31)Le mystérieux journal
Après vingt-quatre heures, Lucina n'avait toujours pas la moindre explication sur la surprenante attaque d'Edmund. Celui-ci préférait fuir le problème, ce n'était pas incohérent avec sa faible personnalité, mais cela restait étonnant malgré tout.
De toute façon, la jeune fille avait d'autres problèmes. Sa punition touchant presque à sa fin, il lui était désormais possible de dégager du temps pour étudier plus en profondeur le journal trouvé dans les bois. Ce mystérieux ouvrage ne lui était d'aucune utilité. Tout ce qu'il contenait était une liste exhaustive des centaines de créatures mortelles qui peuplaient Yrmoonia. Doloresse avait raison, sortir d'Ylisse était dangereux. Yrisia comptait pas moins d'une dizaine d'espèces de petits gobelins des forêts, tous plus sanguinaires les uns que les autres.
– Je ne vois pas en quoi ce journal serait dangereux, au contraire, maintenant, je sais tous les dangers à éviter dehors, affirma sereinement la jeune fille en feuilletant les pages.
– Peut-être, mais tu ne trouves pas étrange la manière dont il t'est apparu ? rétorqua fermement Royé.
Lucina ne répondit pas, elle était ailleurs. Machinalement, ses doigts tournaient les pages du journal sans qu'elle ne les lise. C'est une goutte de sang provenant de son nez qui la ramena à la réalité. Sa main s'était arrêtée sur la page des Scoldorbloods. C'étaient des Sorciers qui avaient passé un pacte avec la nature pour revêtir l'apparence d'un animal humanoïde. La Professeure Hopes avait effectué ce rituel pour avoir le corps d'un lapin géant.
Inquiet, Royé caressa délicatement le bras de son amie en la regardant avec de petits yeux compatissants. Son corps suppliait de parler, mais sa bouche ne produisit aucun son. D'un coup, Lucina s'excusa et se leva en refermant le journal. Elle semblait hébétée, mais réussie quand même à prendre la fuite sous le regard effaré du Prince.
Lucina avait besoin de s'isoler et c'est sur le toit du dortoir qu'elle le fit. L'horizon l'aidait beaucoup à réfléchir. Pourquoi est-ce que ce journal l'appelait ? Dès qu'elle le touchait, son esprit se transportait ailleurs et son nez saignait. Pourtant, son Dji n'était pas sollicité. De plus, tout ceci semblait important. Mais à part briller au cours de Hopes, ce carnet n'avait pas d'autre intérêt pour l'instant.
Lucina était en proie au doute, un sentiment qu'elle exécrait sincèrement. Tout ce flou était pesant, sans parler des mensonges et des non-dits. Ce n'était en soit pas si compliqué de parler. Mais à qui ? C'est ainsi qu'elle réalisa qu'elle était bien seule. Edmund lui faisait la gueule, Velcane ne comprendrait pas et Lucretzia était une adulte aux intentions douteuses.
Tout le monde paraissait avoir trouvé ses marques à l'académie, sauf elle. Une nouvelle réflexion lui traversa l'esprit. Et si Edmund ressentait la même chose ? C'est là que Lucina s'en voulut de ne pas avoir senti plus tôt le mal-être de son ami. N'était-il pas trop tard pour réparer son erreur ? Il ne voulait plus d'aide, mais cela ne devait pas la dissuader d'essayer encore.
Tout était si compliqué, comprendre son Dji et le faire évoluer, maintenir ses amitiés et en forger de nouvelles. Royé était là pour la soutenir, mais la comprenait-elle vraiment ? Il donnait l'impression de voir tout le monde comme de fragiles oisillons à protéger, surtout elle. Cela avait un côté attachant, mais c'était très pesant à la longue.
– Non, il n'est pas trop tard, je peux encore faire les choses bien, assura sérieusement Lucina en se relevant.
L'univers semblait l'avoir entendu, un brin de vent se leva pour fièrement faire flotter sa belle chevelure et sa ceinture de tissu. Elle avait la clé pour aider Edmund et comptait la lui donner, même si ce serait de force.
De son côté, Velcane s'amusait à apprendre la langue des signes avec Auria. Ce qui ne se passait pas dans le plus grand des sérieux, pour une fois.
– Tu veux vraiment l'apprendre ? C'est une galère, ton truc, dit-il en ricanant face à sa maladresse.
– J'essaye sincèrement de parler, mais je n'y arrive pas, répondit tristement Auria. Depuis que je me suis enfermé dans le mutisme, je n'arrive plus à communiquer normalement.
