(Partie 2)
L'après-midi fut peu productive : Iska écumait les forums de discussions en ligne et les sites web douteux pour essayer de comprendre ce qui lui arrivait. En quelques heures, elle eut tour à tour la conviction d'avoir un cancer du cerveau, d'avoir été enlevée par les extraterrestres durant son sommeil et enfin d'être victime d'un gigantesque complot impliquant les services secrets d'une douzaine de pays. Elle allait fermer cette dernière page quand un détail attira ses yeux : une publicité qui clignotait dans un coin de l'écran. « Ne manquez pas le lancement de la Chaîne 43 ! Ce soir à 17 heures ! Enfin toutes les réponses à portée de télécommande ! » Elle poussa un juron à demi-voix en maudissant son bloqueur de pubs qui avait laissé passer l'encart, puis se dit que cette Chaîne 43 disposait décidément d'un bon budget de communication : elle avait été assaillie depuis le début de la journée ! Elle qui n'avait pas le moindre récepteur TV chez elle et qui considérait la télévision en général comme un média mourant...
Elle quitta le bureau beaucoup plus tôt que d'habitude, incapable de se concentrer sur son travail. Il était à peine 16 heures lorsqu'elle éteignit son ordinateur. Au moment où l'écran devint noir, elle aurait pu jurer apercevoir des parasites et voir l'image se réduire à un point blanc au centre de l'écran, comme sur les vieux modèles cathodiques. Ce qui n'avait aucun sens sur un écran plat comme le sien.
Tout en essayant de se convaincre que c'était – encore ! – son imagination qui lui jouait des tours, elle franchit le seuil du bâtiment et se retrouva dans la rue illuminée par le soleil encore haut du mois de juillet. Elle se sentait perdue et doutait de sa propre santé mentale. Elle allait traverser la route lorsqu'un nouveau détail incohérent lui sauta au visage : le feu pour piéton n'avait pas les bonnes couleurs. Le personnage à l'arrêt était jaune au lieu d'être rouge. Et lorsque ce fut au tour des piétons de passer, le personnage normalement vert s'alluma d'un bleu éclatant !
Sentant l'angoisse monter en elle alors que la réalité toute entière s'effondrait, elle regarda avec désespoir autour d'elle : aucun passant n'avait remarqué l'étrange signal lumineux. Elle ne pouvait pas, en une seule journée, être devenue à la fois intolérante au café, au lait et au pesto... et daltonienne avec cela ! D'autant plus qu'aucune intolérance alimentaire et aucun daltonisme n'avait ce genre d'effet...
Et puis soudain, elle le vit. Gros comme le nez au milieu de la figure. Un panneau publicitaire lumineux et démesuré, incrusté dans la façade d'un immeuble un peu plus loin : « Vous avez des questions. Nous avons les réponses. Chaîne 43. Parce que les goûts changent. » Ça ne pouvait pas être une coïncidence. Ou plutôt, si : ça *aurait dû être* une coïncidence, un jour normal. Mais ce jour n'était pas normal, et Iska remarqua qu'elle n'avait jamais entendu parler de cette nouvelle chaîne avant le début de cette journée. Et voilà que les slogans se mettaient à parler de questions, de réponses et de goûts qui changent.
L'espoir était fou, mais Iska n'avait rien d'autre à quoi se raccrocher. Rien d'autre que l'idée que quelqu'un ou quelque chose tentait de communiquer avec elle par le biais de messages publicitaires. Dans un monde devenu fou, l'hypothèse était presque banale. Quand cette chaîne devait-elle être lancée ? Iska se souvenait vaguement l'avoir lu quelque part. Elle saisit son téléphone, rechercha le mot-clef « Chaîne 43 » et trouva immédiatement le site web officiel de l'entreprise, statique et pratiquement vide à l'exception d'une grande page d'accueil en forme de plaquette publicitaire. On y voyait un logo et des couples-clichés souriant façon « jeunes cadres dynamiques et ménagères de moins de 50 ans », exactement ce que l'on s'attendrait à trouver sur un site de ce genre. Pour une fois que la réalité semblait cohérente...
Iska lut : « Découvrez en exclusivité la nouvelle Chaîne 43. Soirée de lancement ce soir à 17 heures. Pass VIP sur invitation seulement. » Pass VIP sur invitation... Elle était certaine de... oui ! Elle accéda rapidement à son compte mail et chercha les courriels supprimés dans la corbeille. Il était là ! « Votre invitation à la grande soirée de lancement de la Chaîne 43. » Une soirée VIP avec des invitations envoyées par un vulgaire robot spammeur ? C'était pour le moins original...
Le courriel en question ne contenait pas d'information majeure, juste un numéro d'invitation et une adresse. C'était à l'autre bout de la ville et Iska se félicita d'avoir quitté son travail plus tôt. Elle prit immédiatement le métro, sans prendre le temps d'y réfléchir. Elle qui avait toujours eu une vie bien tranquille et sans surprise se voyait maintenant traverser la ville sur les instructions d'un spam dans l'espoir de comprendre une série d'hallucinations... quelle journée !
Elle arriva sur les lieux et ne trouva aucun immeuble moderne, aucune pancarte pompeuse pour indiquer la présence d'une chaîne de télé. Au numéro indiqué ne se trouvait qu'un bâtiment résidentiel d'un style plutôt daté. Il n'y avait personne, ni dans l'immeuble, ni dans la rue. Rien ne laissait présager qu'une « soirée VIP » pour le lancement d'une chaîne de télé était censée s'y dérouler.
La grande porte en fer forgé était verrouillée. En-dessous de l'interphone, un petit clavier numérique permettait de taper un code pour entrer. Iska jeta un œil à son numéro d'invitation : 49674. Elle le tapa et la porte se déverrouilla dans un cliquetis sonore. Elle entra dans l'immeuble. La cage d'escalier était sombre et exiguë. Iska s'y aventura lentement, cherchant du regard les noms affichés sur les sonnettes des portes qui défilaient sur sa droite, à mesure qu'elle parcourait les étages.
Enfin, au cinquième étage, elle lut sur une porte : « Chaîne 43 », écrit à la hâte sur un post-it. Iska pensa avec amusement que la chaîne devait avoir explosé le budget communication avec les publicités et qu'il ne restait plus un centime pour la décoration du siège de l'entreprise. Elle appuya sur la sonnette et le carillon retentit. Pas de réponse. Elle réessaya puis frappa doucement à la porte, sans succès. En se disant qu'il serait tout de même rageant d'avoir parcouru tout ce chemin pour rien, elle tourna la poignée : la porte n'était pas verrouillée et s'ouvrit dans un grincement.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro