CHAPITRE 21 : Inquiétudes et confidence
Tandis que Tiana rejoignait l'endroit d'où l'avait appelé sa mécanicienne, une sensation de vertige s'empara brusquement d'elle. Son souffle devint court et les potentiels mots qu'elle aurait pu émettre pour décrire ce qu'elle contemplait vinrent à lui manquer. Face à la splendeur de l'endroit qui n'était pourtant composé que de ruines, elle resta coite. Chaque pierre, chaque colonne brisée, fissurée, tant par le vent que par le temps lui-même, semblait raconter une histoire, celle d'une époque révolue, empreinte d'une majesté certaine. Une magnificence figée dans un silence qui n'était perturbée que par la pulsation émanant de l'immense tour zébrée d'éclairs qui trônait au centre de ces reliques. Leur destination qui, dominant la région d'une telle hauteur, ne laissait aucun doute quant aux prouesses technologiques dont les précédents autochtones de la planète étaient capables. Bien plus que les pauvres humains qui peuplaient maintenant les quatre coins de la galaxie.
Il était évident que Mei partageait ce sentiment. La jeune Azrienne ne pouvait littéralement pas détacher son regard de l'immense construction qui lui faisait face. Comme si la pulsation émise par le rayonnement au sommet du bâtiment l'avait hypnotisée.
Le silence pesant qui s'était installé entre les deux femmes fut rapidement brisé par un lointain hurlement bestial qui déchira l'ensemble des sonorités musicales et apaisantes de la jungle avoisinante. Par pur réflexe, Tiana sortit son blaster du holster qui pendait à sa ceinture et se retourna en direction du cri. Avant de vite comprendre que ni elle, ni Mei, ne risquaient pour leur vie. Un profond soupir de soulagement s'ensuivit. Puis, mûe par un sentiment d'inquiétude, Fry attrapa son communicateur dans l'espoir que personne parmi son équipage ne soit blessé. Car si elle avait deviné juste, quelque chose de grave venait de se produire.
L'Azrienne devait avoir eu le même cheminement de pensée. car la jeune femme plongea son regard dans les yeux marrons de sa Capitaine et d'une voix qui transpirait l'anxiété, demanda :
— Tu crois que...?
— On va bien voir... la coupa Fry, qui ne préférait pas imaginer le pire à cet instant.
Elle tourna le bouton au centre de l'appareil et appela :
— Ici Fry. Quelqu'un m'entend ?
Pour seule réponse, un bruit blanc. Un son qui ne fit que grimper un peu plus l'angoisse de Mei, autant que celle de Tiana. S'agissait-il de simples interférences provoquées par leur proximité avec la construction monolithique ? Ou bien était-ce bien pire ? À mesure que les minutes s'écoulaient, la respiration de Mei se faisait de plus en plus bruyante et rapide. Aussi inquiète que son amie pour qui l'inquiétude se transformait petit-à-petit en une véritable crise de panique, Tiana réitéra son appel :
— Ici Tiana. Est-ce que quelqu'un peut me répondre ?
Tandis que le grésillement monotone de l'appareil emplissait l'air, la jeune femme prit une profonde inspiration, le coeur allourdi par l'appréhension. L'affolement de la mécanicienne avait-il réussi à s'immiscer en elle ? À éveiller une peur latente ? Une pensée qu'elle tenta de chasser aussi vite que possible. Céder à la panique ne ferait qu'aggraver leur situation déjà précaire.
Au même instant, comme pour s'ajouter à ce tableau déjà bien sombre, une pluie fine légère commença à tomber, ses gouttes délicates s'éparpillant sur les feuilles luxuriantes de la jungle, masquant peu à peu ses sons naturels.
Tiana braqua son regard vers la façade imposante du monolithe qui se dressait devant elles, sa silhouette mystérieuse se découpant dans la brume de l'humidité ambiante. Une brume qui n'était éclairée que par les épars éclairs qui zébraient le ciel
— Tu penses que tu vas pouvoir nous faire entrer ?
