CHAPITRE 7 : Électrokinésie
Si les quelques kilomètres qui avaient séparé les Demoréens et la Synthétique du palais de Tiram n'avaient été au départ qu'une promenade de santé, eux qui étaient juchés sur leurs montures, leur approche était devenue bien plus ardue. Dès le premier coup de corne appelant les esclaves autochtones à se rebeller, l'alerte générale avait été donnée et bientôt les forces militaires alliées de Tiram avaient commencé à endiguer l'assaut sur la capitale humaine de Demora, criblant la nuée alien de tirs aussi hasardeux que mortels. Pourtant malgré les premiers guerriers tombés au combat, Seilah et Jezhebel ne comptaient pas s'arrêter là. Pour elles, il n'y avait que deux issues possibles : la victoire ou la mort.
La situation était devenue encore plus critique depuis l'apparition dans le ciel du Charon et de sa navette : bientôt, ces derniers furent assaillis de plusieurs chasseurs de l'Alliance. Ceux-ci se concentrèrent rapidement sur l'astronef le plus petit et donc le plus susceptible d'être abattu, ses boucliers étant bien plus simples à outrepasser que ceux du cargo. Heureusement, la navette commençait déjà son approche vers une zone assez dense en bâtiments qui lui offrirait un couvert non-négligeable. Sans attendre, Alistair abaissa la porte arrière du véhicule, et sortit pour sécuriser le périmètre. Sans surprise, il rencontra une résistance certaine, mais s'en chargea avec un précision chirurgicale.
Le rejoignant sans tarder, Fry ne put s'empêcher de commenter la situation tandis que les derniers corps encore chauds s'effondraient au sol.
— Doc, je vois que vous avez rien perdu depuis la dernière fois...
Toujours aussi morose, Gun hésita à rétorquer quoi que ce soit. Sa répugnance à prendre une vie, quelle qu'elle ait pu être, demeurait, malgré la bataille qui faisait rage. Pourtant, Tiana ne s'en inquiéta pas. Elle savait qu'elle pourrait compter sur lui, en toutes circonstances.
Une explosion retentit alors, près du palais. Un regard entendu et les deux amis s'élancèrent à travers les rues de la capitale, n'hésitant pas à abattre la moindre résistance qui se dressait en travers de leur chemin.
Devant les grilles du palais, la bataille faisait rage. Les rebelles demoréens combattaient férocement. Mais, malgré l'appui non-négligeable de Sarina – son bras s'étant configuré pour le combat, dévoilant un canon à plasma d'une puissance considérable –, ceux-ci se faisaient décimer. Malgré toute leur verve, toute la résistance dont ils étaient capables, la force de frappe des soldats de Tiram était redoutable.
Tandis que la Synthétique tentait d'éliminer méthodiquement les principaux groupes de soldats ennemis, notamment les plus lourdement armés, elle nota avec soulagement l'arrivée de Tiana et Alistair qui accoururent vers elle. Et, alors qu'elle s'apprêtait à leur demander un rapport sur la situation des environs, des cris d'agonie fendirent le tumulte ambiant : parmi les esclaves, certains avaient commencé à briser leurs chaînes et s'en étaient pris aux humains qui les retenaient prisonniers. Leur révolte avait semé une panique certaine parmi la population, créant ainsi une diversion dont Fry et ses alliés se devaient de profiter.
Une carcasse d'Olyncta fraîchement abattu en guise de protection, Fry s'enquit de la situation de sa bien-aimée. Malheureusement, Sarina ne put répondre. Depuis le début du combat, elle avait perdu Seilah et Jezhebel de vue, ce qui n'était pas pour rassurer la Capitaine du Charon dont le rythme cardiaque, déjà bien élevé, s'accéléra d'autant plus.
Soudain, une nouvelle explosion retentit près d'eux. Bloqués derrière leur abri de fortune, les trois amis ne pouvaient avancer plus avant : les miradors positionnés régulièrement le long de la muraille encerclant le palais de Tiram étaient munis de projecteurs qui balayaient toute la zone. La moindre once de résistance visible depuis là-haut était anéantie sans la moindre sommation. Évitant une salve dans sa direction, Sarina entreprit de viser l'un des projecteurs. Et même si son tir fit mouche, leur situation demeurait critique. Quand soudain, une voix détonna dans le bruit ambiant des combats :
— Jez ! Une grenade !
