2) L'Orpheline d'Arcadia
Arcadia avait connu une évolution difficile au cours du vingtième siècle. Son entrée dans les années deux-mille fut quelque peu compliquée. La ville était mal famée, en ruine et n'était un havre de paix pour personne. Certainement pas pour les dizaines d'orphelins de guerre qui affluait de temps à autre cette année.
L'un des portails du centre de téléportation s'activa. Une étrange silhouette drapée en sortit. Dans ses bras, une épaisse couverture qui couvrait un colis encombrant. C'était une nuit sans lune et la ville manquait d'éclairage, le moment idéal pour commettre un méfait. Ce qui ressemblait à une créature canine qui brillait dans le noir, se dirigea vers la rue Darzio et emprunta l'avenue d'Yrisia.
L'être encapuchonnée croisa la route d'une très vieille Indienne. Par inadvertance, l'ancienne jeta à coup d'œil à l'immense drap duquel dépassait une petite tête coiffée d'une fine chevelure empourprée. Sans subir le moindre choque, la frêle dame tomba au sol et se mit à convulser. Un spectacle pas suffisant, pour que la créature s'arrête pour l'aider. Elle continua son chemin jusqu'à une grille usée. Les lettres dorées au-dessus indiquaient « orphelinat des lyses ».
Sur le pas de la porte, deux hommes partageaient une cigarette. En voyant cette étrange forme tombée d'épuisement, ils se précipitèrent pour la délester de son enfant.
- Prenez soin d'elle, confia la bête d'une douce voix mélancolique.
Après cinq minutes à rester à genoux sous les lettres d'or, la créature quitta les lieux en disparaissant dans la nuit. Les deux hommes montèrent coucher la fillette dans une chambre miteuse. Elle n'eut droit qu'à un lit branlant, des cartons en guise de déco et une fenêtre en bois mal fermée.
- Ce n'est pas un endroit convenable pour une enfant, lança l'homme avec un catogan argenté sur la tête.
- J'en ai conscience, mais nous devons prendre soin des orphelins de guerre d'Yrmoonia, assura l'autre homme au visage amical.
La chambre dans laquelle la petite fille enveloppée de sa couverture fut déposée avait bien changé. À la place du vieux lit branlant, se trouvait désormais un lit superposé. Deux bureaux et une grande armoire avaient aussi été ajoutés dans la pièce.
La poignée de la fenêtre en bois se tourna sans qu'aucune main ne la touche. Depuis l'extérieur, la tête d'une fillette apparue. Elle inspecta la pièce pour s'assurer que personne ne s'y trouvait. La jeune fille bascula par-dessus le mur et tomba au sol. Elle se releva péniblement et passa ses doigts dans ses cheveux emmêlés. Elle y délogea une feuille ainsi que de la poussière. En dix ans, sa chevelure avait pris une teinte plus dure, elle était devenue cramoisie. Une couleur négative, qui offrait pourtant un charme à ce visage banal bariolé de mignonnes taches de rousseur.
- Tu n'as pas dormi ici, Lucina, lança la ferme voix d'une autre fille qui se tenait, bras croisé, dans le cadre de la porte.
Celle qui venait de rentrer sursauta et fit volte-face.
- Tu m'as fait peur Victoria, gronda Lucina.
Victoria avait les cheveux d'un éclatant jaune chrome, ses pupilles la partageaient d'ailleurs. Son visage était lisse et son corps était harmonieux. Elle ressemblait à un ange avec un air strict.
- Tu saignes du nez, tu dois arrêter de te servir de tes pouvoirs pour faire le mur de notre chambre, reprocha-t-elle avec une colère, malgré tout bienveillante.
- Je n'aime pas cet endroit, ce qu'on y enseigne et surtout ce qu'on y mange. Je suis une Sorcière libre, que ça te plaise ou non, lança Lucina avec aplomb.
La jolie blonde prit un mouchoir et essuya le sang qui coulait du nez de son amie. Avec un air sincèrement abattu, Victoria expliqua à Lucina qu'ici, des gens l'aimaient et que son comportement stupide leur faisait du mal. À l'orphelinat, elle avait un frère, une super camarade de chambre et des adultes prêts à la protéger de tous les dangers.
- Vous n'êtes pas capable de me comprendre...
Lucina venait de lâcher un froid, dans l'indifférence, elle récupéra des vêtements propres et quitta la chambre.
Dans la salle de bain, Lucina souleva sa robe. Péniblement et dans la douleur, elle ôta un gros pansement de son genou. Pour pallier la souffrance, elle dut se mordre le doigt. La blessure qu'elle découvrit, la laissa de glace.
Après une bonne douche, elle s'habilla. On lui avait toujours dit que la tenue qu'elle portait était le reflet de sa personnalité. Sans vraiment y croire, Lucina suivait ce conseil. Un t-shirt et un jean gris, ainsi que des baskets et un gilet noirs sans manches, étaient les vêtements qu'elle avait choisis aujourd'hui.