La jeune Azrienne ouvrit des yeux ronds tant la question de sa supérieure lui semblait ridicule :
— Sérieux ? C'est pour ça que je suis là, non ? Je vais tout faire pour, même si ça doit me prendre la journée. S'il le faut, je nous découperai une ouverture à coup de griffes, assura-t-elle.
Puis, voyant le malaise qu'avait potentiellement provoqué le ton de sa réponse, elle déclara d'une toute petite voix :
— Désolée, Boss. Je...
— T'inquiète donc pas. répondit Tiana. Moi aussi, je suis un peu à cran. Alors j'imagine même pas ce que ça doit être pour toi !
Se rapprochant du Monolithe, les deux femmes trouvèrent rapidement un abri sous ce qui semblait être un immense porche métallique. Soudain, tandis que la mécanicienne se mettait à genoux pour ouvrir l'immense porte métallique qui leur bouchait l'entrée vers les tréfonds de la structure, un petit animal, une sorte de petit rongeur surgit depuis une crevasse dans le mur. Avec ses cornes recourbées, on aurait pu le prendre pour un Ulvoi. Toutefois, sa taille un peu plus massive, son pelage blanc strié de gris et ses yeux écarlates le rendaient bien plus menaçant que ses cousins errants dans les spatioports. Si bien que, pensant tomber sur une énième menace, Mei sursauta et perdit l'équilibre. C'était pourtant bel et bien l'animal qui avait eu le plus peur et au cri de surprise de l'Azrienne, celui-ci s'enfuit à vive allure vers l'épaisse jungle.
Devant le regard amusé voire moqueur de sa Capitaine, Mei fronça les sourcils :
— S'il te plaît, Boss. Ne dis rien à Aiden. demanda-t-elle, presque suppliante. Sinon je peux être certaine d'en entendre parler pendant des semaines.
Bien qu'elle ne répondit rien, Tiana prit note de l'affolement de sa mécanicienne qui, depuis qu'Aiden était entré dans sa vie, avait quelques peu changé. Si elle était toujours aussi farouche et timide avec les étrangers, elle commençait également à faire attention à comment les autres la voyaient. Elle avait également pris l'habitude de constamment présenter ses excuses à chaque fois qu'elle commettait la moindre petite maladresse, aussi peu importante fût-elle.
C'est alors que Tiana capta un soudain éclat de tristesse dans le regard de Mei et ce, au moment même où elle interfaçait son kit de piratage avec les commandes d'ouverture de la porte. Près de Fry se déploya un clavier holographique sur lequel des séries de symboles totalement inconnus commencèrent à défiler.
— Bon... soupira Mei. J'ai une bonne nouvelle et une mauvaise. La bonne, c'est que le circuit électrique de la porte est toujours alimenté.
— Et la mauvaise ? s'enquit la Capitaine.
— Je ne connais absolument pas ce langage. C'est comme si tu me demandais d'écrire sans avoir de lettres. Donc je vais avoir besoin d'un peu de temps pour le traduire. Désolée...
Tiana Fry soupira et tandis qu'elle allait essayer de rassurer sa mécanicienne, elle vit la fourrure de cette dernière tressaillir. En effet, pendant les quelques minutes où les deux femmes avaient été sous les intempéries, la pluie fine avait réussi à s'infiltrer jusque sous les vêtements qu'elles portaient. Étonnamment, la chaleur de la jungle s'était dispersée aux abords du Monolithe, laissant ainsi place à une atmosphère plus fraîche.
— Il te faudra combien de temps pour nous faire entrer ? demanda Fry.
— Il me faut déja implémenter les nouveaux paramètres dans la matrice de traduction et après... Je dirais entre dix et quarante-cinq minutes...
— Je t'ai connue plus précise que ça. Mais bon, fais de ton mieux. J'ai confiance en toi.
L'Azrienne soupira également. Elle sentait bien que tout reposait sur ses épaules et cela commençait à être un fardeau difficile à porter. Bien entendu, ce n'était pas un sentiment inhabituel pour celle qui était considérée par beaucoup comme le petit génie de la bande.
