Les ouragans funestes
Au crépuscule, une pluie battante se déferle sur la ville de bronze et sonne le glas dans ses ruelles. Un cadavre gît lascivement adossé au mur, le crâne méticuleusement décapsulé, encerclé par trois figures lugubres vêtues de long imperméable indigo encapuchonné aux bordures aurore.
"Un meurtre de plus..." expire avec désespoir, sous sa barbe, le plus âgé des trois "Agent Tisiphoné?"
Une figure quitte le chevet de la victime, se redresse et adresse d'un ton formel
"Capitaine Alekto ..."
Son visage est exténué. Pris de spasmes, elle garde la tête haute avec une flamme incandescente dans son regard, unique digue face au sanglot.
"Le mode opératoire coïncide avec notre cible. Aucune signature d'armes identifiables, aucune trace génétique de l'agresseur et les bras ensanglantés de la victime témoignent d'une lutte... brutale.", finit-elle en désignant du regard les bras lacérés de la victime, couronnés d'une paire de mains de bronze sur lesquelles on distingue en relief des gravures de ronces et de roses.
A droite du capitaine, la dernière figure ôte sa capuche, frémissante de culpabilité, le regard perdu dans les limbes, la nuque plaidant la délivrance, le visage écorché par l'anxiété, laisse échapper un gémissement à travers le ruissellement de la pluie.
"C'est ma faute... Tout est de ma faute... J'étais là..."
"Reprends-toi, Mégaira, gardes ton sang-froid!", hurle le Capitaine en lui saisissant l'épaule gauche d'où s'échappe le tintement d'un son métallique.
"C'est impossible, j'étais dans cette rue, j'ai dû voir quelque chose, sentir ou entendu quelque chose. Découpez moi, arrachez mes implants un par un. Je ne supporte plus d'être accusé!"
Agent Tisiphoné, bras tendus le long du corps, poings fermés, se place face aux deux autres et joue du regard jusqu'à à établir un accord secret, avant de chuchoter froidement.
"J'ai peut être une solution, un plan. Mais cela doit restez entre nous."
*
A l'aube du crépuscule, le réveil sonne au chevet de Mégaira. Il passe rapidement sur son corps charnel, en évitant soigneusement le pourtour des implants, une lotion nettoyante qui s'échappe aussitôt en une fine brume teintée par les feus rouges des voitures volantes hurlantes à proximité de la baie vitrée de sa chambre. Ses jonctions métalliques reçoivent des perles d'huiles pulvérisées méticuleusement à petits coûts. D'un signe de la main droite, le placard face au lit s'ouvre et dévoile son bras gauche métallique accroché dans le plus bel esthétique. En l'emboîtant sur son épaule il laisse s'échapper un petit cri de satisfaction.
Avant de partir, il constate le clapotis de la pluie sur la vitre, et arrache in extremis son imperméable.
Connexion au réseau de communication de la Police, dicte d'une voix robotique l'implant de communication neuronale de Mégaira.
"Capitaine! ... Capitaine ?", en l'absence de réponse, il dépose un message vocal.
"Capitaine, je vais patrouiller sur le circuit T-63 définis par nos systèmes de prédictions de crimes. Aujourd'hui... Aujourd'hui on l'aura!"
Pendant plusieurs heures, d'un pas confiant, errant dans les ruelles, un prédateur à la recherche de sa proie, ses sens aiguisés épluchent chaque détail environnant.
Il croise quelques passants, les contrôlent, mais aucun d'eux ne semblent suspicieux.
Virage à gauche, montée, demi tour, virage à gauche, descente, descente... chaque pas l'enfonce un peu plus dans les profondeurs de la ville.
Soudain, il ressent une présence, un regard constant envers lui, mais lorsqu'il se retourne brusquement, rien, juste une rue lavée par la pluie, vide.
"Capitaine! Capitaine ?.... J'ai finis le circuit, rien à signaler. A demain pour le circuit E-30."
*
A l'aube du crépuscule, le réveil sonne au chevet de Mégaira. Il finit sa routine matinale, prend son imperméable et sort d'un pas confiant.
"Capitaine, je vais suivre le circuit T- 63 comme prévu par nos système de prédictions. Aujourd'hui on l'aura!"
Les heures passent, le bruit des pas étouffé par les trombes d'eau ricochant sur les murs au fur et à mesure qu'il s'enfonce à nouveau dans les profondeurs de la ville. Mais cette fois-ci, quelque chose le titille, un passant, singulier et fantomatique, semble revenir du bord de l'oeil à chaque croisement de rues avant de s'évaporer.
"Capitaine! J'ai finis le circuit. Rien à signaler... enfin si. J'ai l'impression que l'on me suit, mais je n'ai pas pu récupérer un visuel. Je suggère que l'on envoie un autre agent en renfort pour surveiller mes arrières"
*
A l'aube du crépuscule, le réveil sonne au chevet de Mégaira. Propre, il enfile l'imperméable et sort d'un pas anxieux.
