Chapitre 2.5
- Quel côté ? siffla Nurh qui fendait les bois aussi rapidement que possible, devançant la prêtresse de quelques mètres seulement.
Le souffle court, celle-ci leva un bref instant les yeux pour observer les alentours. Elle retrouva rapidement le chemin qu'elle avait emprunté quelques heures plus tôt, quand elle était partie en quête de gibier. Son sens de l'orientation infaillible s'était toujours révélé être un outil précieux, et aujourd'hui elle l'estimait bien plus encore.
- Sur la gauche, ils ne sont plus qu'à un kilomètre !
Son compagnon ne répondit rien et se contenta de bifurquer vers la direction indiquée. Le mutisme dans lequel il s'était enfoncé peu après que Cyl ait terminé son récit était peut-être pire que l'éclat de colère auquel elle s'était attendue, car il lui refusait toute marche de manœuvre possible. Elle ne savait absolument pas ce qu'il pouvait bien penser, et cela la torturait. Il était furieux, c'était indéniable, mais sans discussion, rien ne permettait à Cyl d'expliquer ses choix, aussi mauvais soient-ils à ses yeux.
« Mère Miséricordieuse ! » s'était lamenté Nurh une fois que l'histoire lui ait été relatée dans les moindres détails, « Et tu es partie en les laissant seuls ? », sa voix s'était réduite à un souffle ténu, écho de l'inquiétude qui suintait de tous les pores de sa peau, déformant son profil d'ordinaire séduisant et joyeux. Il avait ensuite relâché la magie qui retenait la prêtresse prisonnière, lui avait tendu sa main et l'avait remise debout. « Guide-moi, le temps presse. »
Tout dans ses gestes traduisait sa fébrilité et son angoisse. Cyl avait obéit en silence.
Depuis, ils filaient à toute allure dans les ténèbres qui se profilaient à l'horizon, annonciateurs de la nuit à venir. Il était tard, le temps s'était écoulé plus vite que la jeune femme ne l'avait escompté. Perdue dans ses sombres pensées, la culpabilité lui tordit une nouvelle fois les entrailles.
Certes, elle avait longuement pesé le pour et le contre avant de partir. Mais tous ses doutes étaient amplifiés par la colère de Nurh.
Et si le garçon s'était réveillé et s'était retourné contre la Bête-Divine ?
Que ferait-elle si l'un d'entre eux était blessé, ou pire encore, mort ?
Que dirait-t-elle à sa Déesse ?
La prêtresse ne pu retenir un frisson de peur et accéléra son pas de course. Elle imita Nurh qui sauta avec agilité par dessus un ruisseau gelé et adressa une prière silencieuse à la Dame de la Chance. Si il y avait bien un dieu dans toute l'Elémentale qui pouvait bien sauver la face, c'était elle. Il ne leur restait plus que quelques mètres à parcourir, mais cette distance lui paru suffisamment longue pour lui laisser le temps de ressasser en boucle les pires scénarios.
Une minute de course effrénée suffit pour laisser apparaître la petite clairière où elle avait laissé ses deux compagnons.
- Tout droit ! Ils sont devant ! avertit la prêtresse à bout de souffle.
Suivant des yeux l'endroit indiqué par la prêtresse, Nurh pria lui aussi pour qu'il ne soit rien arrivé, mais un mauvais pressentiment le tenaillait. Bientôt, il distingua le faible chatoiement des pierres de protections disposées par Cyl autour du petit campement, puis en plissant un peu les yeux, la silhouette d'un homme de dos. Il allongea encore ses foulées, distançant désormais la prêtresse d'une bonne dizaine de mètres.
L'homme tenait quelque chose entre ses mains levées. Une petite silhouette baignée par la lumière de la lune, une silhouette aux plumes iridescentes et au long bec du même blanc.
Une silhouette totalement inerte. Le cœur du guerrier rata un battement.
- Fenned ! hurla Nurh en dégainant son épée.