À quelques mètres d'eux, la fille aînée d'H'Ram s'était juchée sur le dos d'un Olyncta et fonçait droit vers les grilles du palais. Sa soeur lui jeta une grenade qu'elle attrapa sans effort. Malheureusement, ainsi à découvert, la Demoréenne était une cible facile. L'un des gardes posté sur la muraille tira et le projectile se logea dans l'une des pattes de la monture. Ainsi blessée, elle s'écrasa lourdement au sol, projetant par la même occasion Seilah et l'explosif qu'elle avait en main.
Ayant compris le manège de sa compagne, Fry ramassa la grenade tombée au sol et la lança vers les grilles du palais. La Synthétique, quant à elle, sortit la tête de derrière son abri et visa le projectile. La grenade toucha l'un des barreaux des grilles en tintant et Sarina tira une unique fois : s'ensuivit une déflagration qui catapulta dans un nuage de poussière les quelques gardes qui étaient dans la zone d'effet du projectile et ouvrit une brèche dans la muraille jusqu'alors impénétrable du palais. Des corps – ceux des gardes soit blessés grièvement, soit tués sur le coup par l'explosion – s'abattirent brutalement sur le sol tandis que les autres ne pouvaient qu'observer la scène avec choc. Une stupéfaction qui tourna court pour certains d'entre eux qui trépassèrent sous les coups des Demoréens revigorés par ce tournant dans la bataille.
Voyant les rebelles reprendre le dessus, une annonce de repli fusa dans les rangs de la milice alliée et donna un bref moment de répit aux combattants démoréens. Certains d'entre eux se regroupèrent autour de Seilah et de Jezhebel, venue la rejoindre. Lorsque sa cadette arriva à sa hauteur, cette dernière ne put s'empêcher de prendre sa soeur dans ses bras.
— Seilah, tu vas bien ? demanda-t-elle, apparemment inquiète envers celle pour qui, quelques heures plus tôt, elle n'éprouvait que de la rancoeur.
— Ne t'inquiète pas, je vais bien, assura l'intéressée.
Seilah tourna sa tête cornue vers sa compagne qui était figée et elle comprit rapidement pourquoi : en regardant autour d'elle on pouvait voir des impacts de tirs, des cratères dus aux explosions ou encore des cadavres encore fumants. Parfois, les guerriers ou les gardes n'étaient que mutilés et agonisant, poussant des râles de souffrance. Tout cela formait un curieux mélange qui ne pouvait rappeler à la Capitaine qu'une seule chose : la Guerre qui l'avait tant marquée. Cette Guerre meurtrière qui avait fait d'elle celle qu'elle était devenue. Celle-là même qui n'hésitait jamais à s'opposer à l'Alliance, de quelque manière que ce soit.
Constatant à quel point sa compagne était troublée, la Demoréenne ne put s'empêcher de s'inquiéter pour celle qui partageait sa vie :
— Ça va aller ? demanda la jeune alien en la regardant dans les yeux.
Incapable de lui mentir, l'ancien Sergent des Forces Indépendantistes se contenta de déglutir difficilement avant d'éluder la question :
— Je pourrais te retourner la question, Seilah. Dis-moi au moins que tu as le début d'un plan.
— Trouver Tiram et le tuer.
— Ça, c'est un but, Seilah. Pas un plan... soupira Tiana. Il faut qu'on ait une stratégie si on veut pas se faire tirer comme des Ulvoi. Regarde-moi ce carnage !
— Ces Demoréens savaient à quoi ils s'engageaient en nous suivant. objecta Jezhebel, défendant ainsi sa soeur. Tout comme nous. Si vous n'êtes pas contente, étrangère, vous pouvez vous en aller.
