CHAPITRE 17 : Ruines
Lorsqu'elle vit cet homme s'effondrer au sol, à ses pieds, Tiana Fry ne put bouger. Elle ne savait pas quoi faire. En elle, un conflit, aussi violent que ceux auxquels elle avait elle-même participé, faisait rage. D'un côté, elle voyait en cet homme le potentiel complot de l'Alliance sur Demora ; le régime qu'elle haïssait tant ; le meurtre des deux personnes qu'elle avait tant aimé, qui lui avaient été si chères. Sa femme et sa fille, Lin et Maya, tuées par une patrouille de l'Alliance un peu trop zélée. De l'autre, sa propre morale, sa répugnance à tuer une personne sans défense. Elle ne pouvait faire feu ainsi, sur cet homme inconscient. Cet homme qui était à sa merci. Pourtant, une simple et légère pression sur la détente de son blaster et le problème aurait été résolu. Disparu. Leur permettant ainsi de s'occuper de leurs autres soucis ô combien plus urgents...
— Oh, Capitaine ! Tu décides quoi ? lança la voix fluette de Mei.
Sortie brutalement de ses pensées, l'ancienne militaire cligna des yeux plusieurs fois, hébétée. Elle réalisa subitement qu'elle s'était figée pendant de longues secondes, à songer à sa vie d'avant sans se demander ce que devenaient les membres de sa famille actuelle, notamment la mécanicienne qui était toujours à ses côtés.
— Pardon ? Tu disais ?
— On fait quoi de lui ? J'imagine que tu veux le tuer...
— Ça serait plus simple...
— Simple, mais pas juste. En tous cas, si c'est ça que tu décides, ça ce sera sans moi, Boss. J'ai beau avoir l'Alliance en horreur, je ne tuerai jamais quelqu'un de sang-froid, assura la jeune Azrienne.
Tiana reconnaissait bien son ingénieure dans un tel discours, si pur et si innocent. Elle, qui, à la connaissance de la Capitaine, n'avait connu ni la Guerre ni les combats. La jeune femme sourit un moment à la jeune alien qui la regarda sans comprendre.
— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda cette dernière.
— Rien. C'est juste typiquement toi.
Le craquement d'une branche alerta les deux jeunes femmes qui se retournèrent brusquement – l'arme sortie pour l'humaine, les griffes pour l'alien. Mais finalement, il ne s'agissait que de Sarina, un sourire satisfait aux lèvres. Sourire qu'elle perdit vite lorsqu'elle reconnut l'homme toujours inconscient aux pieds de Fry.
— Oh... Qu'est-ce que j'ai raté ? Une mort ? dit-elle, sarcastique.
L'espace d'un instant, Fry crut voir un mélange féminin entre les caractères de Tooms et de Daniels et songea à quel point elle s'était adaptée à la vie sur le Charon. Les deux hommes avaient tellement déteint sur elle que ça en devenait de plus en plus frappant. Toutefois, elle réfréna cette pensée, préférant se concentrer sur leur situation.
— Non, Sarina. Il est toujours vivant. Juste inconscient. Certainement la douleur et la perte de sang.
— Donc ça veut dire qu'on va le sauver ? demanda Mei.
— Oui. On va l'amener au Doc qui essaiera de le recoudre. On peut pas se permettre de rechigner à se faire des alliés sur une planète aussi dangereuse qu'inconnue, expliqua la Capitaine. Mais je me méfie et je veux pas prendre le risque de le laisser seul avec nos deux amis là-bas, ajouta-t-elle en désignant vaguement la direction du Charon.
Sarina réfléchit quelques instants et souleva le corps de l'homme comme s'il s'agissait d'une poupée de chiffons. La Capitaine la regarda un instant sans comprendre ses agissements. Devant son air interrogateur, la Synthétique soupira et expliqua son geste :
— C'est pourtant évident, Capitaine. Il vous est impossible de reculer si près de votre but et, de mon côté, je suis la plus endurante et la seule à pouvoir l'emmener à bord du vaisseau en vie. J'en ai donc déduis que vous alliez certainement me demander de l'emmener. Je me trompe ?
Toujours aussi surprise par la rapidité de raisonnement de la Synthétique, Fry ne put réprimer un sourire tant les déductions de Sarina étaient toujours aussi justes que logiques.
— Décidément, Sarina, tu cesseras jamais de me surprendre, déclara la Capitaine.
La jeune femme ne répondit pas, se contentant d'enjamber le cadavre encore chaud de la créature qui les avait attaquées. Puis elle s'élança d'un pas rapide dans la direction du vaisseau où l'attendrait très certainement le bon Docteur Gun.
Restées seules, Tiana et Mei se regardèrent un moment, laissant planer un silence gênant qui n'était interrompu que par le bruissement des feuilles agitées par le vent. Mei le brisa alors tout en croisant les bras sur sa poitrine :
— Tu sais qu'elle va t'en vouloir. Elle aurait adoré pouvoir nous aider pour explorer, dit-elle d'un ton désabusé.
— Je sais. Mais Sarina l'a dit elle-même : personne d'autre aurait été mieux qualifié, rétorqua l'ancien Sergent.
Cette dernière ne pouvait blâmer la compagne de Jack : partout autour d'elle, au-delà des monstres et des dégâts humains qu'ils avaient causés, elle ne voyait que la splendeur de cette nature qui semblait regorger de mystère. Pour autant, ils avaient un blessé sur les bras et se devaient de l'aider, quelle que soit son allégeance. C'était la meilleure – Non ! La seule chose – à faire.
Tandis que Fry s'était mise à surveiller le périmètre, Mei s'était attelée à l'examen des systèmes encore opérationnels de la frégate. Malheureusement pour elle, il n'en restait plus grand chose : la balise de détresse s'était activée lors du crash, mais il était peu probable que cette dernière ait pu envoyer un quelconque S.O.S., cette région de l'espace étant littéralement coupée du reste de la galaxie. Cela laissait d'ailleurs en suspens la question de leur retour à leur vie d'avant, loin de cette planète qui menaçait à tout moment de les tuer. Aussi une question brûlait les lèvres de la jeune Azrienne :
— Boss, comment crois-tu qu'on va faire pour sortir des Régions Inconnues ?
Fry, qui avait suivi sa mécanicienne dans le seul but de la protéger de potentiels dangers, ne répondit pas. Elle n'en avait en effet aucune idée. Elle ne pouvait qu'espérer une idée saugrenue qui aurait l'immense mérite de les sortir de ce mauvais pas... Encore une fois, la Capitaine ne pourrait uniquement s'en remettre aux compétences de son équipage et devrait confier une partie de son sort à la chance. Son insolente chance qui semblait l'avoir quittée depuis longtemps. Cette fameuse chance qui n'était pas au goût de ses camarades d'infortune.
Soudain, la jeune alien se mit à enrager, arrachant brutalement un ensemble de câbles du mur. Elle donna ensuite un coup de poing dans le mur, ne lui faisant pas grand mal, puis soupira. La voyant agir de la sorte, Tiana savait que quelque chose l'avait contrariée plus que de raison. L'Azrienne n'était pas d'ordinaire expensive, jusqu'au moment où cela touchait à sa mission d'ingénieure.
— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda l'ancien Sergent.
— Tous les systèmes ont été déconnectés. Sauf un seul. J'avais espéré pouvoir récupérer quelques données sur la zone que les senseurs auraient détectéées avant le crash ainsi que des données sur les raisons de la présence de notre inconnu sur Demora. Mais j'ai été déconnectée avant d'avoir pu transférer quoi que ce soit.
— Et pour ce système qui est encore fonctionnel ? Tu sais ce que c'est ?
— Je n'ai que le nom : Kora.
Kora. Ce nom n'était en rien familier à l'ancienne militaire. Elle songea alors que, dès son retour à bord du cargo, elle demanderait de quoi il s'agissait à l'inconnu qu'elles avaient sauvé.
Tandis que Mei rangeait son matériel, Tiana se dirigea vers la sortie du vaisseau. Elle s'adossa contre la paroi métallique de l'épave qu'était devenue la frégate et se mit à réfléchir tant à son équipage qu'aux raisons qui avaient fait qu'ils étaient à présent coincés sur ce malheureux rocher. La jeune femme soupira en remarquant que ce n'était qu'en voulant les protéger qu'elles les avaient mis en danger. Consciente de ce fait, elle sortit naturellement son arme de son étui et commença à la nettoyer. Elle ne pouvait se permettre de tomber en pleine fusillade et que son arme s'enrayât. Un bruit derrière elle la fit sursauter et elle pointa alors son calibre sur la personne qui l'avait surprise, avant de se rendre compte qu'il ne s'agissait en réalité que de Mei.
— Hey ! s'écria celle-ci. Fais gaffe où tu pointes ça ! J'ai pas envie de mourir bêtement.
— Désolée, ma belle. Tu m'as fait peur, avoua la jeune Capitaine.
La mécanicienne n'était pas particulièrement surprise de la réaction de sa supérieure. Elle avait bien remarqué que cette jungle était dangereuse à souhait et sentait que ce n'était pas près de changer.
Aussi, lorsque Fry s'avança vers les arbres encore debout après le crash de la frégate, Mei resta comme figée. Une angoisse non contrôlée la faisait frissonner et une boule dans sa gorge l'empêcha d'émettre le moindre son. Non pas qu'elle n'ait pas été assez courageuse pour refréner sa peur, mais plutôt qu'elle imaginât sa Capitaine et amie morte par sa faute. C'était comme si elle pouvait voir le cadavre de Tiana parmi ceux qui s'étaient écrasés ici et qui avait été tués par la faune de la planète.
— Qu'est-ce qui se passe ? On croirait que tu as vu un fantôme... dit cette dernière.
Pourtant, l'Azrienne refusa de dire quoi que ce soit, préférant taire ses craintes et se dirigea vers son amie. Machinalement, elle regarda dans son sac, trouvant exactement ce qu'elle cherchait : la fameuse balise-retour, toujours enfermée dans sa boîte. L'alien soupira, soulagée.
