CHAPITRE 18 : Identité
Lorsque Sarina Rem pénétra enfin dans la soute, le type de l'Alliance toujours à bout de bras, elle tomba d'abord sur son compagnon. Il s'était affairé à la remise en ordre des salles de chargement qui avait également souffert de l'atterrissage en catastrophe du Charon. Plusieurs caissons de marchandises vides gisaient notamment à même le sol – caissons que Daniels tentait de déplacer avec difficulté. Depuis les événements l'an passé, son dos, encore marqué des stigmates de son affrontement avec Atlan, le faisait parfois horriblement souffrir. Bien qu'Alistair ait usé de tout son savoir-faire, ses chairs avaient été profondément meurtries, si bien que Jack n'aurait jamais retrouvé toute sa mobilité ni sa souplesse. C'est du moins ce que lui avait annoncé le médecin pendant sa convalescence. Un diagnostic qui ne plaisait aucunement à l'artilleur, qui, chaque jour, s'empressait de démontrer sa fiabilité.
— Tu sais, tu ne devrais pas te tuer à la tâche comme ça... s'exclama Sarina.
Tellement concentré, Daniels ne l'ayant pas vu arriver, il sursauta et braqua sa compagne de son arme :
— Bon sang ! Tu m'as fait une de ces peurs ! s'écria-t-il.
Puis notant la présence de l'inconnu sur l'épaule de sa compagne, il haussa un sourcil interrogateur :
— Et puis, c'est qui ce guignol-là ?
— Lui ? C'est celui qu'on a pourchassé avec Tiana sur Demora. L'unique survivant de la frégate. On l'a retrouvée, un peu plus loin dans la jungle, cernée par des créatures qui t'auraient fait peur, même à toi...
L'artilleur émit un petit rire à l'évocation de la terreur qu'il aurait pu éprouver. Il songea que si la menace ne consistait pas en des Charognards ou un Pisteur de l'Alliance complètement fou, il n'avait pas de réelle crainte à avoir.
— Moi ? Avoir peur ? Ah ! Elle est bien bonne celle là.
Puis, notant que l'homme que sa compagne transportait semblait avoir besoin de soins, il ajouta, non sans avoir lancé un regard mauvais au corps inanimé :
— Si tu cherches le Doc, la dernière fois que je l'ai vu, il était à l'infirmerie...
La Synthétique hocha la tête et s'élança d'un pas sûr vers les tréfonds du cargo. En chemin, elle songea que le médecin serait très certainement occupé par des recherches sur la biodiversité de cet étrange monde et de leur nouvelle alliée. L'homme de science était en effet animé de la même curiosité que la Synthétique pour les autres espèces. Cette dernière le trouva donc en train d'étudier les quelques prélèvements de sang qu'il avait faits sur Ju'Ela avant le départ de celle-ci pour les régions sauvages de la planète. Tellement pris dans ses pensées qu'il n'entendit pas la jeune femme arriver dans son dos.
— C'est fabuleux... prononça-t-il pour lui-même. Je n'avais encore jamais vu ça...
— Qu'est-ce qu'il peut avoir de si fabuleux, Docteur ?
Surpris, Alistair se retourna aussitôt. Et alors qu'il s'apprêtait à répondre par une énième réprimande concernant la complexité de ses recherches et le fait qu'il ne souhaitait en rien être dérangé, il se ravisa en voyant le blessé sur l'épaule de la Synthétique.
— Oh, je vois... Posez-le là.
Ajustant ses lunettes, il s'empara de quelques appareils médicaux avant de chasser Sarina de la main.
— Ma chère, je vous appellerai s'il y a du nouveau... Mais pour l'instant, je n'ai aucunement besoin de votre assistance en ce lieu. Toutefois, si vous pouviez découvrir qui est ce patient, cela me serait d'une grande aide.
La Synthétique acquiesça et tourna les talons. Elle savait par expérience que si les propos du médecin avaient été quelque peu durs, il n'y résidait aucune animosité. Le bon Docteur Gun n'était qu'un bourreau de travail, adorant par-dessus tout sa fonction à bord du Charon.