Fry posa un regard hostile sur la soeur cadette de sa compagne. Elle avait tellement écouté les "huiles" justifier de tels massacres de cette manière que l'entendre à nouveau provoqua chez elle une réaction qu'elle regretta presque aussitôt. Son poing partit presque instantanément en direction du visage de Jezhebel qui se retrouva bientôt affalée sur le sol.
Les guerriers démoréens réagirent d'emblée, pointant leurs armes vers Fry. Mais Seilah les retint d'un geste tandis que la Capitaine hurlait de tout son saoul.
— T'es sérieuse, toi ? Tu te crois meilleure que cet enfoiré de Tiram peut-être ? Lui hésitera pas une seule seconde à sacrifier femme et enfant pour endiguer votre rébellion ! C'est à ça que tu veux ressembler ?
Une main apaisante se posa sur l'épaule de Fry, celle d'Alistair qui comprenait autant la peine de sa supérieure que les arguments de la soeur de Seilah. Une telle révolte avait forcément un lourd prix à payer. Un tribut qui ne pouvait comprendre les civils innocents.
Malheureusement, la confrontation entre les deux femmes fut de courte durée : des renforts avaient gonflé les rangs de leurs ennemis et ceux-ci tentaient une percée. Reprenant leurs esprits, ils se mirent tous à couvert derrière la carcasse de l'Olyncta qui leur servait d'abri. S'ils ne trouvaient pas une solution pour renverser la cadence, ils allaient bientôt finir submergés. Soudain, le ronflement des moteurs du Charon rugirent de plus belle et une pluie de tirs déferla sur la zone, la purgeant de toute menace ennemie. Le communicateur à la ceinture de Tiana émit un signal sonore : quelqu'un essayait de la contacter. La jeune femme le déplia d'un mouvement ample du poignet et la voix de Tooms en sortit :
— À ton service, Boss ! jubilait-il presque. Alors ? On dit merci qui ?
L'ancienne militaire ne put réprimer un sourire tandis que son second – certainement avec l'aide de Jack Daniels au canon – nettoyait la zone à grand coup d'artillerie. Un soutien tout à fait opportun qui leur offrait une ouverture dans les défenses ennemies.
— Merci, Ash, répondit-t-elle, sincère.
— Normal. C'est mon job de couvrir tes arrières !
Une intervention providentielle dont les Demoréens ne tardèrent pas à profiter : sortant de leur cachette, ils s'élancèrent rapidement à l'assaut du palais, escaladant les murailles avec agilité, fondant à travers les jardins luxuriants, abattant la moindre forme de résistance face à leur charge. De leur côté, restée seule avec Jezhebel et un duo de guerriers demoréens, l'équipe du Charon avait passé les grilles défoncées de l'entrée et avançait désormais prudemment sur la longue allée qui menait au bâtiment principal.
Pour Seilah, revenir en ces lieux était une véritable épreuve. Elle se rappelait les durs moments qu'elle y avait passés. Ceux-là mêmes qui la hantaient tant. Si bien qu'en y pensant, elle frissonna. Elle avait conscience que la seule chose qui la libérerait peut-être de son fardeau serait la mort de son ancien tortionnaire : Tiram lui-même. Inquiétée par le mutisme de sa compagne, Tiana agrippa sa main.
— Tu es sûre que ça va aller ?
— Oui ma chérie. De toute façon, je n'ai pas le choix. Pour mon peuple et pour mon père, je me dois d'être forte.
Dans le regard que Seilah tourna vers Fry, cette dernière ne voyait plus la moindre trace de peur. À la place, une froide détermination, sans faille. Une émotion qu'elle ne lui avait que très rarement vue.
Depuis l'intérieur du bâtiment central s'élevèrent des cris d'agonie, accompagnés de nombreux tirs. Soudain, la porte qu'ils esssayaient d'atteindre s'ouvrit brusquement, laissant passer toute une escouade de gardes, aussi terrifiée que lourdement armée. Tandis que ces derniers se retournaient, Tiana les héla :
— Lâchez vos armes et on vous fera aucun mal !
