SPIN-OFF - Chapitre 2
TAEHYUNG
Taehyung était parti, laissant derrière lui l'homme qui aurait pu être l'amour de sa vie, son âme sœur. Mais c'était trop tard. Il s'était déjà trop éloigné, presque éteint, comme une étoile qui s'efface peu à peu dans l'immensité du ciel. Il sentait que, s'il continuait ainsi, il ne perdrait pas seulement son chemin, mais son âme elle-même.
Toutes ces années à attendre, à l'attendre lui, entre amitié, amour, passions et désillusions....
Jungkook avait toujours été là, depuis son plus jeune âge, depuis ce jour alors qu'ils n'avaient que quatre et cinq ans et que le destin avait entrechoqué dans cette petite cour d'école. Il avait suffit d'un seul contact, d'un seul regard de ce petit être pour que sa vie soit à jamais bouleversée, mais à quel prix ?
Si il avait su, si on lui avait dit qu'il en serait là un jour, peut-être que... Non.
"Il n'y a pas de hasard. Il y a toujours une solution au bout du chemin, il suffit juste de prendre la bonne... Sans quoi, c'est toute ta vie qui en sera impactée", lui avait dit sa grand-mère avant de partir pour le grand voyage.
Alors il l'avait pris, cette solution qui lui avait semblé la plus sage...
Pour cette dernière nuit, il avait retrouvé Jungkook, aussi proches qu'étrangers, aussi complices que condamnés. La soirée avait été à la fois sublime et déchirante, un instant suspendu où les mots n'avaient plus eu leur place. Chaque regard, chaque geste avait porté un monde, une tendresse à la fois trop lourde et trop belle. Ils n'avaient rien dit, mais leurs mains qui s'étaient frôlées , leurs étreintes silencieuses avaient parlé d'amour et d'adieu.
La tristesse s'était infiltrée dans chaque souffle, chaque soupir.
Ils savaient tous deux, au fond de leurs cœurs fatigués, meurtris, usés, que cette nuit serait la dernière, que c'était la fin. Cette fois, il n'y aurait plus de retour.
Non, plus jamais.
Et à jamais, Taehyung emporterait avec lui le regard de Jungkook. Ce regard intense, fragile, où s'était mêlé amour, douleur et résignation, gravé en lui comme une brûlure douce et amère. Ce regard qui avait semblé murmurer tout ce qu'ils n'avaient jamais pu se dire, tout ce qu'ils avaient laissé en suspens. Il serait sa consolation et sa malédiction, un souvenir vivant qu'il porterait à jamais en silence, un poids tendre qui l'accompagnerait pour toujours, même au-delà de l'oubli.
Parce que c'était écrit...
Chaque nuit, depuis un an déjà, Taehyung revoyait ce regard. Ce même regard qui hantait ses rêves, le ramenant sans cesse au bord du gouffre. Chaque nuit, il croyait mourir un peu plus, dévasté par l'idée de ne plus jamais pouvoir le toucher, même pour un instant, de ne plus pouvoir sentir sa peau sous ses doigts, de ne plus goûter à cette chaleur qui lui semblait désormais irréelle.
Depuis un an, il n'avait touché personne. C'était au-delà de ses forces. Comment pourrait-il laisser un autre que Jungkook s'approcher de lui, franchir cette distance sacrée qu'ils avaient créée ensemble ? Comment pourrait-il poser les mains sur quelqu'un d'autre sans sentir la brûlure du souvenir, sans être assailli par l'absence implacable de Jungkook ?
Alors il vivait ainsi, suspendu entre deux mondes : celui des souvenirs qui le dévoraient et celui de la solitude qu'il s'était imposée, pour rester fidèle, pour ne pas trahir ce qu'ils avaient été.
Son travail était devenu sa drogue. Ce n'était plus Jungkook qui l'enivrait, qui brûlait dans ses veines comme autrefois. Non, seul le travail avait désormais de la valeur à ses yeux. Il s'y jetait à corps perdu, y trouvant une échappatoire, une façon d'étouffer ce vide insoutenable. Il travaillait jusqu'à l'épuisement, jusqu'à sentir ses pensées se dissoudre, comme si chaque tâche accomplie pouvait gommer un peu de cette douleur.
Le travail était devenu son refuge et sa punition, la seule chose qui lui permettait d'oublier, même si ce n'était que pour un instant. Parce que penser à lui, c'était ouvrir une plaie qui ne guérissait jamais, c'était risquer de le sentir encore, trop proche, trop loin.
Son travail le portait aux quatre coins du monde. Il défilait sous les lumières des plus grands créateurs, incarnant les visions les plus audacieuses des couturiers, posant pour des photographes de renom qui, chaque jour, capturaient cette beauté fulgurante qui hypnotisait le monde. Partout, dans chaque rue, sur de grandes affiches, dans les magazines, sur les grands écrans, son visage imposant et fascinant dominait les regards. Taehyung était devenu une icône, un mannequin vedette que les marques s'arrachaient et que le monde entier admirait avec avidité.
Il jouait de cette image avec une maîtrise troublante, transformant son visage en masque, son charme en armure. Ce masque parfait, ce sourire sculpté à la perfection, étaient sa forteresse, la barrière qu'il dressait entre lui et ses propres émotions. Aux yeux du monde, il brillait, il fascinait. Mais derrière cette image d'idole intouchable, le vide le rongeait encore, et chaque sourire figé sur les pages des magazines n'était qu'un leurre, un reflet qui dissimulait tout ce qui, en lui, s'effritait en silence.
Il ferma les yeux, cherchant à échapper au lieu glacé où il se trouvait, et aussitôt il sentit une douleur vive, semblable à une lame qui transperça son cœur. Il laissa ce sentiment l'envahir, le submerger, et, incapable de lutter plus longtemps, il rouvrit les yeux et se laissa glisser contre le marbre froid, épuisé.
— Tu me manques tellement, murmura-t-il d'une voix brisée. Comme tu me manques, Halmeoni. Je me sens si seul, tellement seul à l'intérieur...
L'émotion monta, fulgurante, emplissant son être, et il sentit ses yeux se brouiller de larmes. Il baissa la tête, s'abandonnant enfin à la peine qu'il retenait depuis trop longtemps.
— Si seulement tu étais là, chuchota-t-il, presque comme une prière. Toi, tu saurais quoi dire pour apaiser ce chaos en moi. Si tu savais comme je l'aime... Comme il me manque, lui aussi. Il est encore de ce monde, et pourtant... J'ai l'impression qu'il est à des années-lumière de moi.
Les mots résonnaient dans le silence, comme une confession, un appel lancé au vide, dans l'espoir que quelque chose, peut-être sa présence, peut-être un signe, le soulagerait enfin.
— Un an déjà... La douleur est toujours là, murmura-t-il, brisé. Parfois, je regrette d'être parti. Parfois, je me dis que j'aurais dû rester. Mais au fond, je sais que si j'étais resté, il m'aurait détruit.
Sa voix se brisa alors qu'il essuyait ses larmes d'un geste tremblant, comme pour se rappeler la promesse qu'il lui avait faite, cette promesse de ne jamais se perdre, de ne jamais abandonner ce qu'il était. Mais chaque jour sans elle, chaque jour sans lui, ajoutait un poids qu'il peinait à porter seul.
— C'est tellement dur, Halmeoni... J'ai besoin de toi, souffla-t-il, la voix tremblante, presque inaudible. J'ai besoin que tu me dises ce que je dois faire, que tu m'aides à retrouver ce chemin que je ne reconnais plus.
Le silence l'entoura lourd et oppressant, mais dans cet appel, il espérait, comme on espère un miracle, qu'un écho, un souvenir de ses mots, puisse lui donner la force de continuer.
— C'est mon anniversaire aujourd'hui, c'est le tiens aussi... murmura-t-il, presque pour lui-même. Je suis revenu en Corée une dernière fois, pour le fêter avec toi. J'avais besoin de sentir ta présence, une toute dernière fois. Parce qu'après ça, je ne fêterai plus jamais ce jour, parce que tu sais...
Sa voix se brisa alors qu'il inspirait profondément, luttant pour contenir la douleur qui montait. Ce jour, autrefois chargé de promesses et de souvenirs d'enfance, n'était plus qu'une blessure ouverte.
— Ce n'est plus une fête, reprit-il dans un souffle. C'est devenu le jour où il l'a épousée, le jour où elle a gagné...
Ses mots se perdirent dans le silence, et il ferma les yeux, tentant de retrouver la chaleur de sa grand-mère, celle qui avait toujours su le protéger de ses peines, de ses doutes. Mais en cet instant, il ne ressentit que le froid du marbre sous ses doigts et le poids d'un amour brisé, un amour qu'il ne parvenait ni à oublier ni à laisser derrière lui.
— Je vis en France maintenant, dit-il en essuyant ses larmes, un léger sourire triste aux lèvres. Ce pays que tu aimais tant... C'est devenu mon univers aujourd'hui.
Il inspira doucement, tentant de se rappeler les histoires que sa grand-mère lui racontait sur ce pays lointain, ces souvenirs d'un lieu qu'elle chérissait. La France était devenue pour lui un refuge, un endroit où il pouvait respirer loin du passé, loin des souvenirs trop brûlants. Pourtant, même là-bas, il se sentait souvent aussi seul qu'ici, perdu parmi les rues étrangères, où rien ne pouvait combler le vide qu'elle et lui avaient laissé.
— Tu aurais aimé me voir là-bas... Enfin heureux, murmura-t-il. Mais c'est si dur, même entouré de tout ce que tu aimais.
Il soupira, et laissa sa main glisser jusqu'à la poche de son manteau.
— J'ai gardé ces billets... Ceux que tu m'avais offerts pour partir avec lui là-bas, tu te souviens ? murmura-t-il, le regard perdu dans le passé. Quand je suis parti pour vivre en France, ils sont restés dans ma poche tout le long du voyage. Je ne pouvais pas les utiliser. C'étaient nos billets, notre rêve... Mais il ne viendra jamais avec moi là-bas. Jamais.
Il serra les billets contre lui, comme s'ils pouvaient ramener un peu de ce qui lui manquait, mais tout ce qu'il ressentit fut le poids des promesses brisées. Lentement, il se redressa et laissa son regard errer vers l'horizon, où la lumière faiblissait peu à peu. La nuit tombait, et avec elle, le froid s'installait, implacable et silencieux, exactement comme cette solitude qui l'étreignait depuis si longtemps.
— Pourquoi la vie est-elle si cruelle ? demanda-t-il, la voix brisée par la détresse. Pourquoi l'avoir mis sur mon chemin depuis mon enfance, juste pour me l'arracher encore et encore ? Pourquoi me faire vivre une passion si dévorante pour, à chaque fois, m'obliger à partir ? Pourquoi me faire l'aimer à ce point, pour me forcer à vivre sans lui ? Pourquoi ?
