CHAPITRE 1 : Du vol ? Mais non...
DEUX ANS PLUS TARD
Le Charon flottait en position stationnaire, à proximité de la section arrière de la carcasse éventrée d'un croiseur de l'Alliance. La vue était terrifiante : l'immense vaisseau avait été tout bonnement coupé en deux, comme s'il avait explosé de l'intérieur. Par chance, ceux qui étaient à l'origine de ce massacre semblaient avoir quitté la zone depuis bien longtemps. Ce qui laissait toute la liberté nécessaire à l'équipage du vaisseau-cargo pour explorer les restes de l'épave.
Depuis le temps qu'il parcourait l'espace, le transporteur avait perdu de la peinture en de nombreux endroits, récolté de multiples égratignures, ce qui n'empêchait pas son blindage de conserver son intégrité d'origine. Doté de quatre moteurs puissants, le vaisseau-cargo éclairait son environnement grâce à de multiples phares, leurs reflets sur les échardes de métal trahissant sa forme massive et sa silhouette anguleuse.
Dans le large cockpit, Tooms scrutait les écrans des senseurs avec autant d'inquiétude que d'attention, cherchant à repérer le moindre signe d'activité. À ses côtés, Seilah, une extraterrestre humanoïde dotée d'une paire de larges cornes striées, était assise sur la chaise réservée au co-pilote. Les jambes croisées sous son ample robe beige – tenue qui contrastait avec l'esthétique industrielle du cargo –, elle jouait machinalement avec une mèche de ses longs cheveux noirs qui s'échappait de l'épais bandeau pâle qui ne quittait jamais son front.
Le silence qui régnait dans l'habitacle fut interrompu par des bips sonores émis par le tableau de bord. Retenant un juron, Tooms se pencha plus en avant pour décortiquer les données, tandis que, contaminée par la nervosité du timonier, Seilah se crispait brusquement, attendant le verdict.
— Ça va, c'est rien. Juste un gros débri en mouvement, soupira-t-il d'une voix qui trahissait son anxiété grandissante. Mais, restons sur nos gardes. On sait jamais ce qui peut arriver dans cette zone de l'espace.
— Mais t'inquiète pas tant, Tooms, grésilla la voix de Tiana Fry. On va pas rester longtemps. Juste le temps de ramener ce qu'il faut à bord et-...
La phrase de Fry fut interrompue par un gémissement de douleur. Seilah bondit de sa chaise pour se jeter sur le microphone vissé dans la console de Tooms :
— Tout va bien, ma chérie ?
— Ouais, t'en fais pas, maugréa Tiana, manifestement agacée. J'ai juste pas vu une caisse qui m'arrivait droit dessus. Daniels ! Tu pourrais faire gaffe quand même !
Pour toute réponse, un grognement. Celui de Daniels, sans le moindre doute.
Peu étonné par le comportement du mercenaire, qui les accompagnait depuis maintenant plus d'un an, Tooms soupira, résigné, avant de questionner sa Capitaine quant à l'évolution de leur mission :
— Bon, sinon ça donne quoi, cette cargaison ?
— Ça s'annonce plutôt bien. On a fini de percer la dizaine de sas de dépressurisation et on vient d'arriver à la soute. Enfin ! Et le mieux : il y a que deux grandes caisses de lingots qui ont été marquées.
— Seulement ça ? Mais qu'est-ce que Bradock peut bien vouloir en faire ?
— Je m'en tape ! Tout ce qui m'importe là, c'est qu'on soit payé. Et espérons que ce sera assez pour partir. Peut-être même jusqu'à Juri... Pour les vacances.
À l'évocation de cette planète, le visage de Seilah s'éclaira :
— Juri ? C'est la destination favorite des amoureux, non ? Pour l'occasion, il faudra sûrement que je refasse ma garde-robe. Et la tienne, aussi.
— Qu'est-ce qu'elles ont mes fringues ? Elles ne plaisent plus ? répliqua l'ancienne militaire, faussement vexée.
