Chapitre 2.1 : Le prénom
Sous le ciel d'Amaricia, brillait une lumière,
Bravant la mer Alasta, une toute petite galère,
Ses hommes, des survivants, revenant d'Amadör
Dans l'espoir d'y trouver des coffres débordants d'or,
Un bien des plus précieux, trésor de l'un des Dieux,
Caché sous Onavi, enfoui sous mille lieues.
Oubliant raison que mauvais actes abstiennent,
Ils creusent et trouvent, ils ouvrent et prennent !
L'Immortel est furie, son bien est dérobé :
" Quiconque m'a volé, doit désormais payer ! "...
- Tais-toi Fenned, lança la prêtresse au corbeau qui chantait de toute la puissance de sa voix mentale, profonde et râpeuse. Tu vas me donner mal à la tête.
Bien que la voix du corbeau concordait parfaitement avec la mélodie, Cyl n'était pas d'humeur à écouter le lai de la Punition. Non, elle était trop occupée à ressasser la décision de la Bête-Divine et n'approuvait pas la présence du garçon imposée par le corbeau à leur côté. Il était trop vindicatif, trop différent de ce qu'elle avait pu voir et rencontrer : ses manières de bête sauvage, toujours aux aguets, les oreilles pivotant dans un sens ou dans l'autre au grès des différents bruits que lui seul semblait entendre; ses curieux yeux mordorés la fixant d'un regard accusateur et furieux - Bah ! Comme si elle était responsable de sa venue ! -, sa curieuse manière de se tenir debout, un peu voûtée et maladroite, en parvenant, toutefois, à marcher sans faire le moindre bruit, ainsi que sa magie, incroyable, rayonnante... tous ces éléments la mettait profondément mal à l'aise, en plus de la laisser sur ses gardes. Elle ne les comprenait pas, et pour rien au monde, par la Déesse-Mère, rien ! Elle ne chercherait à le faire. Le garçon lui avait donné un motif suffisant pour ne rien tenter : quand ils s'étaient parlé mentalement, la musique de son esprit, qui était propre à chaque être, lui était apparue aussi envoûtante que sauvage, aussi profonde et insaisissable qu'une forêt vierge. Et qui sait ce qu'elle pouvait bien y trouver, dans cette fichue forêt, avec une créature aussi étrange pour propriétaire.
Elle frissonna, tant par crainte que par appréhension. L'Art Mental représentait une tonne de dangers non négligeables, et l'esprit du garçon était l'un de ceux là. Ses pensées étaient aussi impraticables que celles des elfes, ou des Bêtes Divines. Des créatures trop différentes de Cyl pour qu'elle ne les comprenne totalement : leur esprit ne fonctionnait simplement pas de la même manière que le sien.
Non, vraiment, la prêtresse restait persuadée que la Bête-Divine avait fait une erreur en emmenant le garçon avec eux. Elle réajusta ses fourrures tout en soupirant, puis tenta tant bien que mal d'écarter le corbeau de son esprit. Peine perdue : après la remarque de Cyl, Fenned ne chantait qu'encore plus fort.
Le lai était une histoire très connue chez les croyants de sa Déesse, Patronne des voleurs, des bardes et des arpenteurs des grands-chemins en tout genre. Il apprenait l'humilité aux jeunes larrons dont les yeux plus gros que le ventre jouaient souvent des mauvais tours. Il enseignait que l'intelligence et la réflexion prévalaient toujours sur l'impulsivité. " prépare ton coup ou par le cou tu pendras. " comme disait le dicton. Un dicton que Cyl, depuis sa toute première et unique erreur, s'était toujours évertuée à suivre à la lettre. Cependant, bien que la morale soit louable d'un point de vue de voleur, l'histoire n'en était pas moins triste : Datant d'un autre âge, des centaines et des centaines d'années auparavant, Bald et sa troupe, des voleurs doués et fiers, s'étaient mis en tête de dérober le trésor du Dieu Vilvyls, régent de la mer Alasta et seigneur de l'eau. Quand le Dieu prit conscience du larcin, sa colère fut implacable, déferlant sur leur frêle embarcation comme un raz-de-marrées sur un pauvre hameau. Une grande partie de la troupe périt ce jour-là.
