CHAPITRE 7 : Nouvelles pistes
— Bordel, Jack ! T'arrives à l'ouvrir ou pas cette porte ? s'exclama Fry en prenant place derrière lui, son regard fixé sur la créature qui semblait la jauger.
— Ça commence à bouger..., répondit le mercenaire en étouffant un grognement.
— Oh, arrête et laisse-moi faire ! s'emporta Mei en le poussant de là, plus paniquée que réellement furieuse.
L'ingénieure sortit un étrange appareil de l'un des rangements de sa combinaison et le posa sur la porte blindée. L'instrument, apparemment magnétique, se fixa directement sur le métal et un bras terminé par un laser s'allongea d'un bon mètre. Quelques secondes plus tard, on put entendre un léger crissement métallique : l'appareil commençait son travail de découpe du métal. Un travail qui, malgré le fait qu'il ne dura que quelques minutes, parut beaucoup trop long à la Capitaine, qui, tandis que la Reine Ryrklog avançait lentement mais sûrement vers le groupe, contenait mal sa peur.
— C'est bientôt fini ?
— Presque ! Il ne reste plus que...-
La fin de la réponse de la mécanicienne fut rapidement couverte par le bruit d'une détonation, celle du fusil d'Alistair, qui avait compté effrayer la créature. Sans réel succès, bien au contraire. Le tir n'avait finalement qu'enragé le monstre qui se précipita sur le groupe, accompagné de ses descendants.
Au même instant, la plaque métallique découpée s'écrasa au sol et Mei fut la première à s'engouffrer dans l'ouverture, rapidement suivie du médecin et de Jack. Seule resta Tiana Fry. Seule face à une partie de cette monstrueuse colonie.
— Vous ne les aurez pas, marmonna-t-elle tandis qu'elle commençait à abattre les premiers juvéniles un peu trop téméraires.
Soudain, elle se sentit attrapée par derrière. Les bras musculeux de Daniels s'étaient refermés autour d'elle et l'attiraient par l'ouverture. Comprenant aisément qu'il ne lâcherait pas sa prise, la Capitaine lâcha un juron avant de s'introduire dans le sas.
Quelques secondes plus tard, la porte extérieure du sas trembla autant que Tiana qui sursauta. La Reine des Ryrklogs venait de se jeter tête la première contre la paroi qui, sous la puissance du choc, se déforma en épousant la forme de sa tête. Sonnée, elle se mit à grogner avant de pousser une longue plainte et de faire demi-tour.
Alistair et Mei ayant ouvert l'autre extrémité du sas, Tiana pénétra, soutenue par Jack, sur le Charon.
— Vite, il faut que... commença-t-elle en entreprenant de se défaire de sa combinaison.
— Capitaine, prenez deux minutes pour souffler. Nous n'allons pas...-, plaida le médecin avant d'être coupé.
— Non, je dois aller sur la passerelle. Tooms va avoir besoin de moi.
Sortant enfin de son carcan, Fry n'attendit pas plus longtemps et s'élança dans les couloirs du vaisseau. De son côté, Gun ne comprenait pas la réaction de l'ancien Sergent.
— Pourquoi est-elle si inquiète ? Après tout, ces animaux ne peuvent pas nous suivre...
— Oh que si. Les Ryrklogs sont habitués au vide spatial et les plus gros comme la Reine ne craignent pas les armes énergétiques.
Alistair se tourna alors, son regard vers la porte du sas, inquiet par rapport aux dangers qui lui étaient encore inconnus. Il devait bien avouer qu'il ne s'attendait vraiment pas à faire une telle rencontre lors de ce voyage.
— Bon, je vous laisse. Je pense qu'on va avoir besoin de moi dans la salle des machines, déclara Mei qui s'était elle-aussi débarrassée de sa combinaison.
Quand Tiana Fry arriva enfin sur la passerelle, elle ne fut pas surprise d'y retrouver Tooms qui pestait :
— Des Ryrklogs ? Sérieux ? Tu crois pas que – juste une fois, juste une ! – on pourrait s'arrêter quelque part sans qu'il y ait quelqu'un ou quelque chose qui veuille nous tuer ?
— Parce que c'est ma faute peut-être ? Tu sais très bien que ces bestioles sont invisibles au scanner dès qu'elles sont en hibernation.
— Ouais. Et maintenant, c'est à moi de nous sortir de là..., soupira-t-il en pressant quelques boutons sur sa console.
Les moteurs du Charon se remirent en route et un léger mais net vrombissement se fit sentir. Bientôt couvert par le vacarme de l'alarme de proximité : en quelques pressions sur son tableau de commandes, Tooms afficha les relevés des senseurs et ce qu'il vit ne lui plut pas.
— Ah, fais chier ! Tu pouvais pas trouver plus petite comme colonie, hein ?
Sur l'hologramme, on ne voyait qu'une énorme masse en train de bouger. La colonie de Ryrklogs entière avait décidé de se faire un petit festin du Charon et de ses occupants.
— Tu as un plan cette fois, Boss ?
— Possible... Juste le temps pour nous d'activer le moteur supraluminique.
— Tu veux qu'on fasse comme en orbite d'Ordon ? Avec leurs petits chasseurs ?
— Tu lis dans mes pensées, Ash, admit-elle.
Le timonier grogna en entendant sa supérieure utiliser son prénom. Puis, d'une voix sarcastique annonça :
— J'espère que vous êtes prêts... Ça va secouer un peu...
Les doigts du pilote commencèrent leur rapide valse sur les commandes du vaisseau tandis que celui-ci démarrait sa charge vers les météores qui composaient le champ d'astéroïdes, la colonie toujours à ses trousses.
— Merde ! Ils vont pas nous lâcher !
— Tooms ! Fais quelque chose !
— À ton avis, je fais quoi ? Je cueille des fleurs, peut-être ?
Les premiers rochers voguant dans le vide sidéral approchant du cargo, le timonier entama une succession de virages serrés, évitant les météores au dernier moment. Les quelques créatures qui suivaient le Charon de trop près n'eurent pas le temps de s'écarter de la trajectoire, et finirent leur course dans les astéroïdes, assommées. Malheureusement, le plus gros problème – et c'était là un doux euphémisme – demeurait entier : la Reine, malgré toute la dextérité du pilote, ne pourrait être mise hors d'état de nuire de cette façon. La seule solution pour le Charon et son équipage : la fuite. Mais cela demandait du temps. Un temps qui s'amesuisait toujours un peu plus.
Sentant la panique commençant à la paralyser, Fry déclencha l'intercom afin que son ingénieure lui apporte de bonnes nouvelles :
— Mei ! Dis-moi que t'as pu faire quelque chose des pièces...
La voix fluette de l'Azrienne lui parvint, essoufflée.
— Je n'ai pas pu tout installer, mais ça tiendra.
La Capitaine soupira, soulagée, avant d'être projetée hors de son fauteuil. L'une des créatures venait de les percuter par le côté.
— Fais chier ! jura le timonier. Je l'avais pas vu arriver celui-là.
L'ancien Sergent eut une idée, qui, comme à son habitude, était peu orthodoxe :
— Tooms ! s'écria Tiana. Les contre-mesures !
— Pourquoi faire ? C'est des monstres de chair et de sang, pas des missiles à tête chercheuse.
— Ouais, mais une partie d'entre-eux pourrait être attirée par la chaleur dégagée.
— Tu crois que ça suffira ? s'inquiéta-t-il en notant l'écho-radar le plus massif – la Reine – se rapprocher de leur position à haute vitesse.
— Qui tente rien...
— Ouais, j'ai compris. On s'en remet encore à ta chance, hein ? grogna le pilote en activant les fameuses contre-mesures.
Un bip rapide signala que l'une des balises venait d'être larguée derrière le Charon. Fry comme Tooms retinrent leur souffle tandis que le cylindre arrivait au niveau des monstres stellaires. Leurs échos sur les écrans-radars se mirent alors à ralentir, tout comme les battements cardiaques de l'ancien Sergent qui expira profondément, soulagée.