— Tu sais très bien que si. Quoi que tu portes, tu es magnifique.
— Même dans cette immonde combinaison trop large et pas pratique ?
— Tout. Même si j'avoue que sans rien, c'est bien aussi.
Tooms s'agita sur son siège, toujours plus nerveux. Ce n'est pas tant les démonstrations affectives en public qui le mettait si mal à l'aise – encore que... –, mais bien que leur petite entreprise prenait beaucoup trop de temps à son goût. Plus ils restaient stationnaires, plus le risque de se faire repérer allait croissant.
Après avoir passé une main dans son épaisse touffe de cheveux bouclés, et exprimé son exaspération d'un soupir éloquent, il reprit possession de la radio :
— Capitaine, sauf ton respect, ça te dérangerait de te bouger ? On sait pas qui est responsable d'un tel carnage. Par contre, on connaît très bien ceux qu'on est en train de voler. Alors tu comprendras que je veux déguerpir d'ici le plus tôt possible...
Un petit rire presque moqueur résonna dans les haut-parleurs de la passerelle. Bien que comprenant les raisons de l'angoisse de son timonier, Tiana ne pouvait s'empêcher de s'amuser de son discours. Gardant son calme habituel, elle répliqua d'une voix apaisée :
— Mais non, Tooms, c'est pas du vol : c'est de la récupération. Et pour ce qui est de l'Alliance, on sera parti avant qu'ils aient le temps de rappliquer.
Tooms soupira de découragement. Fry était l'incarnation d'une des ses angoisses constantes. Elle avait une confiance aveugle en sa chance qui était, il fallait l'admettre, parfaitement insolente. Mais c'était un jeu dangereux, surtout quand on menait une vie comme la leur.
— Tu sais ce que j'en pense, n'est-ce pas ?
— Oui, Tooms, je sais. Et je te répète que tu es trop pessimiste.
— Pas pessimiste, Tiana... Réaliste !
Tout à coup, un bip strident et régulier retentit dans la cabine. Tooms tressauta et consulta précipitamment les relevés, avant de jeter un coup d'œil paniqué à Seilah. Cette fois-ci, ce n'était pas une simple anomalie stellaire, mais bel et bien au moins un vaisseau en approche. Comprenant immédiatement la gravité de la situation, l'alien saisit le micro :
— Vite, mon amour, dépêche-toi ! Nous avons de la compagnie !
— Merde ! Daniels, magne-toi !
Pendant ce temps, Tooms projeta l'hologramme de ce qui approchait rapidement de leur position. À présent, chaque seconde comptait.
— C'est l'Alliance ! Deux patrouilleurs et une frégate ! annonça-t-il à Seilah, qui relaya l'information. On va pas tenir le coup s'ils commencent à nous tirer dessus !
— Combien de temps avant qu'ils arrivent ? s'écria Fry.
— Dix minutes. Peut-être moins.
— OK. On fait au plus vite pour revenir avec le chargement. Dis à la gamine de préparer notre disparition.
Écrasant un bouton sur sa console, un léger larsen résonna dans les haut-parleurs parcourant l'intégralité du cargo, avant de s'atténuer pour laisser place à la voix alarmée du timonier.
— Mei, on a une patrouille qui nous fonce droit dessus ! Prépare-toi à recevoir la marchandise et à nous occulter dès qu'ils seront revenus à bord !
Dans la salle des machines, l'ingénieure de l'équipe – une alien aux airs félins – accrocha l'outil qu'elle tenait en main à sa ceinture. Elle haussa nonchalamment les épaules. L'urgence lui glissait dessus. Elle était prête depuis longtemps. En attendant le moment fatidique, elle se balança jusqu'à la console principale qui gérait tous les systèmes primaires du vaisseau. Pour elle, son antre était similaire aux forêts qui couvraient sa planète natale, Azria. Chaque câble devenait une liane ; chaque tuyau, une branche. Grâce aux réflexes caractéristiques de son espèce et bien qu'étant la plus jeune de l'équipe, Mei faisait preuve d'un génie ainsi que d'une dévotion toute particulière envers cette "famille" peu orthodoxe dont elle était le plus précieux des atouts. C'était notamment elle qui avait transformé le vieux Charon en une véritable bête de course, capable de rivaliser avec les meilleurs vaisseaux de sa catégorie. Mais surtout, elle avait permis au transporteur de se rendre invisible tant aux radars qu'aux yeux de tous. Une capacité inestimable pour protéger l'équipage de ses activités ô combien peu recommandables.
