10) Le Pacte anti-secret
C'est lors de son dixième anniversaire que la vie de Velcane avait basculée. John l'avait fait venir dans son bureau pour lui offrir un cadeau, une lettre cachetée de rouge. Un étrange sceau y était gravé, une sorte de « Y » aux branches arrondit. Le cœur battant, Velcane avait déchiré l'enveloppe et l'avait lu en silence.
- Je ne veux pas, affirma-t-il très sérieusement.
- J'ai conscience que cela fait peser un lourd fardeau pour des épaules si jeunes, mais c'est une demande officielle de la Reine d'Yrisia, tu n'as pas le choix en réalité, expliqua le directeur d'un ton sincèrement accablé.
- Je ne peux pas mentir à Lucina, je lui ai promis, c'est ma sœur... Mais, ce sont les parents qui...
Jonathane s'était levé en prenant une grande inspiration. Il avait pris Velcane dans ses bras pour le consoler paternellement.
- Je regrette autant que toi la tournure des événements. La reine désire te rencontrer, mais tu peux attendre ton retour en Yrmoonia si tu ne te sens pas prêt aujourd'hui.
- Je ne crois que je ne veux pas les voir, répliqua faiblement Velcane, les larmes aux yeux.
Deux ans plus tard, Velcane s'était retrouvé au même point, il avait reçu une seconde lettre de la royauté d'Yrisia. Il la lut le cœur tout aussi serré que la première fois.
- Je ne peux pas ! J'ai promis que je partirais avec Lucina et Edmund, c'est notre rêve de quitter Arcadia ensemble, cracha fermement le jeune garçon. Il avait relu une deuxième fois la lettre tout en prenant un air plus froid. Ce n'est même pas une proposition !
- Velcane, tu es assez mature pour comprendre qu'il est temps d'agir en adulte. Tu ne peux pas être continuellement derrière ta sœur, tu as fait le choix de lui cacher la vérité. Il faut que tu penses à toi en premier, expliqua calmement John.
C'est ainsi que Velcane s'était retrouvé forcé de retourner à Alquamaria, la capitale du Royaume d'Yrisia. Il eut été convaincu quand il apprit qu'Edmund devait retrouver sa mère sous peu et que Lucina eut une proposition similaire à la sienne. Le jeune garçon put donc visiter l'imposant château d'Yrisia.
- Attends, tu as rencontré le Roi en personne ? Comment il est ? s'étonna Lucina d'un ton enfantin.
- Cruel, détestable et colérique, répondit sèchement Velcane.
Heureusement qu'il reçut une aide extérieure bienvenue, sinon il se serait retrouvé seul à errer dans les rues sales et puantes de la citadelle d'Yrisia. La ville n'avait rien à voir avec celle de la Régence. Le style était plus médiéval, les bâtiments étaient plus hauts et modestes. Les routes de boue étaient entourées d'étales divers. Et les habitants avaient l'air miséreux et impoli.
Désemparée, Lucina eut besoin de réfléchir un petit instant. C'était une trop lourde révélation pour elle.
- Tu as rencontré tes parents ? demanda-t-elle faiblement.
Velcane se balança sur ses jambes tout en grimaçant de gêne. Ce n'était pas exactement ce qu'il s'était passé. Sans prévenir, il avait reçu une lettre du château d'Yrisia, l'obligeant à rencontrer le roi et la reine. Ces derniers lui proposant un avenir loin d'Ylisse, mais proche de ses parents, ceux l'ayant abandonné comme une vielle chaussette. Un destin inacceptable, car il serait loin de sa sœur préférée.
L'hésitation fit se refermer une partie du cœur de Lucina, qui ne sut que penser de son frère sur le moment. Son visage se contracta de tristesse et des larmes perlèrent sur ses joues. Ne pouvait-il pas être honnête pour une fois ? L'était-elle quand il s'agissait de ses parents ? Velcane semblait fabulé avec son histoire. Sans doute, était-ce pour ne plus songer à ses parents et les oublier pour de bons.
