PROLOGUE : Entretien surprise
Le jour n'était pas encore levé sur la ville de Y'Rtatin, capitale de Gamma Hydra 3. Une brume épaisse flottait sur les rues désertes, et seules les lumières vacillantes et lointaines du centre-ville perçaient l'obscurité de l'aube naissante. Les immeubles se dessinaient en ombres menaçantes, accentuant l'atmosphère étrangement lugubre de la cité.
Marlin Barnes, l'informateur, venait tout juste de rentrer de sa nuit mouvementée. Son apparence contrastait fortement avec celle de l'homme méthodique et impeccable qu'il était devenu. Décoiffé et débraillé, ses vêtements tâchés ici et là, témoignant des excès de la soirée passée. Pour ceux qui le connaissaient bien, il semblait comme métamorphosé ; à croire que son ancienne vie et son nouveau lui s'étaient télescopés en une collision chaotique. Ses yeux, d'ordinaire vifs et perçants, étaient désormais voilés d'un épais rideau de lassitude et de confusion qui trahissait ses pensées troubles. Un état cependant totalement normal si l'on considérait ce qu'il avait fait pendant toute la soirée : boire. Beaucoup, pour ne pas dire trop. Les effluves d'un alcool hors de prix imprégnaient encore son haleine, et ses gestes étaient maladroits, hésitants.
En sortant de l'ascenseur privé qui menait à son appartement, Barnes tituba, se cognant dans les coins de ses meubles immaculés, pour s'effondrer lourdement dans le fauteuil de son bureau. Il ferma les yeux un instant, tentant de chasser les images brouillées de la nuit précédente. Les rires bruyants, les verres s'entrechoquant, les confidences chuchotées dans l'ombre. Tout cela lui revenait en vagues confuses. Une succession de décisions imprudentes, de discussions enfiévrées, de révélations inquiétantes. En somme, une nuit normale pour la capitale de l'information.
Avec Jana – son garde du corps et ami – en poste à l'entrée, Marlin était de nouveau seul avec ses pensées. Des pensées qui le ramenaient inlassablement vers ce qu'il s'était passé un an plus tôt. Seul ? C'est ce qu'il croyait : assise dans la pénombre sur le sofa au milieu de la pièce, trônait une silhouette enveloppée d'une cape noire à capuche. Tandis que Barnes s'était levé pour se diriger maladroitement vers le bar dans l'espoir de se verser un ballon d'un vin hors de prix, profitant de sa semi-conscience, la personne dans l'ombre observait silencieusement son manège.
Au bout d'un moment, la silhouette alluma une lampe, dévoilant sa présence à Marlin. La lumière perça l'obscurité, créant des ombres dansantes sur les murs immaculés de la pièce. Les yeux écarquillés par la surprise, Marlin s'arrêta brusquement avant de se retourner pour découvrir son interlocuteur. Il s'agissait d'une jeune femme qui, d'un geste lent et calculé, retira son capuchon, permettant à l'informateur de voir sa longue chevelure ébène déferler en cascade sur ses épaules. Sa pâleur cadavérique contrastait avec l'obscurité de la pièce, ajoutant une touche spectrale à sa présence.
— Tu essaies de combattre le Mal par le Mal ? lança-t-elle d'une voix forte et incisive.
Instinctivement, il porta une main contre sa poitrine, tentant de calmer les battements de son coeur. Mais rien à faire. Les nerfs à fleur de peau, il n'arrivait pas à reprendre son souffle. La panique l'avait saisi et continuait à le maintenir dans un état de stress insupportable. La lumière crue de la lampe révélait la fatigue et l'épuisement sur son visage. Ses yeux cherchaient désespérément un repère, une explication à cette intrusion.
— Allons, continua-t-elle avec un sourire narquois, tu sais aussi bien que moi que ça ne fonctionne pas sur la gueule de bois.
— Deleria... Je peux savoir comment tu es entrée ? murmura-t-il, sa voix tremblante trahissant son état émotionnel.
Un franc sourire s'étirant sur ses lèvres, la jeune femme retira sa cape, dévoilant une tenue toute aussi noire. Il s'agissait d'une robe très élégante et ceintrée, et celle qui la portait aurait tapé dans l'oeil de n'importe quel homme quelque peu intéressé. Mais pas Marlin qui se contenta de la toiser.