Dans les couloirs de l'épave, l'équipe de récupération avançait aussi vite que possible. N'ayant pas à faire face à la gravité dans le vide spatial, Tiana et Daniels avaient agrippé les coffres remplis de lingots sans avoir à s'inquiéter de leur poids. Mais l'absence de pesanteur n'avait pas que du bon. Le moindre déplacement devenait une épreuve : il fallait penser, calculer chaque pas, chaque bond, juger ses points d'accroche potentiels, estimer son élan et prévoir sa réception. Un exercice rendu plus complexe encore par les combinaisons trop larges, épaisses et rigides. Pour couronner le tout, le défi devait être relevé dans une carcasse de vaisseau rendue labyrinthique par ses nombreuses déchirures. Des conditions plus que désavantageuses qui leur faisaient perdre de précieuses minutes. Minutes qui les rapprochaient inéluctablement d'un sort peu enviable. Fry l'imaginait sans peine.
Après ce qui leur sembla être une anxiogène éternité, Tiana et Daniels débouchèrent enfin sur l'extérieur de l'épave. Devant eux s'étendait l'espace infini. Prochaine étape : le Charon, situé à seulement quelques dizaines de mètres. Toutefois, le trajet s'annonçait des plus périlleux ; la moindre erreur de trajectoire pourrait les envoyer dériver dans l'immense vide sidéral. Et le cargo n'aurait jamais le temps de les récupérer avant l'arrivée de l'Alliance. La Capitaine échangea un regard lourd de sens avec son subordonné et inspira profondément, comme pour se donner du courage. Elle s'élança alors, poussée en avant par le puissant jet de gaz qui s'échappait de son propulseur dorsal.
Puis, le silence oppressant de l'espace. Tiana n'entendait plus que son propre souffle. Une respiration courte qu'elle interrompait malgré elle à chaque fois qu'elle donnait un coup de gaz pour corriger sa trajectoire. Devant elle, la silhouette de son vaisseau grossissait vite. Très vite. Trop vite ! Pressée d'en finir, elle avait surestimé la distance à parcourir. Avec une telle célérité, le choc était inévitable. Elle activa son propulseur par réflexe. Un réflexe salvateur. Sa soudaine rotation la fit pivoter juste assez pour que son casque ne heurte pas directement la coque – évitant ainsi une potentielle brèche dans sa visière. Le choc n'en avait pas été moins violent ; elle en resta sonnée une poignée de secondes.
Les oreilles encore sifflantes, la Capitaine se cramponna tant bien que mal à l'échelle qui courait le long du Charon. Elle grimpa péniblement jusqu'au sas, notant avec soulagement que la silhouette massive de Daniels approchait à une vitesse plus modérée. Une pression de bouton plus tard et le binôme s'engouffra dans la soute avec sa cargaison.
— C'est bon, on est à bord, annonça Tiana dans sa radio.
— OK, répondit simplement Tooms, toujours sur la passerelle. Seilah est partie vous rejoindre. J'informe Mei qu'elle peut activer...-
Soudain, une sirène stridente brailla dans tout le vaisseau. C'était l'alarme de proximité. D'ici quelques secondes, l'Alliance pourrait les voir et leur tirerait immanquablement dessus ! Tooms n'eut que le temps d'implorer le nom de la petite mécanicienne :
— Mei !
Cette dernière enclencha en toute hâte les multiples mécanismes de la salle des machines dont elle seule avait le secret. L'aigu sifflement de l'occulteur au démarrage laissa brusquement place à un silence pesant. Petit à petit, le Charon disparut de la vue de tous, devenant totalement invisible, juste avant que l'escadrille de l'Alliance, venue inspecter l'épave, ne soit à portée de tir.