Sa voix se perdit dans le vent glacial, une prière jetée au vide, une question sans réponse.
— Je sais que lui aussi, il souffre, murmura-t-il, la voix tremblante. Il est malheureux, il se détruit un peu plus chaque jour... Et moi, j'essaie de ne pas écouter, de ne pas regarder. Mais la presse... La presse ne parle que de lui, tout le temps, comme si elle s'acharnait à me le rappeler encore et encore.
Il ferma les yeux, exaspéré par cette présence obsédante qu'il ne pouvait fuir. Partout, des articles, des photos, des histoires, comme un écho cruel qui le poursuivait. Chaque gros titre semblait se dresser devant lui pour raviver sa douleur, lui rappelant tout ce qu'il avait laissé derrière, tout ce qu'il ne retrouverait jamais.
— Comment l'oublier quand on me bombarde de son image, de ses histoires, de ses blessures que je ne peux même pas apaiser ? Parfois, j'ai l'impression que c'est intentionnel, que tout est fait pour me faire mal. Comme si le monde entier conspirait pour me rappeler tout ce que j'ai perdu, tout ce qui m'est interdit... Je sais, tu lèverais les yeux au ciel en m'entendant dire des choses comme ça... Tu me dirais "Kim Taehyung arrête de te positionner en victime, relève la tête et affronte les choses avec discernement".
Il se tut, empli d'un mélange de rage et de désespoir, perdu entre l'envie d'oublier et l'impossibilité d'échapper à cet amour qui le hantait.
— Mais elle a gagné, elle l'a emprisonné, hurla-t-il, la voix déchirée par une douleur trop longtemps contenue. Même s'il ne l'aime pas, il est dans sa vie, et rien que d'y penser, j'en deviens malade ! Alors quel discernement, hein ?
Sa voix se brisa, mais il continua, laissant enfin éclater la rage, l'amertume qu'il gardait en lui.
— Malade, parce que je sais que ça le dégoûte de la toucher, de lui faire l'amour... Et pourtant il le fait, comme s'il n'avait plus de choix. Et moi, je reste ici à l'imaginer la toucher, et à imaginer son plaisir à elle, ça me rend fou. Tout comme il devient fou, lui aussi. Parfois j'ai l'impression de ressentir sa douleur et ça fait si mal. Si mal...
Il laissa retomber sa tête, vaincu par le poids de la jalousie et de la frustration, mais surtout de la douleur de le savoir déshumanisé.
— Malade, parce que, pour l'oublier, lui, il se perd avec d'autres, il s'éparpille... Touche des femmes, des inconnues, mais jamais moi, jamais... Tout ce qu'il donne aux autres, tout ce que je rêve qu'il m'offre, il le distribue sans compter à ceux qui ne connaissent rien de lui, à celles qui ne comprennent rien à ce qu'il est.
Il s'effondra, vidé, brisé par l'image d'un amour qu'il ne pouvait ni oublier, ni posséder, et qui se dissipait entre ses doigts, cruel et insaisissable.
— Je sais vas-tu me dire, c'est moi qui suis parti, c'est moi qui l'ai voulu, mais il le fallait, je ne pouvais pas moi aussi me trahir, non, ça jamais, même pour lui. C'était une promesse que je t'avais faite.
Lui revint ce moment en tête et il sourit, presque machinalement en revoyant le visage de cette femme qu'il avait tant aimé, sa grand-mère, cette ancre solide et tendre.
— Je n'aimerai jamais personne comme je l'aime lui... Jamais, murmura-t-il, la voix brisée, presque inaudible.
Ces mots, il les avait déjà murmurés mille fois, comme une promesse, comme un serment qu'il se faisait à lui-même, dans la solitude de chaque nuit. Cet amour, malgré la douleur, malgré la distance, était gravé en lui, comme une vérité indélébile. Rien ni personne ne pourrait l'effacer, même s'il le souhaitait, même s'il devait vivre avec cette blessure ouverte pour le restant de ses jours.
Il inspira profondément, laissant son regard se perdre dans le vide, un mélange de résignation et de tristesse infinie dans les yeux.
— Personne ne pourra jamais prendre sa place... Peu importe le temps, peu importe combien je voudrais oublier. Je voulais te le dire en personne, Halmeoni, dit-il d'une voix douce, presque un murmure, comme si elle pouvait l'entendre. Je suis venu te dire que je vais avancer, que pour ça, je ne reviendrai plus ici, en Corée. Parce qu'ici, c'était ma vie avec toi, avec lui. Chaque paysage, chaque rue... Tout ici me ramène à lui, à ce qu'on a été, à tout ce que j'ai perdu. Et je sais maintenant que, pour me retrouver, je dois laisser tout ça derrière moi. Il m'a fallu un an pour le comprendre, même si au fond je le sais depuis toujours, je sais, je...
Il ferma les yeux un instant, cherchant en lui cette force qu'elle lui avait transmise, celle qui lui avait permis de tenir jusqu'ici. Il sentit un léger apaisement, comme si sa présence, quelque part, le soutenait encore.
— J'avais besoin de ressentir ta force une dernière fois et de te dire, face à face, que je vais tenir la promesse que je t'ai faite avant que tu partes. Je vais vivre, Halmeoni. Je vais l'oublier et avancer.
Il sentit une larme couler le long de sa joue, mais cette fois, elle était mêlée d'un étrange sentiment de paix, de courage. Il savait qu'il serait difficile de tourner la page, mais pour elle, il allait essayer, un pas après l'autre, avec toute la force qu'elle lui avait laissée.
— Je t'aime, Halmeoni, murmura-t-il, sa voix à peine audible, chargée de tendresse et de gratitude. Merci d'avoir été là pour moi, de m'avoir donné la force, même dans ton absence.
Il resta là un moment, laissant ces mots suspendus dans l'air, comme un dernier adieu, un lien éternel qui, malgré la distance, resterait intact. Il sentait en lui l'empreinte de son amour, un amour qui l'avait toujours guidé, même dans les jours les plus sombres.
— Merci pour tout, ajouta-t-il dans un souffle, les yeux levés vers le ciel, comme pour lui envoyer ce dernier message, cette promesse de ne jamais oublier ce qu'elle lui avait donné.
Il déposa délicatement le petit sachet sur le marbre froid, un geste empreint de tendresse. À l'intérieur, des croissants, ces douceurs qu'elle adorait tant. Chaque fois qu'il pensait à elle, l'image de son sourire en savourant un croissant lui revenait, et cela lui réchauffait le cœur.
Puis, il fouilla dans ses poches et en sortit les deux billets, ces souvenirs d'un rêve partagé, de promesses non tenues. Il les regarda longuement, comme s'il pouvait y lire leur histoire, tout ce qu'ils auraient pu être, tous les moments qu'il avait imaginés avec Jungkook. Un mélange de nostalgie et de douleur l'envahit, mais il savait qu'il devait se libérer de ce poids.
Il déposa les billets à côté du sachet de croissants, les laissant là, comme un symbole de son départ, de son lâcher-prise.
— Ils sont à toi maintenant, dit-il d'une voix empreinte d'émotion, comme s'il lui remettait un dernier cadeau. Je te les laisse, pour que tu les gardes et que tu te souviennes de tout ce que nous avons partagé.
Il recula d'un pas, regardant le petit rassemblement sur le marbre, sentant une part de lui se libérer alors qu'il tournait enfin la page.
— Je te garde dans mon cœur, Halmeoni, murmura-t-il, la voix chargée d'émotion.
Il sentit une chaleur envahir sa poitrine, comme si une partie d'elle s'installait pour toujours en lui. Chaque souvenir, chaque sourire, chaque moment partagé serait désormais une lumière, un guide dans les moments d'obscurité. Il savait que, malgré la distance et le temps, elle resterait une part indissociable de lui-même.
Avec une dernière pensée pleine d'amour, il ferma les yeux un instant, laissa un sourire se dessiner sur ses lèvres se remémorant les instants précieux passés à ses côtés.
Puis, le cœur en partie apaisé, il se releva lentement, sentant le froid du marbre s'atténuer tandis qu'il se redressait, comme si un poids se détachait doucement de lui. Il jeta un dernier regard aux croissants, aux billets qu'il avait déposés, symbole de tout ce qu'il laissait derrière.
D'une voix douce, pleine de tendresse et de gratitude, il murmura
— Au revoir grand-mère, dit-il dans un français parfait.
Ce simple mot, empli de tout l'amour et de tous les souvenirs partagés, lui sembla comme une libération. Il savait qu'il ne l'oublierait jamais, qu'elle vivrait toujours en lui, mais il était temps de la laisser partir, de continuer sans elle. Il prit une profonde inspiration, puis tourna les talons, prêt à avancer, une nouvelle force dans le cœur, porté par cet adieu.
Il releva le col de son manteau, le froid de décembre s'incrustant jusque dans son cou et marcha à pas rapides pour sortir du cimetière. Soudain, alors qu'il était perdu dans ses pensées, une pointe de chagrin à l'idée de laisser derrière lui une partie de sa vie, une voix l'interpella au loin.
— Taehyung ?
Il se figea et fronça les sourcils étonné de rencontrer quelqu'un qui pouvait le connaître à cet endroit même, mais très vite il reconnut la voix qui l'appelait .
Il releva la tête, se tourna légèrement et lui fit face.
— Young-Jae, dit-il doucement.
— Je... Bonjour Taehyung, c'est une belle surprise, je ne m'attendais pas à te trouver ici, lui dit-il, un grand sourire aux lèvres.
— ...Moi non plus.
Ils se regardèrent avec tendresse et le plus vieux s'approcha de lui pour le serrer dans ses bras. Taehyung se figea, mais très vite il se laissa aller. Cette présence lui réchauffa le cœur, il y avait si longtemps qu'il ne l'avait ni vu ni contacté.
— Excuse-moi de cette familiarité, mais, disons que... Et bien ça fait du bien de te voir, alors...
— Moi aussi je suis content de vous revoir.
— Tu es magnifique comme toujours, je... Je te suis dans les magazines et j'ai même failli aller à un de tes défilés, mais Chonjong est tombé bien malade alors je suis resté à ses côtés.
Ce nom lui fit l'effet d'une bombe à l'intérieur de la poitrine et, malgré toute sa bonne volonté, il comprit en voyant la tête de son interlocuteur que cela l'avait touché.
Chonjong, le père de Jungkook... Encore une fois, tout le ramenait à lui.
