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CHAPITRE 35 : Terra

À bord du Charon, l'appel providentiel de Larck avait provoqué une effervescence certaine au sein de l'équipage. Assise dans son fauteuil, Fry distinguait la coque allongée du Peacemaker – qui devait bien faire plus d'une fois et demi la taille de son cargo. Le destroyer alluma brièvement son moteur subluminique et se rapprocha du blocus. Avant de déclencher les hostilités. La simple frégate qu'il avait prise pour cible n'ayant pas complètement levé ses boucliers, les tirs endommagèrent directement la coque et la réponse du reste de la flotte formant le blocus fut sans appel : plusieurs croiseurs ouvrirent le feu sur le destroyer, mais sans pour autant arriver à l'annihiler, les quelques tirs le touchant ayant rebondi sur ses boucliers. En voyant l'énorme masse du Peacemaker virer brutalement de bord pour éviter les missiles qu'on lui avait envoyés, Tooms ne put réfréner une exclamation :

— Eh bien, Zee est presque plus douée que moi ! Je vais finir par perdre mon titre de "meilleur pilote de toute la Galaxie".

Consciente qu'un tel concours n'existait qu'entre les quelques pilotes rescapés des Forces Indépendantistes, et consistait à prouver lequel d'entre eux serait le plus à même d'échapper à l'Alliance, les lèvres de Tiana s'étirèrent un franc sourire. À ses yeux, Tooms restait le plus habile et sa maîtrise du Charon n'était plus à prouver

— Oh quand même, te dévalorises pas, lui répondit Tiana en souriant. Même si tu es deuxième, c'est pas si grave.

— Mais bien sûr, comme si c'était mon genre de me laisser recaler à la seconde place...

Fry vit alors le destroyer de Byron prendre la fuite et entraîner plusieurs vaisseaux dans son sillage. Comprenant la manoeuvre effectuée par Larck, elle ordonna à son pilote de s'élancer dans l'ouverture dégagée :

— Ash, c'est notre ticket d'entrée ! s'écria-t-elle. Vas-y, fonce !

Le pilote s'exécuta et entreprit de passer la rangée de croiseurs tandis que ceux-ci se repositionnaient. Aux quatre coins du vaisseau, les membres de l'équipage retinrent leur respiration tandis que le timonier leur faisait passer le barrage. Ils n'osaient pas faire un seul bruit, comme si le moindre son pouvait se propager dans le vide.

Avec le silence radio qu'ils s'étaient imposé durant la descente jusqu'à la surface de Terra, l'esprit de Tiana songea très vite que sans Byron Larck et les siens, ils n'auraient pas pu aller bien loin. Il ne pouvait qu'émettre un ultime voeu de félicité pour le corsaire et son équipage. Si elle ne doutait pas de son talent, depuis ses dernières confrontations avec Atlan, elle avait tendance à se laisser aller au pessimisme.

Une fois le blocus passé, l'étape suivante demeurait fastidieuse. Fastidieuse, oui, car lors du contact avec l'atmosphère, il leur faudrait être assez rapides pour éviter la moindre détection de la part de l'Alliance. Mais, le blocus ne serait pas le plus grand danger auquel ils allaient faire face : si leur vitesse était trop élevée, la chaleur des frottements serait rapidement intenable, et le Charon se transformerait sans tarder en débris spatiaux.

Derrière sa console, l'anxiété de Tooms était à son paroxysme. Selon lui, la manoeuvre prenait beaucoup trop de temps et risquait toujours un peu plus de les exposer à un feu nourri des vaisseaux en orbite. Cependant, ce n'était pas le pire : lorsque le pilote eut terminé de traverser les couches externes de l'atmosphère, il découvrit avec horreur que cette dernière était entièrement chargée électriquement. Voyant la situation critique dans laquelle ils étaient, le timonier mit toute sa dextérité à profit pour éviter les arcs de foudre qui zébrait le ciel.

De son côté, Tiana avait prévenu l'équipage qu'il allait y avoir quelques turbulences et ne fut pas surprise de voir arriver précipitamment Sarina. La Synthétique, autant inquiète qu'intriguée, était venue aux nouvelles et ne semblait pas le moins du monde dérangée par le pilotage chaotique de son frère.

— Ça y est, déclara-t-elle, comme soulagée d'un poids. Nous y sommes...

La Capitaine la regarda et remarqua qu'elle ne trahissait aucune expression excepté une détermination certaine. Curieuse de savoir si quelque chose lui revenait en mémoire, Fry n'hésita pas un seul instant avant de le lui demander. Toute information sur leurs ennemis et sur ce qui les attendait ici était bonne à prendre :

— Ça te rappelle quelque chose ?

— Vaguement. J'ai bien quelques flashs parfois, mais ça reste flou...

Soudain, une série de bips stridents retentit, de plus en plus rapide : attirée par la coque métallique du cargo qui fonctionnait comme un immense paratonnerre, une imminente décharge d'ozone était sur le point de frapper le Charon.

— Attention ! prévint Tooms. Celui-là, il va faire mal !

La secousse qui suivit l'éclair fut d'une telle violence que même l'adroite Sarina dut s'accrocher à quelque chose pour ne pas tomber. Voyant sa soeur en difficulté, le pilote lui présenta ses excuses :

— Désolé, petite soeur. J'ai pas pu l'éviter, celle-là.