Lucina se regarda fermement dans le miroir. Elle tendit son bras droit vers la porte, qui s'ouvrit toute seule. Du sang se mit de nouveau à couler de son nez. Elle dut le nettoyer avant de partir.
Cette fois-ci, la jeune fille quitta sa prison par la grande porte. Au-dessus de sa tête, les lettres d'or indiquaient « orphelinat des lyses ». Quitter un tel endroit pas la sortie principale était réjouissant pour elle.
Lucina traversa Arcadia en prenant soin d'observer chaque détail de la ville. Elle connaissait le quartier comme sa poche, mais adorait s'y balader. L'orphelinat était dans la partie « banlieue » d'Arcadia. Tout autour d'elle, se dressait des pavillons et quelques commerces locaux. Éventuellement des tours, pas plus hautes que cinq étages. En dix ans, ce lieu avait retrouvé une certaine noblesse et servait de refuge pour les personnes désireuses de fuir Arvermoor.
Tous les jours, l'adolescente croisait la route d'une femme à la chevelue rousse flamboyante, à chaque fois avec un chapeau démesuré sur la tête. La jeune fille devait être la seule à savoir que cette dame à la peau cadavérique était une Vampire qui se nourrissait des personnes indésirables de la ville.
On avait enseigné à Lucina qu'Arvermoor était un endroit paradisiaque, ses terres natales sur lesquelles elle devait revenir. Mais il était évident que la vérité était bien moins rose.
Lucina traversa deux rues et pénétra dans une petite épicerie de quartier. À l'intérieur, ne se trouvait qu'une vielle dame ronde. Sur le comptoir, trois paquets de cigarettes et une bouteille d'alcool.
- Icharion et vous, attaquez la journée de plus en plus tôt, lança Lucina avec une certaine insolence.
- Il ne l'avouera jamais, mais le départ d'Edmund l'affecte, il est inquiet pour lui, répliqua la charmante dame.
Lucina lui avait dit un million de fois que la cigarette et l'alcool allaient avoir raison d'eux, mais ses paroles tombaient dans l'oreille de sourds. Sans prendre la peine de se répéter, elle se contenta d'acheter une bouteille de jus d'orange et deux paquets de beignets au chocolat, qu'elle posa sur le comptoir, derrière la femme.
Un homme d'une beauté renversante fit son apparition. Sa peau halée et son sourire ravageur faisaient des miracles auprès des dames de la ville.
- Ne me dit rien, sur le compte de l'orphelinat, lança l'épicier en scannant les articles de la fillette.
- Tu me connais si bien Amun, minauda Lucina avec un petit sourire bien hypocrite.
Le commerçant lui tendit joyeusement une note et un sourire des plus agréables. La jeune fille lut et grimaça. Elle sentit la présence insistante de l'autre cliente par-dessus son épaule.
- Une vaine tentative pour m'empêcher de vider les caisses de l'orphelinat en petit-déjeuner copieux, affirma-t-elle en froissant le papier, qui termina dans la tête de l'épicier.
Lucina quitta le commerce sans demander son reste aux adultes.
- L'horrible comportement de cette enfant va la perdre, notifia la vieille dame.
- Ou alors il nous sauvera tous, répliqua Amun avec candeur, en jetant la note à la poubelle.
Lucina quitta l'épicerie et bifurqua dans la ruelle pour y emprunter l'escalier de secours. Le bâtiment adjacent était l'un des plus hauts du quartier, le perchoir idéal.
Sur le toit, se trouvait un abri de fortune fabriqué avec des draps et des liteaux de récupération. Lucina attrapa un vieux carnet et alla le consulter en s'asseyant sur le rebord du bâtiment. Le Soleil était déjà haut dans le ciel, ce qui déclencha un lourd soupire chez l'adolescente. Celle-ci tenta de trouver une page vierge dans son journal, une chose difficile. Une fois fait, elle se mit à y noter des choses.
La porte qui menait dans le bâtiment s'ouvrit brusquement, sans même faire réagir l'écrivaine, plongée dans ses notes.
- J'ai cru que la vieille Gilbert n'allait jamais te prévenir, ou pire, que tu n'étais pas réveillé, lança Lucina sans lever le nez de son cahier.
Un frêle garçon apparut à sa gauche. Comme elle, il avait des pupilles de la couleur de ses cheveux, un bleu nuit stellaire. Sur sa tête, se trouvait une affreuse tignasse coiffée avec un pétard et il portait des vêtements deux fois trop grands pour lui.
Le garçonnet s'approcha du bord et déglutit en voyant la hauteur, il se contenta de prendre un beignet et de jeter un œil par-dessus l'épaule de son amie.
