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CHAPITRE 21 : Déshonneur

Cela faisait deux jours entiers que le Charon filait, les moteurs poussés à leurs limites. La cargaison – la précieuse aide humanitaire mandatée par Marlin – ne devait pas attendre. Deux jours de repos pendant lesquels, grâce aux bons soins du Docteur Gun, Tiana et son équipage se remettaient peu à peu de leurs mésaventures. Enfin presque tout son équipage : que ce soit Sarina ou Seilah, leur état émotionnel était de pire en pire.

Même si elle avait accepté le fait d'être un être synthétique dont la conscience avait été téléchargée dans le coeur d'un vaisseau spatial, Sarina n'avait toujours pas à comprendre comment on avait pu la remplacer par une copie cybernétique. "Comment", "quand", mais surtout "pourquoi", demeuraient des questions sans réponses. Une ignorance qui ne faisait qu'attiser la frustration d'un esprit tout puissant sur les systèmes du Charon.

Quant à Seilah, elle semblait toujours hantée par la mission en cours. Une chose que laquelle Tiana n'arrivait pas à comprendre. Et comment l'aurait-elle pu, sa compagne éludant le sujet par tous les moyens ?

Agacée par ce manque de transparence, la Capitaine décida de confronter sa bien-aimée. Elle avait beau la chérir de tout son coeur, cette histoire avait assez duré. Peu lui importait la difficulté de la situation, elle souhaitait l'aider à la traverser. Aussi, l'attendit-elle de pied ferme dans leurs quartiers communs. Lorsqu'elle y pénétra enfin, Seilah comprit que quelque chose n'allait pas. Assise sur le bord de leur lit, les bras croisés, Tiana affichait un air sombre. Les mâchoires crispées tant par le stress d'une telle discussion que par le fait de la blesser, ne serait-ce que psychologiquement, elle asséna les premières paroles d'une conversation qui pouvait aisément mal finir :

— Seilah. Assieds-toi.

Intriguée autant qu'inquiète par l'attitude de sa compagne, l'alien s'exécuta.

— Tout va bien ? demanda-t-elle.

— À toi de me le dire ? Je devrais me sentir bien ?

Voyant que sa compagne restait interdite, la jeune militaire continua sur sa lancée, quitte à brusquer un peu les choses.

— Après tout, qu'est-ce que je suis censée ressentir alors que ma compagne refuse de m'expliquer ce qui la terrifie autant ? Alors qu'elle me cache quelque chose ?

Seilah restant toujours silencieuse, Fry ferma les yeux un instant, déglutissant avec difficulté alors qu'elle sentait les larmes perler derrière ses paupières. Elle inspira profondément et fit mine de sortir : ayant souvent interrogé de jeunes militaires de l'Alliance, elle savait que l'idée même de perdre leur seul moyen de se confesser pouvait les faire craquer. Certes, il s'agissait là d'une petite manipulation, mais une simple entorse à son éthique n'était rien comparé à la vérité. Au bien-être de leur couple et de Seilah elle-même.

— Quand tu auras décidé d'être franche avec moi, Seilah, tu me feras signe. D'ici là, on a plus rien à se dire, lâcha-t-elle, un once de violence dans la voix.

Lui asséner ça, aussi brutalement, lui brisait le coeur. Mais il le fallait. Elle devait savoir. Attendant une quelconque réaction de la part de sa compagne, Fry fit mine d'ouvrir la porte pour s'en aller. Quand soudain, la voix de l'alien s'éleva :

— Tiana ! Attends !

La Capitaine entendit alors un bruit d'étoffe tomber au sol et fit lentement demi-tour. Elle découvrit Seilah, toujours à la même place. Au sol se trouvait le bandeau qui ornait habituellement son front. À sa place, on pouvait voir une cicatrice d'une brûlure, légèrement plus claire, et formant un étrange symbole : deux traits croisés, obliques et égaux, barrés en leur milieu par un troisième trait, terminé par une fourche à chaque extrémité, le tout étant surmonté d'un cercle.

Ne comprenant pas où elle voulait en venir, Tiana haussa un sourcil attendant que Seilah commençât ses explications :

— Demora, la planète où on doit livrer tout ce matériel. C'est ma planète d'origine. déclara-t-elle.

— Pardon ?

— Oui, Tiana. Je suis Demoréenne. Et c'est totalement normal que tu ne le saches pas. Pour mon peuple, quitter notre planète est un sacrilège. Un crime qui n'apporte que le déshonneur et la honte.

— Alors pourquoi l'avoir fait ?

— J'allais y venir... C'est à cause de celle que je suis.

Tiana ne savait que dire. Elle se rendait compte qu'elle ne savait pas tout sur le passé de sa compagne. Ni même le nom de sa planète. Mais jusqu'à présent, elle s'en moquait. Après tout, ce n'était pas l'espèce qui faisait les qualités d'une personne. Tiana était tombée amoureuse de Seilah et ça n'avait jamais cessé depuis. Elle l'aimait et comptait bien la soutenir du mieux qu'elle le pouvait. Aussi, elle reprit :

— Tu m'expliques le lien avec ceci ? questionna-t-elle en pointant le front de sa bien-aimée.

— C'est la marque de ma famille. Celle que portent tous les dirigeants de notre clan. Mon père H'Ram en est le chef. Ce qui fait de moi...

— ... son héritière ?

— Exactement...

La jeune femme, à présent en larmes, cherchait son sempiternel bandeau pour cacher la brûlure signifiant son appartenance à cette famille qui – elle en était certaine – allait la rejeter. Cependant, Tiana était certaine que sa compagne ne lui avait pas tout dit. En effet, Seilah n'était pas quelqu'un qui aurait pu quitter sa planète sans une excellente raison.

— Dans l'appartement de Marlin, tu as dit "pas lui" et non "pas elle". J'en déduis que c'est de notre contact que tu parlais, n'est-ce pas ? C'est un Demoréen, lui aussi ?

— Oh non, c'est bel et bien un humain... Et l'un des pires qui ait pu exister. Je... hais cet homme.

La jeune alien déglutit avec difficulté et Tiana réalisa sans tarder à quel point elle était terrifiée. Instinctivement, Fry la prit dans ses bras, tout en lui murmurant :

— Seilah, parle-moi. Je sais que ça te pèse depuis longtemps et tu te sentiras mieux.

Pour toute réponse, un sanglot. Long et déchirant. N'ayant pas d'autre moyen pour la réconforter que son étreinte, la Capitaine commença alors à la bercer doucement dans ses bras jusqu'à ce qu'elle se laissât aller. Peu à peu, la crise de Seilah passa et ses pleurs furent bien moins violents. Sa respiration reprit un rythme normal. Les quelques instants s'étirèrent en de longues minutes. Minutes pendant lesquelles un silence réconfortant s'était installé. Tiana aurait pu rester ainsi très longtemps. Malheureusement, toutes les bonnes choses avaient une fin. Et déjà, elle devait relancer la discussion à propos du passé de sa compagne.

— Du coup, c'est qui ce type ? demanda doucement Tiana. Une raclure dans le genre de Bradock ?

La jeune Demoréenne ricana en entendant des propos si élogieux à l'égard du fameux contact. Elle soupira et calma ses pleurs pour expliquer toute la situation à sa bien-aimée :

— Si seulement... Une cartouche et ça serait terminé... Non, Tiram Dja'Anu est une ordure de la pire espèce.

Tiana haussa un sourcil, perdue tant les révélations de l'alien étaient sporadiques. Mais elle savait qu'elles le seraient tant que Seilah aurait autant de mal à exprimer ses craintes. Aussi, ne la brusqua-t-elle pas.

— C'est une ordure de la pire espèce, xénophobe et qui nous considère, nous les Demoréens, comme une sous-race. En tant que Seigneur auto-proclamé de Demora, il nous a réduits en esclavage. Nous utilisant pour extraire à la main l'un des minerais les plus abondants du sous-sol de notre planète, l'Élément Uz, qu'il expédie directement vers le coeur de l'Alliance...

Déjà effarée par ce que Seilah venait de lui raconter, Tiana était restée bouche-bée, ne pouvant imaginer que quelque chose de pire ait pu la forcer à partir. Quitter des conditions de vie aussi injustes et insupportables semblait déjà une excellente raison d'avoir déserté sa planète. L'ancien Sergent savait qu'à la place de sa compagne, elle n'aurait pas hésité non plus.

— Je peux facilement comprendre que tu aies voulu quitter un tel endroit et j'imagine que les tiens en auraient fait de même s'ils en avaient eu l'occasion, assura Fry d'une voix douce.

