22) Les déboires de Lucretzia
Juste après qu'Abrahame est reçu Lucina et Velcane dans son bureau, il eut la visite de sa merveilleuse Pupille. La tendre femme lui jeta un regard agacé, mais son sourire trahit les intentions de son cœur.
Sans rien dire, le Directeur s'approcha de cette dame pour lui caresser les mains et rapprocher son corps du sien pour l'embrasser délicatement. Quelque peu mal à l'aise, Lucretzia décala ce vieux fourbe d'elle et recula d'un pas en posa une main sur son ventre et l'autre sur ses lèvres encore humides.
– Nous ne devons plus, vous n'êtes pas une bonne personne, je le sais, confia-t-elle d'un ton confus. Vous manipulez tout le monde à votre guise et vous me brisez un peu plus chaque jour. Sans parler de cette académie, qui croule sous votre règne maladroit...
– Allons, mon enfant, pas d'animosité ente nous. Vous et moi savons que tout ce que je fais, c'est pour le bien commun, cet avenir radieux que nous convoitons tous, expliqua tendrement Abrahame.
Lucretzia était perdue, perturbée par les belles paroles de cet homme si manipulateur. Elle se tenait la tête de désespoir et ne savait pas quoi lui répondre. Il l'avait privé de son véritable potentiel pendant si longtemps. Mais son interlocuteur reprit :
– Ce monde évolue, nous grandissons un peu plus chaque jour. Vous n'étiez dès lors pas prête à connaître les véritables secrets de la Sorcellerie. Mais, aujourd'hui, votre cœur brûle d'un ardent désire de me supplanter, peut-être êtes-vous enfin en état de prendre ma suite.
– Abrahame, que voulez-vous dire ?
– Isangarde, ma belle ! Ce projet fou que nous convoitions il y a des années. Aujourd'hui, votre carrure vous permet d'en prendre la tête. Trouvez un lieu, des sujets et menez à bien vos recherches avec mon soutien, rétorqua l'homme d'un ton émerveillé.
La tête de Lucretzia se divisa entre l'admiration et le désespoir. Cet homme, lui disait-il la vérité ? Était-il en train de réaliser son rêve ou de la manipuler une nouvelle fois ? Bien que le vieux visage d'Abrahame demeurait fermé, Lucretzia le regarda avec tant d'admiration et d'envie qu'elle finit par succomber aux appels de son cœur indécis en l'embrassant de nouveau.
Devant le bureau d'Abrahame, Lucretzia retrouva le Professeur Harlace qu'elle jugea d'un regard dur.
– Je pourrai croire que vous cherchez à me nuire, avec votre fausse attitude simple, lança-t-elle fermement.
– Madame, mon but n'a toujours été que de vous aider, c'est pour cela que je vous conseille de mettre un terme à cette toxique relation, répliqua l'homme d'une simple bienveillance.
Lucretzia trouvait son collègue extraordinaire. Alors que le Professeur Walt, le prédécesseur d'Harlace, le recommandait, celui-ci se présenta à elle comme un véritable ange gardien. Or, cela était d'autant plus suspect que la dame avait pas mal d'ennemie et une bonne situation. Mais Harlace ne démentit pas, son but était simplement de satisfaire Lucretzia pour le bien de leur avenir.
Les deux amis se connaissaient depuis peu, il était encore tendu d'établir une confiance aveugle entre eux. Mais Harlace avait à cœur de le faire et de prouver à la Pupille qu'il était l'homme idéal à ses côtés. Pour ce faire, il embraya sur le manque de liberté qu'il présentait dans ses cours. Même si ceux-ci n'avaient pas encore commencé, le Professeur comprit bien le lourd discours d'Abrahame. Ses illusions et son ouverture d'esprit ne seraient pas longtemps tolérées à Ylisse.
Les plaintes de son ami confortèrent Lucretzia dans l'idée qu'il fallait changer le régime Ylisse. Sauf qu'Abrahame lui avait proposé Isangarde. Était-ce un plan pour la former ou l'éloigner d'Ylisse.
– Se pose la question suivante : quel intérêt possède Abrahame en gardant Ylisse sous sa coupe ? demanda Harlace.
– Le pouvoir et le prestige. En tant que Directeur, il est proche de la Régence et de la Sorcellerie. Il peut mener les recherches qu'il veut, protéger par l'Asile scolastique, c'est un point non-négligeable quand on est le plus grand Sorcier de son époque.
Après avoir appris que Lucina avait été blessée en cours de magie, Lucretzia entra dans une rage folle et ne répondit plus de rien. La Pupille se précipita dans la salle d'Ellius pour lui balancer ses quatre vérités en face.
- Chaque année ! Il faut que chaque année des étudiants finissent à l'infirmerie parce que tes cours n'ont aucune sécurité. Sans parler de Gwanmyre, qui se sert des plus grands pour massacrer les nouveaux. Tu as peut-être formé les Iotas, mais ici, ce sont des enfants Ellius !
Le vieillard lança un regard si terrible à Lucretzia, que son aura malveillante la cloua sur place.
– Abrahame se satisfait de mes méthodes ! Je ne fais que forger le caractère de ses jeunes, et regarde le résultat, personne ne s'en plaint. Regrettes-tu d'avoir craché tes tripes dans ma classe il y a vingt ans ? Le silence de la Pupille en dit long sur sa réponse. Mon enseignement est sûrement dur, mais il apprend à ces futurs guerriers que le monde ne leur fera pas de cadeaux, expliqua fermement le Sorcier.
– Avec son erreur, Lucina comprendra qu'un bouclier est d'autant plus efficace que lorsqu'il fonctionne, ajouta cruellement Gwanmyre.
– Vous n'êtes que des êtres sans cœur. Dix ans que j'essaie de vous convaincre de vos erreurs et vous n'écoutez rien...
Lucretzia quitta précipitamment le gymnase pour se rendre dans le bureau du Directeur dans lequel elle entra en trombe sans s'annoncer.
– Comment peux-tu encore tolérer cela ? hurla Lucretzia sur un Abrahame impassible.
– Cela te posait moins de problèmes lorsque c'étaient des élèves insignifiants qui étaient dans le même état que Lucina.
Lucretzia reprit son calme en quelques secondes, médusée par la réponse d'Abrahame. Ce dernier se leva et s'approcha d'elle pour de nouveau lui prendre les mains et l'amener sur le canapé.
– Mon enfant, personne ici n'a perdu de membre, un œil ou la vie. Ylisse ne cache pas son élitisme. Si cet enseignement ne convient pas, la porte leur est grande ouverte, répondit-il d'un ton rassurant. Lucina n'a eu qu'une entaille au bras, qu'elle a préféré garder. Si le sort d'Iñigo avait été plus dangereux, Ellius aurait recadré le Prince et protégé son élève, comme il le fit avec toi.
Lucretzia eut un flash du Sorcier se mettant en travers de la route d'un sort inesquivable pour lui sauver la vie. L'élève qui l'avait lancé devait s'en souvenir encore tellement le retour de bâton du Professeur fut terrible. Abrahame sourit à sa Pupille et lui conseilla de faire ce pourquoi elle était douée, son travail. C'est ainsi qu'elle allait améliorer les choses à l'académie, pas en se plaignant comme une enfant.
Assisse à son bureau, Vilda sur les genoux, Lucretzia contemplait son sceptre magique posé non loin d'elle. Son regard était vide et son esprit tellement ailleurs, qu'elle n'entendit pas la terrible Doloresse rentrer dans la pièce.
– J'ai ouï dire que la petite parvenue s'était troué un cœur et de l'empathie, cracha l'effroyable Sous-directrice. Dix ans sans se soucier du sort des élèves d'Ylisse et l'année où Lucina y étudie, cela change...
– Ne me fais pas croire que le sort d'Edmund te laisse de marbre, rétorqua sèchement la Pupille avec un regard noir.
– Ma tendre Lucretzia, sache que je serai prête à sacrifier mon fils unique si cela servait mes intérêts, répondit-elle très sincèrement.
Le sang de la pauvre femme ne fit qu'un tour. Comment une mère pouvait-elle tenir ce type de discours ? C'est en se tenant le ventre qu'elle quitta son bureau. Dans la classe d'Harlace, Lucretzia y retrouva ce dernier, ainsi que Hopes, qui tenait son espèce de chat bleuté dans les bras.
– Tu sais, je crois que j'ai trouvé le parfait équilibre entre folie personnelle et enseignement strict, assura la lapine.
– Je te félicite, de mon côté, mes illusions plaisent, mais je crains qu'elles ne dérangent Abrahame, répliqua l'homme.
– Si seulement je pouvais faire changer les choses ici, se plaignit Lucretzia en se joignant à eux. Rendre l'enseignement plus moderne et moins dangereux. Enfin, quand on voit qui dirige cet endroit...
La Pupille s'effondra sur une chaise et reçut une tendre accolade de sa collègue. Harlace lui fit un petit sourire avant de voir son pâle visage s'illuminer d'une idée brillante.
– Il y a peut-être un moyen pour écarter Abrahame d'Ylisse. Ce sera un long plan, dangereux et complexe, mais il peut fonctionner.
Hopes fit mine de rien avoir entendu tandis que Lucretzia s'intéressa de plus près aux dires de son ami.
Comme le lui avait conseillé Abrahame, Lucretzia reçut les premiers cycles dans son bureau pour savoir comment ils avaient vécu leur première semaine de cours à Ylisse. Elle invita d'abord Emiliana, à peine sortie du coma provoqué par Telrion.
– Combien de fois dois-je vous dire que vous n'êtes pas ma mère et que je n'ai rien à vous dire, cracha la petite en se murant dans un silence contrarié.
