17) Premiers pas à Ylisse
C'est mal à l'aise que Lucina passa son premier repas à Ylisse. Il était difficile de cerner Emiliana, cette jeune insolente sans éducation. Tout autour d'elle, tous les premiers cycles semblaient s'être facilement fait des amis, sauf Royé, le prince de Royco, qui lui avait déjà souri deux fois aujourd'hui.
Pour oublier ses malheurs, la jeune fille observa l'atypique table des Professeurs. Au centre, Maïtraçe Abrahame qui dévorait son assiette tel un enfant affamé. À sa droite, la tendre et merveilleuse Lucretzia qui la réconforta. À la gauche du Directeur, Doloresse, la mère d'Edmund, froide et acariâtre, dont le dur visage faisait frissonner
À côté de Dame Lucretzia, se trouvait un sinistre homme. Son pâle visage dégageait une inquiétante bienveillance. Le regard insistant qu'il posait sur Lucina accentua son malaise. Abrahame tourna la tête vers lui et parut enfin ouvrir un œil avant d'ostensiblement se lever.
– Il semblerait que j'ai oublié d'adresser mes plus tendres pensées à notre regretté Professeur Walt. Souhaitons ainsi bonne chance à son remplaçant, le Professeur Harlace Angelus, claironna le Directeur avec un certain détachement.
Les étudiants applaudirent cet étrange homme qui dégagea un rayonnant visage. Lucina ne sut si elle devait s'en méfier ou non. Juste après cet instant, les Ambassadeurs rassemblèrent les premiers cycles pour les conduire aux dortoirs.
Ceux-ci étaient à l'extérieur du manoir, juste après l'arrière-cour où se trouvait une sublime fontaine ornée d'un loup crachant de l'eau. Le titanesque bâtiment carré était plus récent et moins soigné que le reste de l'académie.
- Chaque étage appartient à un cycle, les premiers, vous êtes au dernier, cracha Valèra avec dédain. Je vais vous appeler et vous irez directement dans vos chambres, vos affaires y sont déjà.
Lucina tint son estomac, noué par le stress. Tous ses camarades lui semblaient étranges. Peut-être pouvait-elle demander à n'être qu'avec Velcane et Edmund ? L'idée de partager une chambre pour sept ans avec la mauvaise personne lui fila la nausée. Valèra appela les premiers noms, Daræn, Robin Garris et Anabêthe.
En Yrmoonia, garçons et filles, n'étaient pas séparés comme sur Terre. Une différence culturelle difficile à cerner pour les trois terriens.
Iñigo, Auria, Royé et Velcane furent appelés ensuite. En passant, Lucina lui souhaita bonne chance pour supporter le Prince d'Isgarde. Elle se demanda ce que son frère faisait dans la cambre des enfants royaux, mais fut appelée, de même qu'Emiliana et Edmund, ce qui lui fit oublier cette réflexion.
– Bienvenue dans la cour des grands, murmura mauvaisement Telrion à l'oreille d'Emiliana.
C'est donc avec cette camarade au sale caractère que l'héroïne allait dormir pendant sept ans. Heureusement qu'Edmund était là pour empêcher les filles de s'entre-tuer.
La pièce contenait trois lits à baldaquins, dont deux avec une valise posée dessus. Il y avait suffisamment d'espace pour tout le monde et une banquette sous la fenêtre, que Lucina s'empressa d'utiliser.
– Tu n'as pas d'affaires ? questionna Lucina, afin de faire tenir une conversation cordiale.
– Je vis ici depuis quatre ans, je n'en ai pas besoin. Je ne compte pas m'éterniser dans cette chambre, cracha Emiliana en se jetant vivement sur son lit.
Edmund se contenta de balayer tristement ses deux amies. La cohabitation allait être compliquée entre elles. Lucina espérait que cela se passe mieux pour son frère.
Dans la chambre royale, personne ne parlait. Telle une arène de western, tous se jugeaient en silence et sans émotion. Seul Iñigo semblait dégager un certain mépris.
– Ôte-moi d'un doute, on a le Prince de Royco, la Princesse de Telmar et moi, le Prince d'Isgarde. Mais toi ? Le Prince des andouilles ? nargua Iñigo.
– Si tu as un problème, on peut le régler dehors, répliqua Royé en s'imposant fermement entre les deux rivaux.
Il fit craquer son poing avant de se tourner vers Velcane. Les deux garçons se présentèrent l'un à l'autre sous les yeux énervés d'Iñigo. Voyant que son attitude ne mènerait nulle part, il en changea.
C'est alors que le Prince d'Isgarde prit un air hypocrite et proposa que la chambre soit un terrain vide de toute rivalité. Après tout, il leur fallait bien sympathiser pour le jour où ils monteront sur les trônes des grandes nations.