— Allez, Ash ! On dégage de là.
— Avec plaisir.
Soudain, la pulsation du radar s'accéléra brusquement. Une énorme masse leur fonçait dessus. Par pur réflexe, de la gorge de la Capitaine, une longue plainte terrifiée s'échappa :
— Tooms !
Le timonier activa la charge du moteur supraluminique qui, pendant quelques secondes, accumula de la puissance. Lorsqu'il se déclencha, le Charon disparut, déjà parti à plusieurs milliers de kilomètres de là, laissant la Reine Ryrklog voguer seule dans l'espace sidéral.
Sur la passerelle, le pilote fit pivoter son fauteuil en direction de sa supérieure.
— Franchement, Boss. Faut vraiment qu'on arrête là. On enchaîne les galères et j'ai vraiment besoin d'une bonne nouvelle.
Partageant le même sentiment, Fry ne pouvait le contredire.
— Je suis bien d'accord. Mets-nous en direction de la Bordure et va prendre une pause. Mais je veux voir tout le monde dans le mess dans une heure. Il faut qu'on mette en place un plan d'attaque.
— Pas faux. C'est pas avec le peu de crédits qu'on a maintenant qu'on va pouvoir faire grand chose, répondit-il en se levant pour sortir de la pièce.
Mais avant même qu'il en ait franchi le seuil, il perdit l'équilibre, se retenant tant bien que mal contre l'encadrement de la porte. Paniquée par le bruit de la chute, Fry se précipita vers son second au sol.
— Bordel, tempêta-t-il, il fallait que ça arrive maintenant ! Je peux vraiment pas avoir un moment de paix, non ? Juste une fois !
— C'est... Ça fait plus d'effet ?
— À ton avis ? Pourquoi je me retrouve comme un con par terre, hein ? répliqua le timonier, visiblement excédé.
— Tu l'as mis où ?
— Dans ma cabine...
— Je vais te le chercher.
Par chance, les quartiers en question étaient situés non loin. Comme pour Fry et Seilah, une simple échelle permettait au pilote de se rendre dans sa cabine. Une simple échelle qui, pourtant, à cet instant précis, était un obstacle infranchissable pour l'ancien militaire affalé au sol.
Résigné, et incapable de bouger, Tooms soupira. Dans sa situation actuelle, il ne pouvait qu'attendre que sa supérieure revienne avec le produit miracle. Celui qui lui permettrait de se mouvoir à nouveau. Cette substance qui lui était indispensable. Une dépendance tout à fait involontaire et qui lui pourrissait la vie.
Après quelques minutes qui lui avaient paru une véritable éternité, le timonier vit la silhouette de Tiana apparaître dans l'encadrement de la porte.
— Désolée pour l'attente, déclara-t-elle en voyant l'expression tendue de ce dernier. J'ai...-
— Peu importe. Donne-moi ça ! la pressa-t-il.
Constatant que la moindre parole de réconfort de sa part aurait sonné faux, Tiana tendit la seringue contenant le fameux produit sans piper mot. Le pilote s'en empara brutalement avant de s'injecter le contenu dans la cuisse.
Pour Tiana, ce spectacle était aussi difficile à supporter que la vue de Daniels en train de boire. Il s'agissait encore d'une situation qui échappait à son contrôle. Une situation qui lui était impossible de changer.
La respiration toujours haletante, Tooms ferma les yeux et poussa un soupir de soulagement. Quelques minutes plus tard, son souffle se fit plus léger, plus régulier.
— Pfff... Boss, je te jure, ça fait un bien fou.
L'expression sombre du pilote se transforma peu à peu en un franc sourire qui se mua en un rire.
— Haha ! Ça repart déjà ! Regarde ! J'arrive déjà à bouger les orteils !
— Mais ça prendra plus de temps avant que tout refonctionne à nouveau correctement. Allez, laisse-moi t'aider à te relever.
— J'avoue, Boss, là je suis pas en état de refuser.
