𝟏𝟏 | 𝓸𝓷𝔃𝒆
Bonne lecture !
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La mer lui a un jour dit : « Ton avenir est tout tracé. Il n'appartient qu'à toi de le suivre les yeux fermés ».
Octavius avait entendu. Il n'avait pas répondu.
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William sent l'eau tiède sur la peau de ses pieds nus.
Il fixe Octavius, en contre-bas, qui course l'immense poisson qu'ils ont intégré au bassin dans l'après-midi. Il commence à se faire tard, mais ses muscles douloureux l'empêchent de se lever.
William n'a pas envie de partir, pas plus qu'il n'a envie de rester. Il regarde Octavius, son ombre presque menaçante, comme un requin qui tourne autour d'une pauvre barque en bois.
Sauf qu'il n'est pas sur une barque : il est seul au milieu de l'océan, les jambes figées dans l'eau glacée, une créature particulière dangereuse sous ses pieds.
Quand Octavius revient à la surface, il apparaît prudemment, silencieusement. Ses grands yeux sont ouverts sur William, et ils s'observent quelques secondes sans rien dire.
– Pourquoi tu me fixes ? finit par dire la sirène en s'approchant.
Il écarte les jambes de William, et se rapproche jusqu'à pouvoir poser sa tête sur sa cuisse. L'air est chaud, étouffant. Sa peau lui brûle dès qu'il sort de l'eau, mais c'est un sacrifice qu'il est prêt à faire.
– Je sais pas, répond William en penchant la tête. Je me demandais...
– Tu te demandais ?
– Tu ne peux pas parler sous l'eau.
Octavius sourit, ce rictus impétueux et irritant. Charmant.
– Sans blague. T'es bizarre aujourd'hui.
– Je me demandais simplement comment vous faisiez pour communiquer entre vous.
Les longs doigts d'Octavius sont posés sur la matière bleue de sa combinaison. Ils sont glacés, et le brûlent presque. William se sent épuisé : il pourrait simplement se laisser tomber, fermer les yeux, et espérer ne pas se noyer.
– Qui te dit qu'on est plusieurs ?
– Je ne sais pas. C'est le cas ? Tu es tout seul ?
Il a l'impression qu'Octavius le lui a déjà dit, un jour. Quelque chose comme ça, un murmure, un aveu : « Ils me manquent ». De plus, cette sirène est beaucoup trop bavarde pour avoir vécu seule toute sa vie.
Il étend le cou, frotte un peu sa joue contre sa cuisse, et secoue la tête.
– Non. Je suis pas seul.
Une voix claire, basse, presque un murmure. Une confession, un secret entre eux deux.
– Tu sais que je ne dirais rien.
– Je sais. Je le sais bien.
La main d'Octavius s'approche, et il le regarde d'en bas : son long cou, son torse, sa peau blanche, ses muscles saillants. William observe tout ça, la poitrine en feu, et essaye d'éteindre l'incendie de son cœur.
Les doigts de la sirène s'enroulent autour des siens.
– Je connais sept de vos langues humaines. On les apprend, sous l'eau, au cas où. On ne peut les pratiquer qu'à la surface, mais c'est mieux que rien. Je ne sais pas écrire, en revanche. Et pas vraiment lire non plus.
Il s'arrête, et son regard se perd. Il s'éloigne, loin d'ici.
– J'aimais bien quand tu me racontais des histoires. Avec tes livres. Il n'y a rien de tel là d'où je viens.
William frissonne. Le sourire insolent d'Octavius a disparu, et il ne reste que lui, appuyé sur ses genoux, son corps perdu dans l'eau. La chaleur est en train de le rendre fou.
– Votre monde est fascinant, mais je déteste les humains. C'est à cause de vous que la mer souffre.
Il ne veut pas le questionner. Il ne peut même pas le contredire. Sur Terre, quoi qu'on en dise, c'est la loi du plus fort.
– Sous l'eau, on communique... je sais pas trop comment dire ça. Je crois que vous n'êtes pas aussi sensible aux vibrations que nous. On n'a pas besoin d'ouvrir la bouche pour se comprendre. Nos corps sont bien mieux faits que les vôtres.
William sourit. Les doigts d'Octavius jouent avec les siens, et il semble tout à coup fatigué. Ils le sont tous les deux.
– T'as sûrement raison.
Il rajoute :
– La prochaine fois, je te rapporterai un livre. Ça te va ?
La nuit est lourde et brûlante. William ferme les yeux et se laisse engloutir.
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Ses muscles lui hurlent de s'arrêter, mais William ignore son corps.
Il court, plus vite que d'habitude, sans pose et sans eau. Tout ce qu'il veut, c'est oublier : que la nuit l'avale et que la mer le submerge.
Il a oublié son casque en partant de chez lui, ainsi les seuls sons qu'il entend sont les vagues agitées, et les dernières fêtes du centre-ville. La nuit est sombre, sans lune, sans étoile : juste lui, le sol dur sous ses vieilles chaussures, et sa respiration haletante.