– Prions d'abord pour que l'on réussisse notre cycle tous les quatre avant de penser à monter sur nos trônes, ajouta sèchement Royé.
Velcane, qui vit le malaise d'Auria, coupa court à ces futiles bavardages et tenta de réconforter son amie. Cette dernière tremblait et dissimulait son oiseau sous ses vêtements. Le jeune garçon ne sut quoi fait, il lui prit lentement la main et lui sourit. Royé lui en adressa également un. Iñigo, était-il sincère dans sa volonté de faire de leur chambre un terrain sans conflit ?
Quand Emiliana assura ne pas être là pour sympathiser, ce n'était pas une blague. De toute la soirée, elle ne décrocha que des grognements d'agacement. Edmund lui ayant déjà longuement parlé de sa vie sur Terre, elle n'avait plus rien à apprendre.
Pour la première fois depuis une décennie, Lucina ne dormait pas dans son foyer des Lyses. Évidement, il lui était souvent arrivé de passer des nuits dans des endroits improbables, mais jamais très loin de l'orphelinat. Un pas de plus avant de devenir une adulte.
Comme toujours depuis son retour, des rêves énigmatiques lui apparurent dans son sommeil. Cette étrange guerrière, celles arborant les couleurs de sa nouvelle tenue. Et son épée, cette lame qu'elle ne parvenait qu'à effleurer du bout des doigts.
Malgré sa nuit agitée, Lucina se réveilla pleine d'énergie pour conquérir sa plus belle première rentrée. C'est après leur toilette matinale et le petit-déjeuner que Doloresse ferait un discours de bienvenue. Plus elle y pensait, moins elle voyait de ressemblance entre cette femme et ce garçon à moitié somnolant. Le lit d'Emiliana était défait, mais aucune trace d'elle.
– Tu t'y feras, elle passe son temps à s'entraîner sans arrêt pour le compte d'Abrahame, expliqua faiblement Edmund.
Même les douches de l'étage étaient communes. Une fois propre, Lucina enfila fièrement sa tenue. C'était comme si ces vêtements faisaient partie d'elle et qu'elle ne voulait plus jamais les quitter. Il ne lui manquait plus qu'une lame pour parfaire son style.
À peine les deux amis avaient-ils pénétré dans le manoir, qu'ils tombèrent sur des voix qui faisaient trembler tous les murs de l'édifice.
- Je n'ai nul besoin de recevoir les conseils d'une parvenue dans votre genre, Lucretzia. Vous n'êtes ici que pour satisfaire les désirs charnels d'Abrahame. Vous languissez devant mon statut, même un aveugle le verrait, fustigea la Sous-directrice dont la canne explosait sur le massif parquet.
– Vous êtes bien ridicule Doloresse, je prédis simplement que vos méthodes archaïques ne sont plus en adéquation avec les temps qui courent. Ces vingt étudiants méritent d'être ici et personne ne se fera renvoyer, rétorqua Lucretzia, fortement courroucée.
- Croyez-moi, j'ai l'œil pour remarquer que la moitié de ces bambins ne vont pas passer les épreuves tests, d'autres sont plus aptes à survivre à l'élite attendue ici.
La Pupille n'en put plus. Elle laissa sa collègue agir comme bon lui semblait. En se retournant, elle découvrit les yeux effarés de Lucina et d'Edmund. Dès qu'elle les vit, son visage s'adoucit d'un coup. Lucretzia vint alors prendre des nouvelles de sa petite protégée et fut enchantée d'apprendre que leur première nuit se passa au mieux.
Ne sachant que dire, Lucina se contenta d'un rictus gêné. D'ordinaire, elle aurait cherché le fin de mot de ces problèmes d'adulte. Mais le sort d'Ylisse l'indifférait à l'heure actuelle.
Avant de partir, Lucretzia informa « sa princesse » sur comment se comporter en présence d'Emiliana. Certes, son lourd passé n'excusait pas son comportement. Mais si Lucina était elle-même, Emiliana finirait par s'adoucir.
Lucina la quitta en la remerciant. Edmund lui expliqua alors que depuis dix ans que les deux femmes travaillaient à Ylisse, Doloresse croyait dur comme fer que Lucretzia voulait la supplanter. Tout ceci serait parti d'un certain favoritisme d'Abrahame envers sa Pupille.
Même si ça la peinait, ce n'étaient pas ses affaires. Lucina se surprit elle-même à ne pas vouloir fouiner plus que de raison. Ylisse était un endroit qui la changeait.
Les deux amis finirent par partager leur repas avec Auria et Velcane. Lucina put donc savoir comment s'était passé la première nuit de son frère et de son rival.