"Capitaine, je continue le circuit T-63"
Dévalant les rues, éclaboussant la pluie, Mégaira semble être à la recherche d'un fantôme. Une sensation glaçante lui prend à la gorge, le sentiment d'avoir oublier l'essentiel. La silhouette d'un imperméable s'éclipse au loin. Son coeur saute un battement, un coup de feu qui le lance dans un sprint frénétique.
Une poursuite sans relâche s'engage. Parfois devant, parfois derrière, le fantôme se déplace comme s'il possédait les murs de cette ville, la transformant en labyrinthe vivant. La pluie assourdissante efface toutes traces palpables, laissant Mégaira esclave de son instinct.
"Capitaine! J'ai besoin de renfort. Je suis actuellement à la poursuite d'un suspect. Capitaine ? Capitaine! Répondez! C'est le moment!"
Mais en vain, la communication reste silencieuse.
Au fin fond profondeurs de la ville, dans une ruelle aux lueurs familières, Mégaira rattrape de justesse sa proie. D'un bon animal, il s'agrippe à la manche de son imperméable et s'en suit une roulade des deux corps sur le trottoir de bronze. La lumière de la lune perce à travers la mascarade, projette les deux visages sur toutes les flaques d'eau, tel un reflet dans le miroir.
"Qui êtes vous? Non... c'est pas possible ? Pas moi... pas moi... Capitaine ! Capitaine !"
Un craquement se fait ressentir dans sa nuque, les yeux écarquillés, Mégaira se réveille allongé au beau milieu d'une minuscule salle. Le bourdonnement de la pluie est étouffé. Le plafond est souillé de vert-de-gris par les infiltrations d'une nuée de gouttes d'eau en suspension. Les réflexions de la lumière chaleureuse du lustre peignent un décor de nuit étoilée. Brusquement, un visage inconnu alerte se présente devant son nez, et dans un réflexe défensif il projette la misérable personne sur le miroir mural à sa gauche, traçant de nouvelles fissures. Effrayé par son mouvement il s'éjecte du brancard pour se placer dos au mur opposé.
"Agent Mégaira", hurle le Capitaine Alekto, "Calmez vous! Vous êtes en sécurité."
La pièce est vétuste, dotée d'un équipement médicale sommaire, semblable à une salle d'opération souterraine pour implants illégaux. Le Capitaine et Tisiphoné sont face à lui, aux deux extrémités de la pièce, la détresse dans leur regard. Derrière le brancard, une femme en blouse blanche est agenouillée, les mains pressant la tête de son collègue avec un film pour freiner l'écoulement du sang.
"Non, c'est pas moi... pas de ma faute..." recommence à gémir Mégaira, refusant la réalité.
Le capitaine regarde de manière énigmatique la femme en blouse banche qui finit de donner les premiers soins. Elle se relève défiante avant de s'exprimer sur la situation.
*
"Bonjour, Monsieur Mégaira, Je suis le docteur Maniai. Vous venir de sortir d'une expérience de souvenirs éveillés. On a, en quelque sorte, dupliqué votre conscience pour vous faire revivre les événements de la journée, en boucle, sur plusieurs perspectives. Mais il semble que vos consciences soient entrées en conflit, créant un dédoublement au moment du réveil. Surtout, gardez votre calme! Laissez votre cerveau faire son travail et restaurer votre conscience. Vous verrez plus clair dans quelques minutes."
"On a pas le temps! Qu'avez vous vu ? Qui est le meurtrier, son arme ?" crie Tisiphoné d'un ton agacé.
"Attendez agent Tisiphoné! Mégaira est aussi troublé que vous. Nul besoin de l'écraser sous la pression", vocifère Alekto.
"Capitaine..." répond avec méfiance Tisiphoné, en dégainant avec un calme glacial son arme.
"Non!", réitère le Capitaine, qui dégaine aussitôt la sienne en direction de Tisiphoné.
De peur, le docteur s'accroupit et protège le corps de son collègue.
"Mégaira, on a besoin de vous, la ville a besoin de vous. Le meurtrier...", demande Alekto avec toute le calme possible, en gardant du coin de l'oeil Tisiphoné.
"Le meurtrier?" dit-il sonné. Sa pupille s'agite dans tous les sens, son visage pâlit à la seconde. Ses souvenirs s'entre-choquent violemment, comme les pièces d'un puzzle reconstitué au coeur d'une tempête. Finalement, Il amène son arme au niveau de sa tempe, avant de prononcer ses derniers mots, tandis que son bras métallique essaye de l'en empêcher au dernier instant.
"Il n'a jamais existé"
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