En descendant l'escalier en colimaçon, Edmund faillit manquer deux marches. L'intérieur du bâtiment était très mal éclairé et le garçon avait trois étages à traverser pour atteindre son appartement.

- C'est à cette heure-ci que tu rentres ! hurla le vieil Icharion en manquant de se décrocher la mâchoire. C'est encore cette insolente de Lucina ? Cette gamine est un nid à emmerdes. Elle passe son temps à défaire ce qu'on construit avec ta mère !

Ses hurlements ahuris attirèrent la ronde madame Gilbert dans le salon pour essayer de calmer la situation.

- Lucina est ma meilleure amie, la seule qui s'intéresse à moi... contrairement à... bafouilla timidement Edmund.

- Tu crois que j'aurais accepté de m'occuper d'un sale morveux, chieur et pleurnichard dans ton genre, si je ne m'intéressais pas à toi ? coupa Icharion de sa grosse voix terrifiante. Ta propre mère t'a abandonné, c'est MOI qui m'occupe de toi depuis ta naissance !

Edmund n'avait aucun droit de remettre en cause les sacrifices d'Icharion. Certes, il avait une dette envers la mère du petit. Mais il accepta quand même de quitter sa vie en Yrmoonia, de venir dans ce monde inconnu et merdique, tout ça pour s'occuper pendant douze ans d'un sale gamin chétif. Le visage de vieux avait viré rouge écrevisse, il informa le petit que rien ne l'obligeait à faire tout ça. D'un ton plus calme, il rappela que les choses n'ont été faciles pour personne.

Edmund fondit en larmes et s'excusa sincèrement en s'écroulant aux pieds de son grand-père. Ce dernier, pantois, se contenta d'une tape amicale sur la tête et d'un simple mot d'encouragement. Il congédia l'enfant das sa chambre pour la nuit.

- Tu es vraiment dur avec lui, lança tristement madame Gilbert.

- Si je savais m'y prendre autrement avec ce gosse, crois-moi, je serais le premier à le faire, rétorqua sèchement l'homme bourru.

Mme Gilbert tenta un vain rapprochement physique, qui fut immédiatement repoussé. Icharion se contenta d'une autre tape amicale sur son épaule.

Dans sa chambre, Edmund ressassa tout ce qui venait de se passer, en pleurant dans son lit. Il s'en voulut énormément de ne pas être suffisamment reconnaissant envers son grand-père. Icharion avait tout sacrifié pour lui, qui n'était qu'un gamin ingrat. Lucina avait des raisons d'être détestée. Elle ne venait jamais aux leçons d'escrime et désavouait l'autorité de son maître. Non, il n'avait pas le droit de penser du mal de sa meilleure amie. Elle avait des défauts, mais les adultes le lui rendaient au centuple.

Edmund était divisé. Lucina et Icharion étaient ce qu'il avait de plus cher au monde. Mais il savait très bien que le comportement rebelle de son amie, était incompatible avec la stricte éducation de sa famille. Choisir entre les deux était impossible. Cela lui était insupportable de penser du mal de Lucina, plus que de bafouer le respect qu'il devait à son grand-père de cœur.

C'est madame Gilbert qui vint délicatement réveiller le petit qui dormait à poings fermés. Elle l'informa que Lucina l'attendait sur le toit de l'immeuble.

- Elle ne dort jamais ? grommela le petit en se terrant profondément sous son drap.

Malgré sa flemme apparente, il se leva, enfila des vêtements bien trop grands pour lui et alla la rejoindre en haut pour prendre son petit-déjeuner entre amis.

Edmund n'avait qu'une idée en tête : lui parler du comportement de son grand-père à son égard. Mais Lucina avait des problèmes plus importants. Elle avait encore rêvé de sa louve blanche et hésitait à le suivre à Ylisse. Il dut se concentrer sur elle dans un premier temps.

Quand Lucina se mit à courir à travers la ville, il la suivit tant bien que mal. Tout comme Velcane, beaucoup de lieux aux alentours lui rappelaient ses aventures passées. Le petit timide réalisait qu'il n'avait quasiment aucun souvenir heureux sans Lucina. Il vint à se dire qu'elle avait de fortes de chances de se faire virer d'Ylisse. Si cela arrivait, il serait de nouveau seul. Un bien effroyable destin pour eux.

Edmund rejoignit la mer, l'un des endroits préférés de Lucina en ville. Il resta assis là, à observer l'horizon pendant des heures. Toutes ses pensées convergeaient vers une unique personne. Il vint à se dire qu'une personne normale trouverait étrange que sa vie ne tourne qu'autour de sa meilleure amie. Mais Lucina était la seule chose qui le rendait heureux en ce monde.