— Ah ouais ? Et qu'est-ce que vous faîtes de toutes ces saletés aliens qui...- commença l'un des miliciens, qui s'interrompit bien vite en voyant les quatre Demoréens accompagnant la Capitaine.
Pourtant ce n'était pas de la haine qu'on pouvait ressentir dans sa voix, mais bien de la peur. La peur d'être tué simplement parce qu'il était humain. Une peur qui était aussi compréhensible que la colère qui enserrait le coeur de Seilah au même moment. Furieuse, elle fit un pas vers lui, quitte à le démembrer à mains nues s'il le fallait, quand Tiana l'arrêta d'un geste.
— Calme-toi, Seilah ! gronda-t-elle. Crois-moi, tu veux pas que les humains te craignent. Tiram aura gagné sinon. Quant à toi, ajouta-t-elle en désignant le malheureux garde de son arme, si tu tiens à rester en vie, je te conseille de lâcher ça tout de suite.
Toujours aussi effrayé, le jeune garde se contenta de ricaner, conscient qu'au moindre signe de faiblesse de sa part, son existence s'en trouverait écourtée :
— Et puis quoi encore ? C'est vous qui nous attaquez...-
— On rend la planète à son peuple ! s'interposa Jezhebel, provoquant un mouvement de recul parmi les soldats.
L'ancienne militaire tendit un bras de côté, bloquant le passage de la jeune Demoréenne et expliqua aux gardes de Tiram :
— Tout ce qu'on veut c'est Tiram Dja'Anu, et lui seul ! tonna Fry en baissant son arme.
Les autres membres de son équipage firent de même, prouvant par la même occasion à quel point ils ne souhaitaient pas leur faire de mal. Si tant est que ce fût possible.
— Le Seigneur Dja'Anu ? Vous le trouverez dans son "petit salon". Il pense y être à l'abri et que personne n'osera l'approcher. Ou plutôt que toute menace sera vite écartée...
Seilah et Jezhebel tiquèrent à l'évocation de ce titre qu'il ne méritait aucunement avant de se diriger déterminées, vers l'entrée du bâtiment. Bientôt suivies par leur escorte armée. Quand un sifflement caractéristique – celui d'une arme que l'on chargeait – attira l'attention de Fry qui se retourna d'un seul coup pour découvrir toute l'escouade qui les maintenait en joue. L'ancien Sergent se maudissait de s'être si facilement laissée berner. D'un geste qui relevait plus du réflexe, elle braqua également son arme sur le garde qui l'avait trompée.
— Tu veux pas ça, petit ! lança-t-elle.
— Oh mais si Capitaine Fry, c'est exactement ce qu'ils souhaitent. Voir cette pourriture alien remise à sa place, s'exclama une voix mauvaise que Tiana reconnut presque immédiatement.
L'ancienne militaire se retourna et découvrit sans surprise la silhouette d'un homme qu'elle avait espéré ne plus jamais revoir. Methos, le principal conseiller de Tiram. Si elle ne l'avait rencontré qu'une seule fois, lors de sa capture par Atlan un an plus tôt, il ne lui avait pas semblé plus méprisable qu'en cet instant.
Celui-ci s'était mis à applaudir les gardes, tout en reluquant de la tête aux pieds les prisonniers qu'ils lui servaient ainsi, sur un plateau d'argent.
— Merci beaucoup de les avoir gardés assez longtemps pour que je puisse constater leur capture. Je savais bien que le côté altruiste de Tiana Fry nous serait utile.
Ravi de sa ruse, il jeta un coup d'oeil sur la Capitaine et sa mine renfrognée avant de poser son regard sur le blaster qu'elle maintenait fermement. Un sourire satisfait s'étira sur ses lèvres tandis qu'il donnait un dernier ordre à ses hommes :
— Prenez leurs armes et débarrassez-vous en. Là où il vont aller, ils n'en auront pas besoin...
Tandis que les gardes encerclaient lentement les membres de l'équipe au sol, le conseiller, le visage fier et un sourire en coin, était pressé de pouvoir passer à autre chose et d'en finir une bonne fois pour toutes avec cette rébellion ridicule.