— Pour quelqu'un qui essaie d'échapper aux regards du public, tu te mets sacrément en valeur, dis-moi...
— Je m'adapte à mon environnement donc, je n'ai rien à craindre de ce côté-là. Et pour répondre à ta question, c'est Jana qui m'a laissé entrer.
Jana ? Son garde du corps ? Ses souvenirs avaient du mal à lui revenir en mémoire, mais jamais il n'aurait fait ça. S'il avait bien une chose qu'il prenait à coeur, c'était sa sécurité. D'autant plus que...
— Qu'est-ce que tu racontes ? Il était avec moi toute la nuit !
— Justement... C'est son absence qui m'a permis d'entrer.
L'informateur émit un petit rire tandis qu'il comprenait : comme à son habitude, Deleria venait de jouer sur les mots, travestissant quelque peu la réalité pour coller à sa vision des choses.
— Et mon système de surveillance ?
— Oui, je dois avouer que j'ai dû le couper avant d'entrer. Un peu trop simple à craquer, si tu veux mon avis. Tu devrais songer à t'en procurer un de beaucoup plus efficace.
Bien qu'étant encore peu sûr de ses mouvements, l'informateur sortit un deuxième ballon de derrière le bar et le remplit de la même liqueur qu'il s'était servi. Avant de s'approcher de la table basse qui allait le séparer de la jeune femme qui lui avait rendu visite de façon si impromptue.
— Je savais que tu viendrais me voir, tu sais ?
— Vraiment ? Tu es donc au courant...
— À ton avis, pourquoi je suis comme ça ? s'exclama-t-il en désignant d'un geste sa tenue déplorable. Nous sommes responsables de sa mort et ça commence à me peser.
— Tu fais erreur, Marlin. C'est ce tyran qui l'a tué. Nous n'avons que fourni les armes qui vont permettre cette révolte. C'est comme si tu considérais le blaster en question comme le seul coupable...
Marlin eut un petit rire face à cet argument fallacieux. Il avait déjà entendu cela dans la bouche de marchands d'armes qui osaient justifier ainsi les massacres perpétrés avec leurs calibres.
— C'est bien trop facile pour toi de dire ça ! s'emporta l'informateur, dégoûté d'entendre de tels propos. Tous ces morts, ça me rend malade... Si jamais on venait à apprendre que nous...-
La jeune femme se leva brusquement et fit le tour de la pièce, admirant les bibelots qui ornait les différents meubles, puis se tourna vers Marlin qui, d'une traite, engloutit la fin de son verre.
— Aurais-tu peur des répercussions de nos actions ? répliqua-t-elle sur le même ton. Parce que tu sais pourtant que ma stratégie est sans la moindre faille ! C'était le seul choix que nous avions !
— Tu appelles ça un choix ? Sérieusement ?
— En effet... Et parfois il faut accepter que la seule chose à faire est une mauvaise action. Pour le bien commun.
— Le bien commun ? Tu me fais bien rire avec ça. Un tel massacre n'était pas nécessaire.
La jeune femme nota sans difficulté à quel point son interlocuteur était mal en point. Bien que l'alcool lui ait délié la langue en cet instant, il était évident que sa conscience était revenue le hanter depuis un bon moment...
— Les regrets ne te serviront à rien. Nous n'avions pas d'autre solution. Il fallait que cette révolution se mette en marche. Et un tel massacre était d'une nécessité absolue.
Elle se rapprocha alors de Marlin. Celui-ci défit un bouton de sa veste et respira profondément pour essayer de calmer les tremblements qui agitaient son corps. Puis, sentant qu'il commençait à se calmer, d'une voix plus douce, ressemblant presque à un murmure, il ajouta :
— Ça, oui, pour être sans faille, ta solution l'est... Cette planète va bientôt revenir à son peuple d'origine. Mais à quel prix ?
— Un prix tout à fait acceptable compte-tenu des circonstances, trancha Deleria.
— Peut-être... Mais, malgré tout, je suis pas certain qu'elle acceptera de nous le pardonner...
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro