CHAPITRE 43 : Derrière les lignes ennemies
Elle n'était pas loin. Au fond de lui, Jack Daniels en était persuadé. Mais où ? Derrière lui, les corps sans vie s'empilaient, signe de la récente lutte qui avait suivi son abordage en solitaire. Quand il se mit à éprouver une intense fatigue. Une fatigue autant provoquée par l'affrontement auquel il avait pris part que par le poids écrasant de sa combinaison.
"Mais qu'est-ce qui m'est passé par la tête ?" se demanda-t-il tandis qu'une autre vague d'ennemis essayait de le submerger.
Tandis que la marée humaine se ruait vers lui, l'artilleur affichait un sourire éclatant, prêt à en découdre. Mû autant par sa combativité que par son envie de retrouver la Synthétique, il était confiant – un peu trop peut-être – quant à l'issue du combat qui se préparait. Certes, devant lui se dressaient des soldats chevronnés, mais, durant toutes ses années auprès de Tiana Fry, il avait appris d'elle qu'aucune situation, aussi difficile fût-elle, n'était désespérée.
Rangeant le récepteur qu'il avait "emprunté" à Mei dans sa poche ventrale, il changea le mode de son arme – pour tirer toujours plus rapidement – commença à tirer dans tous les coins, abattant toujours plus d'ennemis.
Quand soudain, ceux-ci reculèrent d'eux-mêmes jusqu'à disparaître complètement, désertant ainsi le couloir. Si Jack en eut été particulièrement surpris au début, la raison d'un tel revirement s'annonça d'elle-même : la silhouette si particulière d'Atlan venait de se découper de l'autre côté du corridor. Sentant sa présence dans son dos, Jack pivota et ne put empêcher un sourire mauvais de s'étaler sur ses lèvres.
— Je me disais bien que tes hommes agissaient bizarrement. J'imagine que c'est toi qui les a renvoyés.
Étrangement, le Pisteur se contenta d'acquiescer en sortant son sabre de son fourreau. Apparemment, il espérait le combat autant que son adversaire.
— Pourquoi ? Tu as trop peur qu'ils voient comment je vais te ravaler la façade ? ironisa l'artilleur.
— Au contraire, je craignais simplement qu'ils essaient de te tuer avant que j'en aie réellement terminé avec toi. Après tout, nous avons l'un comme l'autre une revanche à prendre. Un ultime combat qui nous départagera enfin. Maintenant, quitte donc ce ridicule accoutrement que tu reçoives le sort que tu mérites !
Intrigué par la demande d'Atlan, Daniels s'exécuta, posa son arme à terre et se débarrassa avec difficulté de son encombrante combinaison qui s'écroula lourdement sur le sol immaculé et miroitant du corridor.
— C'est étrange que tu veuilles absolument de ce combat. Je m'attendais à ce que tu me tues à la première occasion.
— Oui, je dois avouer que je l'ai envisagé. Mais ça n'aurait pas été aussi... amusant que de te briser, l'abruti. Te tuer, là, comme ça, c'est trop simple. Alors qu'un combat, oh ça, c'est bien plus intéressant ! s'exclama le Commandant de l'Alliance.
Jack savait que s'il avait pu battre Atlan lorsque celui-ci avait mis le pied à bord du Charon quelques mois auparavant, il n'avait obtenu son salut qu'à un immense coup de chance. Mais là, ça serait différent. À l'époque, il n'avait que son goût prononcé pour le combat qui le motivait. Plus maintenant. En cet instant, il avait une excellente raison de se battre et sa rage de vaincre n'en était que plus grande. Et sa détermination ne portait qu'un seul nom : Sarina.
Comme ayant deviné les pensées de l'artilleur, le Pisteur exulta :
— Tu sais, l'abruti, je ne vais en aucun cas te tuer à l'issue de ce combat.
— Ah ouais ? s'écria Daniels. Comme si moi, j'allais hésiter !
— Comprends-moi bien. Je vais bien finir par te tuer, ne trompe pas... Mais je vais prendre mon temps. Tu vas souffrir, énormément, et forcer Sarina à tout me révéler de ce qu'elle sait. Et enfin, tu me supplieras de mettre fin à tes jours. Ce que je ferai avec plaisir en t'égorgeant juste sous les yeux de ton amie. Et ensuite, je m'occuperai de vos amis, juste pour le plaisir.
À ces mots, l'artilleur se précipita sur le Pisteur qui esquiva la charge de Daniels avec une facilité déconcertante. Surpris, il ne vit pas le poing d'Atlan qui vint s'enfoncer dans son abdomen. Sous la puissance du coup, Jack fut projeté en arrière et s'écrasa lourdement au sol, bien loin de son adversaire. La respiration de l'ancien mercenaire se coupa un instant et lorsqu'il la reprit, il ne put réfréner la quinte de toux qui lui vint. Un fluide au goût métallique lui arriva en bouche et il comprit : du sang. Jack toussa à nouveau et en cracha un épais caillot.
— Tu n'as aucune chance ! jubila Atlan, ravi du déroulement du combat.
— Ouais je sais, répliqua Jack en se relevant péniblement. Mais, c'est déjà ce que tu disais la dernière fois, et je t'ai quand même botté le cul...
Toujours debout, le Commandant de l'Alliance se mit alors à courir vers sa cible. Au dernier moment, le Pisteur prit appui sur un mur et passa derrière Daniels avant de le marquer d'une immense croix sanglante de la largeur de son dos. Au cri de sa victime, Atlan éclata d'un rire tonitruant :
— Je t'avais prévenu. En même temps, les Synthétiques, comme ton amie ou moi, apprennent de leurs erreurs. Il était donc peu probable que tu réussisses à me battre, déclara le Commandant en enlevant son casque, révélant ainsi son demi-visage métallique.
Choqué par la révélation d'Atlan, l'artilleur eut un moment d'arrêt. Moment dont le Pisteur se servit pour agripper férocement son adversaire et le projeter au loin. Il empoigna ensuite son casque par le rebord, s'approcha de Jack avant de lui asséner un coup violent à la tête.
Voyant son adversaire complètement assommé, le Synthétique renfila son couvre-chef et s'approcha de l'intercom :
— C'est bon. Vous pouvez l'emmener avec mon autre prisonnière, annonça-t-il en pressant le bouton. Je les rejoindrai plus tard.
* * *
Depuis le départ d'Atlan de la salle de torture, Sarina avait perdu toute notion du temps. Elle demeurait seule, dans le noir le plus total, depuis maintenant quoi ? Trente ? Quarante minutes ? Ou bien était-ce simplement cinq ? La Synthétique n'espérait en rien la dernière hypothèse. Isolée dans la pénombre de ce lieu de souffrance, elle ne pouvait rien faire de plus que penser. Encore et toujours à la situation désespérée dans laquelle elle se trouvait.
Attachée sur sa chaise, elle réfléchissait, songeait au destin, qui, par l'intermédiaire de la bienveillance de Cybil, l'avait menée droit vers le dernier membre de sa fratrie et au Charon. Un vaisseau et son équipage qui était menacé par sa seule existence. Elle était l'unique raison de l'acharnement d'Atlan sur ces gens qui l'avaient très vite considérée comme l'une des leurs. Sarina soupira intérieurement face à cette injustice flagrante. Elle aurait préféré se sacrifier plutôt que de voir s'alourdir à nouveau la longue liste des afflictions qu'elle n'avait pu empêcher. Des souffrances qui se termineraient inévitablement par la mort de ces gens qu'elle avait appris à aimer.
Soudain, retirant Sarina de ses pensées, la porte de la salle de torture s'ouvrit avec fracas. L'intense éclat de la lumière extérieure aveugla la jeune femme qui ne distinguer de ceux qui venaient d'entrer que les ombres. Heureusement, si elle ne les voyait pas, elle pouvait toutefois les entendre : la jeune femme perçut le bruit d'un corps qu'on lâchait puis celui d'une porte en métal qui grinçait. La Synthétique comprit facilement ce qu'il en était : l'intrus avait été neutralisé et jeté en cage. Mais ce qu'elle entendit ensuite l'inquiéta : une plainte sourde suivie d'une quinte de toux. Et bientôt, la porte se referma aussi brutalement qu'elle s'était ouverte, replongeant la pièce dans l'obscurité. Tandis que ses yeux finissaient enfin par se réhabituer à la pénombre, elle découvrit avec stupeur la silhouette massive de Jack Daniels, couché dans le sang séché de la cage qui se trouvait dans un coin de la pièce.
— Jack ? Mais qu'est-ce que tu fais là ?, demanda-t-elle alors que l'affolement la gagnait.
L'artilleur ne répondit que par un grognement. La Synthétique réitéra donc, plus fort :
— Jack ! Réponds-moi ! supplia-t-elle presque. Dis moi que ça va.
L'ancien mercenaire se retourna lentement vers Sarina, un faible sourire sur le visage :
— Salut, ma belle. Je suis content de t'avoir trouvée...
— Parce que tu es spécialement venu me trouver ? C'était stupide et...-
— Ton esprit a pris inconsciemment le contrôle du Charon, la coupa-t-il.