Les Demoréens rechignèrent à lâcher leurs armes, pensant que leur fin était proche et refusant de mourir comme des bêtes. Au moins s'étaient-ils battus pour la liberté de leur peuple, même s'ils ne seraient plus là pour la voir.
Tiana et ses amis quant à eux, affichaient une mine sereine, similaire à celle que pouvait avoir Methos. En effet, il leur restait une dernière carte à jouer : Sarina. Celle-ci fit brusquement passer le garde qui se trouvait derrière elle par-dessus son épaule et s'écria :
— À terre !
Tiana et les siens se baissèrent tandis que la jeune femme avait transformé son bras en canon blaster et se préparait à annihiler toute résistance devant elle. Elle avait tout calculé, et tout prévu. Ainsi, méthodiquement, elle élimina chacune des menaces. Un à un, les gardes de Tiram Dja'Anu s'effondrèrent, un trou béant à la place de leur tête. Elle avait agi si vite qu'aucun des gardes n'avait eu le temps de comprendre ce qui lui était arrivé. Debout parmi les cadavres décapités, Sarina avait toutefois gardé le meilleur pour la fin : toujours vivant – du moins, pour l'instant – Methos s'enfuyait à toutes jambes, sur la grande allée traversant le jardin, en direction de la sortie du palais.
Terrifié par la mort de toute son escouade, il était toutefois conscient que si on l'avait laissé en vie, ce n'était pas pour l'épargner et le pardonner lorsque son maître aurait été destitué. Son sort serait bien plus funeste, ça, il en était persuadé et ne préférait même pas l'imaginer.
D'un regard vers sa Capitaine, Sarina demanda l'autorisation d'arrêter le fuyard, ce que l'ancienne militaire confirma. La Synthétique s'élança sur la longue allée, allongeant les pas jusqu'à atteindre une vitesse suffisante pour parcourir les derniers mètres la séparant de Methos d'un bond surhumain. Puis, atterrissant, elle se saisit de l'homme au vol le plaquant au sol. Poussant un grognement plaintif, il essaya de se débattre tandis que Sarina ramenait ses bras derrière son dos pour le maîtriser. Elle jeta alors un coup d'oeil aux jambes du captif et d'un mouvement sec planta son talon métallique dans la cheville du conseiller, brisant son articulation dans un craquement lugubre qui fut bientôt couvert par des hurlements de douleur.
— Comme ça, tu courras moins, déclara-t-elle platement, d'une manière plus digne d'une machine que d'une humaine.
La Synthétique traîna alors le corps gémissant du conseiller sur les quelques dizaines de mètres les séparant du groupe. Dès qu'ils furent arrivés, la Capitaine planta son blaster sous le nez de Methos qui avait l'air aussi pitoyable qu'il avait été suffisant auparavant :
— Dis-moi s'il est réellement dans son "petit salon" ou je te flingue ! menaça-t-elle.
Elle planta son regard dans ses yeux gorgés de larmes. Avec les verres de ses lunettes complètement brisés, tout comme sa jambe qui formait un curieux angle droit, il n'était plus une menace mais pouvait toujours leur être utile.
— Réponds-moi ! Où est-il ? insista Fry, en pressant le canon encore plus fort contre la mâchoire du conseiller.
— Là... Là-bas. L'autre homme... n'a pas menti... balbutia l'homme qui avait perdu tout son mépris pour le remplacer par une émotion plus forte, la peur.
Le conseiller pensait que s'il coopérait, il aurait peut-être droit à un quelconque traitement de faveur. Mais il n'y croyait déjà plus. Dépité, il savait que son destin était déjà scellé.
— Tu vois quand tu veux, ironisa l'ancien Sergent en lui tapotant la joue.
Puis, s'adressant aux Demoréens présents, elle ajouta :
— Nous vous le laissons. Quant à nous, dit-elle en se retournant vers son équipage, nous avons un tyran à tuer.
Le conseiller ouvrit des yeux exorbités tandis que deux Demoréens le soulevaient par les épaules et l'emportaient au loin, le vent d'une tempête approchant couvrant bientôt ses cris de terreur.