— Rien, j'ai juste hâte de rentrer. Je te suis, Capitaine.
La nature se ressemblait de mètre en mètre, si bien qu'à un moment, Fry demanda à sa mécanicienne s'ils ne tournaient pas en rond. La jeune alien s'arrêta net et sortit un scanner portatif de sa création de son sac. Elle pianota sur la tablette qui y avait été attachée. L'instrument émit alors un bip régulier. Mei le rangea et posa un genou au sol. Celui-ci vibrait légèrement, du même rythme régulier que précédemment.
— Tu es sûre de toi ? Parce que je sais pas pourquoi, mais je pense qu'on va avoir de la compagnie, déclara la Capitaine.
— Non. Si on continue tout droit sur environ un kilomètre, on devrait apercevoir notre destination, assura l'Azrienne.
En réalité, Tiana avait un mauvais pressentiment. Voilà un moment qu'elles marchaient et qu'il ne s'était rien passé. La Capitaine savait très bien que cela était très mauvais, étant donné que leur combat contre le jeune fauve qu'elle avait tué n'allait pas passer inaperçu. De plus, les bruits de tirs avaient dû alerter les sentinelles adultes, prévenant l'ensemble de la meute de leur présence. Elle ignorait tout de ces féroces créatures, mais savait par expérience qu'il fallait s'attendre à tout, et que même la situation la plus calme au monde pouvait rapidement tourner au vinaigre. En effet, quelques instants plus tard, un hurlement bestial retentit au loin dans la jungle, affolant par la même occasion un groupe de volatiles inconnus qui s'envola brusquement depuis la cime des arbres.
— Je suis certaine de ce que je dis ! assura l'Azrienne, légèrement agacée de voir qu'on doutait de sa parole mais également apeurée par le cri.
— Mei, c'est pas le moment pour perdre son sang-froid. On va bientôt avoir de la compagnie, alors dépêchons-nous.
Sur ces mots, Tiana se mit à trottiner, suivie de près par Mei. Cette dernière avait tous ses sens en alerte. Le hurlement qu'elle avait entendu l'avait affolée. Ses poils s'en étaient hérissés de surprise et de peur. Une peur panique que sa Capitaine, ainsi que l'ensemble de ses camarades, puissent être en danger.
Tiana, quant à elle, arrivait tant bien que mal à cacher les profondes émotions qui bouillaient en elle. L'ancien Sergent savait d'expérience que, afin que les soldats qui l'accompagnaient ne manquassent pas de courage, elle devait elle-même montrer le bon exemple. Peu importait l'épreuve, l'événement effrayant qui pouvait arriver ou encore une menace imminente de mort... Perdre son sang-froid était l'une des pires choses qui pouvaient arriver. Il lui fallait garder la tête froide. C'était la meilleure solution. Lui permettant ainsi de prendre les bonnes décisions en fonction de la situation. Le danger était réel, le groupe de fauves adultes était certainement en train de les traquer. Faire marche arrière les ferait sans aucun doute tomber dans une embuscade mortelle. Elles devaient avancer, coûte que coûte.
Au bout d'un moment, la Capitaine poussa un long branchage qui leur obstruait la vue, dévoilant une énorme plaque faite d'un métal que ni elle ni Mei ne reconnaissait.
Comme hypnotisée par ce métal inconnu, Tiana s'approcha de l'artefact et posa sa main dessus. Bizarrement, sa surface était chaude et semblait vibrer faiblement, à intervalles réguliers. De forme pentagonale, l'artefact était assez grand pour qu'elle puisse se cacher derrière.
— Mei... Pose ta main... C'est...-
— -... bizarre, compléta l'Azrienne en écoutant sa Capitaine. J'ai vraiment un mauvais pressentiment concernant cet endroit.
Tiana se détourna de l'étrange objet et aperçut alors une autre plaque faisant face à la première à quelques mètres de là. Au-delà, elles en vit d'autres, partiellement détruites. Pas de doute, elles se trouvaient dans un champ de ruines.
Le regard de Mei fut attiré par autre chose, elle avança alors dans la direction qui l'intrigait et se retrouva rapidement en bordure de la jungle. Une vaste clairière s'étendait alors avec en son centre l'immense tour, faite du même métal que les artefacts précédents. Si son premier réflexe avait été de lever la tête, elle fut prise brutalement d'un vertige saisissant, si puissant qu'elle dut baisser les yeux. Quelle hauteur ! De loin, le Monolithe lui avait semblé si petit.
De son sommet s'échappait un faisceau lumineux qui disparaissait au sein des nuages. Un faisceau dont l'intensité semblait pulser au même rythme que les vibrations. Elle trouvait cela à la fois fascinant et... effrayant. Soudain, tandis qu'ils étaient poussés par le vent, les nuages s'écartèrent de la tour, laissant apparaître une structure.
— Boss ! s'exclama-t-elle, ayant du mal à déglutir. Je crois que tu devrais venir voir ça...
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