Il allait prendre congé quand ce dernier apparut devant lui, tout aussi étonné de le voir. Taehyung sentit son cœur faire un bond à l'intérieur de sa poitrine. Cette ressemblance avec Jungkook... Seules quelques rides trahissaient son apparence. Comme son fils, il était imparfaitement beau, et comme lui, il dégageait un charisme subjuguant. Cette sensualité à fleur de peau, sans dire un mot, lui était si familière.
Taehyung le fixa, déstabilisé, tandis que l'autre le dévisageait, rendant l'instant légèrement inconfortable.
Ils restèrent ainsi, figés, dans un silence qui sembla durer des siècles pour Taehyung.
Chonjong l'avait toujours impressionné, et encore plus à cet instant précis, avec son grand manteau noir et ses grands yeux sombres. Avaient-ils déjà été si sombres ? se demanda t-il.
C'est Young-Jae qui rompit le silence, sentant le malaise naissant entre eux.
— Mon amour, c'est Taehyung. C'est une belle surprise, n'est-ce pas ? en lui tendant la main que ce dernier pris avec une douceur contrastante.
Chonjong desserra la mâchoire et fit un léger signe de tête.
— Je l'avais reconnu, chéri... Bonjour, Taehyung, finit-il par dire sans jamais le quitter des yeux.
— Bonjour, Chonjong, dit Taehyung, en le fixant lui aussi. Merci d'être venu sur la tombe de ma grand-mère. Si elle vous voit de là-haut, elle doit être heureuse.
— C'était ma marraine, répondit Chonjong avec gravité. La seule personne qui m'ait jamais soutenu. Je lui devais d'être ici aujourd'hui, comme chaque année.
Son ton était impersonnel, comme s'il parlait à un étranger.
Taehyung laissa un sourire se dessiner sur ses lèvres, comme une ironie. Il comprenait, il savait pourquoi Chonjong se comportait avec lui de cette façon. Il ne pouvait pas lui en vouloir, au contraire.
— Oui, c'était une femme incroyable, dit Taehyung avec un pincement au cœur.
— D'ailleurs... C'est aussi ton anniversaire aujourd'hui, non ? ajouta Chonjong d'un ton un presque trop enjoué, comme s'il voulait éviter de s'attarder sur la question.
— Oui, répondit Taehyung simplement, il n'avait pas envie de s'étendre sur le sujet non plus.
— Joyeux anniversaire, souffla Young-Jae avec un sourire rempli de tendresse.
Chonjong baissa les yeux un instant avant de reprendre, sa voix chargée d'une douleur contenue .
— Comment je pourrais oublier ? Mon fils s'enfonce un peu plus chaque jour... Et encore plus aujourd'hui.
Young-Jae regarda son amant et posa doucement sa main sur la sienne. Il savait que Chonjong ne voulait pas être dur avec Taehyung. Mais son impulsivité, nourrie par une douleur qu'il peinait à contenir, avait encore pris le dessus. Il souffrait de voir son fils sombrer depuis le départ de Taehyung. Et même s'il savait, au fond, que Jungkook était le seul responsable de sa propre descente, une partie de lui ne pouvait s'empêcher d'en de lui en vouloir.
— Mon cœur, dit doucement Young-Jae, sa voix emplie de tendresse. Taehyung n'est en rien responsable de la chute de Jungkook. S'il te plaît, ne...
Chonjong l'interrompit. Il redressa brusquement la tête, et son regard, chargé de tension, se posa sur Taehyung.
— Oui, excuse-moi, dit-il d'une voix plus posée, presque amère. Ce n'est pas très intelligent de ma part de dire ça. Mais... Jungkook se détruit et...
Il inspira profondément, cherchant ses mots, avant de reprendre
— Tu lui manques énormément, et ça le tue. On le voit, tous les jours.
Il baissa légèrement les yeux, comme s'il hésitait à continuer, mais le poids de ce qu'il ressentait était trop fort.
— Il s'est éloigné de tout le monde, Taehyung. Il n'est plus lui-même... Et je n'arrive pas à l'aider.
Le silence s'installa un instant, lourd et chargé d'émotion. Young Jae serra un peu plus fort la main de Chonjong pour lui rappeler qu'il n'était pas seul.
— Mon amour, ce n'est ni le lieu, ni le moment de...
— Je suis désolé, murmura finalement Chonjong en coupant son amant. Je ne veux pas te faire porter ça, vraiment.
Mais malgré ses excuses, ses yeux continuaient de refléter une douleur profonde, comme un père désespéré de ne pas pouvoir sauver son propre fils.
Taehyung essaya de dissimuler l'impact des paroles de Chonjong. Mais elles l'avaient touché en plein cœur. N'avait-il pas déjà hurlé toute sa douleur, quelques minutes plus tôt, sur la tombe de sa grand-mère ? Revoir Chonjong et entendre parler de Jungkook avait ravivé une souffrance qu'il s'efforçait d'enterrer depuis des mois. Une douleur qu'il avait décidé de laisser derrière lui pour survivre.
Encore ce foutu destin...
Il le savait, il devait partir. Là, maintenant. S'éloigner avant que cette conversation ne l'aspire dans un tourbillon qu'il ne pourrait plus fuir. Avant que lui aussi ne se perde à jamais.
— Je dois partir, dit-il finalement, d'une voix douce mais résolue.
Young-Jae hocha la tête, ses yeux reflétant une compréhension silencieuse.
— Oui, on comprend, répondit-il calmement, devinant le malaise de Taehyung.
Ce dernier allait les remercier, mettre un terme définitif à cet échange, mais une main ferme se posa sur son bras.
Chonjong.
— Attends, dit ce dernier, presque suppliant. Je m'excuse, Taehyung. Je ne veux pas te mettre tout ça sur les épaules. Mais tu lui manques, tu n'as pas idée à quel point. Il t'aime tellement...
Sa voix se brisa légèrement, mais il continua, cherchant à contenir l'émotion qui débordait malgré lui.
Il ne pouvait pas imaginer à quel point ? C'était ironique ?
— Je sais que tu as bien fait de partir. C'est un Jeon. Nous sommes toxiques parfois. Je ne vais pas prétendre le contraire, dit-il avec un sourire triste. Mais Jungkook... C'est un bon garçon. Il mérite d'être heureux, après tout ce qu'il a enduré. Et toi, tu es la clé de son bonheur.
Taehyung ouvrit la bouche, prêt à répondre, mais Chonjong l'interrompit, pressé de finir ce qu'il avait à dire.
— Je ne te demande pas de revenir aujourd'hui. Ni demain. Je sais ce que tu as traversé, je le vois dans tes yeux. Mais je sais aussi que tu l'aimes plus que tout au monde. Ne me dis pas que ce n'est pas vrai.
Un silence pesant s'installa, chargé de vérité et d'un poids qu'aucun d'eux ne pouvait nier.
— Alors avance, reprit Chonjong, sa voix plus basse, plus douce. Mais s'il te plaît... Ne ferme pas la porte. Vous êtes des âmes sœurs. Ce n'est juste pas le bon moment, c'est tout.
Taehyung leva les yeux vers Chonjong. Il voyait dans son regard une douleur sincère, mais aussi une lueur d'espoir, fragile, vacillante. Les mots de cet homme, si semblable à celui qu'il aimait, résonnaient en lui avec une intensité qu'il ne pouvait ignorer.
— Je suis désolé, murmura Taehyung, sa voix presque imperceptible.
Il hocha doucement la tête, comme pour reconnaître la vérité des paroles de Chonjong. Mais il savait qu'il devait partir. Là, maintenant.
Il ne pouvait pas rester une seconde de plus à fixer cet homme qui ressemblait tant à Jungkook, à l'homme qu'il aimait, et à tout ce qu'il avait dû fuir.
— Pardon, dit-il pour s'excuser de la douleur qu'il avait provoquée.
Young-Jae lui fit un sourire un peu triste et dans un dernier regard, Taehyung tourna les talons et s'éloigna, le cœur lourd mais déterminé à ne pas se laisser happer.
Deux mois plus tard
— Tourne la tête à gauche et lève légèrement le menton... Oui, top ! T'es vraiment un mec parfait, Taehyung, lança le photographe, l'œil rivé à l'objectif, un sourire d'admiration aux lèvres.
Le mannequin esquissa un léger sourire, mais ses yeux trahissaient un éclat de fatigue, un reflet de lassitude.
— Arrête avec ça, Photoshop est ton meilleur ami, répondit-il d'un ton désabusé, son regard s'éloignant vers le vide.
Le photographe rit, croyant à une blague, et baissa son appareil un instant.
— Tu rigoles ? Avec toi, jamais aucune retouche ! T'es juste parfait, je te le dis et je ne suis pas le seul. Tous les couturiers, toutes les marques te veulent pour ta beauté naturelle.
Taehyung secoua légèrement la tête, une ombre passant sur son visage.
— Alors tout le monde se fourvoie, murmura-t-il, presque pour lui-même.
Le silence qui suivit sembla plus lourd, emplissant le studio d'un malaise passager. Personne ne savait que derrière ce visage impeccablement beau se cachait un homme qui luttait contre ses propres démons, jour après jour.
— Tu peux arrêter avec tes mots super évolués, lui dit Ludovic en levant les yeux au ciel, mais aussi pour casser le silence qui s'était installé.
— Ce ne sont pas des mots évolués, Ludo, c'est juste du français. Tu sais, ta langue natale.
— Oui, sauf que nous, on parle pas comme ça, dit-il en souriant.
— Et bien vous devriez, répondit Taehyung, un petit sourire narquois sur les lèvres.
— T'es pas marrant quand t'es en bad mood.
— Là encore, tu parles de façon chartrée, arrête ça, votre langue est bien trop belle pour que tu l'anglicises.
Ludovic éclata de rire et lui donna une tape sur l'épaule.
— Tu sais que ton accent te donne un côté sexy ?
— Arrête, répondit Taehyung en détournant les yeux, mal à l'aise.
Ludovic le regarda un instant, plus sérieusement.
— Taehyung, je crois que tu n'imagines pas le pouvoir que tu as sur les gens. On ne te l'a jamais dit ?
Les yeux de Taehyung se plissèrent légèrement, et à cette évocation, une image s'imposa à lui.
Jungkook.
Il se rappelait de la façon dont il lui disait si souvent à quel point il était beau, leurs visages proches dans l'intimité de leurs instants partagés. L'éclat de ce souvenir lui serra le cœur et un frisson le parcourut malgré lui.
— Tu es juste parfait, certains tueraient pour te ressembler, ajouta Ludovic en haussant les épaules.
Taehyung laissa échapper un rire sans joie, un éclat amer dans le regard.
— Et tu crois que c'est le plus important dans la vie... Tu crois qu'il suffit d'être beau pour être heureux ?
Il connaissait la réponse.
Ludovic prit un instant, le sourire s'effaçant peu à peu de son visage.