– Emiliana, tu es celle que je connais le mieux et qui a le plus besoin de mon aide ici. Ce que tu as vécu avec Telrion tout à l'heure, c'est inacceptable, expliqua tendrement la femme.
- Sans doute, j'aime lui faire croire qu'il a une chance de me vaincre. Comme ça, le jour où je le tuerai, ce sera une surprise, ajouta la petite d'un ton des plus inquiétants.
Emiliana ne pouvait pas parler ainsi en présence d'une adulte, même si cela lui faisait une belle jambe. Pour faire renvoyer Telrion, elle devait porter plainte contre lui et témoigner dans un procès. Sans, l'Ambassadeur était libre d'imposer sa loi à Ylisse.
Lucretzia lui montra alors une splendide rapière à la lame mauve et à la garde d'argent en forme d'ange. Cette arme revenait de droit à Emiliana, elle symbolisait beaucoup de choses que la petite semblait ignorer. Après avoir toisé l'épée, Emiliana se leva froidement et quitta le bureau en claquant la porte.
Lucretzia décida ensuite de faire venir Lucina dans son bureau. Peut-être qu'elle, elle allait se montrer plus coopérative que sa camarade.
– Si je suis ici pour vous entendre préparer votre révolution, ça ne sert à rien, je m'en fiche toujours, lança directement la petite.
Sauf que Lucretzia voulait simplement savoir comme Lucina se sentait à Ylisse. Si elle avait déjà le sentiment de progresser et si ses cours lui plaisaient. Ayant parlé à Velcane et ayant connaissance de sa soif de combat, il était naturel qu'elle s'inquiète.
– Vous savez, j'ai l'impression que tout le monde ici veut combattre et devenir plus fort. Je ne suis pas une exception. Je me demande donc pourquoi tout le monde pense que je suis exceptionnelle.
– Parce que tu l'es, ma princesse, répliqua sincèrement Lucretzia avec un tendre sourire attristé.
Lucretzia et Harlace n'eurent pas besoin de réclamer en entretient à Abrahame, c'est le Maître en personne qui les invita de même que tous leurs autres collègues. Du moins, ceux ayant déjà fait cours aux premiers cycles.
Comme vous le savez tous, nous vivons des temps troublés. Dehors, Grimar gagne du terrain chaque jour et le destin du monde repose sur la nouvelle génération que nous formons ici. Bien que faibles, chacun a déjà démontré des capacités magiques et combatives indéniables, expliqua Abrahame à l'assemblée de Professeurs face à lui. Leur formation doit s'accélérer. C'est pour cela que dès le seize, nous les préparerons à un entraînement commun qui aura lieu le vingt.
Ellius, Gwanmyre et Vivianelle se jetèrent un regard interloqué. Pour une fois que les trois collègues étaient d'accord sur un point : les étudiants n'étaient pas prêts. Séphyra avait peut-être raison, il y avait beaucoup d'inégalités au sein de la classe.
– Ce n'est nullement un problème, intervint fermement Doloresse. Les plus faibles auront la volonté de se dépasser et de progresser. Où seront simplement écrasés à peine le combat commencé.
Après de longs débats, Abrahame trancha, il n'allait point renoncer à son idée. Un grand entraînement commun serait organisé le vingt Deuzio, qu'importe ce que les Professeurs avaient à redire là-dessus.
Une fois seuls avec le Directeur, Harlace et Lucretzia allèrent le voir pour lui parler d'affaires privés.
– Maïtraçe, sachez que j'ai remis mon rôle au sein d'Ylisse en question, commença Harlace avec assurance. Nous luttons tous pour un avenir meilleur et j'ai cherché un moyen de mettre mes compétences à votre service. J'ai donc épluché les sites du Vieux-culte et en ais trouvé un qui pourrait nous être utile dans la guerre.
Les yeux d'Abrahame demeuraient fermés, mais son visage devint celui d'un enfant émerveillé par une excellente nouvelle. Il invita Harlace à poursuivre sa soporifique explication.
– Les Disciples de Grimar ont eut vent d'une prophétie annonçant le retour de leur chef légitime par le biais de l'Autel de pierre. Si nous les devancions, nous pourrions...
– Êtes-vous certains de pouvoir localiser l'Autel de pierre, organiser un sacrifice et nous permettre de nous en servir à notre avantage ? demanda soudainement le Directeur.
– N'avez-vous jamais essayé vous-même ?
– Naturellement, j'ai même concrétisé la cérémonie, mais cela reste complexe. Néanmoins, vous venez de trouver de quoi gagner ma confiance, je vous laisse vous charger de ce plan avec Lucretzia.
La Pupille et le Professeur se jetèrent un immense regard enjoué. Leur plan se déroulait à la perfection. Ne restait plus qu'à organiser cette étrange cérémonie. Lucretzia ne s'en rendit pas compte, mais sa conversation ne resta pas privée longtemps. En effet, Doloresse l'avait entendu « par inadvertance ».
Le Professeur Harlace Angelus :
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