42) Le Sacrifice
Le ciel s'assombrissait au-dessus d'Ylisse. La magie s'élevait dans les airs, tout le monde sentait qu'un événement important était sur le point de se produire. Dans les prochains jours, tout allait basculer. Nul ne savait encore comment ni pourquoi, mais ils le ressentaient.
Edmund, qui avait véritablement gagné en confiance, était en train de se battre contre Emiliana. Entre deux attaques, il essayait de la convaincre de son raisonnement. Qu'importent les méthodes des adultes, ils avaient tous le même noble but. La jeune le trouvait toujours stupide et naïf, mais tout ce qu'elle espérait, c'était de ne pas subir les lourdes conséquences de ce sacrifice.
À peine venait-elle de mettre Edmund à terre qu'Emiliana s'arrêta net dans son combat. Abrahame se tenait derrière elle, grand, stoïque et surtout terrifiant pour la jeune fille.
– Par deux fois, tu as perdu un combat par ta seule maladresse, tu manques de coordination, assura mauvaisement le maître.
Rageusement, Emiliana passa derrière Abrahame et lui porta un coup au visage qu'il ne prit pas la peine d'esquiver.
– L'Autel de pierre, il permet de contrôler le passage entre le monde des vivants et celui des morts ? Pourquoi convoiter un tel pouvoir ?
– Tu n'as réussi qu'une attaque, je réponds donc oui à ta première question, répliqua Abrahame d'un ton très simple.
L'élève engagea un combat avec son maître qui, cette fois, fut plus sérieux. Elle mit quelques instants avant qu'un de ses coups n'atteigne le vif Abrahame dans le flanc.
– Je convoite nullement ce pouvoir, il ne me serait d'aucune utilité.
Emiliana haïssait cette capacité qu'avait son maître à répondre trop vaguement aux questions. Il fallait qu'elle choisisse ses mots avec plus de discernement. Après avoir bien observé comment son adversaire esquivait ses coups, la jeune fille se concentra et tira une balle légèrement sur la droite, pile là où il se téléporta, ce qui le toucha en pleine poitrine.
– Alors pourquoi chercher à le libérer ?
– Ce pouvoir doit être mis au service de la victoire du bien contre le mal, enfin, ce que vous considérerez comme tel dans l'avenir.
Voilà la réponse qu'Emiliana redoutait le plus, ce qui accentua sa rage. De son côté, Edmund était un peu plus rassuré. Finalement, avait-il des raisons de se méfier de ce plan ?
Après son escapade avec Lucina et Royé, Nalina développa de nouvelles pensées. Voulant se greffer au plan de sa nouvelle amie, elle tenta de convaincre Royé de l'y aider, mais celui-ci se montre froid.
– Il n'existe aucun monde dans lequel je serai capable de trahir Lucina, et tu ne devrai pas non plus, répondit-il sincèrement.
– Tu ne lui diras rien, en somme, tu la trahis déjà. Mais soit, je ne vais rien tenter de néfaste, je l'aime bien au fond, affirma la jeune fille.
Nalina quitta donc Royé avec un étrange petit sourire en coin. Par la suite, elle alla retrouver Séphyra.
– Je voulais savoir, tu penses toujours qu'on est des privilégiés et qu'on mérite d'être exceptionnel ?
– Tu veux rejoindre ma cause maintenant ? demanda Séphyra.
– Non, je ne suis pas légitime et j'en ai toujours rien à faire. Je veux juste savoir si un glorieux destin t'intéresserait.
Les deux filles se lancèrent un regard complice. Séphyra n'était pas certaine de savoir ce que Nalina avait en tête, mais son visage affichait une telle envie qu'il était difficile de lui résister.
– Je sais que je suis exceptionnelle depuis qu'Abrahame est venu me chercher pour m'inscrire à Ylisse. Mais je doute qu'il nous accorde notre destin simplement parce qu'on lui demande gentiment.
Nalina jeta un regard amusé et un petit sourire par-dessus son épaule, dans la direction d'Iñigo, ce qui scandalisa sa nouvelle complice.
– Je dois dire que je suis d'accord avec l'autre, répondit le Prince qui sirotait une coupe de jus. Néanmoins, c'est un plan qui se tente, après tout, ce serait dommage de passer à côté d'un tel événement.
C'est donc sous l'influence de Nalina que les trois étudiants, accompagnés de Davnick, se retrouvèrent face à Abrahame qui les détailla de ses yeux fermés.