— Je crois que c'est déjà beaucoup, dit-il avec hésitation, presque comme une confession.
Taehyung secoua la tête, le regard perdu dans des pensées lointaines où la beauté ne pesait rien face à ce qu'il avait perdu.
Sa séance de photo terminée, Taehyung jeta un œil à sa montre. Il était minuit. Encore une fois, le temps avait passé et le jour avec lui. Il n'avait plus l'impression de vivre en temps réel. En même temps, il ne vivait pas, il survivait depuis qu'il avait quitté Jungkook.
Que faire à cette heure-ci ?
Personne pour l'attendre, le réconforter, ni même l'aimer. Rentrer chez lui était pourtant la seule et unique solution. Alors il se laissa porter et comme tout parisien, il se laissa guider par les couloirs incessants du métro. Il ne conduisait que très peu, il préférait écouter le bruit de la ville, de la vie, parce qu'être seul lui pesait parfois. Voir ce monde grouiller autour de lui lui rappelait qu'il était vivant.
Une demi-heure plus tard, il arriva enfin chez lui, épuisé mais pas suffisamment pour aller se coucher. Il faisait un silence de mort dans cet immense appartement, mais il l'aimait. Il avait décoré chaque pièce avec soin, créé un cocon, un univers dans lequel il aimait se réfugier.
Taehyung fit glisser son manteau en cachemire le long de ses épaules et le suspendit soigneusement à l'entrée. Le contact du parquet froid sous ses pieds lui rappela à quel point l'appartement semblait vide, malgré toute la chaleur qu'il avait tenté d'y insuffler. Les hauts plafonds résonnaient légèrement, chaque son s'étirant dans le silence comme un écho de sa propre solitude.
Il passa dans le salon, alluma une lampe au pied d'une étagère débordante de livres et observa la lumière douce danser sur les dorures des cadres accrochés au mur. L'élégance de l'endroit n'avait rien perdu de sa magie. Mais ce soir, comme bien d'autres, cela ne suffisait pas à combler ce vide intérieur qui s'était installé depuis qu'il n'avait plus Jungkook à ses côtés.
Il était seul, mais il l'avait choisi.
Il se laissa tomber sur le canapé, un chef-d'œuvre en velours bleu nuit qu'il avait choisi après d'interminables discussions avec le décorateur. Les mains croisées derrière sa tête, il contempla le plafond. Il se souvenait encore de la première fois où Jimin avait vu l'appartement après les rénovations.
"C'est... Incroyable" avait-il murmuré, presque sans voix. "On dirait que chaque détail raconte une histoire."
Cette remarque avait fait sourire Taehyung à l'époque. Lui, il voulait un espace qui le protège, qui le détourne de la brutalité du monde extérieur. Et pourtant, assis là, il ne pouvait s'empêcher de se sentir minuscule dans cet écrin parfait.
Il se redressa, presque avec impatience, et attrapa une bouteille de vin rouge posée sur une table basse en marbre. Après avoir rempli un verre, il s'approcha des larges fenêtres donnant sur les rues parisiennes. Les lampadaires illuminaient les pavés humides, et les bruits lointains des rares passants se mêlaient au souffle de la ville qui ne dort jamais.
Taehyung soupira, un sourire triste étirant ses lèvres.
— Toi, tu aurais adoré ça, murmura-t-il pour lui-même, son regard perdu au loin.
Jungkook n'était plus là, plus à ses côtés mais il semblait impossible de ne pas penser à lui, surtout dans ces moments de calme. Les souvenirs revenaient sans prévenir, les rires partagés, les longues conversations sur leurs rêves, et surtout, cette façon qu'il avait de regarder Taehyung comme si rien d'autre au monde n'importait.
Mais ça c'était dans les moments intimes...quand ils étaient seuls au monde. Mais ce monde, celui dans lequel jungkook était happé les avait détruits.
Il détourna les yeux de la fenêtre, cherchant une distraction. La cheminée majestueuse avec son manteau de marbre sculpté, semblait l'appeler. Il décida de l'allumer, se remémorant les instructions du technicien qui était venu s'assurer qu'elle fonctionnait toujours. En quelques minutes, le bois crépitait, projetant des ombres dansantes sur les murs décorés avec goût.
Le feu réchauffa l'espace, mais pas son cœur. Taehyung porta son verre à ses lèvres et se laissa aller à la douce mélancolie de cette nuit. Ce silence, il l'avait toujours recherché, mais à présent, il comprenait qu'il avait besoin de quelqu'un pour le partager. Une présence qui transformerait cet appartement en véritable foyer.
Peut-être qu'un jour...
Peut-être que cet espace immense, trop grand pour une seule personne, résonnerait d'autres rires, d'autres souvenirs. Mais ce soir, il n'y avait que lui, Paris à ses pieds, et les cendres d'un amour qu'il n'arrivait pas à oublier.
Il regarda l'immense écran qui lui faisait face, un achat qu'il n'aurait jamais envisagé sans les encouragements de Jimin. Ce dernier, toujours à la pointe des tendances, avait insisté sur l'importance d'avoir une "fenêtre sur le monde". Pourtant, Taehyung n'utilisait presque jamais cette télévision. La regarder lui paraissait futile, un passe-temps déconnecté de la réalité qu'il cherchait à fuir.
Pourtant, ce soir, une intuition étrange l'incita à l'allumer. Peut-être était-ce pour combler le silence pesant, ou simplement pour s'étourdir face au défilement des images et oublier, ne serait-ce qu'un instant, la solitude accablante.
Les chaînes s'enchaînèrent sans grand intérêt. Des publicités criardes, des films déjà vus, des débats sans fin. Il laissa les images défiler, le verre de vin à moitié vide posé à côté de lui, son regard se perdant entre l'écran et le feu qui continuait à crépiter doucement dans la cheminée. Peu à peu, la fatigue eut raison de lui. Ses paupières devinrent lourdes, et il finit par s'endormir sur le canapé, le murmure de la télévision accompagnant son sommeil.
Dormir, se laisser bercer et oublier.
Mais soudain, une mélodie familière fendit l'air et le tira de ses rêves. Une voix. Une voix qui semblait si proche et pourtant lointaine, empreinte d'une douceur et d'une mélancolie qu'il connaissait trop bien. Son corps, à moitié plongé dans le sommeil, se tourna instinctivement comme pour échapper à la réalité, mais cette voix... Ce timbre unique, cette mélodie douce mais poignante, le réveilla d'un coup.
Il ouvrit les yeux brusquement, son cœur battant plus vite qu'il ne l'aurait cru.
Où était-il ? Il plissa les yeux, comme pour comprendre ce qui se passait et il vit à nouveau la lumière.
Les images sur l'écran vacillaient entre des plans lumineux et intimistes. La caméra s'attardait sur un visage qu'il aurait pu reconnaître parmi des milliers.
Jungkook.
Sa gorge se serra, et ses mains agrippèrent machinalement le bord du canapé. Il n'était pas sûr de comprendre. Était-ce un rêve ? Une hallucination ? Mais non, il était bien là, sur l'écran, son regard intense, sa voix toujours aussi captivante, interprétant une chanson qu'il n'avait jamais entendue mais qui semblait étrangement familière.
Taehyung resta figé, incapable de détourner les yeux. Cette chanson, chaque mot, chaque note, semblait lui parler directement, comme un écho de tout ce qu'ils avaient vécu, de tout ce qu'ils avaient perdu. Il sentit une vague d'émotion monter en lui, un mélange de douleur, de nostalgie et d'un infime espoir qu'il avait cru éteint depuis longtemps.
Le temps sembla s'arrêter. La voix de Jungkook résonnait dans la pièce, emplissant cet espace si grand, si vide, comme s'il était là, juste à côté. Taehyung sentit son cœur se briser une fois de plus, mais en même temps, quelque chose en lui se réveilla. Une étincelle qu'il n'avait pas ressentie depuis des mois.
Parce qu'il s'était interdit d'écouter chaque chanson de lui, de regarder chaque documentaire, chaque interview. Il avait tout banni, érigeant des murs autour de son cœur pour ne pas céder à la tentation de repartir le retrouver. Ce n'était pas par manque d'amour, au contraire. Mais chaque note, chaque mot, chaque image le transperçait comme une lame, réveillant une douleur qu'il peinait à supporter. Il ne devait pas le voir ni l'entendre. Il en avait assez de souffrir, assez de ce combat intérieur qui le consumait.
Pourtant, à moitié réveillé, sa résolution vacilla. Il resta là, immobile, son regard fixé sur l'écran, toujours, où Jungkook se mouvait avec une grâce presque irréelle.
Il chantait, sa voix semblant venir d'un autre monde, mais pour Taehyung, c'était la chose la plus réelle, la plus belle qu'il ait jamais connue.
Chaque mouvement, chaque expression, chaque nuance dans sa voix ramenèrent des souvenirs en cascade : les nuits passées à parler jusqu'à l'aube, les moments de complicité silencieuse, et ce regard... Ce regard qui semblait toujours lui dire qu'il était tout.
Et pourtant, ce soir, il ne détourna pas les yeux. Pas cette fois. La douleur était là, bien sûr, vive et acérée, mais il était trop épuisé pour la fuir. Alors il la laissa le traverser, il la laissa être, tout en continuant à le regarder chanter, comme si cette mélodie était tout ce qui comptait en ce moment précis.
Il ne savait pas si c'était une punition ou un cadeau. Peut-être les deux ? Mais il ne bougea pas. Parce qu'au fond, même dans la douleur, Jungkook était toujours la plus belle chose qu'il ait jamais vue.
Alors il se laissa emporter et écouta les paroles avec attention :
"Play me slow, push up on this funk and give me a miracle"
(Joue-moi un morceau lentement, Profite de ce funk et donne-moi des miracles)
Les mots résonnaient dans la pièce, mais surtout dans son cœur. Cette voix... Ce timbre inimitable, chargé d'émotions, s'enroulait autour de lui comme une étreinte invisible. La sensualité du regard de Jungkook à l'écran rendait le moment presque irréel. C'était comme si, à travers la caméra, il ne regardait que lui, comme si les paroles lui étaient destinées.
Taehyung ne pouvait plus bouger. Il était comme figé, totalement hypnotisé, exactement comme Jungkook savait si bien le faire. Ce pouvoir qu'il avait toujours eu sur lui n'avait jamais disparu. Chaque geste, chaque intonation, chaque éclat dans ses yeux semblait calculé pour atteindre son âme, et ce soir, Taehyung n'avait aucune défense.
C'était à la fois douloureux et merveilleux. Il se sentait happé par la mélodie, par l'intensité de cette performance, incapable de détourner les yeux, incapable de résister. Et pour un instant, il se demanda si Jungkook savait qu'il regardait. Si, quelque part dans son cœur, il chantait encore pour lui.
Cette chanson lui était-elle destinée, comme Jungkook le faisait lorsqu'ils étaient ensemble, en dissimulant des messages dans chaque mot, chaque note ?
Taehyung sentit son cœur se briser à l'idée que ces paroles puissent être pour quelqu'un d'autre. Une autre histoire, un autre amour. Mais alors qu'il écoutait les mots défiler, une phrase capta son attention, une phrase qu'il ne pouvait ignorer.
"I testify that we'll survive the test of time"
(Je témoigne qu'on survivra à l'épreuve du temps)
Il sentit un frisson le parcourir. Alors il y croyait encore ? Jungkook croyait toujours à ce destin qu'ils avaient partagé, à cette voyante, rencontrée lorsqu'ils n'étaient encore que des enfants, qui leur avait dit un jour que leurs chemins se croiseraient toujours, peu importe les épreuves. Était-ce ça qu'il voulait exprimer ? Était-ce une promesse, un rappel silencieux, ou simplement une coïncidence cruelle ?
Non, Taehyung essaya de se raisonner. Ce n'étaient que des paroles, une chanson parmi tant d'autres. Rien n'indiquait qu'elles lui étaient adressées. C'était un jeu, un texte écrit pour des milliers d'autres, pas pour lui.
Et pourtant...
"They can't deny our love
They can't divide us, we'll survive the test of time
I promise I'll be right here"
(Ils ne peuvent pas nier notre amour, ils ne peuvent pas nous séparer, on survivra à l'épreuve du temps, je promets que je serai là...)
Ces mots, cette mélodie... Chaque syllabe résonnait avec une intensité déchirante. Le temps. Voilà ce qui les avait toujours définis, et ce qui, maintenant, les séparait. Plus d'une année déjà loin de Jungkook. Une année marquée par l'absence, où les souvenirs se mêlaient aux doutes, aux joies passées, mais surtout à la douleur.
Le temps avait été témoin de leurs allers-retours, de leurs rencontres et de leurs séparations. Comme si une force invisible jouait avec eux, les rapprochant juste assez pour qu'ils s'effleurent, avant de les arracher l'un à l'autre. Était-ce cela, leur destin ? Que Dieu avait décidé qu'ils seraient toujours dans cette danse cruelle, entre attirance et distance, entre espoir et résignation ?
Taehyung secoua la tête. Non, cette fois, c'était terminé. Il avait tout fait pour avancer, pour se reconstruire, et il ne pouvait plus revenir en arrière. Pas après tout ce qu'il avait traversé.
Pas après les décisions qu'il avait prises pour se protéger.
Et pourtant, malgré tout, il ressentait encore les appels silencieux. Les promesses invisibles que laissait cette chanson, les regards qu'il croyait lire dans les yeux de Jungkook sur cet écran. Mais il savait qu'il ne pouvait pas céder. Il ne voulait plus se perdre, plus se retrouver brisé à chaque fois qu'ils se heurtaient aux murs du destin.
Cependant, dans ce silence nocturne, au milieu de cette grande pièce baignée par la lumière vacillante de l'écran et du feu, une part de lui voulait encore croire. Croire qu'il y avait une chance. Que les mots de cette chanson étaient pour lui, qu'un jour, malgré tout, ils pourraient enfin survivre à l'épreuve du temps.
"Standing next to you, standing in the fire next to you, oh"
(Je me tiens à tes côtés, debout dans le feu à tes côtés.)
Taehyung répéta les mots dans son esprit, son cœur se serrant à chaque syllabe. À ses côtés, dans le feu. Cette image, si poignante, si violente, décrivait exactement ce qu'il avait ressenti durant toutes ces années : une passion si intense qu'elle consumait tout sur son passage, lui laissant des cicatrices invisibles.
Non, il ne voulait plus être brûlé. Plus jamais. Il avait suffisamment souffert de ce feu, de cette douleur d'aimer quelqu'un qu'il ne pouvait jamais vraiment avoir entièrement. La simple idée que Jungkook puisse être à lui, tout en appartenant à une autre, ou même à ce monde qui semblait réclamer chaque morceau de son être, le rendait fou. Ce n'était pas ce qu'il attendait de l'amour. L'amour devait être réconfort, sécurité, pas cette guerre incessante entre espoir et désespoir.
Et il ne pouvait pas se trahir. Pas comme le faisait le petit ami du frère de Jungkook.
Taehyung avait juré de ne jamais être comme ça, de ne jamais accepter un amour à moitié, un amour partagé ou incertain.
Et encore ces paroles...
"You know it's deeper than the rain
It's deeper than the pain
When it's deep like DNA
Something they can't take away, ay
Take-take-take-take-take-take off"
(Tu sais que c'est plus profond que la pluie, plus profond que la douleur, quand c'est profond comme l'ADN, quelque chose qu'ils ne peuvent pas retirer, enlever)
Plus profond que la douleur... La pluie, la nuit... ? Cette promesse ? L'ADN... ? Non.
Non, il ne pouvait pas dire ça, il ne voulait plus l'entendre, plus souffrir.
Non...
Il détourna les yeux de l'écran, le souffle court, comme si la vue de Jungkook lui-même était devenue insupportable. Il posa son verre de vin sur la table, ses doigts tremblants légèrement. Ce feu, il avait tenté de l'éteindre depuis des mois, mais chaque fois qu'il semblait faiblir, une étincelle revenait raviver les flammes.
Taehyung serra les poings. Non, il ne pouvait pas retomber dans ce piège. Il ne voulait plus se tenir dans le feu. Pas à ses côtés, pas à côté de qui que ce soit, tant que l'amour qu'il cherchait n'était pas entier, honnête, inébranlable. Il ne méritait rien de moins, et pourtant, ce sentiment de vide le hantait.
Ça devait s'arrêter, prendre fin... Il ne voulait plus l'entendre, plus laisser résonner ces paroles vaines.
Comme par désespoir, il récupéra son téléphone posé sur la table du salon. Par réflexe, son doigt appuya sur un fichier : un vieux message qu'il avait lu et relu, ce jour où il s'était éloigné de lui. Un message écrit par Jungkook, plein d'amour et de regrets. Depuis, il ne l'avait jamais rouvert. Trop douloureux.
La voix de Jungkook résonna : d'abord ce message, où chaque mot semblait murmuré.
« Taehyung, tu sais à quel point c'est difficile pour moi de dire les choses quand je ne les chante pas, alors je veux juste que tu écoute cette chanson que j'ai reprise pour toi, pour nous. Je ne pense pas que j'aurai pu mieux t'exprimer à quel point je t'aime, parce que oui, aujourd'hui je n'ai plus peur de te le dire, je t'aime. Alors s'il te plaît, écoute cette chanson et promet moi de la supprimer juste après, parce que tout sera dit et que la boucle, celle de notre amour, sera à jamais fermée.
Rappelle-toi toutes ces choses que nous avons partagées et s'il te plaît ne m'oubli jamais Prends soin de toi Taehyung, mon papillon, prend ton envole et souviens-toi d'une seule chose en pensant à moi, c'est que...
Je t'aime. »
Une chanson, juste voix et piano. Nothing Like Us, réadaptée pour lui, pour eux.
Il ferma les yeux, une larme glissa sur sa joue. Comment l'oublier... ?
Il n'avait jamais supprimé le message, il n'avait pas répondu à la promesse qu'il lui avait demandé. Comment supprimer une telle déclaration... L boucle n'était pas bouclée, elle ne le serait jamais, même en supprimant son message, alors...
Mais une promesse était une promesse, non... ? Il avait toujours respecté ses promesses.
Taehyung prit alors une grande respiration et posa son doigt tremblant sur son écran de téléphone pour supprimer le fichier. Mais son cœur se serra si fort qu'il crut presque en mourir.
Alors il éteignit le téléphone et le jeta sur le canapé.
Pas aujourd'hui. Pas encore.
Il prit tout son courage pour se lever et faire les quelques pas qui le séparaient de lui pour éteindre la télévision, coupant cette voix, cette image, ce feu, avant qu'ils ne l'engloutissent tout entier.
Il était perdu à nouveau, une perte plus profonde que la dernière. Il avait cru avoir tourné la page, se dire que tout cela faisait désormais partie du passé. Il l'avait même crié, avec l'espoir d'exorciser sa souffrance, sur la tombe de sa grand-mère quelques mois plus tôt. Mais cette nuit, tout s'effondrait à nouveau. Il se sentait comme un naufragé qui croyait avoir touché terre, mais qui, à l'instant où il posait le pied, s'apercevait qu'il était encore englouti par la mer.
C'était horrible, cette douleur sourde qui frappait son cœur à chaque respiration. C'était une douleur ancienne, mais plus profonde, plus dévastatrice, une absence qu'il n'arrivait plus à combler. Cette sensation de vide... Comme s'il n'était plus qu'un corps errant dans cet appartement trop grand, trop vide, qui lui rappelait à chaque instant que l'autre moitié de lui-même, celle qu'il croyait avoir trouvée, était perdue à tout jamais.
Il tourna en rond dans cette pièce immense, comme un lion en cage. Il se précipita du canapé à la fenêtre, les mains dans les cheveux, le corps tout entier tendu par cette douleur qui lui déchirait l'âme. Ses doigts se crispèrent sur le rebord du meuble, son corps secoué de tremblements nerveux. Il s'arrêta un instant, se tenant le ventre, comme s' il pouvait y saisir cette douleur qui le dévorait, mais elle était partout, indomptable. Il se sentait submergé, écrasé par un poids invisible. Il hurla, un cri déchirant, mais le silence après ce cri fut encore plus lourd que la douleur elle-même. Il hurla pour évacuer, mais tout ce qui ressortit de lui, ne fût que l'écho de son propre désespoir.
Pourquoi tu t'acharnes à me faire souffrir, Jungkook ?
La question s'échappa de sa bouche comme une explosion. Un cri de frustration, de colère, mais aussi de chagrin. Sa voix était brisée, faible, comme si chaque mot le déchirait de l'intérieur. Il se laissa tomber contre le mur, s'accrochant à lui comme si ce support pouvait l'empêcher de se noyer dans son propre chagrin. Il ferma les yeux, sa tête tourbillonnant, l'air manquant, tout tournant autour de lui.
Il se sentait pris au piège, totalement perdu. Son âme était une mer agitée, il ne savait plus où se tourner, ni comment se sortir de ce tourbillon. Ses pensées étaient une boue épaisse, il ne pouvait plus respirer. Il se leva soudainement, presque mécaniquement, comme poussé par une force extérieure, et se précipita vers son téléphone. Ses mains tremblaient, chaque mouvement était lent, lourd, presque comme si l'air autour de lui résistait à ses gestes. Son esprit était envahi, la douleur grandissait, insupportable, le forçant à chercher quelque chose, quelqu'un, pour l'aider à faire face à ce vide.
Enfin, il toucha l'écran de son téléphone, il chercha, frénétiquement, comme si c'était sa seule bouée de sauvetage. Les lettres se mêlaient sous ses yeux, mais il finit par le trouver. Il appuya sur le nom, incapable de réfléchir, seulement réagissant à cette envie désespérée de s'accrocher à quelque chose.
À quelqu'un.
Il prit une inspiration, mais elle resta coincée dans sa gorge, comme un cri qui ne sortait pas.
Il appuya sur "lancer".
L'attente fut une éternité. Et puis, enfin, la voix familière se fit entendre de l'autre côté du fil.
— Allô, Taehyung, ça va pas ?
Cela lui fit l'effet d'une décharge. Son cœur se serra de plus belle, ses yeux se remplirent de larmes, mais il n'eut pas la force de les laisser couler. Il n'avait même pas les mots pour répondre. Les tremblements de son corps s'intensifièrent.
— Je... je... Nam, ça va pas. J'ai... Enfin, je... Il était là et... Ces paroles, cette voix, ce regard, je... je...
Les mots se bousculaient dans sa gorge, se confondant dans une marée d'émotions brutes. Il ne pouvait même pas expliquer ce qui se passait, il ne pouvait plus mettre des mots sur ce qui le dévastait. C'était comme un hurlement silencieux qui résonnait dans sa poitrine, un cri inarticulé qu'il ne pouvait pas libérer.
— Tu as regardé l'émission, c'est ça, tu l'as vu.. ?
Ce n'était pas une question, Namjoon savait. Ils étaient tous reliés, cette histoire, depuis leur plus tendre enfance, ces haines, ces passions...Oui, il savait pour lui aussi vivre tout ça avec son meilleur ami, avec Jin. Alors il ne chercha pas plus...
— J'arrive.
Les mots résonnèrent dans son oreille, c'était comme si la promesse de Namjoon, si solide, venait de lui offrir un filet de sécurité dans cet abîme de douleur. Pour la première fois en plus d'un an,Taehyung sentit une bribe d'espoir, mais tout était encore trop lourd, trop intense. Il se laissa tomber sur le canapé, son souffle s'accélérant, les larmes maintenant bien présentes, roulant silencieusement sur ses joues. Il avait crié, il avait demandé de l'aide, et quelqu'un l'avait entendu.
Pour la première fois depuis si longtemps, il n'était plus seul.
La force de l'amitié, ce lien si étrange qui s'unit et se désunit à souhait. Namjoon était là, à défaut de Jimin à l'autre bout du monde. vestige d'un temps, d'une époque passée, d'un fil d'argent qui le reliait à lui... Parce que oui, tout le reliait à lui.
À Jungkook.
*
Trois années s'étaient écoulées depuis cette nuit où Namjoon était venu le réconforter. Trois années de hauts et de bas, de rires partagés, de silences lourds, mais aussi d'une forme de guérison, d'un cheminement difficile mais nécessaire. Il avait trouvé en Namjoon un ami fidèle, quelqu'un à qui il pouvait parler sans crainte de jugement, même si, ironiquement, il s'agissait du meilleur ami de Jungkook, enfin un ancien ami proche. Un lien fort, mais complexe. Leur amitié s'était progressivement tissée après cette nuit-là, où Taehyung avait enfin permis à la douleur de sortir et avait accepté d'être écouté. Namjoon, toujours calme, avait trouvé les mots justes, les mots qui apaisaient sans rien effacer, juste une promesse d'être là.
C'était un peu étrange de se dire qu'après tout ce qu'il avait vécu, il s'était rapproché de lui. Mais Namjoon aussi avait pris du recul. Sa séparation avec Jin, bien que difficile, avait agi comme un catalyseur. Cela avait ouvert une nouvelle ère dans leur relation. Depuis, ils se retrouvaient chaque fois que Namjoon revenait en France, généralement dans sa galerie. Là, ils se perdaient dans des discussions interminables, refaisaient le monde à leur manière, rient, réfléchissent, se confient. C'était doux et paisible, un peu comme un retour à la simplicité.
Il y avait aussi Jimin, qui, bien qu'à des années-lumière de lui, restait une présence constante dans sa vie. Jimin était désormais très occupé avec son travail et ses deux enfants adoptés avec Yoongi. Il avait toujours été là pour Taehyung, même à distance. Et voir son ami heureux, ayant enfin trouvé l'amour avec celui qu'il avait toujours aimé, lui apportait une paix qu'il n'avait pas connue pendant longtemps. Yoongi, à en croire Jimin, était le père idéal, l'amant parfait, et un homme profondément bon. Mais parfois, Jimin glissait, dans un souffle, une ombre dans ce tableau parfait. Jungkook. Il lui en parlait peu, mais Taehyung savait qu'il avait encore une emprise sur Yoongi, notamment à cause de ses dérives. Mais Taehyung préférait ne pas se mêler de tout cela. Il avait tourné la page, ou du moins, il essayait de le faire. Et même si ses pensées revenaient parfois à Jungkook, il s'obstinait à croire qu'il avait enfin trouvé une forme de paix.
Mais l'amour, lui, était resté hors de portée. Il n'avait jamais retrouvé cette flamme. Certes, il avait eu des aventures, mais rien de sérieux, rien qui ne parvienne à raviver cette étincelle qu'il pensait avoir perdue avec Jungkook. Il vivait une vie rythmée par les défilés, les photoshoots, les voyages incessants, et le luxe qui venait avec. Mais lorsque la journée se terminait, lorsqu'il rentrait chez lui, tout redevenait simple, presque banal. Le nom Taehyung retrouvait son sens profond. Il redevenait cet homme ordinaire, plongé dans la tranquillité d'un appartement immense mais silencieux.
Il travaillait plus dur que jamais, s'investissant dans sa carrière avec la même intensité qu'avant. Il était devenu un professionnel respecté, un modèle de sérieux, mais aussi de compassion. Quand il avait des partenaires, il les traitait toujours avec respect. Parce qu'il savait qu'il ne pouvait pas leur offrir ce qu'ils attendaient. Il n'avait plus de cœur à donner. Ses relations étaient légères, mais ses partenaires finissaient souvent par s'attacher à lui. Et alors, il leur expliquait, doucement, mais fermement, que son cœur ne pouvait plus aimer. Il leur disait qu'il ne voulait pas leur faire vivre la souffrance qu'il portait depuis si longtemps. Parce que ça, il ne pourrait plus jamais l'offrir à personne.
Et dans ce tourbillon de défilés, de photos, de luxe, il se retrouvait souvent seul face à lui-même. Mais à la fin de la journée, dans le silence de son appartement, tout redevenait simple, comme il l'avait toujours été. Taehyung. Un homme qui avait perdu l'amour, mais qui essayait de trouver une nouvelle manière de vivre.
Ce matin-là, Taehyung fut réveillé par la sonnerie de son téléphone. Le nom qui s'afficha sur l'écran le fit sourire légèrement. Kavi, le père de Lisa, était un homme qu'il respectait profondément. Bien que leurs chemins se soient éloignés, il gardait pour cet homme un attachement sincère, une affection presque filiale. Il lui avait permis en quelque sorte de trouver une autre voie en faisant de lui son mannequin vedette.
Cette rencontre lors d'un gala pour les démunis quelques années plus tôt n'était sûrement pas dû au hasard. Rien n'était dû au hasard.
Il décrocha sans hésiter.
— Bonjour Taehyung, ça va ? Tu vas bien de l'autre côté du monde ? Dit-il un peu paternaliste.
— Oui, et vous ?
— Très bien, merci.
Il y eut une courte pause, suivie de cette question simple mais toujours pleine d'intentions.
— Je peux faire quelque chose pour vous ?
— Oui, en fait... La voix de Kavi se fit un peu plus sérieuse. J'ai un modèle qui est tombé malade et je suis un peu ennuyé.
— Comment puis-je vous aider ?
Taehyung sentit l'urgence dans la voix de Kavi, mais il n'imaginait pas encore à quel point la demande pourrait le toucher.
— Je sais que tu as un défilé ce soir pour la maison Chanel, commença Kavi d'un ton hésitant, mais ce gros contrat que j'ai avec "Les Mots de Paris" est vraiment important. Ils voulaient absolument travailler avec toi au départ, mais j'avais refusé parce que je sais que tu te concentres sur le haut de gamme... Mais là, vu les circonstances...
— J'accepte, répondit Taehyung, coupant Kavi dans son élan.
Un silence surpris se fit entendre à l'autre bout de la ligne.
— Tu es sûr ? Le cachet n'est pas important, et ce n'est pas vraiment dans ta ligne habituelle.
— Je veux le faire, dit Taehyung, sa voix teintée de sincérité. J'adore cette petite marque. Si je peux leur donner un coup de pouce avec mon image, j'en serais ravi.
Kavi rit doucement, un rire presque soulagé.
— Tu es un amour, tu sais. Tu me manques, nos petits moments me manquent. Tu n'es pas que l'image de mon agence, non, tu es un véritable ami, mon grand. Tu devrais revenir un peu chez nous, chez toi en Corée.
Ces mots firent tressaillir Taehyung. Il détourna instinctivement les yeux, comme si Kavi pouvait lire sur son visage ce qu'il ressentait à l'autre bout du fil.
— Je n'ai plus d'attaches là-bas, répondit-il avec un ton neutre, presque mécanique.
— C'est ta ville de cœur, insista Kavi, sans savoir à quel point ses mots étaient lourds de sens.
Séoul.
Cette ville était bien plus qu'un simple endroit pour Taehyung. C'était là que tout avait commencé. Et aussi là que tout avait pris fin ou presque. Mais Kavi ne pouvait pas savoir. Il ne pouvait pas deviner que cette ville était remplie de souvenirs qui le hantaient, de rues qu'il évitait mentalement, de cafés qu'il ne voulait plus revoir, d'une vie qu'il avait dû laisser derrière lui.
Non, Kavi ne savait pas. Il ignorait que sa propre fille, Lisa, avait été l'une des causes de ce malheur. Que cette dernière, avec sa jalousie déguisée en insistance, avait lentement détruit ce qu'il y avait de plus précieux entre Taehyung et Jungkook. Il ne savait pas qu'elle avait exercé une pression silencieuse aux yeux de tous mais constante sur Jungkook, poussant ce dernier à douter, à se perdre, à s'éloigner de lui et de son âme sœur.
Comment aurait-il pu savoir ? Kavi aimait Jungkook comme un fils et traitait Lisa comme sa petite princesse. Il connaissait ses caprices, bien sûr. Il savait qu'elle pouvait être exigeante, parfois même autoritaire. Mais il ne pouvait pas deviner qu'il avait, en quelque sorte, créé un monstre.
Un monstre déguisé en perfection.
Taehyung, lui, le savait. Il avait vu Lisa manipuler, insinuer, se positionner là où elle n'aurait jamais dû être. Mais il n'en voulait pas à Kavi. Comment aurait-il pu ? Cet homme était bon, honnête, aimant. Il n'aurait jamais imaginé que sa propre fille puisse être une des clés du malheur de Taehyung. Un bourreau pour Jungkook
Alors, comme toujours, Taehyung sourit au téléphone, cachant son trouble derrière une façade impeccable.
— Merci, Kavi. Je ferai de mon mieux pour les aider.
— Tu éludes la question Taehyung.
— Je réponds à une demande.
— Toujours aussi malin pour éviter certains sujets...Parfois je n'arrive pas à te comprendre mon grand.
— Ne cherchez pas, ça fait mon charme, n'est-ce pas ?
— Hm... Possible, mais encore merci pour cette grande aide que tu m'apporte.
— Vous pourrez toujours compter sur moi, Kavi.
— A bientôt Taehyung.
En raccrochant, Taehyung regarda son reflet dans la fenêtre, le cœur lourd. Il tenta de vider son esprit, de repousser les pensées sombres qui menaçaient de l'envahir. Il ne voulait pas replonger dans ces souvenirs douloureux ni alimenter cette haine sourde qu'il portait envers Lisa. Cette haine qu'il s'efforçait d'ignorer, mais qui refaisait surface à chaque fois qu'il croisait son chemin.
Elle était partout. Sur chaque shooting, chaque défilé. Ils étaient devenus les mannequins incontournables, presque inséparables dans l'imaginaire des grandes marques. Le duo glamour par excellence, disaient les magazines et les critiques. Ironique, n'est-ce pas ? À l'extérieur, ils représentaient la perfection : deux visages impeccables, deux corps sculptés, une alchimie magnétique. Mais à l'intérieur, Taehyung se débattait avec une tempête.
Car Lisa, elle, ne se gênait jamais pour appuyer là où ça faisait mal. Sur les plateaux ou dans les coulisses, elle trouvait toujours un moyen de s'imposer, de raconter ses soi-disant moments intimes avec Jungkook. Elle choisissait ses mots soigneusement, ajustait son ton, assez fort pour que Taehyung entende, mais pas assez pour que cela semble calculé. À chaque anecdote qu'elle glissait dans l'air, une nouvelle lame s'enfonçait dans le cœur de Taehyung.
Il savait que c'était un jeu. Il savait qu'elle le faisait exprès, qu'elle jouait avec ses nerfs. Mais même en le sachant, il ne pouvait s'empêcher de ressentir cette douleur cuisante. Parce qu'il y avait cette vérité cruelle, évidente : elle, elle avait une place dans la vie de Jungkook, une place qu'il n'aurait plus jamais. Et même si c'était un mensonge, même si Lisa exagérait ou inventait, cela suffisait à lui rappeler qu'elle était là, à ses côtés, tandis que lui n'était qu'un souvenir.
Mais ce n'était pas seulement cette jalousie amère qui le rongeait. C'était cette certitude que Jungkook devait subir tout cela en silence. Qu'il devait supporter Lisa, ses caprices, ses frasques, pour garder ce secret qu'ils avaient partagé. Cet abus de son corps et de son âme qui faisait de lui ce qu'il était devenu aujourd'hui. Taehyung le connaissait trop bien. Il savait à quel point Jungkook pouvait se sacrifier, à quel point il pouvait se perdre pour protéger ce qu'il pensait être juste ou nécessaire. Et cette pensée était insupportable.
Se perdre et les perdre eux aussi.
Taehyung, lui, n'avait que des fragments de leur passé, des souvenirs trop beaux pour être réels, et cette douleur lancinante qui ne s'éteignait jamais complètement. Alors, ce matin-là, il ajusta une dernière fois son reflet dans le miroir, enfila son masque d'homme parfait, et quitta son appartement.
Le monde attendait de lui qu'il soit impeccable, élégant, inébranlable. Mais à l'intérieur, il n'était qu'un champ de ruines, dissimulé derrière le glamour et les flashs.
Taehyung arriva un peu en avance à l'hôtel qui lui avait indiqué Kavi. Dès qu'il franchit le seuil, un sentiment étrange l'envahit. Cette simplicité, si éloignée des palaces luxueux et des lieux tape-à-l'œil où il passait la majeure partie de son temps, lui fit un bien fou. Les murs portaient des traces de vécu, les meubles étaient modestes mais chaleureux, et l'odeur du café frais se mêlait au parfum discret du bois ancien comme c'était le cas chez ses grands-parents.
Cette pensée le fit sourire.
Cela le ramena à une époque plus douce, presque oubliée. Une époque où les sourires n'étaient pas feints, où les relations n'étaient pas des jeux de pouvoir ou d'image. Ici, tout semblait plus vrai, plus humain. C'était comme une bouffée d'air pur après des mois passés à jouer un rôle, à enfiler des costumes qui ne lui allaient jamais vraiment.
Il s'assit dans un coin du petit salon de l'hôtel, ses yeux glissant sur les détails du décor : des rideaux légèrement décolorés, un vase de fleurs sauvages posé sur une table, des livres usés empilés sur une étagère. Tout semblait crier que la vie n'avait pas besoin d'être un grand théâtre faux et grandiloquent pour être belle.
Il se surprit à sourire encore une fois avec un vrai sourire, presque imperceptible mais sincère. Pendant un instant, il se sentit reconnecté à lui-même, au Taehyung d'avant, celui qui riait facilement, qui rêvait sans retenue.
Mais ce sentiment, aussi agréable soit-il, ne dura qu'un instant. Comme une ombre, ses pensées le rattrapèrent. Son esprit, toujours prompt à le tourmenter, fit ressurgir l'ironie de la situation. Ce contraste entre cette simplicité réconfortante et le monde qu'il habitait désormais était presque cruel. Là où il vivait, tout était calculé, artificiel, une mascarade où même les émotions étaient des accessoires.
Il se passa une main sur le visage, comme pour chasser ces pensées. Il devait se concentrer sur ce qu'il était venu faire ici. Aider cette petite marque, donner de sa personne pour quelque chose de plus pur, plus sincère. Cela valait mieux que de se laisser happer par le tumulte de ses souvenirs.
Un membre de l'équipe finit par venir le chercher. Avant de se lever, Taehyung jeta un dernier coup d'œil à la pièce. Ce lieu lui avait offert un court répit.
La jeune femme, aussi petite que charmante, leva les yeux vers lui avec une admiration non dissimulée, comme si elle se trouvait devant une œuvre d'art vivante.
— C'est un honneur pour nous, Monsieur, murmura-t-elle, visiblement impressionnée, lorsque son regard profond se posa sur elle.
Taehyung esquissa un léger sourire, cherchant à apaiser sa nervosité.
— Taehyung, dit-il doucement.
Elle cligna des yeux, déconcertée.
— Pardon ?
— Taehyung, reprit-il, je m'appelle Taehyung. Le "Monsieur" est un peu guindé, non ?
Elle rougit légèrement, un sourire gêné apparaissant sur ses lèvres.
— Oui... Taehyung, finit-elle par rectifier. C'est vraiment un honneur, vous savez.
— L'honneur est pour moi, répondit-il, son sourire devenant plus chaleureux.
Avant qu'elle ne puisse ajouter quoi que ce soit, un jeune homme s'approcha, l'air aussi intimidé que la jeune femme.
— Monsieur... commença-t-il, mais Taehyung l'interrompit gentiment.
— Taehyung, dit-il, presque en chuchotant.
Le jeune homme hocha rapidement la tête, un peu perdu, avant de se reprendre.
— Oui, Taehyung. C'est un honneur pour moi, vous savez. Je suis Jérôme, le créateur.
Taehyung tendit une main avec une élégance naturelle.
— Enchanté, Jérôme. Mais, comme je le disais à votre assistante, l'honneur est pour moi. Je vous suis depuis un moment, vous savez.
L'expression de Jérôme passa de la surprise à une certaine incrédulité.
— Vraiment ?
— Vraiment. Vous avez beaucoup de talent. J'aime ce mélange de simplicité et de chic. C'est rare et précieux.
Un sourire timide éclaira le visage de Jérôme, comme si les mots de Taehyung avaient balayé toute son appréhension.
— Merci, vraiment... Cela signifie beaucoup pour moi, dit-il, sincère.
Un instant de silence les enveloppa, Jérôme cherchant ses mots, puis, encouragé par le sourire chaleureux de Taehyung, il reprit
— Si vous voulez bien me suivre, je vais vous présenter le reste de l'équipe.
Taehyung acquiesça d'un signe de tête et emboîta le pas à Jérôme. Ils traversèrent un couloir étroit où les murs portaient des touches discrètes de créativité : des croquis accrochés ici et là, des morceaux de tissu suspendus, tout semblait imprégné d'une énergie artisanale.
Finalement, ils débouchèrent dans une grande pièce qui lui coupa le souffle. Les créateurs avaient recréé une chambre digne du château de Versailles : des drapés somptueux ornant les murs, un lit à baldaquin sculpté avec finesse, des chandeliers qui projetaient une lumière douce et dorée. Chaque détail était une œuvre d'art.
— C'est à tomber, murmura Taehyung, sincèrement impressionné.
Le créateur, debout à côté de lui, semblait retenir son souffle, attendant une réaction.
— Vous avez réussi à capturer l'essence du luxe, tout en le rendant vivant et accessible. C'est magnifique, ajouta Taehyung en tournant son regard vers Jérôme, ses yeux brillants d'admiration.
Ce dernier sembla relâcher une tension invisible, son sourire s'élargissant.
— Merci, dit-il simplement. C'est tout ce qu'on espérait. Notre photographe nous a dit que vous étiez l'homme parfait pour évoluer dans cet univers et je suis entièrement d'accord avec lui.
— C'est gentil, dit-il.
— Non, c'est entièrement vrai.
Taehyung se retourna une dernière fois pour contempler la scène. Il se sentait étrangement à l'aise ici, dans ce mélange de raffinement et de sincérité. Ce n'était pas qu'un décor, c'était une vision, une histoire, une émotion incarnée. Et il était prêt à en faire partie.
Mais son regard fut très vite happé par un autre regard, intense et brûlant, qui s'était posé sur lui depuis l'autre côté de la pièce. Une petite décharge électrique sembla frapper son cœur, une sensation qu'il croyait avoir oubliée. Il y eut un mélange de surprise et d'excitation dans ce moment suspendu, comme un écho lointain d'une vie qu'il n'avait plus effleurée depuis longtemps.