De son côté, Seilah avait gagné la soute et trouvé les deux membres de l'équipe de récupération en train de sortir péniblement de leurs combinaisons spatiales, tels deux papillons s'extrayant avec difficulté de leurs cocons.
— Décidément, je m'y ferai jamais, ronchonna Tiana. Ces combinaisons devraient être en plusieurs morceaux. Ça serait plus pratique pour bouger.
— Possible, mais tu risquerais d'avoir des problèmes d'étanchéité, répliqua Seilah avec une pointe d'amusement dans la voix.
C'est à ce moment-là que les lumières du vaisseau vacillèrent avant de s'éteindre complètement. Les ampoules de secours baignèrent les couloirs d'un rouge menaçant. Il était évident que l'heure n'était pas à la détente. Mei venait de les occulter. Cela signifiait donc que leurs ennemis étaient à quelques dizaines de mètres d'eux. Bien qu'elle ait une totale confiance en l'invention de la mécanicienne, Fry se devait d'être aux commandes de son précieux Charon. Pas coincée dans la soute, sans aucun moyen d'agir sur les événements.
Arrachant presque ses chaussures à semelles magnétiques, Tiana se précipita pieds nus vers la passerelle, non sans oublier de lancer à sa compagne :
— Ma chérie, tu peux aider Daniels à ranger tout ça, s'il te plaît ? Je dois...-
Tiana n'eut même pas le temps de terminer sa phrase que la voix angoissée de Tooms résonna dans le vaisseau-cargo :
— Boss ! Faut que tu viennes ! Vite !
Alertée par la requête urgente du timonier, Fry continua sa course, traversant le mess – occupé tant par les notes de la réunion quotidienne que par les restes du dernier repas – avant de pénétrer dans le cockpit.
Elle y retrouva Tooms,toujours derrière sa console de pilotage, la jambe s'agitant comme une feuille dans le vent. Notant la nervosité du pilote, Tiana le taquina gentiment :
— Si tu continues comme ça, c'est le vaisseau entier qui va se mettre à trembler.
— Et toi, avec tes conneries, c'est en poussière qu'il va se retrouver ! Regarde un peu ! On a aucune possibilité de partir maintenant !
Le timonier bouillait et Fry comprenait évidemment pourquoi : au moindre mouvement, les détecteurs des trois vaisseaux maintenant stationnés à proximité allaient percevoir les gaz qui s'échapperaient des propulseurs du cargo.
Inspirant profondément, la Capitaine tenta d'élaborer un plan. Mais sans aucun déplacement possible, cela devenait compliqué. Notamment parce qu'à mesure qu'ils restaient dans le secteur, le risque qu'ils soient découverts – ou simplement qu'on les percute – augmentait.
— On a pas le choix, j'imagine, soupira Tiana. Il faut qu'on attende qu'ils partent. Avec un peu de chance, on...-
— Encore ta chance ?! Mais à quel moment tu vas comprendre que ça fait pas tout ? cracha Tooms, hors de lui.
L'ancien Sergent n'essaya même pas de le contredire. Elle savait à quel point il avait raison. Que le destin ne jouait pas en leur faveur. Pas cette fois.
Suivi par Seilah, le grand gaillard qui avait accompagné Fry pour piller l'épave du croiseur apparut alors à l'entrée de la passerelle. Il répondait au doux surnom de Jack Daniels et avait pris l'habitude de boire sur son temps libre, comme en témoignait son haleine parfumée, son teint rougi par endroits, ainsi que la bouteille qu'il tenait en main.
— C'est quoi ce bordel ? Pourquoi on est pas encore parti ? lâcha-t-il sans articuler.
— Regarde toi-même, Jack. Je suis certain que tu vas trouver la réponse tout seul, ironisa le pilote, tandis que ce dernier s'avançait vers la verrière du cockpit.
