CHAPITRE 1 : Reste où tu es, Soldat !
Orion Prime. L'un des bastions agricoles de l'Alliance où la vie se faisait rude et implacable. C'était là que la Capitaine Tiana Fry était attablée avec ses trois amis, Ash Tooms, Jack Daniels et Alistair Gun, dans les recoins sombres du Skar'ra. Un bar, à la réputation aussi louche que son éclairage. Une réputation qui n'était dû qu'à la qualité de ses clients qui allaient de simples vagabonds aux brutes les plus détestables du secteur. D'anciens criminels qui n'avaient retrouvé leur liberté que par leur engagement forcé pendant la Guerre au sein des forces militaires de l'Alliance. Un endroit des plus mal famés où l'ancien Sergent Fry revenait tous les ans, tel un rituel, pour lever son verre en mémoire de la débâcle de ses frères et soeurs indépendantistes, survenue trois ans plus tôt. Et comme à chaque visite, elle se préparait à briser des mâchoires. En effet, chaque année c'était la même chose.
Le propriétaire du Skar'ra, Mac, un vétéran usé par les combats, les avait vus entrer avec une certaine résignation. Ancien indépendantiste lui-même, il n'avait pas eu le courage de leur refuser l'entrée, malgré la clientèle alliée qui constituait la majorité de ses revenus. Sa loyauté réelle, il la dissimulait avec soin, un secret bien gardé dans cette région où les haines anciennes couvaient encore sous la surface.
Entourés par les trophées de chasses accrochés au mur, les quatre amis s'étaient installés à leur table habituelle, échangeant souvenirs et éclats de rire. Mais tandis que la journée avançait toujours un peu plus, les esprits avaient commencé à s'échauffer et sous l'effet des boissons, les rires s'étaient transformés en éclats de voix, les histoires devenant de plus en plus grandioses.
— Tu te souviens, Boss, s'exclama Tooms. La charge qu'on avait mené sur Tillus 4 ! Ça, c'était une sacrée bataille, quand même !
— Un peu ouais... répondit Fry, un franc sourire sur les lèvres en se remémorant leur combat d'alors. Ils pensaient qu'on s'était tirés loin de là... Dommage pour eux.
— Vous pourriez m'expliquer ? demanda Alistair Gun en sirotant sa boisson. N'ayant pas été là, j'ai un peu de mal à comprendre...-
La fin de sa question se perdit dans un cri à l'autre bout du bar. Un pilier de comptoir, barbu et crasseux, vêtu d'un habit d'ouvrier agricole, s'était mis à éructer à qui voulait bien l'entendre, et surtout à ceux qui ne le souhaitaient pas. L'alcool avait délié sa langue, et il clamait haut et fort sa fierté d'avoir servi l'Alliance durant toutes ces années.
— Je vous le dis, moi ! On les a traînés dans la boue, ces salauds. Et vous auriez dû les voir : de vraies mauviettes qui ont lâchement déposé les armes devant nous...
Instantanément, ses paroles enflammèrent l'air déjà chargé de tensions. Les regards se tournaient vers lui, certains réprobateurs, mais la majorité d'entre eux approbateurs. Sentant la rage monter en elle, Tiana serra les poings sous la table. Elle connaissait ce type de discours, l'ayant entendu une bonne centaine de fois. La défaite de ses camarades était une blessure encore bien vive dans son esprit. Une douleur que l'alcool ne parviendrait jamais à anesthésier.
Les yeux de Fry, sombres et perçants, croisèrent ceux de ses compagnons. Tooms, avec un léger rictus, semblait prêt à en découdre. Jack Daniels, lui, avait déjà posé la main sur la crosse de son arme. Quant au Docteur Gun, son expression s'était figée tandis qu'il demeurait vigilant au moindre débordement, surveillant les mouvements de chacune des personnes présentes dans la pièce.
Tandis que le pilier de bar continuait son laïus, la rixe tant attendue menaçait de plus en plus d'éclater. Le moindre faux pas et la tension déjà orageuse allait devenir explosive. Pourtant, Fry l'acceptait. C'était une catharsis nécessaire afin d'honorer la mémoire de ses camarades tombés au combat. À mesure que les minutes se succédaient, les doigts du timonier commencèrent à se crisper autour de son verre. Les phalanges devinrent blanchâtres. Si bien que Fry craignit que le godet déjà de mauvaise qualité se brise. Aussi, elle tenta de le calmer alors que le visage du pilote commençait à virer cramoisi.