– Sincèrement, mieux que prévu. Iñigo est cruel et prétentieux, mais il veut autant que nous, que ça se passe bien, expliqua Velcane.
Lucina était contente pour eux, quand le Prince entra dans le réfectoire, il lui adressa drôle de regard, presque compétitif. Royé le talonnait et lui lança un sourire, quand il vit qu'elle regardait dans sa direction. Il fit un pas vers leur table, mais se ravisa pour celle où Iñigo mangeait seul.
– C'est quel genre de gars Royé ? demanda curieusement Lucina.
– Je sais pas trop. Il est sympa et a calmé les ardeurs d'Iñigo, tout ce que j'ai appris, c'est qu'il souhaite qu'on soit ses amis.
Lucina se retrouva pantoise. Pourquoi ce garçon voulait-il une chose pareille ? Il ne la connaissait même pas. Enfin, si Velcane le trouvait agréable, elle pouvait lui laisser sa chance.
Comme prévu, après le repas, Doloresse ordonna à tous les premiers cycles de la retrouver promptement dans l'auditorium. C'était une énorme pièce construite bien après le manoir qui faisait une sorte de grosse excroissance de l'extérieur.
C'est en triturant son collier et ses cheveux que Lucina comprit, c'était l'instant de vérité. Elle allait rencontrer tous les Professeurs qui lui feront cours pour les sept ans à venir. Et après cela, il lui faudrait aller à la rencontre de ses camarades de classe. Premier véritable moment de stress dans sa vie.
Ils entrèrent dans l'immense amphithéâtre qui faisait également office de salle de réunion. Tout en bas, les Professeurs d'Ylisse, dont de nouvelles têtes. L'une d'elle était une sorte de lapin humanoïde qui portait une robe rose. Un autre, une créature mi-bouc et mi-humaine. L'académie d'Yrisia était la seule à ne pas compter que des humains dans son corps enseignant.
– Veuillez prendre place face à moi, même si l'envie ne me manque pas, je ne vais pas vous manger, gronda sèchement Doloresse. Dès demain, commenceront les tests d'aptitude de vos Dji. Bien que cela ne soit qu'un examen de votre niveau, y échouer vous fera perdre le privilège d'étudier à Ylisse, annonça la Sous-directrice d'un ton péremptoire qui glaça plus d'un sang.
À ses côtés, une étrange créature mi-humaine, mi-bouc dont la peau était presque jaunâtre. Une femme au moins aussi froide que Doloresse et un homme âgé portant une tenue blanc et bleu.
– C'est le Professeur Ellius, le deuxième meilleur Sorcier de notre époque. Il est aussi le premier formateur des Iotas, c'est un honneur de l'avoir pour enseignant, expliqua Daræn avec ferveur.
Entendant ces messes basses, Doloresse frappa le sol pour faire revenir le calme. Ceci fit bruyamment s'ouvrit la porte qui attira sur elle tous les regards.
– Abrahame devrait avoir honte de former une cadette dont la discrétion égale celle d'un Liphal, gronda-t-elle en fusillant Emiliana d'un très sombre regard.
La jeune fille se contenta de lui renvoyer son mépris et de s'asseoir près d'Edmund en mettant ses grosses bottes sur son pupitre. La moitié des Professeurs se mirent à salement la toiser, ce qui la fit ricaner et remettre ses jambes en place.
Les Professeurs adressèrent chacun quelques mots aux jeunes. La majorité étaient encourageants et bienveillants, saufs ceux de Gwanmyre et Ellius. Enseignant, respectivement, le combat et la magie, ils avaient la réputation d'être très cruels.
L'attitude floue d'Harlace, le Professeur de Géographie, mit Lucina en méfiance. Il dégageait de la bonté, mais n'avait de cesse de la fixer. Quand Hopes, la lapine qui enseignait l'étude des créatures fantastiques, prit la parole, elle le fit avec un chat longiligne au pelage bleuté.
– Un conseil, tu devrais suivre son cours, même si elle est perchée, elle note large et est plutôt sympa, conseilla Emiliana avec une pointe de gaieté dans la voix.
Il fallut dix-huit heures à Emiliana pour sortir un mot gentil. En outre, elle avait raison, Hopes lui avait donné envie de suivre son cours. Il en était de même pour Harlace, même si cet homme demeurait mystérieux à ses yeux.
Billius, un homme aussi large que haut qui paraissait avoir un sacré coup dans le nez marqua Lucina. Il enseignait le vol su Griffon, même si le cours était peu prisé, il sonna comme une bouffée d'air frais aux oreilles de la jeune fille.
Lucina finit la présentation avec une mèche de ses cheveux dans la main. Tout ce qu'elle retint fut le niveau d'exigence demandé par Ylisse. Elle, qui n'avait jamais aimé l'école, se vit affublée d'une bien lourde tâche : réussir son année. À nouveau, le tendre regard de Lucretzia dénoua son estomac.
