CHAPITRE 11 : Atterrissage forcé
Aider sa soeur ? Le timonier avait du mal à comprendre en quoi il pourrait lui être d'une quelconque assistance. À elle qui avait pourtant des capacités bien supérieures aux siennes. Elle qui était plus compétente que tous les membres de l'équipage du vaisseau encore conscients pour trouver une solution à leur situation critique.
— Qu'est-ce qui se passe, frangine ? demanda-t-il en arrivant dans le couloir qui menait vers la passerelle.
Puis, apercevant à travers la verrière du cockpit l'extrémité du vortex, sachant pertinemment qu'il serait entendu par l'esprit désincarné de sa soeur, il s'écria :
— Non, c'est bon. Laisse tomber. J'ai compris.
Sans attendre, il s'installa en trombe à son poste et nota que de nombreux voyants alarmants clignotaient. Il afficha l'hologramme des systèmes principaux du vaisseau devant ses yeux, et notamment ceux des boucliers qui brillaient d'un rouge aussi éclatant qu'affolant : ils avaient totalement cédé. Résigné, Tooms était certain qu'ils allaient y passer. Aussi, il se permit une remarque aussi sarcastique que fataliste :
— Bon... beh... Adieu frangine...
Ayant compris le sous-entendu ô combien funeste, et bien qu'elle fût alarmée par leur situation actuelle, Sarina n'hésita pas un instant avant de hausser le ton :
— Ash Tooms ! Tu as bien de la chance que je ne sois pas dans mon corps en ce moment ! s'exclama-t-elle. Te laisser abattre comme ça est indigne de toi !
Surpris par une réaction si tranchante, le pilote ne sut que dire. Aussi, elle poursuivit :
— Même si je ne détecte plus la frégate, je ne localise pas non plus le moindre débris. Elle n'a pas explosé et ça ne nous arrivera pas non plus !
Quelque peu revigoré par l'optimisme de sa soeur, Tooms se redressa sur son fauteuil. Si elle était certaine qu'ils avaient une petite chance de s'en sortir, il devrait tout faire pour y arriver.
— On arrive à la fin de notre voyage dans ce trou de ver. Mais j'ignore où ça sera... C'est pour ça que j'ai besoin de toi, mon frère.
D'un geste machinal, Ash fit craquer les articulations de ses doigts, prêt à manoeuvrer le transporteur avec dextérité. Toutefois, la confiance de la Synthétique laissa vite place à une implacable et contagieuse panique quand un flash, similaire à celui qui s'était produit avant que le Charon ne soit happé par le vortex, illumina le cockpit du vaisseau. Pour laisser place à une vue imprenable sur une planète à la surface bleutée qui grossissait à vue d'oeil :
— Ash ! Je ne contrôle plus rien !
— Comment ça "plus rien" ?
— Les moteurs... Les senseurs... Ça ne répond plus !
Laissant échapper un juron, il tenta vainement de redémarrer quelques systèmes basiques, mais rien, pas même l'affichage de ses écrans de contrôle, ne semblait vouloir fonctionner. Quand, menaçant, un nuage d'astéroïdes de toutes tailles se dévoila devant lui. Certains minuscules, facilement déviés par les boucliers, aussi peu puissants fussent-ils. D'autres beaucoup plus imposants que le Charon lui-même. Comme celui qui se dressait sur la trajectoire du cargo.
— Oh, put...-
Son juron se perdit tandis qu'un autre bloc rocheux les percutait sur le côté, déviant quelques peu leur trajectoire. Mais pas assez pour leur permettre d'éviter l'immense astéroïde. D'un mouvement rapide, il pressa le bouton de l'intercom afin de prévenir ses amis du choc prochain, avant de remarquer que Mei était là, debout derrière lui. La jeune Azrienne s'était certainement dit qu'elle pourrait aider, sans se rendre compte du grave danger dans lequel elle allait se mettre.
— Sarina ! lança le pilote en se précipitant sur l'ingénieure. Mets toute la puissance sur le bouclier avant !
À l'instant où Tooms arrivait à la hauteur de Mei, l'inéluctable collision se fit sentir. Les deux amis furent projetés vers l'avant de la passerelle, s'écrasant contre la verrière transparente. Sous la puissance du choc, elle se craquela sans pour autant céder. Les deux amis, quant à eux, eurent autant la respiration coupée que des difficultés à se relever. Maugréant, le timonier s'appuya contre le mur et, apercevant les fissures sur la vitre, ne put retenir un profond soupir :
— Eh beh... C'est pas passé loin... Sarina ? Les boucliers ont tenu bon j'imagine ?
— En effet. Toutefois, je crains qu'ils ne soient pas aussi puissants pour résister à notre entrée dans l'atmosphère ainsi qu'à notre atterrissage forcé.
Dans l'esprit du pilote, une foule d'idées plus dingues les unes que les autres fusait. Soudain, l'une retint son attention :
— Soeurette ! Dis-moi que tu as récupéré un minimum de contrôle...
— Les propulseurs sont opérationnels oui, mais je ne pourrai pas ralentir notre chute... Je détecte un fort puits gravitationnel.
— C'est pas ce qui m'importe ! Fais-nous faire un tonneau et baisse le nez, que le bouclier dorsal prenne quelques chocs. Il faut à tout prix que le ventre du vaisseau soit protégé au maximum. Mei, quant à toi, retourne dans la salle des machines, je vais avoir besoin de toi là-bas.
Comprenant tout à fait où voulait en venir son frère, Sarina exécuta ses ordres sans attendre, tout comme Mei. Malheureusement, les amortisseurs inertiels ne purent compenser le mouvement rapide du vaisseau et Tooms, ainsi que la plupart des autres membres de l'équipage à bord du vaisseau, durent s'accrocher à quelque chose afin de ne pas être totalement baladés à travers les salles dans lesquelles ils se trouvaient. Seule Mei n'eut pas l'air particulièrement dérangée par ce changement de gravité, passant d'un mur à l'autre aussi vite qu'elle le pouvait pour foncer droit vers son antre.
Une accalmie bienvenue se fit sentir, sans pour autant que Sarina ou Tooms n'eurent oublié leur inexorable chute vers ce monde inconnu.
Bientôt, le contact avec l'atmosphère de la planète se fit sentir. Le cargo se mit à trembler et la coque devient bientôt brûlante. Sarina, toujours aux commandes, fit de nouveau pivoter le Charon pour entamer la phase finale de cette chute libre vers la surface de l'astre.
— Les boucliers ont été réduits au minimum de leur puissance par notre entrée dans l'atmosphère de la planète, déclara-t-elle, toujours aussi anxieuse. Si jamais on s'écrase, il va falloir le faire le plus doucement possible. Et pour cela, mon cher frère, je n'ai pas ton expérience...
En entendant les dires de sa soeur, le pilote ne put réprimer un sourire tandis qu'un sarcasme sortait de sa bouche :
— Dis tout de suite que je pilote mal, hein ?
Mais il n'eut aucune réponse, Sarina ayant déjà regagné son enveloppe physique et se réveillant dans les quartiers qu'elle partageait avec Daniels. Le pilote ordonna ensuite à Mei de se préparer à lui donner le maximum de puissance dans les fusées latérales, qui, il le savait pertinemment, ne l'aiderait pas à contrôler totalement sa chute libre. À travers la verrière fissurée, il découvrit la surface de la planète qui se dévoila à travers l'épaisse couche de nuages : la canopée d'une dense forêt qui se rapprochait dangereusement. Anxieux comme jamais il ne l'avait été, il pressa à nouveau le bouton de l'intercom :
— Mei, dis-moi que tu peux me donner quelque chose.
La voix fluette de la jeune Azrienne lui parvint tandis que derrière le pilote arrivaient Sarina et Daniels :
— On a presque rien dans les moteurs mais j'essaie de t'envoyer tout ce que je peux, déclara la mécanicienne.
— Tout ce que tu as, ça sera peut-être pas assez... maugréa-t-il tandis que sa soeur s'installait près de lui.
Celle-ci lui lança un regard désapprobateur :
— Quoi ? demanda le pilote en le remarquant.
