CHAPITRE 37 : Éveil
Après quelques instants de silence, tel un disque rayé, l'hologramme réitéra :
— Veuillez entrer vocalement le sujet de votre requête.
Circonspecte, Sarina jeta un coup d'oeil vers Tiana qui lui fit signe d'avancer et de poser ses questions. Cependant, la Synthétique hésitait : une peur enserrait son coeur mécanique. Effrayée de découvrir pourquoi elle avait été créée, elle hésitait. Pourtant, c'était stupide d'être à deux doigts d'obtenir des réponses tant désirées et qu'alors qu'on le lui demandait, de ne pas oser les poser. Prenant son courage à deux mains, elle se remit droite et ordonna d'une voix claire et distincte :
— Parlez-moi du projet D.I.M.A.. Qu'est-ce que c'est ?
Cybil se tourna alors vers la Synthétique, et un faible sourire éclaira son visage lumineux.
— Bonjour, Sarina Rem. Je ne suis pas surprise de vous voir ici.
À l'évocation de son nom par cette chose, la Synthétique resta interdite. Comment pouvait-elle la connaître ? Savoir qui elle était. Comme pour répondre à la question qui venait de fuser dans son esprit, Cybil enchaîna :
— Vous reconnaître est tout à fait normal. Ayant moi-même supervisé la création de chacun des Synthétiques dans les complexes de l'Alliance, je suis au fait de l'identité de chacun d'entre eux. De même, j'ai accès aux données de l'Alliance sur votre actuelle situation. Je vous connais donc tous.
Le regard de l'hologramme passa sur chacune des personnes présentes avant de revenir sur Sarina.
— Ça me plaît pas, Boss, déclara Jack, sa main se resserrant nerveusement sur son arme. Si jamais elle appelle Atlan, il va nous cueillir ici sans qu'on ait le moyen de riposter.
— Ouais, je sais bien. Mais de toute façon, il savait qu'on allait venir. Il aurait pas évacué tout le monde sinon...
— De toute façon, je n'ai aucun intérêt à vous vendre au Commandant Atlan et à l'Alliance, expliqua alors Cybil. Sachez que si Sarina a pu se souvenir de quelques éléments par rapport à ce complexe sur Terra, c'est grâce à moi.
La Synthétique écarquilla les yeux tandis qu'elle digérait la nouvelle. Ainsi, c'était ce programme, cette intelligence virtuelle qui lui avait permis de garder en mémoire cet effroyable endroit ? Non, c'était trop perfectionné pour une simple I.V.
— Je vois que vous commencez à comprendre, Sarina. Je suis bel et bien une intelligence artificielle. Et si mon programme était uniquement de superviser la mise en place du Projet D.I.M.A., je vous ai choisi afin de pouvoir me libérer de l'emprise de ma créatrice.
— Choisi, dîtes-vous ? s'enquit Alistair tout aussi surpris. Pouvons-nous savoir pourquoi Sarina ?
— J'ai effectué quelques recoupements. D'une part, la raison même du remplacement de Sarina Rem. Elle était de nature curieuse et déterminée. D'autre part, ses liens familiaux. Et par extension avec vous notamment, Tiana Fry. C'est pour ça que j'ai également implanté l'idée dans l'esprit de rassembler sa famille. Ainsi, elle pouvait vous mener jusqu'à ce complexe...
L'I.A. s'interrompit quelques instants. Elle laissa le temps à ses interlocuteurs de digérer les informations qu'elle leur avait fournies avant de poursuivre.
— D.I.M.A. est un projet secret de l'Alliance visant à transformer des humains en copies synthétiques. Et ce, dans le but de détecter toute forme de soulèvement au sein de la population et à tuer ces poches de résistance dans l'oeuf. Les initiales de D.I.M.A signifient d'ailleurs Destruction, Infiltration, Manipulation et Assassinat. Cependant, si la vocation de D.I.M.A. était la localisation de la résistance à l'Alliance, il s'agissait également pour moi de ma seule chance de salut. Si je voulais m'échapper de ce complexe, il fallait que je trouve un allié en son sein. Sarina m'a paru un choix... logique. Et vous faire venir ici l'était tout autant.
Fry était sidérée par toutes ces révélations. Le plan de cette I.A. de les amenés ici pour se libérer ; une succession d'actions qui l'aurait certainement convaincue en temps normal s'il n'avait pas été aussi soudain. Mais quelque chose lui échappait. Quelque chose de primordial.
— Pourquoi ? Pourquoi tu souhaites partir ? demanda laconiquement la Capitaine.
— Parce que D.I.M.A. n'est pas juste. Parce qu'il n'est pas bon pour les humains. Il octroit un contrôle de la population à l'Alliance mais permet aussi le meurtre de n'importe quel opposant à ce régime. Je ne pouvais pas continuer à m'associer à de telles atrocités. Au contraire, il fallait que quelqu'un y mette un terme. Vous conviendrez donc qu'il me fallait agir.