— Ne crois pas ça ! s'exclama l'alien cornue en se redressant brutalement, manquant d'éborgner sa compagne au passage.

Reprenant son calme à coup de longues et profondes inspirations, Seilah continua son récit. Au fur et à mesure qu'elle avançait dans son histoire, chaque étape semblait bien facile à aborder que la précédente.

— Ce n'est pas le pire. H'Ram, mon père n'était pas qu'un simple chef de clan. C'est aussi un chef de guerre. Il a fomenté plusieurs révoltes au sein des mines. Il a libéré plusieurs des nôtres. Mais lorsque Tiram l'a pris à la gorge et a menacé d'exterminer plusieurs dizaines d'esclaves devant son palais juste pour l'exemple, il n'a pas eu le choix. Il a dû se soumettre. Et l'une des conditions de sa rédition était de lui promettre sa fille aînée...

— Promettre ? Comme dans...

— Oui, je devais me marier avec cette ordure. Seulement voilà, j'ai appris en écoutant aux portes que Tiram ne comptait absolument pas sur notre mariage pour mettre fin aux hostilités. Au contraire, il souhaitait m'utiliser comme moyen de pression pour faire en sorte de mater toute résistance et atteindre mon père. Il avait même prévu d'assassiner mon père lors de notre union.

Tiana ne savait plus quoi dire : elle n'avait jamais imaginé que sa compagne ait pu avoir un passé aussi complexe et aussi dur. Mais elle saisissait à présent pourquoi Seilah s'était comportée ainsi en lisant le nom de celui qui avait fait tant de mal à son peuple.

— Après avoir prévenu un camarade révolutionnaire infiltré au palais de Tiram, je me suis enfuie. J'ai volé une navette et je suis partie vers un autre système. J'y ai été recueillie par un équipage qui m'a déposée sur Gamma Hydra 3, où tu m'as connue.

La Capitaine était sidérée par toutes ces révélations. Seilah ne lui avait jamais parlé de son passé. Mais, à vrai dire, même maintenant, elle n'en avait que faire. Son passé n'appartenait qu'à elle et ne changeait en rien qui elle avait été tout ce temps auprès d'elle. Cependant, Fry sentait que Seilah ne lui disait pas tout. Quelque chose la terrifiait encore plus que de se retrouver face à Tiram. Aussi la Capitaine le lui demanda :

— Ma chérie, tu es certaine qu'il n'y a rien de plus à dire ?

La Demoréenne hésita un instant, puis passa aux aveux :

— C'est juste qu'en revenant sur Demora, j'ai peur de voir les ravages que mon départ a causés. Je ne sais pas si j'arriverai à le supporter.

— Quels ravages ? Tu crois que Tiram se serait vengé sur ton peuple simplement parce que tu es partie ? Tu m'as bien dit que de toute façon il allait s'en prendre à eux, mariage ou pas, non ?

— Ça, oui ! Mais tu ne le connais pas ! Je l'ai vu faire couper les mains de l'une de ses servantes demoréennes juste parce qu'elle avait fait tomber un plateau. Il est cruel et sans pitié, sous ses airs de noble précieux et prétentieux.

Tiana prit alors la tête de Seila, la posa sur ses jambes tout en lui caressant doucement les cornes, détendant la jeune alien presque instantanément.

— Écoute, je sais pas ce que tu voudras faire quand on sera là-bas. Mais si tu tiens à rester ici pendant la négociation, je ne t'obligerai pas à venir. Au pire, Tooms et Jack peuvent m'accompagner.

La Demoréenne se releva alors pour embrasser sa compagne et avec un sourire, elle lui dit :

— Qu'est-ce que je ferais sans toi, hein, mon héroïne ?

Puis, réfléchissant un instant, ses yeux s'exorbitèrent :

— Oh non ! Tiram est un allié de l'Alliance. Tu peux être certain qu'il sait qui tu es et que tu as un mandat à ton nom ! s'exclama la Demoréenne.

Tiana, suivant aisément le cheminement de ses pensées, saisit rapidement où elle voulait en venir. D'un seul coup, un frisson d'effroi lui traversa l'échine tandis qu'elle formulait ses réflexions à haute voix :

— Et si Tiram est allié à l'Alliance, ça veut dire qu'Atlan sera lui aussi dans les parages...

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