– Tout ce que je peux vous révéler sur l'Autel de pierre, c'est qu'il s'agit du premier événement qui marquera le début de la guerre contre Grimar et le mal, assura posément le Directeur.
– Peut-on greffer cet événement à notre destin ? demanda fermement la petite Nalina.
– Participer aveuglément à un sacrifice dont vous ignorez tout par simple appétence pour votre destinée...
– C'est bien pour cela que vous nous avez choisi pour être la génération ultime d'Ylisse, répliqua Séphyra.
Bien que l'affaire soit un secret bien gardé, ses jeunes en ont eu vent. Cet événement prenait une tournure intéressante. Malicieusement, Abrahame consentit à inviter ces jeunes au sacrifice, sous certaines conditions bien évidemment. C'est ainsi qu'ils parvinrent à provoquer leur destin, ce qui ravit Iñigo plus que les autres.
Bien qu'il ait fini par deviner les véritables enjeux du sacrifice, Velcane demeurait soupçonneux. Il restait dans cette histoire des zones de flou, il n'avait pas renoncé à les éclairer en interrogeant Lucretzia. Celle-ci semblait être la plus apte à lui apporter d'honnêtes réponses.
– Vous avez été très gentille avec moi, vous m'avez recueilli et formé quand je n'avais plus personne, je sais que vous ne vouliez pas faire de mal, mais maintenant, j'ai besoin de connaître la vérité, supplia fermement le jeune garçon, adossé à la statue de la Divine.
– Jamais, vous n'auriez dû vous retrouver mêlé à cette affaire. Tout ce que je souhaitais, c'était qu'Abrahame soit évincer pour qu'il cesse de jouer avec votre confiance. Vous faire miroiter un destin, quelle idiotie, expliqua tristement la pauvre femme. Je regrette que cette affaire vous impacte autant, mais l'engrenage est lancé, je ne peux plus l'arrêter...
– Et pour Edmund ? Vous pensez sincèrement que c'est une sorte de clé ? Que son destin est de mourir comme ça ?
Lucretzia se releva, le visage voilé par des larmes brillantes. Quant à Velcane, il continuait de croiser les bras, défensivement, et de juger sévèrement cette femme impuissante, contrairement à Yrmooniane la Grande, qui les écoutait humblement.
– J'ai tout fait pour empêcher que cela n'arrive, contre votre sécurité, je l'admets. Doloresse peut soutenir autant qu'elle le désire qu'elle agit pour de bonnes raisons, le doute persiste. En outre, j'ai accepté qu'il fallait que ce sacrifice ait lieu, c'est ainsi, telle est la volonté du Temps.
Velcane laissa échapper un soupir méprisant avant de défaire sa position défensive. Son regard en dit long sur ce qu'il pensait réellement. Son attitude fermée tenta de couper court à la conversation.
– Comme toujours, je n'ai rien à voir dans cette histoire. Je commencerais presque à croire que j'ai réussi à échapper, à mon destin, acheva amèrement l'étudiant.
Sans rien dire, Lucretzia s'agenouilla à la hauteur du garçon et lui embrassa délicatement le front avant de le regarder droit dans les yeux.
– Ne doute jamais de toi, de tes capacités et encore moins de ton importance. Au même titre que tes camarades, ta place est ici et ce sacrifice te concerne, au moins autant qu'il ne concerne ta sœur.
Bien qu'il demeure très réservé, Velcane vit ses yeux s'illuminer une fraction de seconde. Sur ce, il quitta Lucretzia après avoir obtenu ce qu'il voulait. Après tout, Edmund avait peut-être raison, tous agissaient pour le même but, mais de façon très différente.
L'Autel de pierre se situait à l'ouest d'Yrisia, au pied du mont Drogme, au bord d'une impressionnante falaise. La table gravée d'anciennes runes yrmooniennes se dressait devant une gigantesque arche, au creux d'une sorte de canyon. Il y avait pas mal de coins en hauteurs pour observer discrètement le spectacle qui se jouait plus bas.
Face à l'autel, il y avait déjà un demi-millier de personnes. Toutes portaient la même tenue noire et mauve. Ils semblaient tous inertes, comme s'ils attendaient un signal pour bouger. En arrivant, cette foule ne dit rien qui vaille à Lucina. Quelques instants plus tard, sur une corniche plus basse, elle vit Abrahame arriver. Celui-ci était accompagné de Séphyra, Nalina, Iñigo, Davnick ainsi que Daræn et Robin.
– Royé et Auria ne sont pas là, au moins, ils ne nous ont pas trahis, eux, commenta Lucina.