En passant le pas de la porte, Sarina inspira profondément. Quelque chose chez cet inconnu ne lui inspirait absolument pas confiance. Rien qui ait à voir avec son allégeance. Mais plutôt avec sa présence sur Demora. Ce quelque chose le rendait en même temps étrangement familier.
Voyant sa compagne préoccupée, Jack, qui passait voir si tout allait bien avec le mystérieux survivant de la frégate, s'arrêta :
— Tout va bien, ma belle ? demanda-t-il.
Le visage de la Synthétique se tordit en une moue peu engageante et l'artilleur sut tout de suite que quelque chose de grave lui trottait dans la tête.
— C'est quoi ? C'est l'autre gugusse ? Il s'est réveillé et il t'a dit un truc qui t'a contrarié ?
Sarina sourit en entendant les paroles de son compagnon. Il était devenu si protecteur depuis l'année passée – depuis sa capture par Atlan – que c'en était devenu touchant.
— Non, ne t'en fais pas. Ce n'est qu'un mauvais pressentiment. Comme si je l'avais déjà vu... Avant...
— Avant ? Tu veux dire... Avant Demora ?
— J'en sais rien. Je ne pense pas. Et pourtant... De toute façon, je ne pourrai pas en être certaine avant d'avoir vérifié dans toutes les bases de données de l'Alliance.
— Ouais, bah bon courage. On est coupé de tout ici...
Un sourire tendre éclaira le visage de la Synthétique.
— Des fois, j'ai l'impression que tu oublies que je ne suis plus humaine... Je n'ai pas besoin de me connecter quelque part pour y accéder. Je les ai toutes en mémoire depuis l'an dernier.
Une ombre assombrit le teint de l'artilleur à l'évocation des événements de Terra. Il se souvenait avec horreur de ce qu'il avait pu y voir. Tous ces corps, organiques comme robotiques, alignés, les uns à côté des autres.
Voulant le rassurer, la jeune femme prit alors la main de son compagnon :
— Ne t'inquiète donc pas. C'est derrière nous, assura-t-elle d'une voix douce. Atlan est mort. Les Charognards, plus qu'un lointain souvenir. Ensemble, rien ne peut nous arrêter.
N'étant qu'à moitié convaincu par les affirmations de Sarina, Daniels sourit faiblement. Car si elle était pratiquement hors d'atteinte et presque indestructible, lui ne l'était pas. Il n'était qu'un simple humain, si faillible et fragile, qui pouvait facilement être tué. Voyant la gêne de son compagnon, la Synthétique se mit alors sur la pointe des pieds et déposa un tendre baiser sur les lèvres de Jack. Un baiser auquel elle mit fin d'elle-même. Même si elle appréciait ces moments de douceur, elle ne pouvait les laisser prendre le pas sur la sécurité de l'équipage. Elle devait faire passer son devoir avant tout. Aussi, elle recula de quelques pas et lança :
— Tu devrais aller monter la garde à l'arrière du vaisseau. Ça serait dommage qu'on ait de la visite et personne pour les recevoir, si tu vois ce que je veux dire...
L'artilleur enclencha son arme et avec un sourire lui répondit :
— Et toi, tu vas faire quoi ?
— Mes recherches. Comme me l'a conseillé le bon Docteur...
De son côté, "le bon Docteur" s'était affairé au chevet de l'inconnu. Une "huile" de l'Alliance. Si on lui avait dit qu'il allait en "recoudre" une le jour même, il ne l'aurait certainement pas cru. Après tout, c'était peu probable qu'il y ait même eu des survivants dans un vaisseau aussi imposant que celui de l'Alliance ; le Charon quant à lui n'avait dû son salut qu'à une chance presque inespérée ainsi qu'à sa taille relativement moindre.
Pour autant, cela ne réglait pas le problème de celui qui était sur sa table d'examen. Le mystérieux homme brun semblait avoir encore plus pâli depuis son arrivée dans les locaux du médecin.