— Tu ne devrais pas être aussi dur avec elle. À son âge, être capable de faire autant de choses, ça tient du miracle.
"Décidément, ma soeur a le chic pour parler de sujets pareils au meilleur des moments..." pensa Tooms. "À croire qu'elle sait pas ce qu'on risque si je reste pas concentré."
— Je sais bien, râla-t-il. Mais si tu avais navigué aussi longtemps que moi sous les ordres de Tiana, tu saurais son premier précepte...
— "Le maximum d'une personne n'est jamais atteint. Il faut toujours pousser plus fort et plus loin pour s'en rapprocher.", le coupa Sarina.
Surpris que la Synthétique soit au fait d'un tel adage, le timonier souleva un sourcil interrogateur avant de revenir à des tâches plus importantes : le crash de l'appareil.
— Comme tu sembles au courant de ça, on va essayer de se préoccuper de notre atterrissage en catastrophe. Daniels...
— Je vais aider le Doc. Il va avoir besoin de moi.
Le pilote hocha la tête tandis que, dans un crissement tout à fait dérangeant, les branches les plus hautes des arbres qui composaient la forêt frôlaient la coque du vaisseau : peu à peu, le Charon se rapprochait du sol, irrépressiblement attiré vers la surface de la planète.
Quelques instants plus tard, le pilote activa les fusées latérales les plus proches de l'avant du vaisseau, essayant de relever un peu le nez de l'appareil, sans parvenir à éviter les arbres qui déstabilisèrent la course du cargo qui fit un tour complet sur lui-même avant de glisser brutalement sur le sol, creusant un long sillon derrière lui.
À bord, sous les lumières qui commençaient à faiblir, les passagers du cargo priaient pour qu'il ne leur arrive rien. Les murs tremblaient, de même que tout ce qui était fixé au sol, faisant ainsi voler dans tous les sens ce qui ne l'était pas. Notamment dans le mess, où toute la vaisselle était projetée dans les airs et se cassait sur le sol métallique de la pièce. Ou encore dans la serre hydroponique, où les jardinières pleines de terre jonchaient à présent les dalles de la pièce. Les deux seules salles qui se trouvaient à peu près en ordre étaient celles gérées par Alistair et Mei : l'infirmerie, car le médecin était un maniaque qui avait rangé l'intégralité de ses instruments chirurgicaux en prévision de l'atterrissage forcé du cargo ; la salle des machines, quant à elle, était constamment agrémentée de nombreux meubles métalliques permettant à la jeune Azrienne de ne rien laisser traîner au sol.
Pendant de très longs et intenses moments, les parois du cargo vibrèrent encore. Si certains parmi l'équipage en revenaient à la prière afin que les dégâts ne soient pas trop importants, d'autres tels que Tiana et Aiden étaient encore inconscients. Heureusement pour eux, avant cet atterrissage forcé, Gun avait pensé à les attacher à l'aide de sangles, les maintenant ainsi solidement agrippés à leurs lits. Des moments comme ça, il en avait vécu de pires pendant la Guerre et savait comment réagir.
Tandis que le vaisseau finissait sa course chaotique, Tooms ne put s'empêcher d'empoigner la main de sa soeur. Le timonier était si terrifié par ce qu'il voyait que son visage en était déformé et cela était totalement compréhensible : devant le cargo se dressait un immense précipice.
— Là, si on bascule, on est mal... pensa tout haut le timonier qui serrait si fort la main de Sarina que si cette dernière n'avait pas été une Synthétique, il aurait pu la lui briser.
Encore tremblant, le pilote se précipita alors vers le bouton de l'intercom avant de remarquer le changement de position du centre de gravité de l'appareil : à la moindre petite modification de la répartition du poids dans l'une des pièces du vaisseau, celui-ci menaçait de tomber dans l'abîme qui se trouvait juste devant lui. Toujours aussi peu rassuré, Ash appela la seule qui pouvait peut-être les sortir de ce mauvais pas, celle qui provoquait au sein du vaisseau de véritables miracles : Mei.