Si elle avait été à sa place, Lucina aurait certainement menti de la sorte. Les parents étaient leur sujet tabou, le seul sur lequel le mensonge était autorisé. à condition qu'il ne la trahisse et ne l'abandonne pas, comme les autres. Velcane sécha ses larmes et reprit un air plus sérieux, avant qu'il ne se tourne vers l'horizon.
- Petite sœur, il n'y a pas que ça dont on doit parler, affirma-t-il d'un ton lourd de reproches.
Le cœur de Lucina se serra dans sa poitrine. Quand son frère l'appelait « petite sœur » il allait lui faire de gros reproches. De toute façon, le moment de jouer cartes sur table était venu. C'est avec les mains tremblantes qu'elle l'autorisa à parler.
C'est avec sincérité que Velcane confia son malaise. Depuis toujours, on lui reprochait son excès de sérieux et son côté « trop strict » ; là où Lucina était félicité pour sa rêverie et son manque de considération pour les études.
- Tu es encore en train de me reprocher mon comportement ? hurla la jeune fille, indignée.
- Non ! En fait, je veux juste que tu fasses un petit effort, pour être plus sérieuse à Ylisse. En échange, j'accepte d'admettre, que j'ai besoin de tes folles aventures dans ma vie, minauda Velcane d'une douce voix.
Il esquissa un sourire gêné, il donnait l'impression d'avouer ses sentiments à son amoureuse de primaire. Lucina se mit à ricaner et lui sauta au cou dans un mouvement incontrôlé. Frère et sœur se firent un câlin des plus sincères pendant plusieurs secondes.
Après cette étreinte fraternelle, Lucina afficha un large sourire et sécha ses larmes de joie. C'était à son tour d'être honnête avec son frère. En venant ici, elle s'était trouvé un but. Certes, ce n'était encore que le rêve d'une jeune fille de douze ans, mais elle le voyait comme un premier pas pour tenir sa nouvelle promesse.
- Je sais ce que tu vas dire, la Sorcellerie est dangereuse et interdite, lança-t-elle en dodelinant sur place. Je souhaite toujours être libre d'être qui je suis, une Sorcière, mais je veux surtout être une bonne personne. Le genre qui sauve les autres et fait bouger les choses dans ce monde, expliqua Lucina avec bonheur.
- Tu es encore sous l'influence de Landry, je pensais que tu grandirais enfin, se plaignit Velcane avec dédain.
Lucina soupira sincèrement et se tourna à son tour vers l'horizon. La joie redevint tristesse et ses bras se croisèrent de déception.
- Et si on faisait un pacte, lança directement la jeune fille.
Son frère esquissa un rictus d'incompréhension. Sa sœur se tourna vers lui pour lui expliquer ce qu'elle avait en tête. Son idée était simple : plus question de se rabaisser, on respecte les avis et rêves de l'autre. Velcane trouvait cela juste. Lucina jura également de fournir un sérieux effort à Ylisse, à condition qu'il lui fasse confiance et ne lui met plus la pression. Jusque-là, tout semblait juste et acceptable.
Lucina enchaîna sur la seconde partie du pacte, plus de mensonges, plus aucun secret entre eux. Il leur fallait une loyauté sans faille, chacun est la seule famille de l'autre. Jamais leurs parents ne devront s'immiscer entre eux. Cette partie-là fit grincer Velcane des dents. La sœur vit bien que ce fut plus délicat, étrangement. Mais les deux finirent par accepter.
Ils se serrèrent mutuellement le petit doigt. Les yeux de Lucina s'illuminèrent et son nez se mit à saigner, ce qui la fit rire. Les sombres pupilles de Velcane subirent le même sort. De leurs bras s'échappèrent de faibles auras de la couleur de leurs pouvoirs. Impressionnés et effrayés, les jeunes se lâchèrent la main.
- J'espère qu'on n'a pas involontairement conclu un pacte mortel, dit un Velcane atterré.
- Juste un pacte anti-secret, frérot, termina Lucina, les yeux brillants de détermination.
Elle passa son index sous son nez dans un geste habitué et afficha un sourire satisfait. Velcane lui tendit un petit mouchoir de soie blanche. Ainsi, ils scellèrent leur fraternité avec une poignée de main classique, sans magie.