– Je suis déçu de Séphyra, mais ça ne m'étonne pas d'elle, je n'aurai jamais dû lui parler, ajouta Velcane.
– Ce qui est fait est fait, c'est la faute d'Abrahame s'ils sont là. Je serais bien curieuse de savoir ce qu'il leur a dit pour les convaincre, ajouta mauvaisement Emiliana.
C'était une des nombreuses questions à laquelle Lucina devait répondre. Contrairement à son frère et sa camarade, elle ne savait rien du sacrifice. Obnubilée par ses propres soupçons, elle n'a pas su mener une enquête digne de ce nom et se retrouve dans une situation à laquelle elle ne comprend rien.
Subitement, une créature aussi effrayante qu'impressionnante s'envola depuis l'Autel. Sa bouche était pleine de très longues dents acérées, sa peau était grise et une paire d'ailes se trouvait dans son dos. L'étrange bête vint se poser sur un arbre en hauteur et commença à faiblement fredonner un air.
– Un vampire, de mieux en mieux, commenta à nouveau Lucina en sortant son journal d'Ylisse.
Les vers du suceur de sang devinrent de plus en plus forts, bien que les jeunes ne comprirent rien à ce qu'ils signifiaient. Son chant s'envola jusqu'à la foule qui commença à l'accompagner d'une même voix, formant rapidement un harmonieux chœur. Du rassemblement sortit Doloresse qui vint se placer à droite de l'Autel de pierre. Toujours accroché fièrement à sa canne, le dos aussi droit que cette dernière.
Des flammes jaillirent de derrière la table de pierre. Une ombre fine et élancée commença à se dessiner, celle-ci devint rapidement rouge, puis blanche avant de dévoiler le merveilleux visage de Dame Lucretzia. Cette dernière était triste, ses yeux n'inspiraient que le désespoir et la mélancolie. Entre ses mains, le couteau de Néphioxe. Comme les autres, elle se mit à chanter en chœur.
Rapidement, une deuxième ombre, plus petite et ronde, se dessina derrière le mur de flammes. Velcane et Emiliana se penchèrent pour mieux observer, tandis que Lucina se montra plus réservée. La silhouette prit petit à petit la forme d'un petit garçon qui avançait d'un pas assuré vers le feu avant de le traverser et de dévoiler le visage très serein d'Edmund.
En découvrant cette révélation, Lucina étouffa un cri de stupeur. Étant la seule à ne pas savoir qu'Edmund était la victime du sacrifice, elle fut la plus dévastée en l'apprenant.
– Bordel, mais on doit l'aider, il faut le sauver ! hurla la jeune fille, prête à se jeter dans le vide pour Edmund.
– Lucina ! retint Velcane en se saisissant de sa sœur. Tu veux te faire tuer par tous ces cons en bas ?
Lucina ne réalisait pas. Pour elle, c'était tout bonnement impossible qu'Edmund soit conscient, qu'il ait choisi de son plein gré d'être l'objet du sacrifice de l'Autel de pierre.
– C'est la vérité, lâcha Emiliana. On a eu beau lui dire que c'était une connerie, il a accepté de le faire, endoctriner par sa mère.
Les yeux de Lucina s'écarquillèrent telles de grosses soucoupes. Instinctivement, son Dji s'activa en elle et son visage s'enragea.
– Vous le saviez ? Vous le saviez et vous n'avez rien fait ! gueula la petite en se jetant sur ses camarades.
– Et tu voulais qu'on fasse quoi ? répondit Emiliana en lui collant son poing en pleine figure, la faisant tomber. Toute cette histoire nous dépasse de très loin. Edmund, Velcane et moi, on en est venu à même conclusion logique : ces trois cons-là, ils veulent la même chose, détruire l'Autel de pierre ; même s'ils ont chacun des envies différentes. Quant au pouvoir de l'autel, aucun ne semble le vouloir réellement, ça n'a jamais été le but de cet arc.
– Non ! Tu es comme eux en fait, ajouta Lucina d'un ton aliéné par le désespoir. Depuis le début, tu es dans leur camp, tu nous mens...
– Merde, Lucina ! Ouvre les yeux ! ordonna Velcane en se plaçant entre les filles, face à sa sœur. Si tu es encore dans le flou, c'est uniquement de ta faute, comme à chaque fois. Tu as cherché un mystère qui n'existait pas, alors que le véritable problème, c'était Edmund, depuis le début.
