CHAPITRE DEUX.
𝒃𝒐𝒐𝒎, 𝒃𝒐𝒐𝒎, 𝒃𝒐𝒐𝒎.

Plus tôt dans la semaine, c'est avec joie que, avec Félix, il avait reçu un appel pour lui confirmer qu'il avait bien été pris. Ce qui était un miracle avec un comme le sien mais s'il commençait à rejeter les cadeaux que lui faisait l'univers, il n'allait pas s'en sortir. Il s'était aussi bien assuré que ses piercings et tatouages n'étaient pas unun problème et le gérant lui avait bien confirmé qu'il ne s'en souciait pas, lui-même de quelques illustrations d'encre noir. C'est alors le cœur léger qu'il avait préparé sa valise pour se rendre à Jeju, île sur laquelle il allait passer les deux prochains mois. Être payé pour s'occuper d'enfants sur une plage magnifique sans avoir à laisser ses précieux piercings et tatouages, c'était le job rêvé et Félix était tout aussi enthousiaste que lui s'il en jugeait les dizaines de messages enjoués qu'il ne cessait de lui envoyer depuis qu'ils avaient reçu la nouvelle.

Et alors qu'il refermait sa valise, il scanna la pièce au cas où il aurait oublié quelque chose et son regard s'était posé sur la guitare au fond de sa chambre. C'était plus fort que lui, de contempler cette relique d'un temps révolu. Des écritures gribouillées d'adolescents naïfs, les rayures de tous ses voyages, recouverts par une couche grisâtre de poussières, le manche presque accroché au mur avec toutes les toiles d'araignées qui l'y reliait. Sa poitrine se serra, se compressa, comme pour combler un vide, se rassurer par sa propre présence. L'instrument prenait de la place dans les quelques mètres carrés qui composaient sa chambre et pourtant, impossible de s'en séparer. Il avait le sentiment que s'il le faisait, alors il effaçait tout, il tournait la page. Il aurait aimé la déchirer, la brûler, la réduire en poussière cette page, ce chapitre même si ce n'est pas tout le livre et dans un espoir contradictoire, il la conservait, cette page, protégeait même, contre lui-même plus qu'autre chose.

Il secoua ces idées de sa tête. Il était censé être arc-en-ciel et bonne humeur aujourd'hui. Pas déprime et nuages gris. Il vérifia une dernière fois qu'il avait tout et sortit de son appartement. Même si celui-ci était miteux et bien trop petit pour accueillir un humain normalement constitué, il allait lui manquer. Cet endroit, aussi rustique et précaire qu'il puisse être, à été son premier vrai chez soi. Le premier endroit auquel il pouvait revenir avec un soupir de soulagement plutôt qu'une boule au ventre.

Après de longs adieux, Jisung avait enfin quitté l'immeuble et avait envoyé un message à Félix et Hyunjin pour leur indiquer qu'il était prêt. Sans surprise Hyunjin, leur chauffeur, n'était toujours pas prêt et bien trop occupé choisir sa tenue. Jisung rit doucement, absolument pas surpris et même plus que préparé à cette éventualité et se contenta de s'asseoir sur le muret devant l'immeuble, vérifiant une ultime fois s'il était bien sûr d'avoir tout pris. Maintenant qu'il y pensait, il n'avait jamais quitté Séoul, par manque de moyens surtout, un peu par peur du dépaysement. Mais en y réfléchissant, s'éloigner de tout lui ferait le plus grand bien, peut-être qu'enfin il pourra se rafraîchir les idées et cesser de ruminer sur le passé le temps d'un été.

20 minutes d'attente plus tard, Hyunjin était là dans la voiture toute cabossée de son père, son arrivée accompagnée du vrombissement inquiétant de son carrosse. De belles lunettes soleil hors de prix étaient sur son nez et ses cheveux étaient, comme d'habitude, relevés en une demi-queue. Les manches de sa chemise blanche étaient assez relevés pour qu'on puisse apercevoir le serpent d'encre qui occupait tout son avant-bras droit, designé par les soins de Jisung.

« Désolé du retard chéri, s'excusa Hyunjin en abaissant la vitre de la voiture.
— Je suis habitué avant le temps, sourit Jisung avant de se mettre sur la banquette arrière, aux côtés de Félix. »

Ils avaient un avion à prendre dans un peu moins de deux heures et ils habitaient à une demi-heure environ de l'aéroport. Et bon, vu la légendaire ponctualité de Hyunjin, ils allaient devoir se dépêcher. Bien heureusement, ils étaient arrivés assez rapidement, en tout cas le karaoké et les jeux improvisés avaient beaucoup aidé dans le passage rapide du temps, l'interprétation assez libre de Hyunjin du code de la route a sûrement aussi joué.