Alors certes, la morale était louable, mais ce n'était vraiment pas une histoire faite pour améliorer l'humeur massacrante de Cyl.
L'oiseau fixa un court instant sur la prêtresse ses deux rubis malicieux, puis détourna la tête en poursuivant sa chanson :
... Sur le pont, point d'argent, point de bijoux brillants,
Point de victoire clamées, point de cris enflammés,
Seuls quelques survivants que la mer déchaînée
Ballotte au grès du vent et de ses vagues hachées.
Quelques vies arrachées des bras de 'Naere.
La Déesse endeuillée qui les aura pleuré :
Ô Fils de l'infortune, voleurs mal préparés !
Pillant sans scrupules nombre trésors sacrés !
Aujourd'hui, en ce jour, mes enfants ont payés
Tous leurs méfaits passés et les règles brisées !
Car tout bon voleur sait qu'un Dieu on ne pille pas,
À l'inverse de ceux décédés ici-bas.
Alors, mon enfant que la pénombre éveille
Je ne te laisserai que deux simples conseils :
Les lèvres de Cyl bougèrent d'elles-mêmes quand vinrent les deux derniers vers du poème, elle qui l'avait déjà tant et tant de fois récité :
Connais ta victime et connais toi toi-même,
Arpenteur des sentiers sur qui 'Naere veille.
Le corbeau lâcha un long cri râpeux.
- Marchez plus vite, lambins-bipèdes ! Itte'Naere attend notre retour et elle n'est pas patiente !
Ces quelques mots arrachèrent bien malgré-eux un sourire à la prêtresse, adoucissant son humeur exécrable : Itte'Naere était la Déesse à laquelle elle avait voué sa vie et dont Fenned était la Bête-Divine. Bienfaitrice des voleurs, des musiciens et des voyageurs, elle assurait bon voyage et bonne fortune à ceux qui la priait convenablement. Et pas une once de patience n'habitait son enveloppe divine. Cyl gloussa au souvenir d'une prêtresse qui avait osé se présenter devant elle avec quelques minutes de retard. La punition avait été immédiate et remarquable : Pendant un mois, tout ce que la jeune fille volait se transformait en cailloux sans valeur au contact de ses doigts. Cyl riait encore en repensant à sa mine ahurie, les mains pleines de galets. " Sois ponctuelle, Iphyr, une victime n'attendra pas sagement que tu viennes la détrousser. " avait grondé 'Naere.
Non, il ne fallait vraiment pas faire attendre la Déesse.
À quelques pas de Cyl, dans son dos, le loup lâcha un grognement rauque. Et le sourire de la prêtresse n'en fut que plus lumineux.
Ils voyageaient ensemble depuis bientôt une journée entière, sous les railleries du corbeau qui prenait un malin plaisir à les tourmenter chacun leur tour, le garçon et elle. Pour l'instant, il fallait croire que c'était l'heure du garçon, et ce pour le plus grand bonheur de Cyl.
- Qu'est-ce qu'il y a, petit-frère ? railla le volatile, saisissant à pleine serre l'opportunité de rire à nouveau.
La voix mentale du garçon s'infiltra dans leur crâne, résonnant des accents exotique du Sirdh et de ses pensées brumeuses.
- Ne m'insulte pas, Fenned-Bête-Divine, je ne suis pas un deux-pattes.
" Et c'est reparti " constata la prêtresse qui continua sa route tout en levant les yeux au ciel. Elle ne comprenait pas l'aversion que le garçon avait à son encontre, et encore moins celle qu'il avait à l'encontre des " deux-pattes ", comme il les appelait. Après tout, lui aussi se tenait - maladroitement, certes - sur ses deux jambes. Il tenait cependant Fenned en haute estime, et tâchait visiblement de contenir ses réponses acerbes quand il lui parlait. Le corbeau poussa une série de croassement courts, que Cyl interpréta comme un éclat de rire. Elle porta une main à sa bouche, s'obligeant à ne pas s'esclaffer elle-aussi.
