Chapitre 21
Je m'étire lentement, il est onze heures. J'ai un peu traîné hier soir, j'étais trop excitée pour me coucher et m'endormir. La perspective d'un dîner avec Martin me revigore et celle d'un nouveau tête-à-tête avec Joe me glace le sang. Avec cela, je suis donc aussi instable qu'une girouette. David m'a tenu compagnie une bonne partie de la soirée, nous sommes allé courir et je pense que je l'ai bien usé. Je ne sais pas si c'est une bonne idée, d'ailleurs. S'il a des courbatures monstrueuses encore demain, il ne me sera pas d'une grande utilité. Comment faire une filature convenablement si l'on marche déjà comme un canard ? Pas pratique, je vous l'accorde.
Je laisse retomber mes bras le long de mon corps, encore à moitié enfouie sous ma couette. En fixant le plafond, je me remémore le planning de ces deux prochains jours. Il faudra que je m'occupe un peu jusqu'à ce soir, mais que faire ? J'ai déjà fini toutes mes séries, regardé trois fois tous les DVD de mon étagère et lu tous les Closers qui traînaient sur ma table basse. Cette longue semaine d'inactivité commence sérieusement à me peser.
C'est dans ces moments que je me rend compte que ma vie ne tourne qu'autour de l'agence. Certains diraient que c'est triste. Moi, je ne me pose pas la question. Je suppose que si je ne tombe pas en dépression, c'est que cela va. Après tout, cela remplit tant qu'assez ma vie. D'ordinaire, je n'ai pas tant que cela de répit.
Je me lève sur ces considérations et ses pensées quelques peu métaphysiques (j'avais lu le mot dans le dictionnaire, l'autre jour ; quand je vous dit que je m'ennuie) et je commence à préparer mes affaires. Je décide de passer ma journée en pyjama et de ne mettre un truc portable uniquement au moment de partir. Je ne choisis pas mes robes les plus habillées, à quoi bon ? Ce n'est pas un rendez-vous galant et à la réflexion, Martin ne m'a jamais vu autrement qu'en jean. Il risquerait de trouver cela bizarre et ce n'est pas l'impression que je cherche à provoquer.
S'il se méfie, il risque de ne pas me donner les informations que je cherche.
C'est donc en pyjama, affalée sur le canapé qu'Annie me trouve à son arrivée. Il est quatorze heures et je n'ai toujours pas manger. A vrai dire, je comptais un peu sur elle pour me cuisiner un truc. Je meurs de faim.
Après avoir essuyé deux ou trois critiques sur mon laissé-allé et mon manque d'autonomie, Annie passe enfin côté cuisine.
-Viens là, m'ordonne-t-elle.
Quoi ? Pour quoi faire. Je ne bouge pas et lui répond par un grognement. Quelques secondes plus tard, je vois son ombre s'étendre devant moi, les mains sur les hanches, signe qu'elle se trouve juste derrière moi.
-Chloé Smith, je ne suis pas payé pour jouer la baby-sitter alors tu vas me faire le plaisir de venir cuisiner avec moi.
Oula ! Elle n'a pas vu mes talents culinaires et risque de regretter cette proposition. Avec un soupir, je me lève enfin du canapé et traîne des pieds jusqu'au plan de travail. Annie y est déjà et commence à aligner les ingrédients dessus.
-Comme j'ai vu que tu commandais souvent des pizzas, je vais t'apprendre à en faire une maison.
-Quel est l'intérêt de cuisiner si on peut l'acheter déjà tout fait ? grogné-je, bien décidée à ne pas être coopérative.
-C'est meilleur pour ta santé, et ça te fais faire quelque chose de tes dix doigts, me réplique-t-elle en me fourrant un saladier dans les mains.
Bon, on dirait qu'elle est bien décidée à ne pas se laisser faire. Elle me fait préparer la pâte à pizza : verser la farine, l'eau, la levure et pétrir la pâte. Me voyant grimacer, elle se met à sourire, d'un air moqueur. Je ne dis rien et serre les dents. J'avoue que je ne l'ai peut-être pas très bien traitée, depuis qu'elle est là, lui renvoyant piques sur piques, la prenant un peu pour ma femme à tout faire. Jusqu'ici, je pensais qu'elle n'y voyait aucun inconvénient ; après tout, c'est elle qui avait insisté pour que j'arrête de commander aux livreurs, dès que la faim se faisait ressentir. Je manque de faire renverser le contenu du saladier alors que la pâte est toujours aussi collante.
