Sans raison particulière, sans m'en apercevoir, j’avais rappelé le dernier numéro qui m’avait contacté. À mon « Allô ? » hésitant, une voix que je n’ai pas reconnue a répondu « J’attendais ton appel. Je viens. »

Puis en vidéo-conférence, à ma plus grande surprise, je t’ai vu en voiture. Ton visage avait à peine vieilli. L’objectif s'est rapidement tourné vers la route. Ensuite tu as déposé le téléphone sur tes cuisses. Consterné, je n’ai rien pu dire d’autre que « Euh, ne téléphone pas au volant, c’est dangereux. » Puis j'ai raccroché.

Dans un lieu inconnu, j’ai regardé dans un petit miroir de poche. Mes yeux étaient cerclés d’avoir trop peu dormi. Ma peau avait l'aspect parcheminé et gris, typique aux gros fumeurs.

Tu es arrivé devant moi plus vite que prévu. Tu semblais si confiant sur le fait que nous reprendrions notre ancienne relation. Abasourdi, je t’ai annoncé sans grand entrain être marié. Pendant que je pensais à mon annulaire nu. Je ne me souviens plus des quelques mots échangés ensuite.

Nous sommes entrés dans un bâtiment mélangeant les fonctions de salon de thé, de musée et de supermarché. Escaladé les étages, puis redescendu. Ou était-ce l'inverse ? Avec des arrêts réguliers pour discuter de notre situation. Une conversation de sourds. Avec quelques nouvelles échangées sur nos vies respectives pendant toutes ces années d’éloignement. Une ou deux fois, je t’ai convaincu de changer d’étage. Il y avait des personnes autour, on ne pouvait parler librement.

Dans la section supermarché, une pyramide de produits dérivés aux couleurs de Donald Duck. Des sortes d'œufs Kinder ? Certains sous licence Star Wars. Il ne semblait pas y avoir de chocolat. Les jouets étaient emballés si serrés qu'il était tout à fait possible de deviner lesquels se cachaient sous l'aluminium coloré. Trois coloris différents : la version bleue de Disney, le côté clair, le côté obscur. J'en ai manipulé quelques uns, dans l’intention d'en acheter au moins un du côté obscur. J’ai l’impression que tu voulais me l’offrir. J’ai même le vague souvenir que nous avons fait la queue à la caisse, et que tu as tendu des pièces. Dont une de Couronne danoise, qui a roulé dans les allées par terre. Pourtant je suis reparti les mains vides.

Sortis dans un pré voisin, nous avons à peine pu reprendre la discussion. Je me suis aperçu que lors d'une de nos haltes dans l'un des étages de la section salon de thé, j’avais égaré mes chaussons. Je n’avais pas l’impression d’être pieds nus. Et pourquoi portais-je des chaussons à l’extérieur ?

Nous avons rebroussé chemin, parcouru des marches innombrables, sans parler, à la recherche de ce que j’avais égaré. Longtemps, nous avons cherché dans les étages. Je ne reconnaissais aucun lieu. Avec toi dans mon sillage, j’ai continué à chercher mes pantoufles confortables. Sans panique, sans un mot. Longtemps, en vain.

Puis je me suis réveillé quelques minutes avant la sonnerie de mon réveil ce matin. Quand il s'est déclenché, j’ai senti une vague d’angoisse me gagner. Je ne sais pas ce que représentent mes chaussons perdus. Je ne sais pas pour quelle raison je les cherchais. Je ne me souviens pas comment je les avais perdus pendant que je partageais des conversations décousues avec toi.