Compatissant, Velcane lui prit la main et lui fit un sourire attendrissant. Qu'elle parle ou non, cela ne l'empêcherait pas d'être son ami et de la soutenir dans ses épreuves. En parlant de ça, le visage de la Princesse se déconfit en instant.
– Ça ne me regarde pas, je sais, mais tu dois parler à Edmund. C'est ton ami et il souffre beaucoup.
– Je sais, soupira franchement le jeune garçon. Mais je n'ai rien à lui dire, je ne comprends pas son problème et c'est Lucina qu'il admire.
– Moi, je dis, une bonne droite dans la bouche, ça devrait lui remettre les idées en place, assura Oiseau en se posant sur Velcane.
Le visage d'Auria passa de dépit à brillant en une demi-seconde. Une idée géniale venait de lui traverser l'esprit : combattre Edmund.
– T'es dingue ? C'est illégal, et je vais le massacrer, rétorqua Velcane, totalement choqué.
– Je sais que tu n'as pas de Dji, mais si tu le pousses au maximum, je suis sûre que ça va l'aider.
Il fallait être honnête avec Auria. Sans être un bon à rien, Edmund n'était sans doute pas fait pour le combat. Depuis tout petit, son grand-père l'a formé, tout comme ses amis. Mais il n'est jamais parvenu à vaincre ses peurs ni à progresser.
– Sauf que je n'étais pas là pour l'aider. Tu ne veux pas que je rentre dans ta tête, mais je pense qu'Edmund ne sera pas contre.
Velcane vint alors à s'interroger sur l'altruisme d'Auria. Pourquoi était-elle si gentille avec un garçon qu'elle ne connaissait pas ? La réponse était simple, Velcane était son ami et aider Edmund revenait à l'appuyer lui. La Princesse n'a jamais eu de cours pour apprendre à aborder les enfants de son âge. Avant Ylisse, elle n'avait que ses frères et sœurs pour compagnie. Faire des choses gentilles pour les autres, c'était son seul moyen d'être apprécié et de devenir leur ami.
Pour se changer les idées, Lucina se rendit aux écuries dans l'espoir de trouver du réconfort auprès de Twilight. À peine sa tête toucha celle de sa douce monture, qu'un important fracas se fit entendre. Billius, le Professeur de vol, avait trébuché et dégringolé quelques marches, ce qui avait attiré les foudres d'Aldo.
– Vous n'êtes sincèrement qu'un incapable ! gronda le concierge.
– Mais un incapable efficace, répliqua Billius en se relevant d'un bond qui fit danser son ventre.
L'homme tituba vers l'un des griffons qui arborait une merveilleuse robe azure. Billius lui donna l'étrange mixture qu'il avait dans la main. Tout ce qu'il récolta comme gratitude fut de se faire vomir dessus par la créature, ce qui ne sembla pas le déranger plus que ça.
– Ce truc a vraiment un goût affreux, se plaignit le Griffon.
– Vous devriez peut-être améliorer le goût de votre mixture, murmura Lucina d'un ton second.
Elle paraissait sur le point de perdre connaissance, son nez s'était de nouveau mis à saigner. Mais elle allait assez bien pour attraper Twilight par sa bride et la sortir avec l'aide de son ami Aldo. De son côté, Billius goûta à sa bouillie et conclut effectivement qu'elle n'était pas bonne.
– Sur le papier, l'idée de Billius est bonne, il n'a fait que mixer toutes les sources de nutriments des Griffons. Mais je doute qu'il invente la nourriture miracle, expliqua froidement Aldo.
– Qui sait, il n'y a que ceux qui ne font rien qui n'échoue jamais. J'ai appris ça en cassant un vase, en faisant le ménage, répondit Lucina avec la même voix faible.
Comme tout le monde, Aldo s'inquiéta de l'état de l'enfant, ce qui l'énerva instantanément. Elle-même ne savait pas ce qu'elle avait et savoir qu'elle attirait la pitié des autres, ça ne l'aidait en rien. D'un mouvement ferme, elle grimpa sur sa monture et décolla sans réellement s'attarder sur les mesures de sécurité.
Lucina voulait juste voler, se sentir libre et oublier ses problèmes du quotidien. Twilight le comprit bien, c'est pour cela qu'elle n'interrogea pas sa cavalière sur son état psychologique. Du moins, pas directement.
La griffonne expliqua alors tout le paradoxe de son espèce. Pour les humains classiques, les griffons n'étaient que des animaux, animés par leurs instincts et rien d'autre. Mais dans le fond, ils étaient plus profonds que ça. C'était assez compliqué de se le représenter, mais il existait deux parties chez la faune.