- Je note mon rêve Edmund, alors silence ! cira Lucina, faisant sincèrement sursauter son ami.
- Tu... devrais en parler à... ton frère ou aux... aux adultes de l'orphelinat au moins.
Lucina posa violemment son carnet et fusilla Edmund du regard.
- Je ne veux pas retrouver mes parents ! hurla-t-elle avec une colérique tristesse, et ça, personne ne le comprend ! Quant aux adultes, ce sont des menteurs !
Lucina sécha une larme qui coula sur sa joue.
- On... On va... à Ylisse ? bafouilla-t-il d'une voix à peine audible.
- Je n'en ai pas du tout envie, mais quitte à choisir, je préfère vivre une aventure scolaire avec mon frère et mon meilleur ami. Je ne vais pas vous abandonner.
Lucina poussa un petit ricanement de colère. Bien que la tristesse soit toujours lisible sur son visage, de la joie s'y dessina.
Le rêve noté dans le carnet, Edmund put l'entendre de vive voix. Comme toujours, son amie avait vu cette étrange créature, une sorte de louve au pelage blanc. Cette noble bête, qui semblait anthropomorphe, la déposait sur le pas de la porte de l'orphelinat.
Edmund ne savait que dire, Lucina avait rêvé de cela plusieurs fois ce mois-ci et ne paraissait pas l'apprécier, bien qu'elle note chaque détail dans des carnets. Il préféra changer de sujet en parlant d'Ylisse. Le jeune timide voulait y retrouver tous ses amis. Lucina regarda droit devant elle avec chagrin. Victoria ne donnait pas l'impression de vouloir les suivre. Le visage de la jeune fille s'illumina d'un coup, sans prévenir, elle bondit entre les deux bâtiments et se mit à courir pour se précipiter en bas.
Sans attendre Edmund, elle fonça dans la rue avant de se heurter à un obstacle qui sortait de l'épicerie. C'était un vieillard au visage dur qui marchait avec une canne. Malgré sa faible condition, il ne chancela point quand il reçut Lucina dans les côtes.
- Tu manques une semaine de leçon, et tu oses me foncer dedans ? gueula l'ancien en soulevant Lucina par le bras, comme si ce n'était qu'une vulgaire peluche.
La jeune fille n'avait pas de temps à perdre, d'un geste vif, elle frappa l'homme et atterrit au sol en position de combat. Prête à se battre, elle toisa le bonhomme très ventripotent.
- Grand-père, Lucina, ne vous battez pas ! cria Edmund dans son dernier souffle de vie. Son ton était si peu crédible, qu'il fit réellement rire les deux belligérants.
- Tu n'as ni arme ni talent. Et je n'ai pas envie de perdre mon temps avec une gamine comme toi, méprisa le vieillard d'un ton sec.
La petite rebelle lui fit un doigt et reprit sa course vers l'orphelinat.
Devant la porte du bâtiment, se trouvait un garçon au visage hautain, avec de longs cheveux noir ébène et des yeux de la même couleur. Il portait un jean et un t-shirt, tous les deux assortis à sa chevelure. Ce dernier fusillait ténébreusement la jeune fille essoufflée.
- Je suis désolée Velcane, mais je suis à l'heure, affirma-t-elle en reprenant un peu son souffle.
- Quand est-ce que tu vas grandir Lucina ? fustigea le jeune garçon. Tu ne peux pas te servir librement de tes pouvoirs, sortir en douce d'ici quand ça te chante. La Sorcellerie est interdite en Yrmoonia, si tu fais ça là-bas, tu finiras en prison ! cria Velcane avec une autorité mordante.
- On sait tous les deux que c'est mon destin de finir en prison, renvoya Lucina avec une sincère amertume.
Elle passa devant son frère en le bousculant légèrement. Edmund, qui venait d'arriver, essaya de se justifier auprès de Velcane, mais celui-ci le défendit de parler.
À L'intérieur, Lucina traça sa route vers sa salle de classe. Elle détestait l'école, mais son professeur était une crème de bienveillance, toujours de bon conseil, il ne l'avait jamais jugé sur son horrible comportement. Cela n'empêchait pas la rebelle de sécher ses cours quand elle le voulait.
Son rôle était de maintenir la connexion entre les orphelins et leurs pays natals, situés en Yrmoonia. Son autre but était de préparer les initiés à aller étudier à Ylisse, l'une des plus grandes académies de magie d'Yrmoonia. La fratrie était dans cette catégorie, au grand damne de la jeune fille.
Lucina prit place pile au milieu de la classe et vit son frère entrer avec son sombre regard. Aucun amour dans ses yeux. Ce qui n'empêcha pas le jeune garçon de s'installer à côté de sa sœur et de s'excuser après que Lucina lui a souri et ait fait une grimace. Le professeur arriva et commença son dernier cours dans la foulée.
Lucina :
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