Le pilote agrippa le bras tendu de sa supérieure qui le remit debout. Puis, d'un geste vif, elle passa ledit-bras par-dessus ses épaules et conduisit ainsi Ash jusqu'à son fauteuil.
— T'es sûr que ça va aller ?
— T'inquiètes pas Boss. Maintenant, j'ai plus qu'à laisser agir.
— Si t'as besoin, tu m'appelles... OK ?
— Tu sais, tant qu'on a quelque chose à se mettre sous la dent, moi, je suis content.
Fry reconnaissait bien là le tempérament de son pilote qui se satisfaisait toujours des plaisirs les plus simples, comme un bon repas.
— Dès que j'ai fini de voir tout le monde, je te ramène quelque chose. Promis, répondit-elle avec un grand sourire.
— T'inquiète pas, Boss. De toute façon, j'ai pas oublié ce que tu m'as demandé. Je vous rejoindrai tous dans le mess, tout à l'heure.
Avec ces derniers tourments, Tiana avait totalement occulté sa requête jusqu'à ce qu'elle vit son second activer l'intercom :
— Avis à tout l'équipage ! Vous êtes tous priés de vous pointer dans le mess dans une heure. Et, quand on dit tout le monde, c'est vraiment tout le monde ! Même toi, Jack !
Ayant quitté la passerelle, Fry entra dans le mess où elle ne fut pas surprise de retrouver sa compagne, en pleine discussion avec la fratrie Rem. Les trois jeunes gens s'affairaient à remettre en ordre l'intégralité des objets qui, avec les manoeuvres périlleuses de Tooms, avait volé dans toute la pièce. En voyant que ses passagers s'intégraient aussi facilement à la vie à bord du Charon, Tiana ne put retenir un sourire avant de bifurquer vers la salle des machines. En chemin, elle fut rapidement stoppée par un échange animé, ponctué de cris de douleur :
— Argh ! Arrêtez Doc ! Je vous dis que ce sont que des égratignures !
— Et moi, je vous assure que si je ne vous administre pas le bon traitement, vous pourriez être victime d'une infection ! Vous n'avez aucune idée de ce que cette créature avait sous les griffes, alors maintenant, cessez de faire l'enfant et laissez-vous faire, Monsieur Daniels !
En entendant de tels propos dans la bouche d'habitude si policée du médecin, la Capitaine ne put retenir un rire, révélant par la même occasion sa présence aux deux hommes. Hommes qui, d'un même réflexe, s'emparèrent de leurs armes posées tout près. L'ancienne militaire, encore rongée par son propre passé, ne pouvait que comprendre les raisons d'un tel geste. La tension n'était toujours pas redescendue, les nerfs, toujours à vif. Une telle expérience laisserait immanquablement des séquelles, à plus ou moins long terme. Ainsi, comment pouvait-elle décemment leur en vouloir ?
— Du calme ! C'est que moi ! lança-t-elle en levant les mains, leur montrant qu'il n'y avait aucun danger immédiat.
Rassurés, les deux compères se détendirent et déposèrent leurs armes au sol. C'est alors que le médecin fit son rapport sur leur état de santé :
— J'imagine que vous êtes là pour demander comment nous nous portons.
L'ancien Sergent hocha la tête, permettant à Alistair de reprendre son discours.
— Dans ce cas, laissez-moi vous répondre...-
— OK, mais faîtes vite.
— Cela prendra le temps qu'il faut, Capitaine. Si déjà, vous cessiez de me couper, j'en aurais certainement plus vite terminé, asséna Gun, acerbe.
Un long silence se fit que même Daniels n'osa briser. Ce dernier se contenta de fixer intensément le Docteur, lui signifiant qu'il était peut-être allé trop loin. La tension était palpable. Tellement qu'Alistair soupira un instant :
— Veuillez accepter mes excuses, Capitaine, comme j'espérais vous l'annoncer, toute l'équipe d'exploration est particulièrement stressée. Moi y compris.
Tiana ne répondit rien. En lieu et place d'une réponse qui n'aurait pas forcément arrangé les choses, l'ancienne indépendantiste laissa le médecin poursuivre.
— Pour les deux personnes que j'ai pu commencer à examiner – à savoir votre ingénieure et Monsieur Daniels, ici présent – les potentielles blessures physiques semblent n'être que superficielles. Quant à vous, je n'ai pas encore eu la possibilité de vous examiner. Et j'espère que vous serez plus coopérative que votre subordonné.
Si Fry ne répondit pas, Jack ne fut pas aussi délicat. Au contraire, il éclata d'un rire ô combien sonore :
— Ha ha ! Elle est bien bonne, celle-là ! Tiana Fry, se laisser soigner ? Vous rêvez, Doc !
Le fou rire de Daniels continua un long moment, sans pour autant que le fait d'être fusillé du regard par sa Capitaine ne le fasse taire.
Constatant de lui-même que son amusement s'éternisait, le mercenaire s'éclipsa non sans mal.
Enfin seul, Fry et Gun émirent un léger soupir avant que le médecin reprenne :
— Pour couronner le tout, j'ai eu l'immense joie d'apprendre que vous n'aviez pas de réelle infirmerie, vous contentant uniquement d'une salle de chargement vide et sale. C'est, pour ainsi dire, totalement inadmissible.
Tiana prit alors place sur l'une des caisses qui se trouvaient dans la pièce et passa la paume de sa main dessus. Elle nota effectivement la présence d'une épaisse couche de poussière sur ces conteneurs vides avant de l'essuyer sur son pantalon. En son fort intérieur, elle admettait volontiers que le médecin n'avait pas tort, mais n'en laissait rien paraître :
— D'accord, Doc. Mais vous essayez de me dire quoi, là ?
— Eh bien, j'ai quelques propositions à vous soumettre pour améliorer nos conditions de vie.
La Capitaine haussa un sourcil interrogateur. Ce médecin était peut-être plus qualifié qu'elle sur le plan médical, mais c'était son vaisseau à elle. Et il était hors de question qu'elle le laisse empiéter sur ses plates-bandes.
— Écoutez, Doc, je veux bien que vous pensiez que vous avez le droit de me donner des conseils parce que vous nous avez aidés. Mais laissez-moi être tout à fait claire : à bord de ce vaisseau – mon vaisseau ! – vous êtes un simple passager, trancha Fry.
— Justement, Capitaine, je souhaiterais m'entretenir avec vous à ce sujet. Je voudrais intégrer votre équipage. En tant que médecin de bord.
Surprise par l'audace d'Alistair, Tiana eut un petit rire nerveux.
— Eh bien, Doc, on peut dire que vous manquez pas de culot.
— Certes, mais sachez que j'ai totalement conscience des risques encourus. Mais je connais également ceux que vous vous attireriez sans un bon praticien pour s'occuper de vous.
L'ancienne militaire ne pouvait donner tort au médecin. Bien au contraire. Il était évident que l'équipage du Charon ne pourrait pas continuer ainsi, avec les potentiels dangers qu'ils auraient à affronter. Alistair le savait et elle aussi. Fry était au pied du mur et il ne lui restait plus qu'une seule option viable. Ainsi coincée, la Capitaine soupira :
— Apparemment, mes choix sont plus que limités.
La Capitaine croisa les bras sur sa poitrine, avant de reprendre :
— Bien, admettons que j'accepte, quelles seraient vos autres suggestions, Doc ?
Ravi de voir qu'il avait bien mené sa barque, Gun sortit un flacon de sa poche. Celui qu'il avait trouvé à bord de la station.
— Savez-vous ce que c'est ?
— Non. Mais j'imagine que vous allez pas tarder à me l'apprendre...
— Ce sont des graines de Tut'eak Ath. Une baie médicinale très rare qu'on ne trouve que sur certaines planètes très éloignées. Vous voyez où je veux en venir ?
— Peut-être. Que ça vaut cher ?