En entendant Fry s'éloigner, Mei commença à trembler et s'enquit de la destination de sa Capitaine :
— Boss ? Tu vas où ? demanda-t-elle, au bord de l'affolement. Tu me laisses pas toute seule, n'est-ce pas ?
— Je vais juste essayer de trouver un peu de bois sec pour faire un feu. Ne t'inquiète pas, ma belle, la rassura Tiana.
Pourtant, cela ne tranquilisa pas le moins du monde la jeune alien qui tressaillit à nouveau, mais pas de froid cette fois-ci.
— S'il te plaît... supplia-t-elle presque alors qu'un éclair zébrait le ciel annonçant l'arrivée d'intempéries bien plus importantes que la petite pluie fine qui les avait trempées jusqu'à l'os.
La Capitaine se retourna vers sa mécanicienne, s'approcha d'elle et la prit dans ses bras :
— Ma chérie, tu sais bien que je te laisserai jamais... dit-elle d'une voix pleine de tendresse.
La jeune Azrienne éclata en sanglots dans l'épaule de la Capitaine qui la serrait toujours contre elle. Et même si la terreur de la jeune alien était notable, Tiana n'était pas dupe : il était évident que la mécanicienne cachait une autre peur que celle d'être toute seule. Après tout, Azria n'était pas une planète si différente de celle-ci. Non, quelque chose d'autre turlupinait la jeune femme.
— Dis-moi tout, Mei. Qu'est-ce qui va pas ? demanda Fry en se retirant avec difficulté de l'étreinte de l'Azrienne.
Surprise par la perspicacité de sa Capitaine, la mécanicienne ouvrit des yeux ronds. Comment avait-elle deviné ? pensa-t-elle avant de secouer la tête :
— Non. Il n'y a rien, se défendit-elle d'une voix tremblante.
Puis voyant le regard insistant de Fry, elle ajouta en essuyant ses larmes :
— Je t'assure, Boss. Ça va. Mais ne me laisse pas seule. Juste, donne-moi le temps de lancer le décodage de cette fichue porte et je te suis...
D'un regard, Tiana accepta. Elle sentait que la jeune alien avait les nerfs à fleur de peau et que, de toute façon, dans l'état où elles étaient l'une comme l'autre, il était peu probable qu'elle puisse lui refuser quoi que ce soit. Leur marche dans la jungle les avait fatiguées, de même que l'atmosphère pesante des environs. Le plus sage était encore de faire un petit feu de camp pour se réchauffer et se reposer quelques temps avant d'explorer le Monolithe.
Quelques minutes passèrent pendant lesquelles Mei retourna devant le panneau holographique de la porte, s'empara de son kit de piratage et se remit au travail. L'appareil muni d'une tablette tactile émit quelques bips inquiétants avant de reprendre son doux ronronnement habituel. L'alien tapa une série de commandes sur l'écran de son outil de travail et le posa délicatement sur sa besace qu'elle avait retirée de son épaule.
— C'est bon. Je suis prête, dit-elle en se relevant.
D'un pas rapide, elle rejoignit Tiana et machinalement lui agrippa la main. Ce geste fit prendre conscience à la Capitaine à quel point le petit génie de la bande, bien que capable d'être à l'origine de vrais miracles, semblait vulnérable. D'une voix douce, elle lui dit, tout en serrant la petite main de l'Azrienne avec tendresse :
— T'en fais pas, ma chérie. Je serai toujours là pour te protéger.
Convaincue par les paroles de sa Capitaine, la jeune alien eut un bref et timide sourire et reprit sa marche à ses côtés, rassurée.
Ce n'est que lorsqu'elles furent arrivées près des ruines entourant le Monolithe qu'elles trouvèrent un immense arbre, tombé apparemment depuis de nombreuses années. On aurait pu croire que le vent l'avait déraciné, couché à même le sol. Mais la présence d'une profonde crevasse près de lui donnait une toute autre explication : un tremblement de terre avait scindé le sol en deux, emportant la masse végétale et la couchant au sol, tel un pont sec et instable.