Lucina n'avait jamais été aussi heureuse. Ce n'est pas exactement comme ça qu'elle imaginait son retour en Yrmoonia, mais c'était bien. Dommage qu'Edmund ne soit pas présent à leurs côtés. Depuis sa hauteur, elle tenta de refaire son itinéraire entre la gare et la place Piterrin XVI. Le quartier ravagé était trop loi pour qu'elle le distingue correctement derrière les hauts bâtiments.
- Tu sais Lucina, je ne voulais pas te mentir tout à l'heure, c'était plus simple de t'écrire la vérité que de te la dire, affirma faiblement le frère en tentant un rapprochement physique.
- Tu n'avais qu'à le faire, s'indigna Lucina en le repoussant.
- Je l'ai fait et c'est Anzo qui... Ce sale gosse l'a détruite au lieu de te la donner.
- Il a toujours été très protecteur envers moi, et il ne t'aime pas beaucoup, rétorqua Lucina d'un ton légèrement moqueur.
Velcane soupira, ce n'était plus un problème de toute façon. Frère et sœur admirèrent l'île de la Régence et s'imaginèrent les aventures qu'ils pourraient vivre dans cette immense cité. Lucina se demandait bien ce que pouvait cacher le titanesque bâtiment de la Régence. De ce qu'elle savait, les sièges politiques n'avaient pas besoin d'être aussi imposants, autrement que pour les apparences.
La jeune fille regarda tendrement le froid visage de son frère. Même son léger sourire bienveillant n'arrivait pas à lui donner une sympathie totale. Discrètement, elle souhaita que leur relation ne bouge plus, tout était parfait pour l'instant. Velcane n'en demandait pas moins, malgré les apparences, il était épuisé de jouer les papas poule avec sa sœur.
Sans s'en rendre compte, les jeunes passèrent une heure sur le balcon. C'est Dame Lucretzia qui vont les chercher pour leur parler de choses essentielles. Maintenant, qu'ils étaient de retour sur leurs terres natales, leur véritable entraînement allait pouvoir commencer. Bien que ce ne soit pas prévu dans ses plans, Lucretzia accepta de s'occuper de Velcane jusqu'à Ylisse. Trop aimable, madame, murmura sèchement le jeune garçon.
Dans deux jours, le festival clôturant l'année yrmoonienne se tiendrait. C'était une façon pour la Régence de se montrer proche de ses sujets et de les écouter. Naturellement, Lucretzia avait prévu d'y amener les jeunes. Mais avant cela, il leur fallait préparer leur rentrée à Ylisse. Après cela, leur vie sera rythmée par leur préformation au Dji.
Ils allaient donc vivre dans ce luxe pour un mois, le tout, aux frais de Dame Lucretzia. Aux yeux de Velcane, son abnégation cachait forcément quelque chose. Il attendit que Lucina parte faire son obligatoire visite pour en aborder ses craintes.
- Pourquoi être si gentille avec nous ? questionna Velcane, sur une défensive masquée par un mépris mordant.
Lucretzia sourit gentiment. Elle se présenta officiellement à Velcane, lui expliqua son rôle au sein d'Ylisse. C'était alors sa mission de s'occuper d'eux et de les former avant Ylisse, puisque personne n'était là pour cela. Maïtraçe Abrahame ne pouvait pas laisser le frère de Lucina sur le carreau.
Velcane avait remarqué que cette étrange femme regardait Lucina comme si elle n'était qu'un bout de viande. Il la questionna à ce sujet.
- Effectivement, je tenais à ce que Lucina devienne ma Nawolaÿne, vive d'extraordinaires aventures, loin d'Ylisse et d'Abrahame. Mais elle refusa, pour toi, expliqua calmement, mais froidement, Lucretzia qui soutint le regard accusateur de l'adolescent. Au même titre que vos dix-huit futurs camarades, vous êtes exceptionnels et promis à un grand avenir. Abrahame est certes un grand sorcier, mais nous ne possédons pas les mêmes ambitions pour vous.