— Ash. Calme toi ! souffla-t-elle. Ou tu vas juste te retrouver avec un verre explosé dans la main.
— Dommage que ce soit pas sa tête que j'aie entre elles, grogna-t-il.
Réfrénant un sourire en entendant la remarque de son second, Tiana posa une main sur celle crispée de Tooms. Bien qu'elle n'ait aucune envie de provoquer l'esclandre inévitable, elle comprenait la rage bouillonnante qui animait son pilote. D'autant plus qu'elle la partageait. Les chefs indépendantistes seuls avaient capitulé. Pas les soldats comme Fry et Tooms. Elle n'était d'ailleurs pas la seule à comprendre l'ampleur de cette humiliation. Alistair Gun, le médecin de bord, avait lui aussi combattu, mais dans l'autre camp. Aujourd'hui, il essayait d'expier ses fautes passées en servant à bord du Charon, un vaisseau où les vieux ennemis arrivaient à coexister.
— Écoutez, mon cher. Bien que faisant preuve d'un langage peu élaboré, cet homme, aussi ivre soit-il, a le droit de penser ce qu'il veut. Après tout, il est complètement imbibé, alors soyons plus malins que lui et laissons-le se ridiculiser tout seul, tempéra-t-il.
— Bien dit ! approuva Fry en se levant. Allez, je vais nous chercher à boire ; je pense qu'on va en avoir sacrément besoin...
Voyant sa supérieure s'en aller, Ash essaya de s'interposer :
— Mais, Boss, tu vas pas me dire que tu approuves ça !
— Si par "ça", tu entends "ce que vient de dire le Doc", en fait si, je suis totalement d'accord ! trancha Fry. Maintenant, reste où tu es, Soldat Tooms ! C'est un ordre !
Traversant la pièce, slalomant entre les différentes tables, la Capitaine se dirigea vers le bar avec une démarche aussi prudente qu'assurée. Elle commanda quatre bières, prenant soin d'en inclure une sans alcool pour Daniels. Depuis qu'il entretenait une relation sérieuse avec Sarina Rem, la demi-soeur de Tooms, l'artilleur du Charon avait renoncé à toute forme de boisson alcoolisée, défiant ainsi son propre surnom. Tiana n'avait d'ailleurs pas manqué de féliciter la Synthétique pour avoir été à l'origine d'un tel changement ô combien bénéfique.
Toutefois, en s'approchant du bar, Fry ne pouvait éviter de passer à proximité de l'ancien militaire de l'Alliance. Malgré son état d'ébriété fort avancé, le poivrot remarqua quelque chose qui le fit réagir violemment. Quelque chose que la Capitaine n'avait même pas essayé de cacher : l'écusson qui ornait fièrement son manteau brun. Celui des Indépendantistes.
Se levant brusquement de son tabouret, l'homme déplia son immense carcasse musclée devant Tiana qui, en comparaison, paraissait bien frêle. La toisant de haut en bas, son regard était empli de mépris :
— Alors ? On vient pour oublier ou pour fêter ?
L'ancien Sergent, qui avait initialement ignoré son intervention, se tourna lentement vers lui, son expression passant de l'indifférence à une froide détermination.
— Pardon ? répliqua-t-elle, ses yeux rencontrant ceux de l'homme avec une intensité glaciale.
— Tu viens pour oublier qu'on t'a battue ou juste pour fêter qu'on vous ait pas tués, toi et toute ta famille ? ajouta-t-il avec un sourire narquois.
Le barman, Mac, qui avait suivi la scène avec une anxiété croissante, changea d'expression, passant de la colère à l'effroi. Il savait très bien comment cela se finissait lorsque Fry était poussée dans ses retranchements et il craignait pour son établissement. Aussi, il s'approcha de la Capitaine, murmurant, presque suppliant :
— Tiana, s'il vous plaît. Pas encore...
Elle lui adressa un regard apaisant avant de reporter son attention sur l'ancien militaire.