-Attention Chloé ! Attends, je rajoute de la farine, ce sera mieux.
Je la laisse faire. J'ai envie de ranger les quelques mèches de cheveux rebelles qui sortent de ma queue de cheval haute, mais mes mains sont pleines de farine collante. Beurk. Avec peine et sous les encouragements et les menaces voilées d'Annie, je finis par obtenir une pâte, je cite, « parfaite ».
La femme pose alors un torchon dessus :
-Bon, on laisse reposer.
Je ne comprend pas. Cela veut-il dire que je ne vais pas manger de sitôt ? Devant mon air incrédule, Annie m'éclaire :
-Il faut laisser reposer la pâte pendant au moins une heure.
En signe de protestation, c'est mon ventre qui gargouille. Il est quinze heure et je n'ai rien avalé depuis mon petit déjeuner, certes un peu tardif, mais assez loin maintenant. Annie ouvre alors le frigo et en sort un autre saladier sous cellophane.
-Tiens, je t'avais préparer une petite salade avant de venir.
Je m'en empare. Ce n'est pas trop mon plat de prédilection d'ordinaire, mais j'ai faim, et il n'y a rien d'autre à manger à part une pâte à pizza même pas cuite. Je ne crois pas que je perds au change. Alors que j'enfourne ma première bouchée de ma salade composée, je lui demande :
-Et la pizza ? Je l'ai pas cuisinée pour rien, quand même !
Annie s'assoit en face de moi. Elle me regarde manger un peu avant de me répondre que ce n'est pas perdu, et qu'elle sera manger ce soir.
-Mais ce soir, je vais au restaurant avec Martin.
Annie lève un sourcil :
-Martin ?
-Oui, un collègue, je marmonne. C'est pour être sûre qu'ils ne seront pas là demain soir. Essayer d'avoir des informations.
-Je vois.
Elle croise ses mains sous son menton avant de continuer :
-Tu n'as qu'à l'inviter ici.
Je manque de m'étouffer. Après avoir toussé un peu pour faire passer le bout de salade que j'avais coincé dans l'œsophage, j'arrive à articuler :
-Ici ?
Annie jette un regard à la pièce, où les magasines et la poussières s'empilent sur les meubles, les t-shirt sur le sol ou le canapé.
-On va ranger, fait-elle d'un ton laconique.
Là encore, j'imagine que je n'ai pas le choix. Devant l'ampleur de la tâche qui m'attend, à savoir finir la pizza et le rangement de mon salon, je ne peux m'empêcher de me sentir totalement abattue. Comment Annie fait pour être tellement motivée qu'elle passe même faire le ménage chez les autres ? C'est un truc que je ne comprendrais décidément pas.
La femme me fait signe de finir ma salade, car on a du pain sur la planche. Merci de me le rappeler, ça me motive. Qu'est-ce que je suis pressée d'avaler ma dernière bouchée, dis donc ! Sans grand enthousiasme, je pique donc de nouveau dans mon assiette, totalement déprimée.
Une fois finit, Annie me fait en plus faire la vaisselle -ainsi que celle des assiettes d'hier, que je n'avais pas lavé. C'est vraiment un programme de rêve qu'elle me vend là.
Elle m'accorde une petit pause tout de même, avant de commencer le grand ménage. Je m'affale dans le canapé et attrape mon portable, jusqu'ici resté sur la table basse, entre des piles de magazine. Bon, il faut que j'envoie un message à Martin, histoire de lui annoncer le changement de lieu de notre soirée. Sa réponse fuse presque aussitôt :
-Tu veux que j'aille prendre quelque chose au traiteur sur le chemin ou tu as commandé ?
Avec un petit sourire en coin, je lui répond que cela n'est pas nécessaire, étant donné que j'avais cuisiné une pizza pour ce soir. Voilà de quoi lui en boucher un coin. Mais sa réponse septique ne me plaît pas du tout :
-Toi, cuisiner ? Et puis quoi encore ? Tu as passé l'aspirateur dans ton salon ?