— Un sale temps s'annonce pour ce cher Tiram... déclara Alistair qui était resté silencieux depuis le début de l'affrontement.
Après avoir esquissé un sourire vers le médecin, Seilah, toujours suivie de sa soeur et de ses amis du Charon, franchit la porte principale du palais pour y découvrir que l'entrée, d'habitude si grandiose et si prétentieuse, était totalement ravagée : la statue dorée du maître des lieux avait été jetée au sol et éventrée en deux, montrant qu'elle n'était en réalité composée que de terre cuite recouverte d'or ; les portraits de Tiram qui ornaient les murs du vestibule avaient été mis à terre et les toiles lacérées. Mais le plus frappant étaient les corps parfois mutilés qui jonchaient le sol. Il ne s'agissait pas forcément des membres des forces armées de Dja'Anu, mais également de civils et de Demoréens dont les cornes avaient été limées. Voyant cela, Seilah eut un hoquet de dégoût : elle n'imaginait pas voir un tel massacre alors qu'elle ne venait que pour tuer un seul homme.
— Ouais, lança Tiana, qui reconnaissait parfaitement cette expression qu'elle avait vue sur des dizaines de nouvelles recrues pendant la Guerre. C'est aussi ça, une révolution : des effusions de sang et des victimes innocentes.
— Tout ça... À cause d'un seul homme.
— C'est souvent le cas : un problème unique dû à une seule personne... soupira Fry, en posant une main qui se voulait réconfortante sur son épaule.
La mâchoire serrée, des larmes lui enserrant la gorge, la jeune Demoréenne força sur sa voix, se mit à hurler de tout son saoul, sa colère résonnant dans l'immense entrée :
— Tiram ! Espèce de pourri ! Montre-toi, sale lâche ! Tu vas voir ce que vaut le vrai peuple de Demora !
Toutefois son appel enragé se mua rapidement en un silence pesant : le Seigneur autoproclamé de Demora ne comptait pas affronter la fille aînée d'H'Ram. Voyant que cela n'avancerait à rien d'attendre, la jeune alien se dirigea vers les tréfonds du palais. Sa compagne la retint un instant par le bras et lui demanda :
— Alors ? Finalement tu as un plan ?
— Pas tout à fait. Mais au moins, grâce à ce salaud de Methos, on sait où chercher...
Soudain, une des fenêtres claqua, faisant se retourner brusquement tous les membres de l'équipe.
— Plus vite on se sera débarrassé de Tiram, plus vite on pourra s'en aller de cet endroit de malheur, déclara Seilah, tant terrifiée par les souvenirs qui lui remontaient à présent que par les cadavres allongés sur le sol.
Cependant, ce n'était pas la seule chose qui la terrifiait : depuis qu'elle avait franchi le seuil du palais de Tiram, elle commençait à appréhender la future et inévitable confrontation avec celui qui était responsable de la mort de son père.
— Ça va aller, assura Tiana en lui agrippant la main.
La jeune Demoréenne acquiesça silencieusement tandis qu'elle arpentait prudemment l'un des corridors blanchâtres. Ceux-ci étaient couverts de mosaïques montrant les Demoréens comme des esclaves parqués tels des animaux et dominés par leurs maîtres humains. Seilah était à deux doigts de pleurer de rage à la vue d'un tel spectacle : comment Jezhebel et son propre peuple avaient-ils pu vivre dans de telles conditions ?
Soudain, un bruit de meuble raclé sur le sol attira leur attention. On entendit également des chuchotements provenant d'une pièce que la Demoréenne reconnut facilement : c'était le "petit salon" de Tiram, ou plutôt son bureau et bunker personnel au sein du palais. D'un regard, elle fit signe à Sarina de s'attaquer à la porte blindée. La jeune femme s'avança donc devant et annonça d'une voix autoritaire :
— Éloignez-vous. Ça risque de provoquer une forte déflagration.