La jeune fille n'en revint pas. Son frère n'avait absolument pas changé en fait, toujours dans le reproche et le jugement de ses raisonnements. Comment, après tout ce qu'il avait découvert, pouvait-il dire qu'elle chassait un mythe ?
– Tu ne t'es jamais intéressé à Edmund, tout ce que tu cherchais, c'était à prouver qu'Ylisse était un piège... alors que c'est moi qui le pensais à la base.
Velcane et Emiliana se mirent à juger Lucina en silence. Cette dernière tomba dénue et se mit à pleurer.
Au réveil, Velcane tomba sur un Edmund totalement désemparé, abattu et mélancolique face à une fenêtre vide.
– Je sais ce que ça fait, de mentir à Lucina pour son bien, dit-il amicalement. Pour toi, ce doit être une torture, mais si tu penses que tu agis pour le bien, alors je te fais confiance. J'espère que tu ne te trompes pas.
Edmund écarquilla de grands yeux avant de se mettre à sangloter.
– Merci, je ne sais toujours pas si oui ou non, je vais découvrir qu'en fait ma mère est une agente du mal, mais je sens tout au fond de moi que je dois me sacrifier, ça va aider le monde.
Velcane vint s'asseoir près de son ami et lui tapota l'épaule. Les garçons regardèrent par la fenêtre avant de jeter un œil à la chambre de Lucina, où cette dernière dormait encore.
– Dis-toi que c'est de sa faute, si elle ne connaît pas la vérité. Au fond, c'est une chose qui lui fait peur. Courir après une fable est parfois plus simple que d'admettre s'être trompé et de découvrir un secret insupportable, expliqua tendrement Velcane.
– Les choses auraient été plus simples si je ne vous avais pas menti depuis tout ce temps...
– Je crois, que je commence à comprendre. Dans la vie, il y a des choses plus grandes que nous, c'est ça qu'on doit apprendre. Depuis petit, on sait qu'on est inscrits à Ylisse. Peut-être que ce sacrifice était aussi écrit d'avance et qu'il doit avoir lieu. Même si c'est dur de faire aveuglément confiance à la vie, c'est certainement mieux. Qui sait, notre destin nous sera sans doute révélé ce soir.
Edmund était rassuré d'entendre de telles paroles sortirent de la bouche de Velcane. Lui, qui vouait une certaine haine à l'autorité et à la sorcellerie, commençait à faire confiance aux autres et surtout au plan de Doloresse. Maintenant, il ne restait plus qu'à convaincre Lucina.
Le chant s'était élevé dans le ciel, celui-ci s'assombrit presque instantanément. De bruyants éclairs le déchirèrent, faisant sursauter Lucina. Une fine précipitation vint accompagner cet événement historique. C'était le moment, la cérémonie était sur le point de débuter. Les jeunes se levèrent pour regarder Lucretzia agir.
Edmund semblait si calme, si paisible, allongé sur sa table en pierre. Aucun sentiment dans son regard, ce qui surprit sa meilleure amie. La peur de le perdre lui noua l'estomac. Et si tout ceci était en réalité un gros piège, qu'elle avait raison depuis le début ? L'envie de sauter pour sauver son ami bouillonnait en elle, mais sa raison lui hurlait de ne rien tenter. Observer en silence, c'était sa consigne.
Subitement, un puissant éclair fendit dans le ciel gris et frappa l'arche derrière l'autel. Les jeunes eurent comme l'impression que c'était leur cerveau qui venait de recevoir un coup de marteau. La douleur fut si intense qu'ils perdirent tous connaissance. Seule Lucina parvint à résister, elle avait comme une sorte de voix dans sa tête qui lui ordonnait de tenir bon.
La jeune fille garda assez d'énergie pour constater que ses six autres camarades avaient également perdu connaissance, de même que Doloresse et Lucretzia. Abrahame se tenait au-dessus de cette dernière pour la maintenir éveillée.
Après quelques secondes d'intense douleur, Lucina ne pouvait plus tenir. Sa tête était si lourde qu'elle avait l'impression qu'elle était faite en béton armé. Elle dut déclencher son Dji, provoquant un fort saignement de nez, pour résister le temps que Lucretzia achève sa cérémonie. Abrahame finit par rejoindre la foule, encore debout.
Très lentement, la Pupille leva son arme par-dessus sa tête avant de la faire s'abattre dans le cœur d'Edmund. Un puissant flash de lumière expulsa Lucina en arrière, qui finit à son tour par perdre connaissance, ne voyant pas la fin du rite.
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