— Certes, mais ce n'est pas vraiment mon propos. Avec cette plante, je pourrais très rapidement synthétiser les bases de nombreux remèdes. Et également de kits médicaux. Ainsi, j'aimerais réquisitionner un espace à côté de cette pièce pour la transformer en serre et m'occuper des boutures de cette plante. Mais également réaménager cette zone, ici, pour la transformer en réelle infirmerie. Tout cela avec votre autorisation, bien entendu.
Fry prit un moment pour réfléchir. Le médecin avait raison : ils n'avaient pas vraiment le choix, mais d'un autre côté les travaux allaient coûter un certain nombre de crédits que l'équipage n'avait pas.
— J'ai une question avant d'accepter : ces travaux auront un certain prix...
— ... que je suis totalement disposé à avancer de ma poche.
Tiana soupira, voyant qu'une fois de plus, Alistair n'avait rien laissé au hasard.
— Comme toujours, vous avez réponse à tout. Et je vois pas comment je pourrais refuser.
Le médecin sourit et remercia Fry qui s'en alla, non sans ajouter :
— Je vais demander à Mei de venir vous aider pour mettre en place le système électrique. Vous en aurez besoin.
* * *
Après une demi-heure – pendant laquelle l'ingénieure avait bricolé les systèmes principaux du Charon afin de leur redonner une puissance optimale – le vaisseau ronronnait de nouveau, filant à toute vitesse à travers le vide sidéral.
Avec ce problème-là enfin réglé, Tiana pouvait à présent se concentrer sur ce qui importait par-dessus tout : trouver une nouvelle mission. Ainsi, ayant demandé une réunion de tout l'équipage, elle se dirigeait vers le mess afin d'obtenir ne serait-ce que le début d'une solution. Elle y retrouva tout le monde, attablé autour d'un repas. Même Tooms, qui avait programmé le système de pilotage automatique en direction des mondes de la Bordure.
— Ah, voilà la meilleure ! s'écria le timonier en la voyant arriver. Boss, j'imagine que tu voulais nous voir pour savoir ce qu'on allait faire n'est-ce pas ? T'as pas une de tes idées brillantes en réserve par hasard ?
— Non, aucune, répondit-elle simplement en s'affalant lourdement sur la banquette de l'autre côté de la table où se trouvaient l'intégralité des convives.
Puis en voyant l'amoncellement de mets aussi appétissants que divers disposés devant elle, Fry ne put qu'exprimer sa surprise. Elle qui s'attendait à devoir, une fois de plus, dévorer en quelques minutes une ration de survie provenant de ses années parmi les Forces Indépendantistes.
— D'où est-ce que ça vient ? Je me souvenais pas qu'on avait une serre à bord.
À l'autre bout de la table, Sarina leva précipitamment la main, et après avoir avalé une bouchée, expliqua :
— C'est moi. Désolée. Je pensais qu'Ash vous avait mis au courant. Vu qu'il possède quelques compétences en mécanique, et que, de mon côté, je me débrouille un peu en informatique, j'ai pensé qu'on pourrait essayer de réinstaller certains menus – que j'ai "empruntés" à l'Alliance – sur votre synthétiseur. On l'a remis en marche et... Voilà ! dit-elle, désignant l'intégralité des plats d'un geste de la main.
— Empruntés ? hésita Fry. Qu'est-ce que vous voulez dire ?
— Elle les a téléchargés, expliqua Tooms. Après c'est juste des recettes. Je doute que l'Alliance vienne nous chercher des noises pour quelques repas...
L'ancien Sergent était particulièrement surprise par l'initiative de la jeune femme. Agréablement. Toutefois, elle demanda tout de même des explications sur la nature des aliments.
— Donc, tout ça c'est synthétique ?
— Oui. Mais ça ne veut pas dire que ce n'est pas réel. Juste que ça n'a pas la même saveur que de la nourriture qu'on aurait fait pousser nous même.
La jeune femme se figea un instant avant de reprendre :
— D'ailleurs ça pourrait être une bonne idée... commença-t-elle.
— De quoi ? questionna Fry.