– Ma princesse, j'airais aimé te présenter un bon am, si tu le désires, lui murmura discrètement la Pupille.
Ce mystérieux ami se révéla être le Professeur Harlace. Qu'est-ce que Lucretzia cherchait avec cette rencontre ? De près, le Professeur avait une allure bien plus sinistre avec son vieux manteau noir, ses yeux rouge sang et sa peau blanche. Malgré cette sombre apparence, il dégageait un quelque chose de très réconfortant.
- J'ai ouï dire par Lucretzia que vous n'étiez pas à l'aise en classe, pourtant, vous voilà à Ylisse, c'est impressionnant, exprima joyeusement Harlace. Nous pourrions, tous les trois, tenter de diminuer l'élitisme de cette académie et d'y faire changer certaines choses.
Lucina inspecta toute la hauteur de son interlocuteur en arquant un sourcil. Puis balaya suspicieusement Lucretzia.
– Vous êtes amis n'est-ce pas, assura-t-elle strictement. Je sais qu'elle n'aime pas trop Abrahame et veut sa place, mais ça ne me concerne pas, répondit péremptoirement Lucina.
– Lucretzia ne m'a effectivement pas menti, vous êtes très intelligente, ajouta le Professeur avec douceur.
La Pupille tenta de se justifier, de faire appel à la jeunesse d'Harlace. Ce combat, c'était également celui de Lucina. Mais elle n'entendit rien. Son désir était de changer, de réussir son année sans souci. La petite jeta un regard à Velcane, puis s'excusa. Lucretzia soupira lourdement.
Lucina partis, Harlace se tourna vers son amie pour la dévisager avec des yeux presque noirs.
– Je vous ai averti, la manipulation ne fonctionne guère, encore moins avec une enfant aussi maligne.
– Contente-toi de faire ce que je dis, ne me donne pas plus de raison de me méfier de ta présence ici, cracha lourdement Lucretzia. Quand Walt m'a recommandé ta candidature, il semblait euphorique, comme si tu devais être à Ylisse. Et tu es là, parfait et souriant...
Chacun jugea l'autre, l'un avec mépris, l'autre avec admiration. Harlace fit un bienveillant pas vers elle et lui assura n'avoir pas d'autre but que le sien : sauver ce monde de la destruction.
La Pupille méprisa son « ami » et s'en éloigna. Elle lança un triste regard à Lucina, Emiliana et Edmund qui discutaient un peu à l'écart. Enfin seule, Lucretzia soupira de douleur en se tenant le ventre. Après une seconde, elle rejoignit le bureau d'Abrahame.
De son côté, Lucina profita de sa toute dernière journée de liberté avec Edmund, Velcane. Elle aurait bien aimé faire la connaissance de Royé, mais ce dernier avait disparu après l'épisode dans l'atrium. Cela conforta la jeune fille dans son idée qu'elle n'aurait pas d'amis ici. Les choses semblaient tellement plus simples pour les autres.
– Ylisse propose des cours d'Astronomie, tu devrais le suivre, suggéra Velcane à Edmund.
– Mère ne va jamais l'accepter. Je suis ici pour devenir plus fort, je dois renforcer mon esprit et mes bras, pour ne pas lui faire honte, rétorqua-t-il d'une voix à peine audible.
Lucina vit bien le chagrin qui habitait son ami. Il en était de même pour Auria. D'après Velcane, elle était obligée de suivre des cours qui lui apporteront dans sa vie de future Reine. Au fond, elle se dit qu'elle avait de la chance de pouvoir choisir son propre enseignement.
Le soir, Lucina se posa de nouveau sur la banquette sous la fenêtre. Il n'y avait que le parc vide à observer, mais cela avait quelque chose d'apaisant. Son carnet était sur ses genoux, mais elle n'y avait rien noté pour l'instant. La fatigue s'empara à tel point d'elle qu'elle crut souffrir d'hallucination. En effet, une lettre flottait devant ses yeux et s'arrêta au niveau de son carreau.
La jeune fille la réceptionna et vit que cela lui était adressé. En l'ouvrant, elle découvrit une invitation de la part de Maïtraçe Abrahame. Le Directeur voulait la voir entre le petit-déjeuner et les tests de Dji. Il tenait à lui parler de ses anciennes leçons avec Sir Landry. Le cœur de Lucina s'emballa d'un coup. Allait-elle se faire renvoyer d'Ylisse avant même d'y avoir étudié ? Bien qu'elle ne soit pas en état, elle dut aller se coucher, mais ne dormit pas beaucoup ; ce qui eut l'avantage de lui éviter ses récurrents cauchemars.
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