Le garçon vint à s'imaginer sa vie à Ylisse. Sa mère était la Sous-directrice de l'académie. Il savait pertinemment que cela allait desservir ses relations sociales une fois étudiant. Mais tant que ses deux meilleurs amis étaient là, tout irait bien pour lui.

Edmund tendit son bras face à lui et se concentra de tout son être. Ses pupilles s'illuminèrent et une petite poignée de sable se souleva pour rejoindre lentement sa main. La concentration d'Edmund était telle, que son visage donnait l'impression de se comprimer. Le sorcier tenta de solidifier le petit tas. Son corps se mit à trembler, son front à perler de sueur. Ses yeux s'assombrirent et une vague de magie bleu nuit s'échappa de lui en le faisant hurler de douleur.

Une quantité importante de sable et d'eau s'éleva d'un coup dans le ciel avant de retomber dans un important splash, dégageant une vague de boue en plein sur le visage du garçon. Edmund reprit difficilement son souffle en regardant tout autour de lui avec des yeux effrayés. La sorcellerie était proscrite en Yrmoonia et il comprenait bien pourquoi en voyant ce qu'il venait de détruire.

Tombé à la renverse, le garçonnet scrutait chaque parcelle de plage détruite. La mer s'était agitée à cause de lui et on avait l'impression qu'une grenade avait retourné le sable. Sa main droite tremblait fébrilement, ses yeux apeurés n'osaient ni la regarder, ni réaliser ce qu'il venait de faire. Son souffle court avait du mal à revenir à la normale. La sueur dégoulinait sur sa nuque et s'arrêtait au sable collé sur sa peau humidifiée par la mer. Edmund ferma les yeux et se mit à pleurer, comme pour ignorer ce chaos. S'il ne le voyait pas, ce n'était pas réel.

Après être retourné chez lui, Edmund apprit que Velcane devait les quitter le soir même et que c'était son rôle de prévenir Lucina. Il tenta de retrouver son ami en ne cessant de trouver Velcane bien lâche.

Heureusement, Edmund connaissait Lucina par cœur, aucune de ses cachettes n'avait de secret pour lui. Cette fois, c'était dans une cabane abandonnée, au sommet d'une colline boisée, qu'elle se trouvait. Velcane ignorait totalement l'existence de cet endroit.

Edmund averti donc son amie qu'il fallait qu'elle retrouve impérativement son frère et vite. Mais Lucina n'avait aucune envie de le voir. Il l'avait insulté une fois de trop.

- Lucina, il nous quitte ce soir, lâcha précipitamment le petit.

- Tant mieux pour lui, un mensonge de plus à son actif, déclara-t-elle après un sursaut de stupeur.

Edmund hésita à partager ses soupçons sur Velcane. Mais ce n'était pas le moment propice. Ils étaient chacun trop triste pour avoir cette discussion, il se contenta juste d'un câlin amical.

Lucina remarqua enfin la mélancolie dans laquelle se trouvait son ami de toujours. Avec autorité et conviction, elle le força à se confier à elle maintenant. La persuasion de son idole surpassa la gêne qu'Edmund ressentait à l'idée de parler de lui. Timidement, il raconta ce que pensait réellement Icharion de leur relation et partagea sa peur de finir tout seul à Ylisse.

Stupéfaite, Lucina eut un mouvement de recul. Elle s'excusa sincèrement d'avoir blessé la seule personne qui la comprenait et l'acceptait dans ce monde. Elle l'aimait sincèrement et, pour lui prouver, le prit dans ses bras avant de plonger ses yeux rouges dans son triste regard stellaire.

Lucina déclara qu'Edmund était son meilleur ami, la seule personne qu'elle n'allait ni abandonner, ni trahir, jamais. De toute façon, elle n'avait aucune échappatoire pour esquiver Ylisse. C'était la règle de l'orphelinat pour les initiés et elle ne tenait pas non plus à finir isolée de ses amis d'Arcadia.

En voyant la manière dont « la famille » d'Edmund le traitait, Lucina se dit qu'être orpheline était plutôt bénéfique pour elle. Avoir des parents comme ça n'était clairement pas une option dans son esprit. Elle avait déjà son frère, en dépit de son sale caractère, elle tenait à lui, et son meilleur ami pour la vie.

Edmund se retrouva tout émoustillé en entendant tant de jolies choses de la part de celle qu'il aimait depuis toujours. Cet élan de gentillesse le rendit euphorique. Les larmes laissèrent rapidement place aux rires et à l'amusement.

Anzo, la seule autre personne à connaître cet endroit, les rejoignit. Dans une ardeur nostalgique, il leur proposa une dernière aventure, pour se quitter sur une note positive. Edmund passa l'un des meilleurs moments de sa vie avec ses amis. Il n'espérait plus qu'une chose, que cette vie de bonheur se poursuive à l'académie Ylisse. Son seul but dans la vie était d'être heureux auprès de Lucina, sa meilleure amie.

Edmund :