Tiana n'en croyait pas ses oreilles. Une I.A. qui avait à coeur des principes de liberté et de justice. Elle pouffa de rire tandis qu'elle réalisait à quel point cette création de l'Alliance s'était éloignée des principes même de ceux qui l'avaient programmée.
— J'y crois pas... C'est dingue ! s'écria-t-elle tandis qu'elle sortait de la pièce pour s'asseoir à un bureau dans l'open space.
La Capitaine avait besoin de penser. De réfléchir à tout ce qu'elle venait d'apprendre. À ce que tout cela impliquait. Nonchalamment, elle grimpa sur l'un des bureaux vides et fit face à une large baie vitrée qui laissait voir les plaines frappées d'éclairs de Terra. Un paysage aussi désolé que l'âme des créateurs du projet D.I.M.A.
Toutefois, si elle avait souhaité se retrouver seule, elle fut vite rejointe par Alistair. Le médecin était visiblement soucieux.
— J'imagine que vous avez quelque chose à me dire, Doc ?
Sans dire le moindre mot, le médecin acquiesça. Il s'appuya sur le bord du bureau où était perché la Capitaine et resta un instant là, les bras croisés, fixant l'horizon par la fenêtre.
— Vous croyez que la vie est possible ici ?
— Je pense pas... Mais pourquoi cette question ?
— Je songeais juste à ce désert... Cela m'a rappelé certaines planètes où j'officiais...
— En tant que médecin ou dans les Services Secrets de l'Alliance ?
Gun tourna la tête vers la Capitaine qui le fixait, les sourcils froncés.
— Qu'est-ce qui vous a mis la puce à l'oreille ?
— "Opérateur". Il n'y a que les agents de terrain des S.S.A. qui sont nommés ainsi. Et j'ai eu l'occasion d'en interroger plus d'un pendant la Guerre.
Un rictus apparut sur le visage d'Alistair tandis qu'il songeait que l'inverse avait été également vrai. Durant cette sombre période, il avait, lui aussi, commis des actes ô combien répréhensibles en quête d'information. Des actes qu'il aurait considérés à présent comme impardonnables.
— Vous vous demandez sûrement si vous pouvez toujours me faire confiance... Ou si vous n'auriez pas dû m'éjecter dès votre départ de Fair Heaven. Je ne peux que vous comprendre, ma chère. Après tout, je pourrais certainement être un agent d'Atlan sous couverture...
— Vous vous rendez compte, Doc, que ça sert pas votre cause, ce que vous dîtes là...
Le médecin émit un petit rire sans joie.
— Vous comprenez donc pourquoi j'ai préféré ne pas vous en parler directement. Certes, après coup, je pense que j'aurais peut-être dû. Mais, à l'époque, je n'étais qu'un passager qui n'avait intégré votre équipage que depuis quelques jours. Je ne vous avais pas encore prouvé ma loyauté...
— Une loyauté qui aurait pu être simplement un écran de fumée... Mais en y repensant, Atlan aurait pu foncer droit vers Obol après ma capture et récupérer Sarina et sa conscience dans l'ordinateur du Charon. Ce qu'il n'a pas fait...
D'un regard entendu, les deux anciens militaires comprirent qu'ils n'avaient rien à craindre l'un de l'autre. Ils avaient tous deux vécu des événements qui les avaient marqués à vie et avaient fait toutes sortes de choses aussi effroyables les unes que les autres. Leur passé n'était pas reluisant, mais, s'il les avait forgé dans la douleur et la brutalité du monde, il leur avait aussi permis de s'en défaire – ne serait-ce qu'un peu – pour avancer et toujours évoluer.
— Vous pensez quoi de notre situation ?
— Je dois avouer que tout cela me laisse empli de doute. Cette I.A., Cybil, m'a l'air tout bonnement bienveillante. Mais, s'arrêter à ses simples dires serait omettre l'identité de sa créatrice. C'est une I.A. de l'Alliance, après tout. Qui nous dit qu'elle ne cherche pas en réalité à prendre le contrôle de tous les Synthétiques disséminés un peu partout dans l'Alliance.
— Vous croyez que c'est possible ?
— Je le pense, oui. Elle a réussi à implanter aussi bien des souvenirs dans l'esprit de cette chère Sarina qu'une simple idée. Imaginer qu'elle puisse contrôler les autres Synthétiques pour assouvir ses propres désirs n'est pas dénué de sens.
Tiana ne pouvait lui donner tort. Après tout, elle avait déjà vu les ravages qu'avait provoqués Sarina sous le contrôle d'Atlan et après la réintégration de sa conscience dans son corps. Songer un instant à la destruction qu'une armée de ces êtres cybernétiques lui donnait presque des haut-le-coeur. Toutefois, une autre question lui brûlait les lèvres, d'autant plus depuis qu'elle imaginait à nouveau les corps à moitié construits des Synthétiques.
— Mais pourquoi donc n'a-t-elle pas transféré son programme dans l'un de ces corps et disparut ensuite. Pourquoi nous demander de venir ici ?
— Je crois savoir... C'est un problème de place.
— Quoi ?
Les yeux de la Capitaine s'ouvrirent tant l'incrédulité la gagnait. Les yeux fixés vers l'horizon, le médecin entreprit d'expliquer le fond de sa pensée :
— Voyez-vous, le cerveau d'un humain est comme un disque dur. Son espace de stockage est limité. Il va d'ailleurs de même pour celui des Synthétiques qui n'a été programmé que pour contenir la conscience d'un humain. Pas plus. Alors, contenir le programme informatique d'une I.A. Non, ça n'aurait pas été possible... La seule issue pour Cybil demeure donc les réseaux de communications. Avec le bouclier et le blocus d'Atlan...-
— ...- elle se retrouve coincée ici.
Avec toutes ces questions qui trouvaient enfin une réponse, Fry avait espéré détenir un nouveau plan d'action. Malheureusement, elle se sentait toujours aussi perdue.
Soudain, un bruit les fit se retourner. Daniels dévalait l'escalier qui menait au bureau du superviseur. Si vite qu'il rata presque une marche.
— Boss ! Doc ! Vous devez venir voir ça !
Précédés de Jack, Alistair et Tiana rentrèrent dans la pièce où se tenait assise Sarina toujours en train de parler à l'hologramme de Cybil. Lorsqu'elle les vit, elle s'adressa à ce dernier :
— Cybil, peux-tu me répéter ce que tu viens de me dire ?
Le visage de l'I.A. s'éclaira d'un sourire et acquiesça avant de répondre :
— Bien sûr, Sarina. Suite à l'éveil du dégoût pour le projet D.I.M.A., j'ai décidé d'intégrer un nouveau protocole de ma création sous couvert d'une mise à jour des systèmes informatiques de tous les Synthétiques aujourd'hui créés. Ce protocole, "Éveil", réécrira les circuits de contrôle et de surveillance de tous les synthétiques connectés à l'Alliance, les libérant ainsi tous du contrôle de cette dernière.
— Pourquoi t'as pas commencé par ça directement ? s'exclama Fry. On aurait pu vite régler le problème, non ?
— Certes, mais je n'avais aucune idée de la valeur que vous alliez porter aux créations du Projet D.I.M.A. Ce sont – pour ainsi dire – mes... enfants. Des vies qui, dans un sens, continuent sous une autre forme. Vous auriez pu vouloir simplement les détruire...-
— ...- au lieu de les libérer comme ce que tu proposes.
L'I.A. acquiesça tandis que Sarina se tournait vers la Capitaine, la regardant avec insistance. Un regard implorant la sauvegarde de son espèce. Pour toute réponse, Tiana émit un profond soupir.
— Sérieux, Sarina... Arrête un peu... Bien sûr qu'on va les libérer. L'Alliance a fait assez de morts comme ça.
— J'espère que vous vous rendez compte de ce que cela implique vraiment, ajouta Alistair. Parce que toute cette nouvelle espèce pourrait ne pas voir d'un très bon oeil qu'on ait essayé de la contrôler. Ni qu'on l'ait créé dans un but aussi destructeur que D.I.M.A.
— En ce qui me concerne, répliqua Fry, une lueur rageuse dans le regard. Ça fera du mal à l'Alliance et c'est tout ce qui compte !
Tandis que ses trois compagnons acquiesçaient à sa déclaration, la Capitaine se tourna à nouveau vers Cybil :
— Bien, tu peux activer ce fameux Éveil.
— Malheureusement, je n'ai actuellement plus accès à aucun réseau de communication pour télécharger la mise à jour. Seule mon évasion de ce lieu pourra me le permettre...
Un petit rire s'échappa des lèvres de Fry tandis qu'une solution toute trouvée s'offrait à elle : le Charon et son émetteur. Seule communication qui ne serait pas coupée de la planète. Malheureusement, cela signifiait également que lors du transfert de l'I.A. vers le cargo, ce dernier serait vite localisé par l'Alliance en orbite. Mais sans le moindre autre choix possible, Tiana dut se résigner.
— Cybil, peux-tu accéder d'ici à l'émetteur du Charon ?
— Oui je le peux.
— Alors, fais-le.
La silhouette de Cybil acquiesça avant de disparaître. L'obscurité ambiante reprit ses droits pendant quelques instants avant que la silhouette sans visage de l'intelligence virtuelle apparaisse.
— Session terminée. Les installations du complexe X-031 vous souhaitent une agréable...-
Il fut interrompu dans sa phrase par le tir d'un blaster dans l'unique projecteur holographique. Tiana Fry avait les larmes aux yeux. Des larmes de colère. Aussi s'exclama-t-elle :
— Agréable journée, mon cul ! Journée cauchemardesque, oui !
L'ancien Sergent fit signe alors à ses acolytes :
— Allez. On s'en va. On a fait ce qu'il fallait ici.
— Ouais, bougonna Daniels. Enfin jusqu'à ce que ça nous retombe sur la tronche...
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro