CHAPITRE 18 : Je suis médecin, pas ingénieur
— Comment ça "chaotique" ?
Si la voix du pilote transpirait l'angoisse, il n'était pas le seul à partager cet oppressant sentiment. Les paroles d'Alistair résonnaient encore dans l'esprit de Tiana Fry et l'idée même de finir en poussière spatiale avait fait germer en elle une terreur difficilement contrôlable. Et bien qu'elle fût accoutumée à cette peur de mourir, elle était beaucoup plus effrayée par la mort potentielle de tous ceux dont elle avait la responsabilité. Pourtant, si son coeur battait à tout rompre, sa position de chef lui imposait une attitude toute autre, une pondération qui lui permettrait de prendre les meilleures décisions possibles.
— Calme-toi, Tooms, répliqua la Capitaine, ayant elle-même du mal à suivre son propre conseil.
— Comment ça me calmer ? Comme si je pouvais... On va se faire pulvériser sans la moindre petite chance de se tirer d'ici !
— Arrête un peu. Mei est en train de relancer les moteurs et on va se sortir de ce merdier.
— C'est moi que tu essaies de convaincre ou toi-même, là ?
En d'autres circonstances, elle aurait ri. Difficile en effet de duper son second quand celui-ci vous connaît aussi bien... Tiana émit un profond soupir tandis que le timonier affichait un sourire amusé qui, lui aussi, tentait désespérément de noyer son angoisse sous un flot de bonne humeur feinte.
— Tooms, concentre-toi, j'ai besoin de toi à ton maximum.
Le pilote opina du chef et la valse de ses doigts sur sa console débuta. Bientôt, plusieurs voyants virèrent au vert et un doux ronronnement se fit sentir sous les pieds. Les moteurs redémarraient enfin.
— Allez, c'est parti !
À cette annonce, Tiana ne put réfréner le sourire satisfait qui s'étalait sur son visage. Elle s'installa sur son propre fauteuil, au centre de la pièce et enfonça le bouton de l'intercom.
— Mei, on en est où ?
Toutefois, au lieu de celle de la jeune Azrienne, ce fut la voix familière d'Aiden qui lui répondit :
— Nous y sommes presque, Capitaine. Mais on aura besoin d'un peu plus de temps pour pouvoir activer le bouclier occulteur.
Plus de temps ? Ce n'était pas comme s'il en avait à revendre. Par chance, ils avaient à bord l'un des meilleurs pilotes de son temps. Et s'il y avait bien une chose qu'il savait faire, c'était gagner du temps pour leur permettre de s'échapper.
— Eh bien Ash, tu as entendu...
Bien que ne lui répondant pas, Tooms étira d'un coup sec ses doigts qui craquèrent avant de tapoter frénétiquement les écrans tactiles de sa console. Le vaisseau s'élança alors dans l'immensité spatiale, slalomant habilement entre les tirs des batteries lasers du croiseur. S'il put éviter la plupart d'entre eux, certains trouvèrent leur cible. À bord du Charon, le choc secoua l'ensemble de l'équipage, y compris Tiana qui se retint à grand peine de tomber de son fauteuil.
— Merde, on a été touché. Tooms, fais...-
— Ça va, je gère. T'en fais pas, c'est le bouclier arrière qui a tout pris.
— On a perdu beaucoup ?
— Vingt pour cent. C'est pas rien, mais je gère, réitéra-t-il.
— OK, fonce mais évite de nous mettre dans leur ligne de mire !
— Parce que c'est pas ce que je suis en train de faire, hein ?
Sentant le regard insistant de sa supérieure, il soupira avant de lancer avec humour tout en faisant virer le vaisseau de bord :
— Tes désirs sont mes ordres, Boss !
Voyant que le timonier semblait maîtriser la situation, Fry se focalisa sur l'autre partie de son plan de fuite. Elle enfonça à nouveau le bouton de l'intercom.
— Dis-moi que tu es parée, Mei !
— Je n'attends plus que ton ordre et je nous fais disparaître.
La Capitaine se tourna alors vers Tooms qui se préparait autant à faire demi-tour qu'à plonger sous la pointe du croiseur d'Atlan qui, lui, continuait inlassablement sa course dans leur direction.
— Prêt ? demanda-t-elle en posant une main sur l'épaule d'Ash.
Le pilote acquiesça et initia sa manoeuvre. Le Charon freina brusquement et vira sèchement de bord avant de se rabattre sur l'immense vaisseau ennemi.
— Maintenant, Mei ! s'écria Tiana en appuyant sur le bouton activant l'intercom.
Le sifflement caractéristique résonna dans tout le vaisseau alors qu'il disparaissait autant de la vue que des senseurs du croiseur de l'Alliance. Le froid se fit intense tandis qu'un dissipateur de chaleur avait été activé. De la buée apparut presque aussitôt sur la verrière du cockpit tandis que le souffle de chacun des membres de l'équipage se faisait apparent.
Alors qu'il enclenchait le pilotage automatique, Tooms se retourna vers Tiana.
— Franchement, Boss, j'arrive pas à croire qu'ils seraient allés jusqu'à nous réduire en poussière simplement pour...-
Le timonier s'interrompit brusquement avant d'écarquiller les yeux.
— Oh bordel... Sarina !
Il se précipita alors hors de la passerelle, renversant presque Tiana sur son passage. Un comportement ô combien compréhensible. La bataille avait été rude et tous ne s'en étaient pas sortis indemne.
En quelques instants, le pilote se retrouva dans le mess, devant la pile de cadavres de ceux qui les avaient abordés. Sa gorge se serra tandis qu'il songeait à la dernière fois qu'il avait vu autant de morts. Deux ans auparavant, lors de la dernière bataille de la Guerre. Une bataille ? Non. Un massacre plutôt, si l'on considérait qu'ils n'avaient pas eu la moindre chance de sortir victorieux de cet ultime combat. Cherchant à chasser ce souvenir, il ferma les yeux et inspira profondément. Malheureusement, une pensée toute aussi douloureuse qu'inquiétante vint s'imposer d'elle-même et augmenta drastiquement l'angoisse qui le rongeait : la vision de sa soeur s'effondrant à même le sol après la possession d'Atlan le hantait.
Il emprunta donc rapidement les couloirs pour se rendre à l'infirmerie, non sans avoir évité de marcher sur les corps des soldats décédés. Il avait pu les considérer comme des ordures de leur vivant, manquer de respect ainsi à des défunts n'était pas dans ses habitudes. Après tout, il n'avait fait que suivre les ordres de leur véritable ennemi. Celui-là même qui s'en était pris à Sarina.
Lorsqu'il arriva devant la porte de la salle de soins, il trouva Aiden, appuyé contre la paroi métallique qui y faisait face. Ses yeux étaient rougis et gonflés : il avait pleuré récemment et Ash n'en était que plus inquiet. À ses côtés se tenait Mei, la main posée délicatement sur son bras, hésitant à faire plus pour le réconforter. D'un simple signe de la tête, le pilote s'enquit de l'état de santé de leur soeur.
— Aucune idée..., répondit Aiden, visiblement frustré. Le Docteur m'a tout bonnement jeté dehors... Il souhaite qu'on le "laisse en paix le temps qu'il exerce son art", déclara l'arnaqueur en accompagnant sa citation d'un geste de la main.
Peu surpris d'une telle réflexion de la part du médecin, Tooms tenta autant de s'apaiser lui-même que de rassurer son frère.
— Tu peux pas lui en vouloir après tout. Il fait que son travail.
— C'est pas une raison pour nous empêcher de la voir... C'est notre soeur quand même.
— Tu t'imagines en train de stresser à côté de lui ? Déjà qu'il est plus tout jeune, ton inquiétude ferait qu'empirer les choses.
Soudain, la porte s'ouvrit brusquement, laissant apparaître la silhouette du médecin. Il semblait profondément dévasté :
— Je suis désolé... Je ne comprends pas ce qu'il a bien pu se passer...
Aiden et Tooms se jetèrent alors dans la pièce : ils virent d'un côté Jack, que Seilah bandait consciencieusement, et de l'autre le corps inanimé de Sarina, posé sur la seule autre paillasse disponible. Elle semblait si paisible qu'elle aurait pu sembler uniquement endormie si sa poitrine n'avait pas cessé tout mouvement respiratoire. Le cadet de la fratrie tomba alors à genoux, en larmes, tandis que son timonier de frère le prenait par les épaules, abasourdi par la nouvelle. Il lâcha alors Aiden pour se rendre auprès de la jeune femme et posa une main rugueuse contre son visage glacé. Il écarta une mèche de cheveux du visage de sa soeur et vit un trou dans sa peau, près de l'une de ses tempes : il s'agissait là d'une blessure, certainement due au choc lorsque la jeune femme était tombée inanimée après la possession par le Commandant de l'Alliance. Mais le plus curieux, c'était que Tooms y voyait : alors qu'il s'attendait à y trouver un morceau de chair sanguinolent ou même une partie du crâne de Sarina qui aurait été mis à nu, le pilote avait sous les yeux un bout de métal sombre en lieu de l'os de la tête de la jeune femme. Intrigué, Ash se tourna alors vers Gun et, d'un signe de la main, il lui demanda d'approcher :
— Euh, Doc ! C'est quoi, ça ?
Le médecin avança d'un pas rapide vers la paillasse et remit ses lunettes avant d'attraper un scanner portatif. Il l'approcha du bout de métal et haussa un sourcil, intrigué par les résultats qu'il lisait sur l'écran :
— J'avoue que je ne comprends pas... À moins que...
Le médecin se dirigea vers l'un des rares tiroirs installés dans la pièce et en sortit un scalpel avant d'approcher l'instrument tranchant de la chevelure de la jeune femme. Affolé à l'idée de ce que le médecin allait lui faire, Tooms attrapa brutalement le poignet du vieil homme :
— Vous faites quoi là, Doc ? s'écria-t-il, sa voix montant brusquement dans les aigus tant son angoisse était palpable.
Alistair lâcha un soupir compréhensif : il savait que Tooms était très peu confiant de nature et qu'à cet instant, il ne pouvait avoir l'esprit serein. Il s'expliqua alors :
— Mon cher, faites-moi un peu confiance, voulez-vous ? Je ne suis pas devenu médecin pour faire du mal aux autres et vous le savez. Je pense avoir une théorie pour expliquer l'état de votre soeur. Mais pour ça, il faut que vous me laissiez faire. Dans l'état, votre soeur est décédée, mais si j'ai raison, il me sera peut-être possible de la sauver.
Le médecin jeta un regard à son poignet toujours maintenu fermement par le pilote et ce dernier le lâcha, résigné. Alistair réitéra son geste vers la tête de la jeune femme et entailla la peau au niveau de son crâne. Un liquide verdâtre suinta hors de la plaie sous le regard ébahi des deux hommes. Le médecin attrapa alors une minuscule pince et écarta les deux lambeaux de peau pour découvrir que la totalité de la tête de Sarina était en réalité composée de métal :
— C'est bien ce que je pensais... annonça-t-il alors qu'il apercevait Tiana appuyée dans l'embrasure de la porte. Sarina n'est pas ce que nous croyions...
— Hein ? Mais qu'est-ce que vous racontez encore ? répliqua Aiden. C'est ma soeur, merde !
Le jeune homme sentit alors une main lui caresser le dos : il s'agissait de Mei qui,sans un mot, s'était approchée de lui pour le réconforter.
— Jeune homme, sachez que je sais ce que je dis quand j'affirme que Sarina n'est pas humaine, rétorqua le médecin.
Lui qui avait pourtant toujours semblé bienveillant, revêtait maintenant une sévérité qui faisait froid dans le dos. Voyant ce changement d'attitude si subit, Tiana croisa les bras sur sa poitrine :
— D'accord, Doc. Qu'est-ce que vous ne nous dites pas ?
Le Docteur Gun secoua alors la tête, refusant catégoriquement de s'expliquer :
— Je crains de ne pas pouvoir vous en parler maintenant. Le plus urgent, c'est ce que vous allez décider maintenant : accepterez-vous de sauver la jeune femme qui se trouve sur cette paillasse ?
Tous les regards se tournèrent alors vers Tiana qui ne savait pas trop quoi penser de toute cette situation. En effet, sa principale préoccupation avait été la sécurité de son équipage et sa décision allait de nouveau la mettre en jeu. Elle toisa le corps inanimé de Sarina en se rappelant la manière dont il les avait menacés en étant sous le contrôle d'Atlan. La Capitaine inspira profondément et remarqua l'inquiétude qui s'affichait sur les visages d'Aiden et de son pilote tandis que dans leurs esprits, – Fry en était persuadée – la même pensée venait de les frapper.
— D'accord, Doc. Mais dites-moi ce qu'elle est.
— Ne vous inquiétez pas, Capitaine, assura le médecin. Je vous mettrai au courant en temps et en heure.
— Et du coup ? Qu'est-ce qu'on peut faire pour la sauver ? demanda alors Tooms, inquiet.
Alistair fit volte-face vers la mécanicienne, toujours au côté d'Aiden, et déclara :
— Je suis médecin, pas ingénieur, mon cher ami. L'état de votre soeur dépasse un peu mes compétences, je dois bien l'avouer. Fort heureusement, nous avons parmi nous la personne idéale pour cette tâche.
Les oreilles de la jeune Azrienne s'agitèrent en entendant les paroles d'Alistair et, de son mètre cinquante, Mei fixa ce dernier, sans comprendre :
— Comment ça "besoin de mon aide" ? demanda-t-elle, interloquée, que la responsabilité d'une vie lui incombe désormais.
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