— Bordel. Mais je croyais qu'on aurait pas d'emmerdes. Que personne ne viendrait. On avait pourtant débranché la balise, non ?
— Tu te doutes bien qu'il y a eu un S.O.S. Facile après pour l'Alliance de retrouver le vaisseau, exposa tout simplement la Capitaine.
Se mordant la lèvre, cette dernière poussa un éloquent soupir d'agacement. Les minutes passaient sans pour autant qu'elle dégotât une solution. La seule échappatoire restait la fuite. Malheureusement, un plan comme celui-ci nécessiterait une bonne dose de culot et de chance. Chance dont elle avait déjà largement abusé.
— J'ai bien un plan, mais ça va pas te plaire, Tooms, annonça-t-elle, froidement.
— Oh, pitié non ! répondit ce dernier, terrifié. Il est hors de question de...-
— C'est bon, maintenant ! Je comprends tes réticences, mais là, on a pas le choix !
Sans laisser le temps au pilote de répliquer, Fry écrasa le bouton de l'intercom et sa voix s'amplifia aux quatre coins du Charon.
— Mei ! Combien de temps met le moteur supraluminique à se charger ?
— Au minimum ? répondit sa voix fluette par le transmetteur de la salle des machines. Vingt secondes. Mais pour que ça fonctionne de manière optimale, il faudra qu'on s'éloigne des masses gravitationnelles avoisinantes.
Vingt secondes. C'est tout ce qu'avait retenu Tiana. Il ne leur faudrait pas plus de vingt petites secondes après avoir lancé le moteur supraluminique pour disparaître définitivement du secteur.
— Eh bien, Tooms. Il y a plus qu'à...
— Ouais. Et comme d'habitude, c'est sur moi que ça tombe, maugréa ce dernier.
Il se mit alors à tapoter sur sa console de pilotage avec frénésie et d'un seul coup, les lumières revinrent illuminer l'intérieur du vaisseau. Un tremblement accompagna la remise en route des réacteurs tandis que le Charon accélérait brutalement, attirant l'attention des autres vaisseaux.
— En plus, il va falloir dérouter la puissance du camouflage vers les propulseurs... Si on finit pas en débris spatiaux...-
— Tooms, reste concentré, gronda Fry, tandis que le transporteur subissait les premiers tirs des patrouilleurs.
Les petits vaisseaux talonnaient le cargo qui tentait d'échapper tant bien que mal aux salves de ses poursuivants. Le pilote se raidit en voyant l'hologramme de la frégate de l'Alliance pivoter lentement pour les mettre en joue. Tooms connaissait son astronef sur le bout des doigts. Et il savait qu'il ne pourrait pas essuyer plus d'une dizaine de tirs du cuirassé avant que les boucliers ne lâchent.
L'alerte du verrouillage résonna dans le cockpit. Une seconde plus tard, un choc plus lourd que les autres secoua brutalement les occupants de la passerelle. Perdant l'équilibre, Seilah tenta de se rattraper et tomba dans les bras musclés d'un Daniels aussi gêné que surpris. Aidant la jeune femme à se relever, il n'hésita nullement à commenter la situation.
— Merde ! On se fait canarder ! Et sans sommation en plus ! râla le mercenaire.
— J'imagine qu'ils essaient d'endommager les moteurs... Pour nous empêcher de fuir, ajouta l'alien cornue.
Concentrée sur leur fuite, la Capitaine ne releva même pas.
— OK, continue comme ça. Et dès qu'on est assez loin de l'épave, tu lances le moteur supraluminique, ordonna-t-elle à Tooms.
— Je ferai comme je peux, surtout... répliqua ce dernier, tandis qu'une nouvelle alarme venait de se déclencher.
Les yeux rivés sur les indications qu'elle avait devant elle, Tiana serra les dents. Malgré les manoeuvres d'évitement du pilote, le bouclier énergétique arrière commençait à donner des signes de faiblesse. Bientôt, la coque du cargo serait à la merci des tirs ennemis.