Il se précipita vers l'homme et lâcha un cri sauvage. Il était prêt à se battre.
Chasseur-Loin-Voyant-Au-Pelage-Donné-Par-La-Lune sursauta, puis détailla le nouvel arrivant d'un œil rond. Il venait tout juste de sortir de sa transe et était encore perdu dans les brumes mouvantes de son esprit.
Cependant, à la vue de l'homme qui brandissait une longue lame étincelante sous le clair-de-lune, son instinct pris le dessus : d'un bond, il se retrouva campé sur ses deux jambes en position défensive. Le deux-pattes chargea en poussant un hurlement guttural, et le loup entendit à peine les cris désespérés de la prêtresse derrière-lui.
C'est à cet instant seulement qu'il remarqua le corbeau inerte entre ses mains. Il poussa un jappement de surprise et d'horreur mêlées et lâcha l'oiseau qui tomba au sol en un bruit mat.
- Qu'as-tu fait ? tonna Nurh en se jetant sur l'homme-loup.
Celui-ci, choqué, manqua de peu de se faire embrocher par sa lame. Nurh lui infligea une longue estafilade sur la joue droite. Le loup glapit et tenta un pas mal assuré en arrière, esquivant un deuxième coup. Le guerrier rugit et lâcha son épée pour mieux saisir le garçon et lui assener un coup poing empli de toute sa rage contenue. Le loup tomba au sol, sonné.
- Espèce de salaud ! hurla le guerrier, prêt à marteler à nouveau le garçon. Qu'as-tu fait ?
- Fenned ! cria la prêtresse tout en se jetant au sol pour recueillir la Bête-Divine entre ses mains tremblantes.
Bien que sa vue soit brouillée par les larmes qui dévalaient sur ses joues, elle observa, pria, pour déceler ne serait-ce que la moindre petite étincelle de vie chez son précieux compagnon.
Entre temps, le guerrier avait saisi le garçon à la gorge et l'avait plaqué au sol. Le loup lui donna un coup de pied désespéré dans la jambe et le fit à son tour basculer à terre. Nurh grogna en accusant le coup. Le loup lui, aspira goulûment l'air dans ses poumons brûlants, puis recula pour éviter un coup de poing vengeur. Trop tard. Le coup le cueillit en plein dans la tempe. Il s'écroula au sol. Nurh se jeta sur lui, s'appuyant de toutes ses forces sur son abdomen. Le garçon poussa un cri, et s'étrangla quand les deux grandes mains du guerrier enserrèrent à nouveau sa gorge tel un étaux mortel. Le loup essaya tant bien que mal de se dégager, en ruant, griffant, mais rien n'y fit : la force de l'homme était égale à celle d'un ours. L'air quitta peu à peu ses poumons, et avec lui, sa vie.
- Meurtrier, serinait Nurh entre ses dents serrées, évitant les coups de griffes du mutant qui lui faisait face. Meurtrier !
Son visage n'était plus qu'un masque de rage pure.
- Arrête Nurh ! Tu vas le tuer ! s'époumona la prêtresse en serrant l'oiseau inerte contre son sein. Il est en train de mourir !
Les bras du loup retombèrent mollement sur le sol. Nurh resserra sa prise, et sentit une première larme dévaler le long de sa joue.
- Il a tué Fenned !
La prêtresse se releva maladroitement, tenant avec mille précautions l'être Divin entre ses doigts agités de spasmes nerveux.
- Il n'est pas mort ! Il est en cycle réparateur, Nurh ! Relâche le garçon, relâche-le ! supplia-t-elle en s'approchant du guerrier et de l'homme-loup qui labourait désespérément la terre de ses griffes, la bouche grande ouverte en quête de l'oxygène salvateur.
- Éloigne Fenned de cette chose ! tonna Nurh pour toute réponse, faisant tressaillir la prêtresse. C'est un danger, recule-toi !
- C'est un enfant ! cria Cyl en désespoir de cause. Fenned n'a aucune blessure !