Au bout d'un moment, il s'arrête, titube sur trois mètres, puis tombe à genoux pour vomir dans un parterre de fleurs. Sa gorge le brûle, il tousse, un goût écœurant remplit sa bouche. Il regrette quelques secondes, puis finit par se relever pour continuer.
Il ne croise personne, et personne ne le croise. William n'est plus qu'une ombre, qu'un jeune adulte perdu et avalé par le temps, qu'un mec complètement perdu qui reprend parfois ses esprits et qui essaye de fuir, qu'une énième personne victime de ses addictions.
Octavius l'hypnotise et le fascine. Il est son addiction, une addiction cruelle qu'il ne peut plus laisser tomber, à présent.
Il continue de courir jusqu'au port, puis fait demi-tour. Au retour, sa tête lui tourne et son sang monte à ses joues : en arrivant près du muret qui le sépare de la plage, William ne s'arrête pas et saute par dessus. Il retombe de l'autre côté, deux mètres plus bas.
Ses chevilles protestent, mais il ne sent même pas la douleur. Son corps n'est qu'une enveloppe épuisée qu'il ne veut pas laisser tranquille, et aucune pensée cohérente ne peut se former dans son esprit assailli par la culpabilité.
Il s'en veut d'ignorer ses amis, il s'en veut de se laisser tomber aussi facilement, il s'en veut de se laisser faire ainsi, il s'en veut d'avoir laissé cette foutue sirène entrer dans sa vie aussi facilement. Il s'en veut de sentir son cœur s'emballer à chaque fois qu'il pense à son « On sait toujours », à ses lèvres sur les siennes, à ses doigts sur sa peau. Il s'en veut à chaque fois qu'il voit Octavius dans sa prison de vitre et d'eau claire, et il s'en veut de ne rien vouloir faire pour lui.
Il se laisse happer, il se laisse détruire.
La mer est glacée, au contraire de l'air étouffant : l'eau rentre dans ses chaussures, trempe ses chaussettes. Il fixe les vagues qui épousent ses mollets, observe ses mains tremblantes et voit les gouttes de sueur qui tombent de son front.
Il prend une grande inspiration, puis fait demi-tour. Il rentre chez lui, le cœur sur le point d'exploser et les pieds pleins d'ampoules.
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William porte son sandwich insipide jusqu'à la bouche, et mord dedans.
Ses pieds nus dans l'eau du bassin, il se sent absent : une enveloppe vide et des cernes presque noires. La pièce est calme, silencieuse. Octavius ne fait rien, à par le regarder avec inquiétude.
Il pose une main hésitante sur sa cuisse et les yeux de William se posent sur lui.
– Tu as l'air ailleurs.
Octavius s'avance : il veut poser ses lèvres sur les siennes, mais William se mord et tourne la tête dans l'autre sens. Il a l'air si épuisé.
– Tout va bien, dit-il avant de prendre une bouchée de son repas.
– Tu as l'air pensif, insiste Octavius en se surélevant.
Il sort un peu de l'eau, et attrape le menton de William pour le forcer à le regarder.
– Qu'est-ce qu'il y a ? Dis-moi.
Le souffle de William s'écrase sur le bas de son visage, et les doigts d'Octavius sentent les poils drus de son début de barbe.
– Est-ce que tu as envie de rentrer chez toi ?
Le silence s'impose, dur et presque violent. Octavius le fixe, la bouche entre ouverte. Ses yeux deviennent soudain plus clairs, presque bleus.
Son sandwich a un goût de sable dans sa bouche.
– Est-ce que... parfois la mer te manque ?
La sirène hésite. Cette fois, c'est elle qui affiche un air triste et fatigué. Il s'appuie de tout son poids sur William.
– Pourquoi tu me demandes ça ?
– Je me posais la question.
Octavius mord à son tour dans le sandwich, et gagne quelques secondes. Le temps passe, l'instant se termine.
– Oui, répond-il. Oui, elle me manque. Tous les jours.
William soupire : sa poitrine est vide. Son cœur bat comme un malade en fin de vie.
– Je vois.
– Mais tu es là.
– Ça ne veut rien dire.
– Bien sûr que si. Si je suis là, c'est parce que je devais te rencontrer.
– Tu crois vraiment à tout ça ?
– Ce n'est pas une question de croire. La mer me guide, et souviens-toi : on sait toujours.
William ferme les yeux. Il n'a plus faim, tout à coup.
Dans un frisson, il lève les bras et serre Octavius contre lui : il est humide et sent l'eau et le chlore, mais ce n'est pas grave. Sa peau est froide comme du marbre, douce comme de la soie. Il est là, bien tangible, et William peut faire ça. Simplement tendre les bras, et attendre qu'il vienne contre lui.
– Je suis désolé, dit-il dans un murmure.
– Ne le sois pas.
Les minutes passent. La pause déjeuner se termine.
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Des bisous !
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