Une fois sur place, ils avaient déposé leurs valises, montré leur passeport et tout le bazar. Dans l'avion, Hyunjin avait pris des somnifères pour dormir tout le trajet étant donné qu'il avait une peur panique de l'avion et Félix était bien trop obnubilé par son jeu vidéo pour prêter attention à Jisung et son blablatage. C'était alors Jisung et ses pensées alors qu'il observait l'avion prendre de plus en plus de hauteur pour enfin dépasser les traînés de nuages cotonneux au-dessus d'eux. Problème était que laisser Jisung et ses pensées seuls ne faisaient que rarement bon ménage et la peur pris le dessus. C'était la première fois qu'il allait devoir s'occuper d'enfants. Certes, il avait passé la très grande majorité de sa vie à s'occuper de petite sœur mais l'échelle n'était absolument pas la même, et sa petite-sœur avait toujours eu un bon caractère, tout l'inverse de lui d'ailleurs, c'était toujours assez agréable de la garder. Il était terrifié de tout faire foirer, qu'un se blesse à cause d'un inattention, que la colonie reçoive une plainte et qu'au final il finisse par être viré par le seul endroit qui ait bien voulu de lui. Qu'encore une fois, il balance la seule chose bonne à lui arriver par-dessus la fenêtre parce que c'était toujours ce qu'il se passait lorsqu'il avait le droit à un peu de bonheur. Il ne savait pas quoi en faire, c'était trop nouveau, étrange, alors il le transformait en la chose qu'il connaissait le mieux ; le chaos, la détresse, l'instabilité. Il fallait qu'il se change les idées.

Il prit  l'un de ses magazines inintéressant à propos de gens riches tout aussi inintéressant, dans l'espoir que cela puisse le distraire de sa propre vie justement, un peu trop intéressante. Cependant le monde semblait être contre lui car en première de couverture se trouvait personne d'autre que : Lee Minho. Minho était riche, beau et inintéressant alors il cochait toutes les cases de ce magazine nul. En grosses lettres rouges était écrit "MINHO ET SA COPINE, LE NOUVEAU COUPLE QUI FAIT RAVAGE" barrant un cliché de Minho avec un masque des lunettes couvrant ses yeux, habillé d'une chemise Ralph Lauren et 'autres articles sûrement tous plus chers les uns que les autres avec à son bras, une petite brunette habillé d'un t-shirt blanc et une jupe de la même couleur. Jisung se fichait totalement de ce "nouveau couple qui fait ravage".

Et pourtant il était allé à la page indiquée pour lire cette passionnante interview. Les questions étaient basiques et principalement centrées sur leur couple et à quel point ils s'aimaient et étaient fait l'un pour l'autre. Mais surtout, un mot avait tiqué sa curiosité. Mariage. Minho ? Se marier ? C'était deux choses qui rentraient bien trop en désaccord avec les valeurs du blond. Lui qui était si attaché à sa liberté. Il n'y croyait pas. Ou il ne voulait pas y croire, il ne savait pas vraiment. Il avait du mal à avaler le fait que Minho puisse être aussi sûr de son amour pour se marier aussi jeune.

Malheureusement ou heureusement, il dut arrêter sa lecture car l'avion s'était posé sur la terre ferme. Il avait réveillé Hyunjin avec un peu de mal, et prévint Félix qu'ils allaient devoir descendre. Leurs valises en main, ils avaient pris le premier taxi pour l'adresse du camp. Le trajet dura à peine quelques minutes et une fois le chauffeur payé, ils étaient en face d'une arche avec écrit en grosses lettres "Cherry Camp". Derrière, Jisung pouvait apercevoir des bungalows en bois avec vue sur la mer. Ils étaient placés juste devant la plage qui elle était presque immaculée de tous déchets, étincelant sous les rayons du soleil brûlant sur leur peau. C'était vraiment magnifique.

En regardant autour de lui, une petite poignée d'autres personnes étaient présentes et discutaient joyeusement entre eux. Jisung sentit une nouvelle vague d'anxiété dans le creux de son ventre. Il n'était pas le meilleur lorsqu'on en venait aux rencontres et à la socialisation. Déjà, les gens se faisaient toujours une montagne de préjugés lorsqu'ils le voyaient et Jisung se perdait toujours dans ces mots, trébuchait sur ses syllabes, pour finalement cracher une boule incohérentes de phrases à l'envers aux débuts et fins indiscernables et il finissait toujours par ressembler à un idiot. C'était plus fort que lui.

Il n'avait pas eu le temps de s'inquiéter plus que ça parce que le vrombissement du moteur de la voiture qui venait de se garer en face d'eux était plus fort que ses pensées. Une Lamborghini noire sans une seule rayure sur sa carrosserie qui reflétait le paysage vacancier dans son vernis parfait. La capote était relevé, le conducteur à découvert que Jisung ne mit pas plus de quelques secondes à reconnaitre. Malgré ses lunettes de soleil opaques, son sourire arrogant et cette manie à se mettre en spectacle n'était propre qu'à une seule personne. Et cette personne était Lee Minho. La dernière personne que Jisung aurait voulu voir ici. Tout le monde autour de lui était bouche bée devant cette magnifique voiture accompagnée d'un garçon qui égalait sans aucun doute la classe et la perfection des moulures de son véhicule. Minho referma la portière derrière lui, et avait fait un signe de salutation aux quelques personnes présentes. Ce n'est que lorsque son regard croisa celui du blond qu'il se rendit compte que lui non plus, n'avait pas détaché son regard du nouvel arrivant. Minho sembla hésiter. Entreprit une marche. S'arrête. Jisung est figé, il ne sait pas quoi faire, comme un daim en plein phare, il ne peut que faire face à son funeste sort sans bouger. Minho passe une main dans ses cheveux, semble faire demi-tour avant de s'élancer, le pas décidé vers Jisung et Félix.