— Tooms ! Dis moi que...-
— Ouais ! C'est parti ! Je lance ça et...-
Le tir ajusté de la frégate l'interrompit. Sur les écrans holographiques, l'un des arcs de cercle qui entourait la silhouette bleutée du Charon commença à clignoter en rouge : le bouclier arrière venait de céder. Plus qu'un tir bien placé et c'était la brèche assurée.
— Tooms ! insista Fry, totalement paniquée.
Pour toute réponse, un sifflement parcourut les parois métalliques du transporteur. Puis, rien d'autre que le doux ronronnement des moteurs et le spectacle de la poussière stellaire défilant de l'autre côté des vitres du Charon.
S'autorisant enfin à prendre une longue inspiration, Tiana s'avachit lourdement sur son fauteuil, les yeux clos. Elle sentait que Tooms avait le coeur gros de ce qui venait de se passer. Et malgré le fait qu'ils s'en soient sortis sans réel accroc, qu'ils soient actuellement en sécurité relative en vitesse supraluminique, il aurait pu en être tout autrement.
Comme pour illustrer le ressenti de chacun à bord, Daniels brisa alors le silence qui s'était installé sur la passerelle.
— Oh, bordel. On l'a échappé belle.
— C'est pas peu dire, n'est-ce pas Tiana ? répliqua amèrement Tooms en se retournant vers la Capitaine.
Cette dernière passa une main sur son visage, avant de soupirer, lassée.
— Sérieux, Tooms ? Tu veux pas me lâcher deux minutes ?
— Pas vraiment, non ! Je t'avais dit que ça pouvait arriver ! Qu'on risquait un maximum en venant ici !
— Je sais !
— Mais bien entendu, t'as préféré faire confiance à ta putain de chance au lieu d'avoir un vrai plan ! s'acharna le pilote.
— J'ai compris ! s'emporta Fry. Mais je te rappelle qu'on a toujours besoin d'argent ! Et que les missions qui rapportent le plus sont aussi les plus dangereuses ! On connaissait les risques ! Alors baisse d'un ton !
Puis, respirant un bon coup, elle reprit d'une voix qu'elle voulait plus calme :
— T'es pas content ? Je comprends. Mais si, pour une fois, tu te focalisais sur le principal, hein ? On est en vie, non ? On a la marchandise. Alors c'est bon. Mission accomplie.
— Mais...-
— Moi aussi je suis fatiguée et j'ai vraiment pas la force de me prendre la tête avec toi maintenant. Là, j'ai qu'une envie, c'est de prendre une bonne douche bien chaude.
Interrompant la conversation, le bruit d'une flasque qu'on débouchait retentit. Les regards de Tooms et Tiana pivotèrent vers le siège sur lequel s'était avachi Daniels.
— Sérieux, Jack ? Tu vas vraiment te siffler une autre bouteille ?
— Bah quoi ? Celle-là, elle est vide... répondit-il simplement en désignant celle qu'il avait emportée avec lui et qui trônait à présent sur la console du co-pilote.
En temps normal, Tiana Fry l'aurait réprimé avec véhémence. Elle aurait exprimé sans délicatesse le fait qu'elle refusait d'avoir un ivrogne sur la passerelle de son vaisseau. Elle aurait exigé la disparition immédiate de cette bouteille vide. Mais là, non. Elle n'en pouvait tout simplement plus.
Devant cet abandon manifeste, cette surprenante absence de réaction de sa supérieure, le timonier demeura médusé. La Capitaine se contenta de se lever péniblement, avant de se tourner vers la sortie de la pièce :
— Tooms, je vais dans mes quartiers. Tu sais où on doit aller maintenant, non ?
— Ouais. Fair Heaven. Je déteste cet endroit.
— Je sais. Mais on a pas le choix. C'est là-bas que Bradock nous attend et, avec un peu de chance, qu'on sera payé.
— Espérons qu'il tienne ses engagements, celui-là, maugréa le pilote en entrant les coordonnées du système stellaire dans l'ordinateur de navigation.
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