Je sens la chaleur me monter aux joues et je vois rouge. Comment ose-t-il me signaler ouvertement que je ne suis pas une fée du logis. Bon, il n'a pas tort, c'est vrai, mais je ne suis pas non plus ultra bordélique, si ? A croire que tout le monde s'est passé le mot aujourd'hui pour me faire passer un message subliminal. Du tac-au-tac, je lui répond :
-Et toi, tu ne devrais pas être en train de lécher les bottes de Ted, au lieu de me répondre sur tes heures de travail ?
Et bim, prend toi ça dans les dents, non mais ! Je verrouille mon téléphone, sans attendre la réponse, et me relève d'un bon. Annie, qui feuilletait distraitement un magazine, paraît surprise. Et pour cause, car je tape dans mes mains d'un air enjoué en m'exclamant :
-Bon alors, on attaque le ménage, oui ou non ?
Annie m'explique alors tout ce qu'il y a à faire selon elle : trier les magazines et jeter ceux que je ne souhaite pas garder ou que j'ai déjà lu, ramasser les vêtements qui traînent pour les mettre au sale et si besoin, lancer une machine, passer l'aspirateur partout et lessivé le sol. Voilà qui devrait nous occuper une bonne heure. Si on avance assez vite, Annie propose même de faire les carreaux. C'est vrai que cela fait longtemps qu'ils n'ont pas eu un coup de chiffon, les pauvres. Alors c'est parti !
Je me relève les manches et attrape la pile de magasine devant moi : certains datent d'il y a deux ans, lorsque je me suis installée ici. Il est en effet grand temps que je m'en occupe. Il y a de tout, des magasine peoples, des magasines de programme télé... Tout ce que j'avais récupéré à droite, à gauche, des échantillons pour m'inciter à l'abonnement, des distribués sur la grande place de la ville, d'autres que j'avais achetés pour m'occuper les longues nuits de planque, de filature. J'en avais lu très peu sur le tas. Pas la peine de tout garder. Je jette la pile entière dans le grand sac poubelle qu'Annie avait placé au milieu du salon. Cette dernière me regarde faire, ses yeux me scrutant, interrogateurs.
-Je les lis jamais, tenté-je de m'expliquer en haussant les épaules.
Elle ne répond pas et retourne à son occupation : vider les placards de fond en comble pour y faire la poussière. Tous les bibelots inutiles, eux aussi accumulés se retrouvent alors posés sur le parquet, prêts à être triés. Je m'accroupis donc et commence le tri. C'est fou, il y avait des objets que j'avais complètement oublié. Parmi eux, des élastiques en tout genre, des jouets en plastique du MacDo, des bouchons de bouteilles, des papiers divers et même des tablettes de chocolat à moitié entamées, lors d'une petite fringale et abandonnées à leur sort : le dépassement de leur date de péremption. Alors que je m'apprête à jeter le tout sans même regardé, je tombe sur un petit album photo, de format A5. Avec un petit pincement au cœur, je l'écarte de la pile d'un geste vif et pars jeter le reste. Mais Annie est plus rapide que moi et le ramasse avant que j'ai le temps de le planquer quelque part.
-Tiens, que fait cet album photo au fin fond d'un tiroir de ta cuisine ? Ce n'est pas sa place !
Je le lui arrache presque des mains, avant qu'elle ne l'ouvre et me dirige vers la mezzanine.
-C'est mon album photo de mon enfance. Je vais le ranger autre part.
-Pourquoi ne le mets-tu pas à la place des magasines ? Cela égaillerait ta table basse, me propose Annie.
Mais qu'est-ce que ça peut lui faire de la place de cet album photo. Je le serre contre moi, sur la défensive et je l'ignore complètement, continuant à monter les marches quatre à quatre. Une fois là-haut, j'ouvre le premier tiroir de mon bureau avec empressement et le fourre dedans avec empressement. Je redescends aussi vite que j'avais monté les escaliers. Annie s'était déjà remis à vider les placards, aussi mécaniquement que tout à l'heure, sans se préoccuper de moi. Nous continuons donc ainsi dans un silence qui me semble des plus pesant.