— Gamine ! Dis-moi qu'on a encore de quoi faire fonctionner les fusées latérales, juste pour nous sortir du mauvais pas où je nous ai mis !
— Possible... Je vais voir... répondit simplement la jeune alien, non consciente de l'urgence de la situation, dont la voix grésilla, signe que la radio, comme beaucoup d'autres choses dans le vaisseau avait subi le contrecoup de son atterrissage forcé.
Tooms, pour sa part, était assez content de voir que l'ingénieure était toujours en vie et en pleine possession de ses moyens. Tandis qu'elle s'était éloignée, de longues plaintes grinçantes, provenant des tréfonds du vaisseau, indiquèrent au pilote que l'équipage commençait à bouger. Tenaillé par la peur, il ne put retenir un cri d'angoisse lorsqu'il aperçut Jack apparaître au loin, dans le mess :
— Bordel ! Arrêtez tous de bouger ou on va finir par basculer dans le vide ! hurla-t-il à travers le micro de l'intercom.
Soudain, la petite voix de Mei lui répondit, porteuse de bonnes nouvelles :
— Les propulseurs latéraux vont pouvoir fonctionner assez longtemps pour que tu nous stabilises sur la terre ferme, si c'est bien ça que tu veux faire.
Le pilote tourna alors la tête vers Sarina qui s'installa à la console que son frère occupait auparavant. La jeune femme enclencha alors les fusées latérales et le vaisseau commença à s'élever légèrement, remontant doucement son nez vers l'horizon. La Synthétique augmenta alors la puissance allouée aux moteurs et commença à virer de bord, permettant à l'appareil de se mettre en situation de sécurité relative. Tout à coup, les moteurs se coupèrent brutalement, laissant à la gravité le soin de faire son travail, écrasant à nouveau le lourd cargo métallique sur le sol rocailleux de la planète.
Sitôt le vaisseau de nouveau effondré sur la terre ferme, Ash s'élança droit vers l'arrière du vaisseau. Il passa rapidement l'imposante masse de Daniels, toujours sous le choc de la déclaration du pilote, était resté immobile dans le mess, n'osant pas faire le moindre mouvement. Le timonier bifurqua et prit le couloir de gauche, pour se diriger vers l'infirmerie où, sans surprise, il trouva Mei, au chevet de son compagnon. Aiden était éveillé, souriant et hors de danger. Mais surtout, il était sanglé à son lit. Il en était de même pour Tiana qui, de son côté, était sous respirateur.
Bien que le pronostic du médecin était engageant, les voies pulmonaires de la Capitaine avaient été quelque peu endommagées par la tempête de sable sur la planète de sa compagne. Cette dernière était à son chevet et semblait totalement perturbée.
Soudain, Mei se leva pour rejoindre Tooms et le gifla avec force, choquant toutes les personnes présentes dans la pièce :
— Ça, c'est pour le Charon !
Puis, elle déposa ensuite un baiser sur la joue du pilote :
— Et ça, c'est pour Aiden et moi. Merci de nous avoir sauvés, là-bas.
— De rien, gamine... répondit-il encore choqué par la claque qu'il avait reçue.
Le timonier se tourna ensuite vers la Capitaine qui semblait ne pas vraiment comprendre ce qui s'était passé. Aussi, inquiet de la réaction de Tiana, Tooms recula d'un pas avant de déclarer :
— J'espère que tu m'en voudras pas autant que la petite, mais j'ai crashé le Charon.
— Ça dépend où on est, déclara-t-elle d'une voix rauque. On s'est écrasé sur un territoire de l'Alliance ou dans la Bordure ?
— Euh...
Le pilote se tortilla légèrement sur place, signe qu'il n'en avait aucune idée. C'est alors qu'apparut Sarina, Daniels sur les talons. La jeune Synthétique avait apparemment fait les recherches nécessaires pour répondre à l'interrogation de Fry :
— Je crois que nous ne sommes dans aucun des deux cas, Capitaine.
— Comment ça ? demanda Tiana en haussant un sourcil.
— D'après mes calculs, nous sommes dans les Régions Inconnues...
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