Heureusement que le contrôle de soi était un art qu'elle maîtrisait à la perfection.
Ou presque.
- Pourtant tu te déplaces bien sur deux jambes, continua le corbeau.
Le jeune garçon grogna derechef. Et le silence s'installa à nouveau.
Ces scènes de joutes verbales entre les trois voyageurs se répétaient inlassablement depuis qu'ils s'étaient mis en marche. Elles commençaient toujours par une raillerie du corbeau suivie d'une réponse cinglante de Cyl ou du garçon et se concluait par un long silence entre les parties, entrecoupé, parfois, des quelques lais que Fenned se plaisait à chanter.
Le garçon et elle ne se disputaient pas. En fait, ils faisaient tout leur possible pour oublier la présence de l'autre, mais sans succès : Cyl ne pouvait s'empêcher de pouffer quand le corbeau s'en prenait au garçon, et le garçon, lui, n'arrivait pas à contenir quelques grognements approbateurs quand Fenned changeait de cible. Leur inimitié était palpable, tangible.
Pourtant la nature curieuse de Cyl ne contenait pas son envie d'amasser nombre de détail sur l'étrange créature qui cheminait à ses côtés. Dernier exemple en date : elle réalisait qu'elle ne l'avait jamais entendu parler, si ce n'est mentalement. Il grognait, ça oui, mais n'articulait jamais le moindre mot.
Son espèce était réellement étrange, et rien ne pouvait plus intriguer Cyl que l'étrangeté.
Interrompant le fil de ses pensées, la prêtresse profita du silence pour jeter un bref regard aux dernières étoiles brillant dans le ciel. Si ses estimations étaient bonnes, ils devaient être à égale distance entre la cité Elfique de Numebiel et du lac Horiah, soit tout proche du temple de Itte'Naere. La prêtresse se fendit d'un sourire approbateur. Dans un certain sens, il fallait croire que l'inimitié avait du bon : Elle permettait de ne pas ralentir la progression en bavardages inutiles. Ils avaient presque rattrapé le retard que la découverte du garçon avait engendré.
Retournant à la vision moins exaltante de la morne terre devant ses yeux, la prêtresse enjamba un tronc recouvert d'une fine couche de gel et attrapa sa gourde pour boire une petite gorgée d'hydromel. L'alcool coula dans sa gorge, la réchauffant quelque peu. Discrètement, elle tourna le visage vers le garçon, enroulé tant bien que mal dans les épaisses fourrures qu'elle lui avait gracieusement prêté. Sa bonté causerait sa perte. Le garçon trébuchait souvent, affichant un air de concentration extrême, luttant visiblement pour ne pas tomber au sol.
Cyl leva un sourcil. Vraiment, elle ne comprenait pas pourquoi le corbeau avait insisté, allant jusqu'à en rappeler sa position, pour qu'il les accompagne. La garçon voulait partir ? Grand bien lui fasse ! Elle l'aurait laissé courir et elle lui aurait même laissé les fourrures, si ça le faisait marcher plus vite. Avec un petit sourire aux lèvres en prime. Elle haussa les épaules, puis porta à nouveau la gourde à ses lèvres.
- Au fait, petit frère, quel est ton prénom ? demanda le corbeau.
Celui-ci volait un peu en avant, son pelage blanchâtre irradiant dans l'obscurité du petit matin. La réponse tarda un peu et Cyl en fut agréablement surprise. Donner son prénom, même si ce n'était pas le Vrai, n'était pas un acte anodin. Elle, par-exemple, choisissait scrupuleusement ceux à qui elle l'offrait. Et rares en étaient les élus. L'hésitation du garçon à le dévoiler était donc un bon signe. Il n'était peut-être pas totalement abruti, finalement.
- Chasseur-Loin-Voyant-au-Pelage-Donné-par-la-Nuit, répondit-il.
Cyl avala de travers, et pour la seconde fois en l'espace de deux jours, manqua de s'étouffer avec son hydromel.
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