Une fois le tri fini, on peut passer aux choses sérieuses : tout est astiqué avec minutie ; les yeux de lynx d'Annie ne laissent rien passer. Je ne dis rien, je me contente de suivre les instructions, les sourcils froncés par la concentration. La poussière me colle à la peau et le soleil bas d'automne forme une tâche de plus en plus grande et orangée sur le parquet au fur et à mesure que le temps avance. Je termine d'aspirer le dernier mètre carré alors que sa lumière atteint désormais le bout du canapé. Je me laisse tomber sur le canapé, épuisée.
-Il est presque dix-neuf heures, Martin arrive dans une heure.
-Oh, le connaissant, il arrivera même en avance ! la coupé-je
-Dans ce cas, tu as le temps de te doucher et de terminer la pizza.
Je grogne un peu, pour la forme, mais ne mets pas trop de temps à me relever pour filer sous la douche. J'en avais bien besoin et je ressors quelques dizaines de minutes après, habillée d'un t-shirt simple et un jean taille haute, les cheveux encore humides. Je me maquillerai peut-être si j'ai le temps, mais avant, j'ai une pizza à finir.
Annie a sorti la pâte pendant mon absence et est déjà en train de la travailler. Elle me montre comment faire et je m'applique : je ne veux pas que ma pizza ne ressemble à rien. Ce serait la honte assurée devant Martin. J'ai bien envie de lui rabattre le caquet : qui a dit que je ne savais pas cuisiner ? Bon, c'est peut-être moi-même, j'avoue. Mais cela n'a pas d'importance, au moins, j'aurais quelque chose de potable et de mangeable à lui présenter. Je pose la dernière tranche de fromage sur la pâte et la sauce tomate.
-Ok, maintenant, tu peux enfourner pendant vingt à trente minutes. J'ai préchauffé le four à 210°.
Je pose la pizza délicatement sur la grille, la langue presque tirée par l'application que j'y mets. Ma foi, ce n'était pas si difficile. Il faut dire qu'Annie à rattraper plus d'une de mes boulettes, mais j'imagine qu'en pratiquant, je deviendrai plus assurée. Alors que je ferme la porte du four pour lancer la cuisson et que je me retourne, Annie a déjà son manteau sur le dos. J'écarquille les yeux :
-Tu t'en vas ?
-Je ne vais pas rester dans le salon à vous regarder manger en tête-à-tête, si ? Je ne serais pas très loin, tu as mon numéro au cas où, me fait-elle en m'indiquant un petit papier posé sur la table.
-Non, mais c'est pas...
Ma phrase reste en suspend, la porte s'est déjà refermée sur Annie. Je suis de nouveau seule dans mon appartement.
-...c'est pas un tête-à-tête, hein, je continue faiblement.
La sonnette retentit quelques minutes après seulement, alors que j'étais en train de fixer avec angoisse la pizza dans le four, trop anxieuse à l'idée de la faire cramer. Je jette un regard à l'heure indiquée sur le four. Dix-neuf heures quarante. Vingt minutes d'avance, il fallait s'en douter. Être autant en avance, c'est limite impoli. Bon, cela ne fait rien. C'est moi qui l'ai invité et je ne dois pas perdre de vue mon objectif : lui tirer les vers du nez.
Je me dirige donc prestement vers la porte d'entrée et tombe sur un Martin impeccablement peigné, en chemise, comme à son habitude. Il tient dans les mains une assiette sous papier aluminium.
-J'ai apporté le dessert, me fait-il en me tendant l'assiette alors que je lui tendais la joue. Bon. Je me redresse et m'empare maladroitement de l'assiette, m'effaçant pour laisser passer un Martin qui ne peut s'empêcher de scruter l'appartement, pour une fois immaculé.
_______________________NOTES______________________
Voilà, j'ai fini mon chapitre pile à temps (on est actuellement dimanche, il est 17h44 à l'heure où j'écris ces lignes. J'espère que la qualité ne sera pas en baisse mais si c'est le cas, ne vous gênez pas pour le dire en commentaire. ^^
Et si en revanche, le chapitre est super top, mettez une petite étoile. Personnellement, je piaffe déjà d'impatience d'écrire le chapitre suivant, un tête à tête Chloé/Martin, ça promet, vous trouvez pas ? :D
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