— Allons, Mac. Prenez pas cet air catastrophé. Votre client m'a simplement posé une question, répondit-elle, avec un calme déconcertant. Mais je suis pas assez idiote pour entrer dans son jeu.
Elle tourna les talons, prenant les bières qu'on venait de lui servir, et revint vers sa table. Derrière elle, l'homme, frustré de ne pas avoir obtenu la réaction tant espérée, n'hésita pas un instant de plus avant de lui cracher dessus.
— Saletés d'Indépendantistes... marmonna-t-il, venimeux, en se détournant vers le bar avec un air de triomphe, sous les rires gras de ses compagnons d'ivresse.
Les éclats de rire et les murmures moqueurs qui suivirent firent grimper la tension dans l'atmosphère enfumée du Skar'ra. L'ivrogne, se sentant invincible, regagna sa place, savourant sa prétendue victoire. Mais, à peine eut-il retrouvé son tabouret qu'il sentit une main ferme se poser sur son épaule.
Se retournant brusquement, prêt à invectiver l'auteur de cette interruption, il fut accueilli par le regard glacial de Tiana Fry. Avant qu'il n'ait pu dire le moindre mot, le poing de la Capitaine fendit l'air et s'écrasa violemment contre sa mâchoire. Le coup était si puissant qu'il envoya l'homme au sol, sa chute résonnant dans tout le bar. Les rires cessèrent instantanément, remplacés par un silence lourd de stupeur.
— Voilà pourquoi je suis venue, ducon ! Et je t'interdis d'insulter ma famille ! s'écria la Capitaine, sa voix tremblant de colère – une colère qu'elle laissait à présent s'écouler comme un véritable raz-de-marée.
Elle appuya le talon de sa botte sur le visage de l'ivrogne, marquant chaque mot avec une froide détermination. Du sang gicla, se mêlant à la poussière du sol, et un craquement écoeurant d'os broyés résonna dans l'air.
Le nez brisé, l'ivrogne ne pouvait que gémir de douleur en tentant de se recroqueviller sur lui-même. Mais la Capitaine ne bougeait pas, fixant tour à tour les témoins silencieux de la scène.
Malheureusement pour elle, le militaire qu'elle venait de mettre K.O. n'était pas venu seul. En effet, une dizaine de personnes se levèrent lentement devant elle, comme une marée montante de silhouettes rustres et sales. Le grincement sinistre des chaises de bois accompagna leur mouvement, ajoutant une note menaçante à la scène. Les hommes, pour la plupart robustes et mal entretenus, la fixaient, une lueur hostile dans leurs yeux. Il devaient s'imaginer que cette démonstration de force suffirait à l'intimider. Mais Tiana Fry en avait vu d'autres.
— Tu vas nous le payer, sale garce ! beugla l'un d'eux, plus maigrelet que les autres, probablement désireux de prouver sa bravoure à ses compagnons.
Sans hésiter, il s'élança vers l'ancien Sergent, le point prêt à frapper. Mais, Tiana, avec l'efficacité de la militaire aguerrie qu'elle était, esquiva son coup et le mit au tapis en une fraction de secondes. Un sourire satisfait s'étira sur ses lèvres. Ce n'était pas une bande de petites frappes comme celle-ci qui allait l'effrayer. Alors qu'elle savourait cette première victoire, elle perçut un mouvement derrière elle.
S'ils étaient bien plus nombreux qu'elle, la Capitaine du Charon n'était pas seule. Solidaires et déterminés, ses amis se dressaient à ses côtés, prêts à encaisser les coups autant qu'à les donner. Ash Tooms, Jack Daniels et Alistair Gun s'avançaient déjà, formant un rempart de soutien et de force autour d'elle.
— Vous n'avez que ça à nous donner ? Franchement, l'Alliance fait vraiment pâle figure ! s'exclama le médecin, sa voix chargée de défi.
Il n'en fallut pas plus pour que la situation dégénère. Les insultes volèrent. Les poings se serrèrent. La tension palpable éclata en une mêlée furieuse. Le bar se transforma rapidement en un champ de bataille chaotique.
Un champ de bataille similaire à celui qui avait vu la fin de la Guerre et la reddition des "huiles" indépendantistes, trois ans auparavant.
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