— Bon, et bien, j'imagine qu'on va pas passer par là... soupira Tiana.
— Non, mais on peut très bien arracher les branches à la cime... Vu qu'elles sont de notre côté, répondit Mei.
Avant même que Fry ait pu dire quoi que ce soit, la jeune Azrienne s'élança vers l'arbre, avant d'être stoppée dans son élan par un nouveau tremblement de terre bien plus fort que le précédent. Le sol se déroba rapidement sous les pieds nus de l'alien qui commença à glisser sur la pente qui venait de se créer sous elle. Voyant sa mécanicienne s'effondrer dans la crevasse qui s'agrandissait à vue d'oeil, la Capitaine se jeta en avant, chutant presque, étant elle-même déséquilibrée par la secousse. Elle attrapa le bras de Mei juste à temps pour voir le sol sous cette dernière disparaître dans les profondeurs.
— S'il te plaît ! hurla la jeune alien. Ne me lâche pas !
Au bord de la falaise nouvellement créée, Fry ne répondit rien et s'aida de son autre bras pour tirer Mei de cette position si délicate. La Capitaine grogna sous l'effort. Mei quant à elle s'agrippait également aux accrocs dans la roche pour se hisser hors du gouffre. Ce n'est que lorsqu'elle fut sortie d'affaire qu'elle s'effondra à nouveau en pleurs. Tiana la prit alors de nouveau dans ses bras :
— Là... Ça va aller... lui dit-elle.
— Non... sanglota-t-elle. Ça ne va pas du tout ! Je veux tellement aider que j'enchaîne idiotie sur idiotie !
— Pourtant, tu sais que je te demanderai jamais de te sacrifier pour moi. Tu fais déjà assez pour nous tous, tenta de la rassurer Fry en serrant un peu plus fort la jeune femme contre elle. Tu es la meilleure d'entre nous, ma chérie.
— Pourtant... J'ai l'impression que je ne vais pas y arriver... Que tu attends plus de moi...
— Non ma belle. Tu es...
Un bip sur le communicateur de Tiana interrompit brusquement l'échange entre la Capitaine et sa mécanicienne. Enfin quelqu'un répondait :
— Boss ! C'est Tooms !
— Bordel, Tooms ! Ça doit bien faire une demi-heure que j'essaie d'avoir quelqu'un ! Est-ce que ça va ? demanda l'ancien Sergent.
— Moi oui, mais...
— Mais quoi ?
— C'est Ju'Ela. Elle a été blessée. Je la ramène au vaisseau, sauf que personne me répond.
Le regard de Fry croisa celui de Mei encore rougi par les larmes. Elle-même ne comprenait pas ce qu'il se passait.
— Tooms, continue d'essayer d'appeler Jack, ordonna Tiana. S'il y a le moindre problème là-bas, il aura tôt fait de s'en occuper. En plus, il n'est pas seul... Sarina est revenue avec un invité...
— Ah oui ? Qui ça ? demanda le pilote.
— Notre "ami" qui nous a échappé sur Demora.
Un silence éloquent de la part de Tooms fut la seule réponse qu'elle eut. Car lui aussi savait que ce type de l'Alliance pouvait être la cause du silence des membres restés sur le Charon.
— Bien, Capitaine. ajouta-t-il enfin. J'espère que tu as raison pour Jack et Sarina. Parce que je te jure que s'il leur a fait du mal...
— Oui, Tooms. Je sais...
Tiana se tut un instant et tandis qu'elle se relevait, posa son regard sur la structure imposante dont le sommet était toujours masqué par l'épais brouillard.
— Contacte-moi dès que tu es au Charon. J'ai un mauvais pressentiment.
— Bien compris.
Puis d'un regard, elle invita la mécanicienne à la suivre jusqu'à l'entrée du Monolithe.
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