En entendant les paroles de Daniels, la jeune femme ouvrit des yeux ronds : ainsi une partie d'elle était toujours en communication avec le cargo. Mais comment était-ce possible ? Une partie de sa conscience s'était-elle dupliquée ? Non, ce n'était pas ça. Son esprit avait pris le contrôle du transporteur en direct. Tandis qu'Atlan la torturait, elle avait songé à ses amis et la fatale situation dans laquelle ils se trouvaient. Elle s'était même sentie arrachée à son corps quelques secondes. Mais elle avait supposé que ce n'était rien. Juste un mécanisme de défense de son cerveau face à la douleur.
— Je vois... Mais ça n'explique pas pourquoi tu es venu seul.
Un éclair d'embarras traversa le visage de l'ancien mercenaire tandis qu'il cherchait une raison logique à ses actions de la dernière heure. Malheureusement, il n'en avait réellement aucune. Aucune qui expliquerait son comportement aussi impulsif qu'irrationnel. Il n'avait été mû que par ses émotions et rien d'autre.
— T'es l'une des nôtres, Sarina, hésita-t-il. Tu... Je devais venir...
Toutefois, cette justification ô combien bancale ne convainquit pas la Synthétique, qui, consciente que Daniels lui mentait autant qu'il se mentait à lui-même, répondit durement. Bien plus durement qu'elle ne l'aurait voulu.
— Oh, arrête un peu tes conneries, Jacky ! Tu vas me faire croire que tu serais venu seul, comme ça, si ça avait été Tooms ou Aiden qui s'étaient faits capturer ?
— C'est juste que... J'en sais rien... T'es importante.
— Importante ? Vraiment ? Parce que je suis une arme, c'est ça ? répliqua la jeune femme.
Il n'oserait pas avouer ce qui le travaillait depuis tout ce temps, à moins d'être totalement repoussé dans ses retranchements. Et ça, elle l'avait bien compris. Aussi, si ses paroles étaient potentiellement blessantes, c'était pour son propre bien.
— Sérieux ? Tu crois vraiment que je te vois simplement comme un outil ou un simple jouet ? Me prend pas pour la sous-merde que j'étais avant, s'il te plaît ! riposta l'artilleur. Si je suis venu, c'est pour toi. Parce que je... Parce que tu...
Encore une hésitation, mais Sarina savait qu'il n'allait pas tarder à passer aux aveux. Bientôt, il allait dire ce qu'il avait sur le coeur.
— Quoi donc, Jacky ? demanda-t-elle plus doucement.
— Oh, c'est juste que... Tu me plais. Voilà, je l'ai dit !
La jeune femme resta interdite un instant tandis qu'elle assimilait peu à peu l'information. Jack Daniels, le taciturne artilleur du Charon, avait le béguin pour elle, une Synthétique ? Toutefois, elle n'eut pas l'occasion de s'étendre plus encore sur le sujet car déjà, les ennuis refaisaient leur apparition : l'unique porte de la salle de torture s'était ouverte à nouveau, laissant transparaître la silhouette reconnaissable d'Atlan.
Celui-ci portait un seau dont il s'empressa de jeter le contenu sur Daniels. Puis, ayant retiré son casque, il s'empara d'un objet posé près de sa console. Une sorte de long tube cylindrique et métallique dont le manche était enveloppé de cuir.
— Ça me fait tellement plaisir que ton ami se soit joint à nous. Ça va me permettre d'utiliser ça.
Le Commandant s'approcha lentement de la jeune femme, comme s'il essayait de lui faire peur. Et peur, ça oui, elle l'était. Terrifiée même à l'idée qu'Atlan s'en prenne à Jack juste pour la briser.
— Tu vois, Sarina, jubila-t-il en brandissant l'objet sous le nez de la Synthétique. On surnomme ça un "Bâton de la Mort". C'est un artefact d'une grande rareté pour quelqu'un qui, comme moi, sait apprécier l'art de la torture. Et son nom est tout à fait à propos. Son contact avec la peau des humains ou des aliens provoque une douleur atroce à celui qui en fait les frais. La victime souffre tellement qu'elle ne tient pas quelques minutes avant de demander à être achevée. Et si nous autres, Synthétiques, ne sommes pas affectés, ton ami ici présent, quant à lui, eh bien...-
Le Pisteur s'approcha de la cage dans laquelle était enfermé le pauvre Daniels qui était encore à moitié inconscient. Avant de poser l'extrémité de l'objet sur la peau de l'artilleur. Le bâton lui arracha un hurlement aussi effroyable que ceux que Sarina avait elle-même poussés.
— Parle ! Et j'abrègerai vos souffrances à tous les deux ! beugla Atlan, hors de lui, tout en continuant de torturer l'ancien mercenaire.
Toutefois, à présent conscient de tout ce qui se passait autour de lui, ce dernier tenta de se redresser dans cette cage bien trop petite pour lui, et dans un cri d'agonie qui ressemblait plus à une supplication, s'exclama :
— Lui dis rien, Sarina ! Je peux supporter ça toute la journée !
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