Gun avait d'ores et déjà pratiqué quelques tests préliminaires sur son patient et en attendait patiemment les résultats. Assis sur un tabouret, les bras croisés sur son torse, Alistair toisait le blessé. Malgré son serment en tant que médecin, voir cet homme, là, devant lui, le dégoûtait à un point tel qu'il avait cette envie d'empoigner un scalpel et de l'appliquer contre la gorge de son patient. C'était comme si on l'avait transporté plusieurs années en arrière, pendant la période où il officiait encore en tant qu'opérateur pour les services secrets de l'Alliance et qu'il devait faire la sale besogne qu'on lui ordonnait. Sauf que là, ce n'était plus les ordres. C'était bel et bien lui qui décidait de ce qui devait être fait ou non...
Secouant la tête afin d'enlever toute envie de meurtre de son esprit, Al' soupira en lâchant le scalpel qu'il tenait en main et le déposa sur une table à proximité. Il n'était plus capable de faire de telles choses. Plus à présent qu'il essayait de changer, d'alléger son âme de tous ses crimes passés. Oh, bien entendu, durant cette période-là, il avait aussi sauvé de nombreux autres patients. Mais ce n'était pas ceux-là qui revenaient sans cesse le hanter la nuit. Tant de personnes qui avaient croisé sa route et qui avaient fini les pieds devant !
"Bon, voyons un peu à qui nous avons affaire..." pensa le Docteur Gun en entendant le bip intempestif de la centrifugeuse.
De longues minutes passèrent pendant lesquelles le vieux médecin passa en revue les informations élémentaires des scanners qu'il avait fait passer à son patient. Ce n'est que lorsqu'il arriva à l'étude de son code génétique qu'il ouvrit des yeux ronds. Il était estomaqué par la découverte qu'il venait de faire.
— C'est impossible ! lâcha-t-il.
Le médecin se leva alors, prêt à enclencher le bouton de l'intercom pour prévenir ses amis de ses découvertes, mais fut rapidement coupé dans son élan : devant lui se dressait l'inconnu, un scalpel à la main.
— Si vous tenez à la vie, je vous conseille de faire exactement ce que je vais vous dire, déclara ce dernier d'une voix suave.
Ignorant tout de ce qu'il s'était passé dans l'infirmerie, Sarina Rem s'était plongée autant dans ses recherches que dans sa transe habituelle lorsqu'elle fouillait dans les tréfonds de son crâne métallique. Depuis plus de vingt minutes, elle fouillait dans toutes les bases de données qu'elle avait pu transférer dans l'ordinateur de bord du Charon lors de sa première symbiose avec le vaisseau. Marquant une pause, elle se souvint à quel point cela lui avait semblé naturel de partager toutes ces informations avec ceux qu'elle considérait à présent comme sa propre famille.
Et même si elle aurait pu chercher les informations directement en pianotant sur l'une des consoles du vaisseau, fusionner à nouveau avec le coeur même du cargo lui avait semblé bien plus simple et rapide. Il fallait qu'elle trouve une information à propos de l'identité de leur inconnu, quelle qu'elle puisse être. Même la moindre. Elle saurait s'en contenter pour ensuite recouper ladite information avec d'autres documents numériques. C'était tout ce qu'elle demandait.
Soudain, un document qu'elle passait en revue à une vitesse folle attira son attention : il s'agissait d'une holo-image, prise plusieurs années plus tôt. On pouvait y voir Vlad Stokes, le PDG de la Corporation Lux, ainsi qu'un jeune homme se tenant à ses côtés. Un jeune homme qui ressemblait trait pour trait à l'inconnu qu'elle avait amené à bord. Les deux hommes posaient devant une usine métallurgique. Sarina lut alors la légende de la photographie : "Vlad Stokes et son fils Dmitri devant leur première usine sur Oradia Prime."
Sarina secoua alors la tête tant elle n'en croyait pas ses yeux : leur inconnu n'était autre que le fils de Vlad lui-même.
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