— Une serre hydroponique, répliqua Ash, avant d'engloutir d'un seul coup une énorme boulette de viande enduite d'une sauce rougeâtre. On pourrait faire pousser nos propres plantes et même les revendre si on voulait. Mais surtout, on aurait des réserves en cas de coup dur.
Tiana soupira profondément : l'arrivée des trois passagers commençait déjà à changer l'équilibre qui s'était installé à bord du Charon. Mais au moins, il essayait de s'intégrer à la vie au sein du vaisseau. Ce que la Capitaine ignorait cependant, c'était si ce serait une bonne ou une mauvaise chose. Au final, tout ce qu'elle pouvait faire, c'était d'attendre et d'agir en conséquence. Avec un peu de chance, cela leur serait bénéfique à tous.
— Pourquoi pas, accepta-t-elle. Mais ce sera à vous de gérer ça.
— Je veux bien les aider, s'immisça Seilah. Sur ma planète, on avait des techniques pour faire pousser n'importe quelle plante quel que soit l'endroit.
— Si tu veux, ma chérie. Mais bon, il faut qu'on revienne à la raison qui m'a fait vous réunir ici. Parce que tant qu'on aura pas le moindre crédit en poche, on pourra strictement rien faire.
L'humeur générale, au départ chaleureuse, se refroidit brusquement tant le sujet était difficile. Un silence gênant s'installa, qui fut promptement brisé par le timonier.
— Tu as essayé d'appeler nos contacts habituels ?
— Oui, mais sans succès. J'ai bien peur que Bradock nous ait un peu court-circuité de ce côté-là.
— Il nous reste vraiment personne alors ?
— Malheureusement...
Quelques secondes passèrent pendant lesquelles Tiana resta muette, la tête baissée, se sentant coupable d'être en partie responsable de tous leurs maux. La voix fluette de Mei s'éleva, doucement :
— Même Marlin ?
Interloqués, les deux anciens militaires se regardèrent. Digérant la question avec stupeur. Soudain, ils se levèrent brutalement et, tandis que Tooms essuyait ses lèvres tachées par la sauce et se précipitait vers la passerelle, Tiana s'approcha de sa mécanicienne et déposa un doux baiser entre ses deux oreilles félines.
— Merci ma petite. murmura-t-elle, avant de suivre le pilote jusque sur la passerelle. Tu nous as peut-être sauvé la vie sur ce coup-là.
L'intégralité des convives restants fixèrent Mei du regard. Aiden qui s'était fait discret depuis de le début de la conversation s'adressa pour la première fois à l'Azrienne.
— Qui est-il, ce Marlin ?
Le regard de la jeune alien croisa alors celui du jeune homme et son visage prit instantanément une teinte pivoine. Voyant la gêne de son amie, Seilah vint à son secours et répondit à sa place à l'interrogation du jeune homme :
— Marlin Barnes est un marchand d'information.
— Tout comme ce Bradock, d'après ce que j'ai cru comprendre, répliqua l'autre en affichant un air suspicieux.
— Certes, mais Marlin est quelqu'un de beaucoup plus honnête. Mais surtout il est entièrement loyal envers Tiana. Je ne l'imagine pas nous vendre à quelqu'un d'aussi tordu qu'Elim Bradock. Après tout, leur amitié remonte à la période de la Guerre, avant même que Tiana et moi nous rencontrions. Elle m'a raconté qu'elle lui avait sauvé la mise quand l'Alliance a essayé de l'arrêter quelques mois après la fin de la Guerre. Apparemment, ces crétins pensaient qu'il aidait une cellule terroriste qui préparait des attentats contre les membres les plus hauts placés de l'Alliance.
— Et c'était vrai ? demanda Aiden, apparemment passionné par cette histoire.
— On ne l'a jamais su. Mais les sommités de l'Alliance raconteraient bien n'importe quoi pour se mettre en valeur. En tout cas, si on veut trouver un travail dans notre domaine, et un qui rapporte un gros paquet de crédits, c'est vers lui qu'on devrait se tourner. À notre connaissance, il en connaît plus que quiconque sur la politique de toute la galaxie. ajouta-t-elle.