Les autres reculèrent, cherchant un abri derrière les piédestaux de statues montrant une fois de plus la domination humaine. Puis, la Synthétique tira une première fois dans la porte, faisant éclater le revêtement en bois. Des morceaux d'échardes s'envolèrent dans la pièce dans un nuage de poussière. Elle déchargea une seconde fois son canon dans le métal de la porte qui se gondola vers l'intérieur. Ce ne fut qu'au bout du troisième coup de feu qu'un trou se forma dans la paroi blindée. La Synthétique agrippa alors les contours de l'ouverture et entreprit de l'écarter et leur permettre d'entrer. Le métal se déchira comme s'il ne s'était agi que d'une simple feuille de papier et laissa apparaître le "petit salon" de Tiram. Celui-ci avait finalement dévoilé son vrai visage en se cachant honteusement derrière son bureau.
— Tiram ! s'écria Seilah, la rage bouillant dans ses veines tandis qu'elle pénétrait dans la pièce et s'approchait de l'homme qui avait détruit sa vie.
C'est alors que Tiana le vit : un homme était également présent dans la pièce essayait de s'enfuir par la seule autre issue : le balcon. De taille moyenne, les cheveux courts et bruns surplombant son visage allongé, le fuyard portait un costume bien taillé. Pour Tiana, il n'y avait pas le moindre doute : cet homme travaillait pour l'Alliance. Passant par la fenêtre, il sauta directement, brisant la vitre comme si de rien n'était.
— Seilah, Jezhebel. On vous laisse avec Tiram ! hurla Tiana en le poursuivant, suivie par Alistair et Sarina.
La Capitaine sauta directement à la suite du fuyard tandis que Sarina soulevait le médecin qui risquait de se blesser. La Synthétique transféra ensuite une partie de sa conscience pour demander à ses frères de récupérer la navette au sol.
Les deux Demoréennes, quant à elles, se rapprochaient toujours d'un Tiram Dja'Anu tétanisé par la peur. Le dominant de toute leur hauteur, un sourire satisfait et sadique paraît leurs visages. Effrayé mais également dégoûté de sa défaite, le noble reculait inlassablement jusqu'à se retrouver coincé contre le mur. De leur côté, Jezhebel et Seilah jubilaient intérieurement de le voir dans une posture si mauvaise que ridicule.
— S'il vous plaît... les conjura-t-il.
— Tu nous supplies maintenant ? Tu es vraiment pathétique, tonna Seilah. Tu nous as détruites petit bout par petit bout. Tu nous as pris notre peuple. Tu nous as pris notre père. Tu nous as pris notre vie peu à peu. Maintenant c'est notre tour...
La Demoréenne bouillait tellement de rage qu'elle aurait pu lui lacérer le cou sans la moindre hésitation. Mais non, elle souhaitait lui faire bien plus de mal que ça, pour tout ce que son peuple avait enduré des années durant. Il n'aurait pas droit à une mort rapide, c'était certain.
— On fait quoi de lui ? demanda Jezhebel, impatiente d'en finir avec le noble.
— J'ai ma petite idée là-dessus. répondit Seilah.
Celle-ci attrapa Tiram, le visage blanc comme un linge, par le col de sa toge et le traîna jusque dans l'un des fauteuils.
— Attache-le et écarte-toi, ordonna-t-elle.
Soudain, la respiration de Seilah se fit bien plus erratique. Au bout de ses doigts commençaient à apparaître des étincelles qui finirent par bientôt parcourir l'intégralité de ses mains. Les fins poils recouvrant sa peau se hérissèrent tandis que l'électricité ambiante se faisait maintenant plus pesante. Une odeur d'ozone se fit sentir tandis que la jeune femme s'approchait du misérable Seigneur de Demora qui se souilla de terreur face à l'allure démoniaque de son ancienne promise. Si Jezhebel aurait pu être hilare en voyant l'état du maître des lieux, elle fixait sa soeur du regard, sans comprendre ce qu'il se passait. Un éclair de stupéfaction passa dans ses yeux.
— Qu'est-ce que...- ?
— C'est une particularité que j'ai développée il y a quelques temps, et dont je ne tiens pas à parler.