— C'est pas grave, répondit cette dernière. Mais je crois qu'il va falloir trouver un abri et vite si nous voulons éviter d'être complètement grillés en plein ciel.

— Des suggestions ? demanda Tiana.

— Pourquoi pas une grotte ? lança Daniels qui, lui aussi, venait d'arriver sur le pont principal.

Tiana hocha la tête et donna l'ordre à son timonier de chercher une telle ouverture assez grande pour pouvoir y loger le vaisseau. Peu après, Sarina s'installa à l'une des consoles adjacentes et rechercha un bâtiment similaire à celui qu'elle avait dans ses souvenirs. Elle le trouva rapidement et transmit l'information :

— J'ai trouvé notre destination, Capitaine. Un complexe de l'Alliance. À une dizaine de kilomètres.

— Parfait, j'ai aussi une grotte à quelques kilomètres de tes bâtiments. Je vais m'y poser et on ira avec la Mule...

— Dans ce cas, je vais prévenir Mei, conclut un Jack déterminé. On va avoir besoin d'un truc ou deux pour passer cet orage.

Tandis que la Capitaine acquiesçait, satisfaite de voir à quel point son équipage n'avait pas besoin d'elle pour agir, l'artilleur se retira en direction la salle des machines. Quand celui-ci arriva enfin là-bas, il trouva la mécanicienne, toujours en compagnie d'Aiden. Visiblement, préoccupée, elle semblait dans tous ses états :

— Qu'est-ce qui se passe, gamine ? lui demanda Jack.

— Elle est stressée par le traitement qu'Ash fait subir au Charon, répondit son compagnon.

— On a quelques problèmes avec nos boucliers et j'ignore totalement ce que je vais pouvoir faire pour arranger les choses... ajouta l'Azrienne qui volait presque entre les différents coins de la pièce.

— Pourquoi ne pas essayer de les polariser ? Si ce n'est que de l'énergie, on pourrait y charger un courant électrique pour que les...-

— ...- éclairs arrêtent de nous frapper ! C'est brillant, Aiden ! s'exclama Mei.

Ravie qu'il ait trouvé une solution à son problème, la jeune alien se précipita sur son compagnon avant de l'embrasser avec fougue. Choquée de sa propre audace, elle recula d'un pas, n'osant même pas regarder le jeune homme avant de se remettre au travail. Il n'avait pas cillé, trop surpris pour réagir. Il se contenta de la suivre des yeux, avec un vague sourire béat, alors qu'elle sautait pour s'agripper aux tuyaux qui couraient le long du plafond de la salle des machines et commençait à mettre en branle son plan d'action. Jack, un sourcil arqué, se contenta de renifler avec amusement avant de repartir vers le cockpit.

* * *

À bord de son croiseur, Atlan fixait l'immensité sidérale de l'Espace depuis la vitre de son bureau. Il s'était mis à songer à sa prochaine affectation et espérait qu'elle serait moins complexe comparée à la poursuite de Sarina Rem. Une poursuite qui avait été aussi longue que fastidieuse et dont la longueur avait commencé à contrarier sa supérieure directe autant que lui. Être ainsi mis en échec n'était pas dans ses habitudes. Lui, qui n'avait pourtant jamais connu la moindre défaite se retrouvait à peiner à la capture d'une simple Synthétique.

Tandis que sa rage couvait, sans qu'il ne puisse se défouler d'une quelconque manière, une sonnerie retentit, celle de la porte. D'un pas décidé, il se dirigea vers un piédestal sur lequel était posé son casque et s'en empara. Le Commandant passa ses doigts sur les fissures qui l'ornaient. Bien sûr, elles avaient été réparées mais les stigmates de la grenade de Jack Daniels étaient encore visibles. Après une énième sonnerie, il l'enfila et s'écria :

— Entrez !

Le Caporal Rhys fit alors son entrée : le torse bombé, il paraissait particulièrement fier de lui. Ce qui n'échappa point à Atlan.

— Vous avez trouvé quelque chose, n'est-ce pas ?

— Oui, Commandant, répondit l'autre, toujours aussi fier.

— Montrez-moi.

Rhys tendit alors à son supérieur une tablette avec quelques renseignements inscrits dessus. Ce dernier s'empara de l'objet et lut les informations avant d'éclater de rire. Un rire qui transpirait le sadisme. Mal à l'aise, le Caporal baissa les yeux avant de reprendre sa contenance. N'osant toujours pas regarder son Commandant en face, il attendit patiemment ses ordres.

De son côté, Atlan jubilait. Ces traîtres étaient tellement prévisibles. Même si grâce à lui, ils avaient découvert que Sarina Rem les avait trahis, ils avaient choisi de la sauver et cherchaient désormais à savoir d'où elle pouvait venir. Cette bande d'idiots aurait tellement mieux fait de la lui livrer comme il le lui avait ordonné. Cela leur aurait tellement évité de désagréments. Des désagréments qui allaient leur être fatals.

— Je peux faire quelque chose de plus ? demanda Rhys, voyant que les ordres mettaient du temps à arriver.

— Non, Caporal. Je vais m'occuper de cette nuisance moi-même, déclara le Pisteur, tandis que son subordonné retournait à son poste sur la passerelle.

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