE BEAU VOUS FAIRE COMPRENDRE À TRAVERS MON COMPORTEMENT, MES ACTES LA SITUATION DANS LAQUELLE JE ME TROUVAIS. MAIS MALHEUREUSEMENT, C'ÉTAIT PEINE PERDUE. VOUS ÉTIEZ LA NAÏVETÉ PERSONNIFIÉE ! MES ÉTUDES, MON AVENIR TOUT EST PARTI EN ÉCLATS À CAUSE D'EUX. ET POURTANT JE N'ÉTAIS DEMANDERESSE DE RIEN DU TOUT, DIEU M'EN EST TÉMOIN. Mais à cause d'une bande de gens foncièrement méchants, sans scrupule, je me suis retrouvée anéantie, détruite à jamais et maintenant avec....avec...
Le reste de la phrase était resté coincé dans ma gorge, comme un nœud refusant de se défaire. Je ne pouvais ni continuer à parler, ni rester une seconde de plus dans cette maison oppressante.
Une vague de désespoir m'a submergée, et sans réfléchir davantage, je me suis élancer hors de la maison, courant à perdre haleine dans les rues, laissant libre cours à mes larmes brûlantes.
Il m'était difficile de me rappeler la dernière fois que j'avais pleuré ainsi, le flot ininterrompu de mes sanglots témoignant de la profondeur de ma détresse.
C'est seulement en me laissant aller à cette cascade émotionnelle que j'ai pris conscience d'avoir gardé en moi trop de choses, trop longtemps.
Aveuglée par mes larmes, j'ai aperçu un taxi arriver dans ma direction et l'ai immédiatement hélé, sans même me soucier du prix de la course. Je me suis engouffrée à l'intérieur, le cœur serré par une boule d'amertume qui semblait refuser de se dissiper.
Malgré ce défoulement salutaire, une haine viscérale continuait de m'habiter, un ressentiment profond que je ne parvenais pas à surmonter.
J'étais envahie par le désir impérieux de revoir ma mère, de lui cracher enfin toutes mes vérités en pleine figure. Mais je savais pertinemment que cette confrontation était impossible.
Après quelques minutes de trajet, j'ai soudain entendu deux voix masculines chuchoter derrière moi.
?!: C'est elle, n'est-ce pas ?
?!: Oui, c'est bien elle.
Lorsque j'ai relevé la tête pour les observer dans le rétroviseur, un mouchoir imbibé d'un liquide s'est brutalement abattu sur mon nez. J'ai tenté de me débattre, mais c'était peine perdue. Rapidement, j'ai senti mes forces m'abandonner, et j'ai sombré dans l'inconscience.
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À suivre....
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#Sooxnv
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