« Est-ce que c'est-
— Oui, oui c'est lui, interrompit Jisung, la voix presque tremblante.
— Et il s'avance vers nous je crois, dit Félix avec une intonation légèrement paniquée.
— Je sais. Le regarde pas, fais comme si tu ne le connaissais pas. »

Le daim avait repris ses fonctions motrices et se plaça dos au prédateur, les yeux sur le sol. Daim était devenu autruche. Félix écouta les instructions de son ami et avait détourné le regard de la figure confiante de Minho pour se concentrer vers Jisung qui ressemblait à un petit écureuil entre frayeur et quelque chose d'autre, quelque chose de plus enfoui. Mais malgré toutes ces précautions, Minho s'était tout de même arrêté à leur hauteur, un grand sourire aux lèvres.

« Hey Jisung et Félix c'est ça ? Félix hocha la tête tandis que Jisung regardait ses ongles, Quelle bonne surprise ! Je savais pas que vous veniez travailler ici vous aussi !
— T'as pas d'autres choses à faire ? Demanda Jisung, de plus en plus agacé par sa présence.
— E-euh..., devant l'attitude plus qu'antipathique du noiraud, il parut presque perdre la face, presque, Non. Pas vraiment en fait. Ecoute, je voulais juste pouvoir par-
— Non merci. Viens Félix, il avait pris son ami par la main et s'était éloigné. »

Félix n'avait même pas osé protester contre la décision de Jisung. Sa poigne autour de son poignet n'était pas très forte, mais assez pour que Félix sente à que protester ne servirait à rien. Il savait que Jisung ne serait jamais violent, au contraire. Il avait même tendance à pleurer lorsque sa colère était bien trop insupportable. Non en fait Félix n'était même pas sûr que Jisung soit énervé.
Jisung n'avait pas prononcé une parole de plus depuis l'interpellation de Minho, son attention dirigée sur autre chose. Quelque chose de plus inquiétant, pour lui en tout cas. Son cœur. Boom. Boom. Boom. Irrégulier, incontrôlable, sur sa propre course. Une course que Jisung connaissait par cœur, qu'il avait déjà échouer et qu'il ne voulait pas recommencer. Son esprit savait, les conséquences, les risques, les aléas, son cœur lui semblait ne jamais grandir ni apprendre des erreurs du passé. Sa raison avait déjà décidé de se lancer dans les marches tranquilles, de ne plus se lancer dans les courses olympiques mais ses sentiments avaient toujours la passion, cette flamme qui ne voulait pas s'éteindre, et n'était pas faute d'avoir essayé. Il avait beau se répéter les mêmes choses, rien n'y faisait. Boom. Boom. Boom. Son cœur n'en faisait qu'à sa tête.

Le gérant du camp avait pris la parole, et désormais la petite dizaine de moniteurs et monitrices était tous et toutes ouïe à ses paroles. Enfin tous sauf Jisung qui essayait toujours de se remettre de la présence de Minho.

« Bienvenue à Cherry Camp. Alors vous serez dispatchés en duos qui vont tourner tous les jours. Vous allez avoir un planning avec vos partenaires du jour, le groupe que vous allez garder et les activités que vous allez faire. On a environ une centaine d'enfants à notre charge alors c'est très, très important de bien les encadrés. Si un se blesse ce sera notre faute, compris ? Tout le monde hocha la tête et le gérant continua, Les règles sont simples, 1. Pas de relations avec les enfants que l'on garde, ça paraît évident 2. Pas de relations entre employés aussi. Je sais que la plupart d'entre vous êtes jeunes mais va falloir calmez vos hormones, quelques rires se firent entendre, 3. Pas d'alcool, drogue et pas le droit de fumer sur le camp. C'est les trois règles principales sinon les autres sont dans le mail que je vous ai envoyé. Bref le planning et les chambres sont affichés sur le tableau de bord et on commence à accueillir les gosses demain. Donc après vous être installés il va falloir mettre en place le matos etc. »

Tout le monde acquiesça sans broncher et s'était directement dirigés vers la petite feuille qui était affichée sur le tableau en liège. Jisung sortit finalement de sa bulle lorsque Félix le tira par le poignet vers le tableau en liège accroché à l'entrée du camp. Chacun fit glisser son doigt sur le papier, et Jisung se sentit presque soulagé en voyant un Lee à côté de son nom jusqu'à ce qu'il se rende compte du prénom qui allait avec. Minho. Lee Minho et Han Jisung dans le bungalow 3.

« On dirait qu'on est colocataires, déclara le blond à côté de lui, un sourire au lèvre. »

Bordel de merde.