L'une était effectivement guidée par l'instinct de survie et était totalement animale. En parallèle, la deuxième se révélait beaucoup plus proche des humains. Sans être des créatures conscientes d'elles-mêmes et capable de remettre leur personnalité en question, les animaux avaient énormément de codes sociaux, mais ça, Lucina le savait déjà, puisqu'elle avait lu le journal d'Ylisse.
– Je rêve où tu viens de mentionner le journal d'Ylisse ? Pourquoi ? demanda subitement la jeune fille en stoppant net son vol.
– C'est toi qui m'en parles depuis un mois, il t'a permis de mieux comprendre les créatures fantastiques de ce monde. Grâce à lui, on s'est rapproché toi et moi, expliqua la griffonne.
– Bien sûr, désolée, il me perturbe, c'est tout.
– Si tu as besoin de parler, tu devrais aller voir Dame Lucretzia, c'est son rôle. Si jamais elle ne peut pas t'aider, je suis sûre que Vilda saura te guider, conseilla Twilight avec bienveillance.
Lucina n'y avait effectivement pas pensé. Sa confiance en la Pupille était assez fluctuante, mais s'il y avait bien quelqu'un qui pouvait lui révéler ses secrets, c'était bien son animal de compagnie. Elle s'empressa donc de redéposer Twilight dans son box et de se rendre au manoir. Jusque-là, l'idée de parler avec Lucretzia lui trottait sérieusement dans la tête, mais c'était une femme étrange, comme Abrahame, elle nourrissait ses propres objectifs. Son altruisme envers les élèves sonnait faux aux yeux de la jeune Maïtraçe. Enfin, ce n'était pas comme si elle y connaissait réellement quelque chose.
Lucina se rendit donc dans le bureau de la Pupille. Après avoir frappé à trois reprises, elle conclut que cette dernière n'était pas là. La porte était restée ouverte, une belle occasion de fouiner un peu. Étrangement, la petite hésita, elle, qui aurait tout de suite saisi cette chance par le passé, se voyait indécise. Sortir en douce lui avait déjà attiré pas mal d'ennuis. La Lucina indiscrète qui cherchait des mystères n'existait plus vraiment aujourd'hui.
Malgré tout, chasser le naturel le faisait revenir au galop. Après quelques secondes, la curieuse poussa la porte, ne serait-ce que pour parler avec Vilda. Heureusement, la petite bête se reposait paisiblement au-dessus de l'armoire. Avant de la réveiller, Lucina en profita pour admirer un peu la déco. Malgré sa grande classe, Lucretzia était une femme très désordonnée. Son bureau était parsemé de documents hétéroclites qui tombaient même au sol.
Sans trop déplacer quoi que ce soit, la petite fouineuse jeta un œil aux travaux de la Pupille. Comme elle l'avait dit, le Dji était son principal objet d'étude. Mais un étrange carnet ouvert attira son attention. L'écriture et les dessins présents dedans ne lui étaient pas étrangers. En se penchant dessus, la jeune fille n'en crut pas ses yeux. C'était l'écriture d'Ylisse, celle-là même qui était présente dans son propre journal.
En le soulevant pour regarder la couverture, Lucina tomba de haut, c'était exactement la même que celle de son journal. Il y en avait effectivement plusieurs. Les pages qu'étudiait Lucretzia parlaient de l'Autel de pierre, un mystérieux site du Vieux-Culte qui permettait, moyennant le sacrifice d'une vie humaine, de libérer un immense pouvoir. Lucina ne comprenait rien à tout ça, mais son cerveau lui hurla de retenir cette information. Le choc fut si violent, qu'elle tomba à la renverse et se mit de nouveau à saigner du nez.
Alertée par le vacarme, Vilda se jeta sur cette intruse qui avait osé pénétrer dans son territoire. Elle se posa sur sa victime en lui faisant un joli sourire carnassier.
– Je suis désolée... Je voulais juste parler de mon Dji avec Lucretzia, s'excusa précipitamment l'intruse.
– Mais tu as découvert autre chose, glapit la petite créature.
Lucina interrogea donc Vilda sur l'Autel de pierre. Nonchalamment, la petite griffonne lui expliqua le plan de sa maîtresse. Lucretzia comptait s'en servir pour renverser l'autorité d'Abrahame sur Ylisse. Cette histoire fit déglutir d'horreur la jeune fille qui n'aurait jamais pu prendre cette douce femme pour une méchante.
– Tu sais Lucina, de mon expérience, gentil et méchant sont justes des mots. Du moins, c'est que dit Lucretzia. Elle veut vous aider avec vos pouvoirs, comme elle l'a fait avec Edmund.