Tout comme sa sœur, Velcane avait énormément de mal à faire confiance aux adultes. Lucina avait ce côté candide et manipulable, qu'il n'avait pas. Le dédain et la réserve faisaient partie de lui. On lui avait maintes fois fait part des intentions suspectes de Maïtraçe Abrahame. Dans ce contexte, il lui était difficile de faire confiance à Lucretzia, Ylisse et son Directeur.
- Je sais qui tu es Velcane, si tu juges qu'Ylisse ne te convient pas, libre à toi d'accepter le destin cruel de ton père, cracha Lucretzia avec une véhémence inhabituelle.
L'adolescent fusilla cette horrible femme avec un regard noir. Ses poings se crispèrent. Mais il ne fit rien, car sa sœur revint pour lui montrer ses géniales découvertes.
L'heure du premier repas yrmoonien sonna enfin. Lucina et Velcane purent ainsi découvrir des mets inédits. D'apparence, on se croirait dans le restaurant gastronomique d'Arcadia. Mais en bouche, c'était une autre affaire. L'entrée était une petite salade d'herbes avec de fins morceaux de viande. Le plat était un énorme steak au goût légèrement sucré accompagné d'une fricassée enroulée dans une crêpe. Et pour le dessert, un gâteau aux fruits bleus. Le tout était accompagné d'un vin pour l'adulte et de jus de fruits pour les jeunes.
Lucretzia profita de ce convivial moment pour leur en apprendre plus sur Ylisse et son fonctionnement. Maïtraçe Abrahame allait ainsi leur apprendre à maîtriser leur Dji. Velcane, qui n'avait toujours pas confiance en cette femme, lui jeta moult regards noirs.
- Vous pensez que je vais réussir à le maîtriser ? À ne plus saigner du nez ? demanda fièrement Lucina, pleine d'espoir.
- Abrahame est le plus grand Sorcier de notre génération, un expert en matière de Dji. Sous son aile, tu ne feras que grandir, répliqua la Pupille avec candeur.
La hâte s'empara de Lucina. Depuis toute petite, son Dji la mettait en grave danger et ne souhaitait qu'une amélioration. Cela ne l'empêchait de le sur-utiliser dès qu'elle le pouvait. Velcane continua de fusiller la dame du regard. Jusque-là amusée, elle finit par trouver cela agaçant et le fit comprendre.
- Azriel et moi avons nos raisons de penser qu'Abrahame n'est pas mentor idéal. Il est certes puissant, mais ne pense en rien à l'avenir de notre monde. Tout ce qui l'importe, c'est sa grandeur personnelle. J'ai été comme lui, orgueilleuse. Aujourd'hui, j'ai conscience que je ne possède pas les capacités pour vous former moi-même, expliqua Lucretzia d'une voix plus dure que d'ordinaire.
Après cela, le repas se termina et Lucretzia disparu. Laissant ainsi les jeunes vaqué à leurs occupations. Lucina profita de ce calme pour admirer la beauté de la nuit et noter tout le positif de sa journée dans son journal. Le ciel était constellé de milliers d'étoiles. Edmund aurait adoré être ici avec ses amis. La lune était vraiment particulière, elle avait une forme d'étoile à quatre branches, comme si l'on avait caché ses quatre quartiers. Lucina trouva cela aussi étrange que fascinant.
Après une heure, elle s'assura que Velcane ne prêtait pas attention à elle et quitta la suite. Elle mourait d'envie de se poser sur le parvis de son hôtel. Il y avait une fontaine devant, ce devait être une obligation d'en mettre où cela était possible.
Lucina se posa dessus, joua avec l'eau d'une main et avec son pendentif de l'autre. L'Astre lunaire était si beau, même au travers du reflet de l'eau. Soudainement, la jeune fille leva la tête, ce qu'elle vit, la figea. Devant elle se baladait un extraordinaire loup. Une créature aussi blanche que la neige, avec une forme longiligne sur le flanc. Cette tache rouge ne signifiait qu'une chose, cette créature était celle qui hantait les rêves de l'adolescente depuis plusieurs mois.
Elle avait déjà aperçu cette bête à Arcadia. Mais en ce moment, elle la voyait très nettement dans ses songes nocturnes. Lucina se devait de la suivre. Il fallait qu'elle découvre le secret de cette louve blanche.
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