Puis l'aînée se retourna vers son ancien amant, une lueur meurtrière dans le regard.
— Tu as de la chance, par rapport à ton ami le conseiller qui n'a pas hésité à te vendre. Ô grand Seigneur de Demora, pour toi qui t'es pourtant résolu à nous faire subir un enfer dans les mines, laisse-nous donc t'offrir ce que tu mérites : un supplice à la hauteur de ta médiocrité et une douleur qui vaut bien toute celle que tu as déversée.
Seilah s'approcha donc encore plus près et le noble eut un mouvement de recul quand la Demoréenne qui lui faisait face tendit la main vers le torse de Tiram. Puis elle la plaqua brusquement tandis que le Seigneur de Demora commençait à convulser ; et pour cause, le courant traversait chaque parcelle de son corps, lui faisant endurer des souffrances abominables. À chaque jet électrique envoyé, la rancoeur que Seilah pouvait ressentir envers Tiram s'amenuisait, de même que ses forces. S'il pouvait encore penser, Tiram aurait sûrement mis un genou à terre pour demander grâce, quitte à travailler toute sa vie en tant que domestique pour ceux qu'il avait réduits en esclavage.
Mais il était trop tard pour se repentir, car dehors la tempête faisait rage. Une rafale de vent ouvrit brutalement l'une des fenêtres par laquelle la tempête s'engouffra, faisant s'envoler certains objets des plus légers. Un éclair zébra la pièce et noircit le plancher du "petit salon" avant de rebondir pour frapper Seilah de plein fouet. Celle-ci absorba la charge électrique comme si c'était la sienne.
Pour Tiram, il en était tout autrement : la foudre avait ravivé la capacité et la puissance de la Demoréenne. Le corps du Seigneur de Demora cessa un instant de convulser pour se crisper. Des larmes de sang brûlantes coulèrent depuis ses yeux obscurcis par le liquide rougeâtre. Il poussait également des petits gémissements, prouvant ainsi que ses cordes vocales et ses muscles respiratoires n'avaient pas été totalement atteints. Son coeur à deux doigts de lâcher, l'homme agonisait, souffrant de douleurs indescriptibles. Si seulement celui-ci pouvait s'arrêter de battre pour mettre un terme à son supplice.
Mais non, Seilah faisait tout pour qu'il reste assez conscient pour souffrir encore et encore. Les minutes passèrent et un large sourire s'étira sur le visage de la Demoréenne tandis que le corps calciné et encore fumant de Tiram Dja'Anu lui faisait face comme un sinistre trophée : le Seigneur de Demora était mort.
— Aujourd'hui, Demora retourne à son peuple... murmura Seilah à sa soeur en regardant le cadavre de celui qui était responsable du décès de leur père.
Seilah poussa alors du pied le cadavre, qui s'effondra en laissant tomber des lambeaux de peau carbonisée, ainsi qu'un soupir de soulagement, exténuée par ce qui venait de se passer.
Jezhebel, quant à elle, était surprise par le pouvoir de Seilah mais ne fit aucune remarque à ce sujet. La mort de Tiram la soulageait grandement, mais son esprit partait en direction de la population démoréenne au dehors. L'Alliance et les forces de Tiram encore en vie n'allaient pas lâcher le pouvoir aussi facilement. Le poids des responsabilités allait lui incomber, elle le savait pertinemment tandis que son aînée partirait une fois de plus vers les étoiles. Une réalité qu'elle acceptait malgré la tristesse qu'elle ressentait.
C'est alors que Seilah se mit à chanceler. À bout de force, elle n'était plus capable de se maintenir sur ses jambes. Par chance, Jezhebel vint à son secours.
— Allez, dit-elle en mettant le bras de sa soeur aînée par-dessus son épaule. Je te ramène sur ton vaisseau. C'est là qu'est ta place à présent. Mais sache que la porte de Demora te sera toujours ouverte, ma soeur.
Un faible sourire se dessina sur le visage de cette dernière quand elle songea qu'enfin l'objet de ses hantises les plus profondes était mort et que son peuple était libre.
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