Le visage de Lucina s'horrifia de nouveau. Que cherchait réellement Lucretzia ? Qu'avait-elle fait à Edmund ? Était-ce elle la responsable de son étrange comportement ? Trop de questions fusèrent dans son esprit. Tout ceci était trop insoutenable pour elle. Son cerveau ne put tenir, sur le point d'exploser, Lucina prit la fuite pour essayer de se libérer de cette trop forte pression mentale.
Que devait-elle faire maintenant ? Confronter Lucretzia ? Où retourner auprès d'Edmund pour espérer sauver son amitié ? Il lui fallait plus de preuves pour percer à jour les véritables enjeux de ce mystère. La Pupille possédait un deuxième journal d'Ylisse. Ce n'était donc pas un hasard si un deuxième était apparu à Lucina. En aidant son ami, elle allait sans doute en apprendre plus sur les intentions néfastes de Dame Lucretzia. L'Autel de pierre, voilà une chose que la jeune fille n'était pas près d'oublier.
À peine Lucina était-elle revenue dans les dortoirs que Velcane l'agrippa par le bras pour la tirer vers lui.
– Je n'ai rien fait, pour une fois, lança-t-elle pour prendre les devants d'éventuels reproches.
– J'en doute, mais c'est pas le sujet. J'ai eu une idée pour qu'on aide Edmund à se sentir mieux, rétorqua fièrement le frère.
– C'est génial, mais depuis quand tu veux aider notre ami ?
Velcane fit semblant de ne pas être vexé et amena sa sœur à Auria. Puisque cela venait d'elle, il était naturel qu'elle joue son rôle. Lucina fut tout ouïe, mais le regretta vite en entendant l'idée stupide de Velcane. Elle s'attendait à tout sauf à un plan foireux de la sorte.
– Il n'y a que deux scénarios dans ton idée. Soit, tu massacres Edmund, soit sa peur prend le dessus et il nous extermine, expliqua sérieusement Lucina.
C'est alors qu'Auria prit une grande inspiration et se mit à lui transmettre ses pensées. D'après ce qu'elle avait entendu, le Dji d'Edmund était certes impressionnant, mais pas aussi dangereux qu'ils ne le pensaient. Quand bien même, elle serait là pour assurer la sécurité, de même que Lucina, même si le Dji de cette dernière était tout aussi défectueux.
Les trois camarades tournèrent leurs regards vers Edmund et Emiliana qui venaient d'entrer dans la pièce. Sans attendre, ils se jetèrent sur eux, même si les deux amis n'avaient visiblement aucune envie de leur parler.
– Je sais qu'on a été des amis horribles, surtout moi, mais on t'aime et j'ai de quoi t'aider avec ton Dji, expliqua subitement Lucina.
Après une très longue et silencieuse hésitation, Edmund autorisa ses amis à lui exposer leur plan.
– Emiliana, tu confirmes que le Dji d'Edmund ne blesse pas autant qu'on le croit, interrogea Velcane.
– Pour m'être pris plusieurs de ses attaques, oui. Après, je doute que vos frêles corps y résistent, mais pourquoi cette question ?
– Parce qu'on va se battre, affirma péremptoirement le garçon.
Emiliana pouffa sincèrement de rire avant de réaliser que les trois zigotos étaient très sérieux. Choqué, Edmund fit danser son index entre lui et Velcane pour confirmer que son ami parlait bien d'un duel entre eux deux.
– Rassure-toi, Auria et moi, on va assurer la sécurité. Et avec mes conseils, tu devrais t'en sortir, consola gentiment Lucina.
– Je n'ai pas de pouvoirs, je te rappelle. En plus, j'accepte que tu me blesses avec les tiens, enfin, dans la mesure du raisonnable. Si ça peut nous permettre de redevenir amis, acheva Velcane avec assurance
Les yeux de Lucina se mirent à briller d'admiration. Cela faisait des années qu'elle attendait un pas de son frère vers son ami. De nouveau, Edmund se mit à trembler et à pleurnicher avant de se jeter dans les bras de Lucina. Voulant faire de même avec son ami, son élan se coupa en réalisant que leur relation n'était pas ainsi faite. Cela n'empêcha pas Velcane d'amicalement passer son bras atour du coup du jeune timide pour le réconforter.
Lucina devait être celle qui appréhendait le plus le combat à venir. Velcane et Edmund étaient les personnes qu'elle connaissait le mieux. Il lui était difficile de savoir si son frère allait tenir ses engagements et si son ami aurait le courage de se donner à fond. Leurs deux caractères étaient très opposés, peut-être trop. L'issue de cet affrontement ne pouvait être qu'une dispute. Enfin, probablement Lucina se trompait-elle et que ce duel allait marquer le renouveau de leur trio.
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