Pattes en l'air sur le lit, Lilith observait son arbre à chat au niveau de la fenêtre. Elle resserra les pattes de plaisir, elle profitait du soleil réchauffant sereinement son ventre. Une question cruciale la tourmentait, ou était la souris ? Ses derniers souvenirs présumaient sous la table ! À moins que cela ne soit près de la gamelle ? « Tu as autant de mémoire qu'un poisson rouge », se plaisait à dire son maître. C'était assez injurieux, un poisson ne faisait que tourner en rond dans l'aquarium ! Lilith tournait autour de sa gamelle quand elle la nettoyait.

On lui reprochait assez fréquemment des choses dont elle n'était absolument pas responsable. Son maître la sermonnait souvent pour des vêtements abîmés. Si elle n'en avait aucun souvenir, cela démontrait bien son innocence. Pourquoi autant d'insistance ? Elle lui pardonnait, la fatigue expliquait cet acharnement grotesque. Il était vrai que parfois elle croisait par hasard une manche tombant d'un dossier de chaise. N'était-ce pas un geste provocateur ? Le linge propre passait directement de la machine à laver à l'armoire. Pendant le lavage, elle adorait regarder par le hublot les vêtements tournant à grande vitesse. C'était tout à la fois excitant que reposant.
Elle pouvait à la limite tolérer la présence du linge empilé sur le lit, mais pas trop longtemps. Juste le temps de le ranger ! Elle prenait grand plaisir à se rouler dedans, à ressentir de rares effluves d'odeurs de son maître.

Elle se perdit un court moment dans ses pensées. Elle réfléchissait à l'avenir. Combien de boules de poils cracherait-elle demain ! Combien de temps mettrait son maître à la trouver quand il la cherchait partout alors qu'elle était à l'entrée !
Son maître était si beau, si attentionné, si tolérant !
Elle se pencha sur le côté pour regarder une chaussette derrière la chaise. Trop loin !

Elle obliqua en direction du miroir de l'armoire afin d'orienter son dos au soleil. Elle observa son reflet, plus particulièrement la tache blanche sur le côté de la truffe. Son maître ne pouvait que l'aimer !
Elle tendit de tout son long les pattes. Elle s'étira en bâillant comme une forcenée. Que la vie de chat était éreintante.
Chaque jour, elle devait patrouiller à la recherche d'une bêtise à faire. Ce n'était pas un besoin nécessaire, mais une obligation. Adopter un maître n'était pas chose facile. Bien au contraire!
Il fallait le surprendre, lui éviter toute mauvaise habitude. Si elle restait affalée à ne rien faire, il se lasserait rapidement. Elle prenait plaisir à l'accueillir, mais avait obligation d'exagérer afin de satisfaire son ego de maître.
Retournant sur ses pattes, elle approcha du bord du lit pour observer le sol. Elle bondit avec aisance pour traverser la chambre en direction du couloir.
Dans le salon, elle grimpa sur une chaise puis glissa contre le dossier pour monter sur la table.
Elle renifla la nappe pour s'attarder sur le set de table walking dead sans miettes. Prenant appui sur ses fesses, elle regarda les personnages du comics affrontant des morts-vivants.
Bien évidemment, elle ne pouvait distinguer le dessin, mais elle imitait à la perfection son maître la regardant.
Faisant demi-tour, elle regarda les armes de collections pendues au mur. Là encore, elle ne pouvait discerner que leurs silhouettes, l'odeur de métal et poudre séchée.
L'absence de son maître avec deux heures de retard la dérangeait. Il était irrespectueux de ne pas dîner à heure fixe ! Avant l'heure, pourquoi pas, après, sûrement pas. Elle sauta sur le canapé pour se rouler en boule afin de camoufler son museau sous une patte.

Une sonnerie stridente la fit sursauter. Elle tendit une oreille sans bouger le reste du corps. Cela provenait de dessous le grand écran noir dans le coin du salon. Le son commençait à l'énerver. Elle bougea la patte pour observer une lumière clignotante.

— Bouygues Telecom, nous vous appelons pour...

Telle une panthère, elle jaillit pour observer en direction de la voix. Elle chercha ou l'intrus s'était camouflé. Plissant les yeux, elle se mit en condition d'attaque, pattes écartées, ventre à quelques millimètres du sol. On empiétait sur son territoire !

Le sifflement de fin de message la terrorisa, la forçant à fuir en direction de la chambre. Elle heurta l'arbre à chat dans l'entrée qui bascula pour se caler contre l'armoire. Ventre rasant le sol, elle accéléra pour partir se cacher sous le lit.