De leur côté, Tooms et Tiana venaient enfin d'établir un contact avec Marlin sur une ligne sécurisée.
— Marlin, c'est Fry.
— Tiana ? Que me vaut ce plaisir ? répondit-il d'une manière policée – qui n'était pas contradictoire avec ce que Tiana se rappelait de lui.
— Il faut qu'on se voit et vite. On a eu pas mal de problèmes.
— Pas de souci, tu sais bien que je ferais tout pour ma Capitaine préférée. Mais pour ça, il faut que vous veniez sur Gamma Hydra 3. C'est ici que je vis en ce moment.
— Gamma Hydra ? Mais qu'est-ce que tu es parti crécher là-bas ?
— Eh bien, tu sais... Tous les réseaux d'informations transitent par ici, donc bon...
Fry secoua la tête, un léger sourire aux lèvres. Bien sûr, un homme de cette profession aurait forcément choisi un endroit comme celui-ci pour s'implanter. L'information était son gagne-pain, après tout.
— OK. On te contacte dès qu'on arrive, conclut-elle avant de couper la transmission.
Puis elle se retourna vers Tooms.
— Bon, eh bien, j'imagine que j'ai pas besoin de te dire quoi faire.
— Ouais, cap sur le système Gamma Hydra ! répondit-il en s'installant derrière sa console de pilotage.
* * *
Dans les bureaux de la tour de contrôle du spatioport de Fair Heaven, une silhouette enroulée dans une armure sombre et coiffée d'un casque essuyait la lame de son sabre. Celle-ci était tachée du sang encore frais des corps qu'elle venait de transpercer. Derrière, sur le clavier holographique de la console des arrivées, reposait la tête sans vie de Jenn dont les boucles rousses trempaient dans le sang coagulé du corps de son collègue de travail.
L'inconnu déambulait passant de corps en corps, s'adressant à eux comme s'ils pouvaient encore s'exprimer :
— Où sont-ils donc passés ? demanda-t-il, d'une voix déformée par son casque. Il doit bien y avoir une personne sur cette planète qui peut me répondre.
Soudain, l'un des membres des forces de sécurité de Fair Heaven déboula dans la pièce. Toutefois, il s'arrêta subitement alors que l'autre personne se retournait vers lui. Son visage devint blême tandis qu'il lui tendait une tablette d'une main tremblante.
— Commandant. On a retrouvé la trace de la personne que vous recherchiez.
— Ah oui ? Alors, où est-elle ?
— Elle a pris place à bord d'un cargo qui partait pour la Bordure.
— Et c'est tout ?
— Non, monsieur. Le cargo appartiendrait à une certaine Tiana Fry.
En entendant le nom de l'ancien Sergent, l'inconnu s'empara brutalement de la tablette et commença à étudier les informations qui y étaient inscrites. Il se rappelait du dossier de l'ancienne Indépendantiste et de la note qui y était apposée : "Sujet à surveiller. Opposera une résistance."
Si le garde de Fair Heaven avait pu voir au-travers du masque du commandant, il aurait pu le voir sourire. En effet, au vu du désordre que le cargo avait laissé derrière lui, il était certain que son adversaire serait redoutable, mais pour quelqu'un comme lui, ce n'était, au final, que du menu-fretin. Ce qui le ravissait néanmoins, c'était cette chance de faire d'une pierre deux coups : récupérer la cible qui lui avait été confiée, et réduire à néant la nuisance que pouvait représenter cette fichue Capitaine de cargo.
— Bien, ordonna-t-il, alors que le garde saluait nerveusement. Je veux des avis de recherche pour ce cargo et cette Tiana Fry, ainsi que pour tous les membres de l'équipage qui ont été repérés par les caméras du spatioport.
Puis, se rappelant du massacre qu'il avait perpétré et dont les restes jonchaient l'intégralité de la pièce, il ajouta :
— Et n'oubliez pas de faire nettoyer tout ça et de veiller à les remplacer par des personnes compétentes, cette fois. L'administration précédente était vraiment indigne de l'Alliance.
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