Chapitre 2.4 : Lutte dans les bois
Cyl épingla son ancien amant d'un regard aussi dur que les pierres.
- Crois-moi Nurh : Tu n'as pas envie de jouer à ce jeu là avec moi.
L'homme ne répondit pas immédiatement. En deux grandes enjambées, il se tint face à elle, ses yeux pétillaient d'amusement.
- Pour toi, Duàli, dit-il en posant sa large main sur la joue de la prêtresse qui tressaillit à son contact, je jouerais à tous les jeux dont tu as envie.
Elle balaya sa main d'un geste sec et pesta intérieurement. À chaque fois qu'ils se revoyaient, c'était la même rengaine : Il la déstabilisait par ses clins d'œil désarmants, ses gestes d'affection incongrus et ses mots charmeurs, et elle ne savait jamais vraiment comment réagir. Leur relation étrange et compliquée n'améliorait pas la situation, et l'éloignement n'avait visiblement pas arrangé les choses.
- Ta bouche est pleine de miel, crétin. Tu vas finir par attirer les ours.
L'homme lâcha un bref éclat de rire, puis leva un doigt, arborant l'air candide de l'enfant qui récite une leçon bien apprise :
- « Tel le colibri enivré par le nectar d'une fleur, la femme se révèle à celui qui la complimente. » Je vais te soutirer tous tes secrets.
Cyl le considéra d'un œil mauvais.
- Ah ! toi, un lecteur de Maître Vandypard ? Je croyais que tu le détestais.
- En quatre ans, sache que j'ai eu le temps de lire quelques livres, et il se trouve que le sien en faisait partie. Je ne l'approuve pas pour autant, mais certains de ses vers sonnent bien à l'oreille.
La prêtresse rejeta ses lourdes mèches brunes derrière son épaule et lui adressa un regard sarcastique.
- Un vieux bouc aigri qui déteste les femmes dès qu'elles osent réclamer un tant soit peu de contrôle sur leur propre vie, et qui dispense des conseils aux jeunes imbéciles pour s'occuper de ces dernières, je suis surprise que tu n'apprécies pas, vraiment !
Nurh porta une main à son cœur, prenant un air faussement blessé.
- Si ma bouche est pleine de miel, la tienne est pleine de poignards, petite. Tes mots me heurtent.
L'ombre d'un sourire rehaussa un bref instant les traits de Cyl, si fugace que Nurh doutât l'avoir réellement vu.
- Je mentirais en disant que je suis désolée.
Heureux de voir la colère quitter le visage de la prêtresse, ne serait-ce qu'un court instant, Nurh s'autorisa un léger soupir de soulagement. Puis il reprit leur petite joute verbale, là où il se savait en terrain connu.
- Je n'en doute pas une seule seconde. Maintenant, vas-tu me dire pourquoi tu ne veux pas que nous fassions le voyage ensemble ?
Ses prunelles se crochetèrent dans le brun sombre des iris de Cyl. Ils se dévisagèrent quelques instants en silence, comme ils l'avaient souvent fait bien des années auparavant, en des circonstances autrement bien différentes.
Quel hasard tortueux d'avoir croisé la petite prêtresse sur son chemin, après tant de temps !
« Que cherche-t-elle à cacher ? » se demanda-t-il en se plongeant dans le détail des traits de son amie, à la recherche du moindre signe qui pourrait lui donner une réponse. Mais rien, non, absolument rien ne transparaissait de ce visage qui respirait la santé et la jeunesse, la force et la douceur mêlées. Le soulagement qu'il éprouva en constatant une nouvelle fois que la prêtresse restait inchangée physiquement, et ce qu'importe le nombre d'année qui les séparaient de leur dernière entrevue, le surprit. Ils n'étaient plus aussi intimes qu'autrefois et il s'était bêtement mis en tête qu'il lui accorderait moins d'importance et d'affection après un temps passée loin d'elle. Cependant, le caractère de Cyl, un mélange d'obstination butée couplée à un franc parler qui pouvait être désarmant au premier abord était la cause principale de leur amitié. Et cette amitié – étrange et bancale, certes – il fallait croire qu'il y tenait comme à la prunelle de ses yeux.
La prêtresse mordit sa lèvre supérieure, habitude qu'il lui avait toujours connu lorsqu'elle cherchait ses mots, puis passa une main dans ses cheveux. Son unique boucle d'oreille, une simple petite émeraude au fermoir en or, brilla dans le soleil de fin d'après-midi. C'était un présent qu'il lui avait fait bien des années auparavant.
Qu'elle le porte encore après tant de temps troubla brièvement le cœur de Nurh. Il ne savait pas quoi en penser.
- Où étais-tu ? demanda enfin Cyl, brisant le silence gêné sans remarquer le trouble plus intense qui habitait l'homme. Itte'naere mise à part, je n'ai pas eu une seule nouvelle de toi en quatre ans.
Nurh se frotta l'arrière du crâne et hésita un bref instant avant de répondre. Il voyait bien que la prêtresse essayait de changer de sujet pour se dérober à ses questions. Elle faisait tant d'effort pour éviter le sujet qu'il se prit à s'imaginer le pire, car c'était souvent ce qui arrivait à Cyl. Était-elle poursuivie ? Malmenée par un possible amant ? Non, la prêtresse était bien trop forte pour cela. Mais alors que pouvait-il bien se passer ?
En plus de ses interrogations, il n'aimait pas le tournant que prenait leur conversation. C'est donc avec prudence qu'il répondit :
- J'étais principalement en mission pour le temple. Le reste du temps, je voyageais.