Le loup sombra dans l'inconscience, ses paupières se refermèrent et tout son corps devint mou.
- Pitié Nurh, aies pitié !
Un rayonnement d'un condensé de magie incroyablement pure lui coupa le souffle et interrompit ses suppliques. Elle trébucha. Nurh, lui, poussa un cri de surprise.
Entre les mains de la prêtresse, l'oiseau releva la tête et toisa le guerrier de son œil de flamme. Sa conscience divine s'empara de celle de Nurh, et la balaya telle un simple fétu de paille, paralysant tous les membres du guerrier. Il l'obligea à retirer ses mains du cou de l'homme-loup. La colère qui l'animait était aussi brûlante qu'un brasier, elle lécha les mains de Cyl qui poussa un gémissement, puis s'infiltra sous le crâne du guerrier et lui arracha un cri de douleur.
« Ne touche pas au petit frère, guerrier, ou je mangerais ton cœur. Tu es prévenu. »
Une dernière onde de colère parcouru le guerrier, avant que la Bête-Divine ne se retire totalement de sa conscience, le laissant hébété, perclus de douleur et sous le choc. Le corbeau reporta son attention sur la prêtresse qui considérait la scène avec effroi. Sans brusquerie mais avec empressement, il déversa dans l'esprit de Cyl la conversation qu'il avait eu avec le jeune garçon, suivit de la lutte âpre mais victorieuse qu'il avait mené pour le délivrer de sa folie.
« Je vais à nouveau entrer en cycle réparateur, Cyl-la-pressée. Purger la folie de l'esprit du petit s'est révélé plus compliqué que prévu. Soigne le et ramène-nous au temple. Rapidement. »
Sur ses dernières paroles, il interrompit le lien mental, et sa tête retomba sans bruit dans la paume de Cyl.
Celle-ci resta interdite plusieurs secondes, tétanisée par l'étalage des pouvoirs de la Bête-Divine, par la terreur et l'infinie tristesse qu'elle avait ressenti quand elle l'avait cru mort. Elle se laissa consumer quelques minutes encore par le maelstrom de ses émotions, puis s'infligea une claque mentale.
« Ressaisi-toi, ma fille, ressaisi-toi ! » balbutia-t-elle d'une voix faible. Quand elle osa enfin lever les yeux pour observer la scène, la tête lui tourna et elle fit un signe de protection. « Mère miséricordieuse ! »
Nurh se tenait immobile, encore à califourchon sur le ventre du garçon, lui-même inconscient. La tête basse, les bras rabattu le long du corps, prostré, le guerrier se contentait de murmurer des paroles inintelligibles. Le regard de la prêtresse coula vers le garçon, qui respirait avec peine : À chaque inspiration, un sifflement laborieux se faisait entendre.
Cyl déposa avec douceur et respect le corps flasque de la Bête-Divine sur un tas de fourrures, et s'avança vers les deux hommes. Puis, avec toute la délicatesse dont elle était capable, et posa une main sur la joue du guerrier. Ses yeux étaient fiévreux.
- Nurh, dit-elle à voix basse pour ne pas le brusquer, tu n'es pas blessé ?
Elle attrapa les mains tailladées de l'homme et observa les blessures, constatant avec soulagement qu'elles étaient toutes superflues. Elle coula un regard sombre vers le visage de son anciens amant. Ses blessures mentales, elles, semblaient bien plus graves.
- Nurh, murmura-t-elle, il faut que tu te lèves, je ne peux pas soigner le garçon.
Pas de réponse.
- Nurh, insista-t-elle en craignant déjà le pire.
Enfin, le guerrier frémit. Ses prunelles recouvrèrent une lueur de lucidité. Il releva la tête et toisa la prêtresse d'un œil hagard.
- Par toute l'Elémentale, Cyl, siffla-t-il d'une voix faible, je crois que tu es la seule personne que je connaisse capable de se mettre dans un tel pétrin.
Ensuite, il éprouva une sensation de grande légèreté, et s'évanouit.
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