- Et pendant toutes ces années, tu n'as pas pris un seul instant pour me rédiger une missive.
« Bravo, Nurh. Les deux pieds dedans, mon vieux. » Il grimaça, piqué par la remarque. Il jeta un coup d'œil oblique à la jeune femme. Celle-ci affichait l'expression parfaitement neutre de ceux qui sont invulnérables, mais il était facile de deviner combien la prêtresse s'était sentie trahie par ce silence qui s'était éternisé au fil du temps. Mettant un bref instant de côté ses interrogations, il accusa le reproche à peine voilé.
- Toi non plus, répliqua-t-il. En plus de ça, je ne savais pas où tu étais.
La prêtresse se renfrogna et balaya sa vindicte d'un geste vif.
- Oh arrête ! Ne me fais pas croire qu'un mage des vents est incapable de délivrer un message quand il le veut réellement ! ( elle croisa les deux bras sur sa poitrine, son ton se fit plus tranchant. ) Sois un peu honnête pour changer !
Nurh sentit la rancœur le gagner à son tour.
- C'est vraiment toi qui demande de l'honnêteté ? Toi qui te dérobes à chacune de mes questions depuis tout à l'heure ? Applique un peu tes propres conseils, pour changer.
Cyl s'empourpra violemment et détourna le visage, ses mains aux doigts rendus calleux par sa vie de bretteuse se refermèrent en deux poings vibrants de colère.
- Je perd mon temps avec toi. Ne me suis pas.
Et sur ces mots, elle se remit en marche, laissant derrière elle un homme aussi perdu qu'inquiet et excédé. Mais si Cyl était en colère, il ne l'était pas moins. Tremblant et furieux, il observa la silhouette fuselée de la jeune femme s'éloigner à mesure que ses pas l'emmenait à l'opposée du temple. Il ne comprenait pas pourquoi elle le fuyait et pourquoi elle évinçait ses questions.
Néanmoins, il voulait des réponses. Et pour les obtenir, avec une tête de bois pareille à celle de Cyl, il n'y avait qu'une seule chose à faire.
- Par les couilles de la Dernière Ombre, tonna-t-il en se jetant à sa poursuite, tu vas me dire ce qu'il se passe !
La jeune femme poussa un couinement de surprise et se retourna vivement. Juste à temps pour recevoir de pleine face le long buste de Nurh qui la percuta sans ménagement.
Une fois de plus, ils roulèrent dans la neige, leur deux corps entremêlés glissant sur le sol tels des jeunes enfants maladroits. Avant même qu'elle ne se ressaisisse de la chute, Nurh attrapa le bras de la prêtresse et la tira vers lui.
- Athio neam Dëlph !
Des vents parsemés de paillettes grises, signature magique de l'homme, s'élevèrent aussitôt de sa paume. Aussi vifs que puissants, ils foncèrent sur la prêtresse et l'entourèrent de leur force vibrante, lui interdisant le moindre mouvement.
Elle se retrouva prise au piège dans un filet d'air, aussi léger que résistant. Lutter était vain, et elle le savait car Nurh avait déjà eu recourt à cette magie auparavant, pourtant...
- Lâche-moi, espèce de fils de putain ! hurla-t-elle en cherchant vainement à se libérer.
Mais, comme prévu, le filet ne bougea pas d'un pouce.
- Nurh ! tonna-t-elle en redoublant d'effort dans sa lutte.
L'homme resta silencieux, se releva, épousseta la neige qui recouvrait sa cape et croisa les bras sur son torse. Son regard était dur mais résolu : Il ne céderait pas tant qu'il n'aurait pas obtenu des réponses à ses questions. Toute once d'amusement avait déserté son visage. Il était donc soit réellement en colère, soit véritablement inquiet, ou peut-être les deux à la fois. Cyl ne savait pas réellement laquelle de ces options était préférable aux autres. Elle ferma les yeux. Elle n'avait pas le temps pour tout ça, il fallait absolument qu'elle retourne au campement ! Elle tenta un ultime coup rageur dans le filet magique mais sans plus de résultat.
- Écoute-moi bien, espèce de petite idiote, lâcha l'homme d'une voix basse et ferme, je ne sais pas ce qu'il se passe, je ne sais pas ce que tu cherches à cacher, mais je sais que c'est grave. Alors tu vas me dire dans quel bourbier tu t'es encore fourrée et nous allons t'en sortir ensemble, est-ce clair ?
Cyl serra les lèvres, ces dernières prenant l'apparence d'un pli fin et décoloré, puis ses yeux sombres se mouillèrent de larmes à peine contenues.
Nurh ne céda pas et ne relâcha pas d'un cran l'épais filet qui entourait la prêtresse. La voir dans cet état ne le réjouissait pas le moins du monde, mais il savait que c'était le seul moyen dont il disposait pour qu'elle lui avoue enfin ce qui la tourmentait.
- Rappelle-toi que je suis extrêmement patient, Cyl. Je ne céderais pas.
La prêtresse poussa un misérable hoquet. L'humiliation de s'être fait prendre au piège si facilement par Nurh se mêla à toute la colère qu'elle avait ressentie durant leur conversation, à la fatigue accumulée lors de son voyage et de son utilisation de la magie, et, enfin, à la crainte qu'elle avait éprouvé pour la Bête-Divine et le garçon. Elle craqua.
- C'est Fenned... murmura-t-elle juste avant que les larmes ne dévalent ses joues.
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