De l'autre côté, l'homme fronça légèrement les sourcils en reconnaissant Taehyung, mais ce fut un sourire large et éclatant qui s'épanouit sur ses lèvres presque aussitôt, marquant clairement sa joie évidente de le revoir.
— Je vous présente... Commença Jérôme, mais il n'eut pas le temps de finir. L'autre homme s'avança déjà, sûr de lui, tendant une main à Taehyung.
— Kim Taehyung, dit-il avec un sourire qui suintait tout le charme et la confiance qui semblaient innés chez lui.
Taehyung se redressa légèrement, la surprise toujours gravée sur son visage.
— Jon, murmura-t-il, presque pour lui-même. Je ne savais pas que tu serais le photographe de cette séance.
Jon haussa un sourcil malicieux avant de répondre avec une pointe de sensualité dans la voix
— Eh bien, on dirait que Kavi n'a pas fait son boulot, dit-il en riant doucement, un rire teinté de cette séduction naturelle qui lui était propre. Ou peut-être est-ce le hasard, continua-y-il en lui faisant un clin d'œil.
Cette sensualité... C'était comme si elle flottait autour de lui, imprégnant chaque geste, chaque mot.
— Vous vous connaissez alors ? demanda Jérôme, un brin décontenancé par cette interaction inattendue.
Jon répondit avant que Taehyung ne puisse dire quoi que ce soit, son sourire toujours aussi espiègle.
— On pourrait dire ça, oui. Nous avons été... Assez proches pendant un certain temps.
Taehyung, pour une raison qu'il ne comprit pas lui-même, sentit le besoin d'ajouter avec une certaine distance.
— Des amis, précisa-t-il, presque comme un rappel à lui-même plus qu'aux autres.
Il croisa le regard de Jon à ce moment-là, un regard pénétrant qui sembla vouloir contredire ses mots. Une tension palpable s'installa entre eux, comme une conversation silencieuse que personne d'autre dans la pièce ne pouvait comprendre.
Cette rencontre inattendue fit à Taehyung un bien qu'il peinait à admettre, comme une lumière timide au fond d'un tunnel qu'il avait trop longtemps traversé. La séance de photographie se déroula dans une ambiance particulière, un subtil mélange de professionnalisme et de séduction.
Taehyung s'efforça de rester neutre, maîtrisant soigneusement ses expressions, comme s'il cherchait à protéger son cœur de souvenirs ou de sensations qu'il avait si longtemps enfouis. Pourtant, il n'était pas insensible à l'aura de Jon, à sa présence magnétique qui emplissait la pièce. De son côté, Jon ne se priva pas pour jouer de son charme, comme il savait si bien le faire. Il glissa quelques regards appuyés entre deux clichés, murmura des indications d'une voix douce, légèrement teintée de malice, ou laissa échapper des compliments à demi-voix qui, bien que professionnels en apparence, semblaient toujours avoir une touche personnelle.
Cela faisait plus de quatre ans qu'ils ne s'étaient pas vus, et Jon, comme figé dans le temps, avait à peine pris une ride. Il était toujours aussi irrésistible, et les tatouages qui parsemaient son corps semblaient encore plus nombreux qu'à l'époque, ajoutant à son allure ce mélange envoûtant de mystère et de sensualité.
Chaque détail de Jon semblait exacerber cette tension qui flottait dans l'air. Sa silhouette, ferme et sculptée, ses gestes précis et sûrs, et ce regard, ce fichu regard qui semblait toujours chercher celui de Taehyung. Oui, Jon avait un corps à faire tomber plus d'un, et même les jeunes mannequins qu'il côtoyait chaque jour auraient eu du mal à rivaliser avec cette aura brute et naturelle qu'il dégageait.
Taehyung le savait, il le sentait dans chaque fibre de son être. Et bien qu'il tenta de s'accrocher à sa neutralité, il ne pu nier que quelque chose en lui vacillait doucement, comme une flamme qu'on croyait éteinte et qui, pourtant, continuait de couver en silence.
— Tout est dans la boîte, dit Jon en baissant son appareil, un sourire satisfait sur les lèvres.
— Incroyable, vous êtes incroyable, lança Jérôme à l'attention de Taehyung, qui leva une main dans un geste modeste, comme pour s'excuser de cette remarque.
— Oui, je confirme, ajouta Jon avec un sourire en coin. Un vrai pro... Et toujours aussi magnifique. Pas besoin de retouche avec toi.
Taehyung, sentant le compliment glisser sous sa peau, détourna légèrement le regard avant de demander.
— Je pourrais regarder les clichés, enfin, y jeter un œil ?
Jérôme, un peu surpris par cette demande, arqua un sourcil. Un mannequin qui s'intéressait au processus artistique, ce n'était pas si courant.
— Oui, bien sûr, répondit Jon avec un enthousiasme sincère. Mais je te propose de venir à mon studio. Je ne vais pas pouvoir les développer tout de suite. Ce n'est pas du numérique, je travaille à l'ancienne pour garder l'esprit authentique du projet.
— Très bien, acquiesça Taehyung sans hésiter.
Il savait que cela signifiait passer plus de temps avec Jon, et bien que cela lui fit peur d'une certaine manière, il y avait aussi une étrange excitation qu'il ne pouvait ignorer.
Jon, voyant son acceptation, sourit un peu plus largement, presque satisfait.
— Parfait. Demain matin, ça te va ? Je t'envoie l'adresse par mail ou par sms si tu n'as pas changé ton numéro ?
— Très bien, répondit Taehyung, calmement, bien qu'il sente son cœur battre un peu plus fort à l'idée de ce rendez-vous.
— Donc ton numéro est toujours...
— Non, le coupa-t-il, j'ai changé de numéro, Je... Enfin c'était nécessaire...
Jon senti que Taehyung était fébrile, cette simple précision l'avait déstabilisé. Il savait, il connaissait l'histoire, leur histoire, alors il voulut mettre fin à sa gêne.
— Ok, on fait comme ça alors, voilà mon numéro, tu m'envoie un message et je t'envoie mon adresse.
— D'accord...
— Parfait, alors bonne fin de journée Tae, dit Jon avec une petite pointe d'humour, son sourire espiègle laissant une chaleur douce flotter dans l'air.
Taehyung le regarda s'éloigner, son matériel sur l'épaule, la démarche toujours assurée et décontractée. Sans vraiment comprendre pourquoi, un léger sourire s'étira sur ses lèvres. Il se surprit à ressentir une chaleur étrange dans son cœur, un mélange de nostalgie et de réconfort.
Son esprit fut immédiatement ramené à leur première rencontre. C'était Kavi qui l'avait introduit à Jon lors de son tout premier shooting, une expérience qui l'intimidait alors. Jon, pourtant, avait su le mettre à l'aise d'un simple regard et de quelques mots bienveillants. "Tu es incroyablement photogénique", lui avait-il dit avec sincérité. Ce compliment avait suffi pour créer une complicité immédiate.
Très vite, une amitié sincère s'était développée entre eux. Jon avait été là durant une grande partie de son ascension dans le monde du mannequinat et même pendant les tournées du groupe. En tant que photographe officiel et responsable de leur image, il avait joué un rôle essentiel, non seulement professionnellement, mais aussi sur un plan plus personnel.
Quand les choses devenaient compliquées avec Jungkook, Jon avait souvent été son refuge. Il ne jugeait jamais, se contentait d'écouter avec une patience infinie, offrant des conseils simples mais toujours justes. Taehyung savait que Jon l'appréciait énormément, peut-être même plus que ce qu'un simple ami n'aurait dû. Mais jamais, pas une seule fois, il ne s'était permis un geste ou une parole déplacée.
Mais lui aussi, il l'avait quitté...
Et maintenant, des années après leur dernière collaboration, le revoir lui faisait un bien fou, comme si une part de son passé avait retrouvé sa place. Pourtant, quelque chose le troublait profondément. Cette chaleur particulière qu'il ressentait à l'égard de Jon n'était pas celle qu'il associait à une simple amitié. Elle avait une intensité, une douceur inattendue qui le fit paniquer un instant.
Son cœur, qui s'était pourtant verrouillé depuis Jungkook, semblait vouloir se débattre. Mais non. Impossible, pensa-t-il en secouant légèrement la tête.
Il baissa les yeux, comme pour fuir la réalité de son propre trouble. Jon avait toujours été là, oui, mais il ne pouvait pas être plus qu'un souvenir chaleureux, un pilier d'amitié. Aimer quelqu'un d'autre que Jungkook ? Non, jamais. C'était inconcevable.
Et pourtant, le souvenir du sourire de Jon, de son regard intense et de sa voix apaisante, continua de danser dans son esprit.
Pour la toute première fois depuis qu'il avait quitté Jungkook, Taehyung avait passé une nuit où ses pensées ne l'avaient pas torturé. Mais ce calme, au lieu de l'apaiser, l'avait laissé perplexe. La nuit, il l'avait passée à regarder la grande horloge design de sa chambre, observant les aiguilles avancer sans vraiment s'assoupir. Il s'était surpris à repenser à Jon, à ses sourires, à ses regards. Cette pensée, bien qu'inattendue, avait chassé d'autres souvenirs plus douloureux.
Quand le matin arriva, il s'éveilla avant même que son réveil ne sonne. Une énergie inhabituelle le poussa à sortir rapidement du lit. Il se précipita sous la douche, choisit avec soin une tenue, hésitant entre plusieurs options. Au bout de longues minutes à inspecter son reflet dans le miroir, il secoua la tête, agacé par lui-même.
— Mais qu'est-ce que tu fais, Taehyung ? murmura-t-il, presque en se moquant de son propre comportement.
Il délaissa la tenue qu'il avait jugée trop sophistiquée et opta pour quelque chose de plus simple : un pantalon beige fluide et une chemise en lin immaculée, déboutonnée juste assez pour suggérer sans en faire trop. Un parfum discret mais élégant vint compléter le tout.
Une fois prêt, il sortit de chez lui, choisissant délibérément de prendre les transports en commun plutôt que son chauffeur habituel. Il voulait rester anonyme, sentir le pouls de la ville, comme pour se recentrer. À chaque arrêt, il sentit son cœur battre un peu plus vite. Était-ce l'excitation ? La nervosité ? Lui-même n'aurait su le dire.
Quand il arriva devant le studio de Jon, il s'arrêta un instant, observant la porte discrète et la petite plaque indiquant le nom du photographe. Il prit une grande respiration, puis leva la main pour appuyer sur la sonnette.
Quelques secondes plus tard, la porte s'ouvrit, révélant Jon.
Taehyung sentit son souffle se couper brièvement. Jon se tenait là, vêtu d'un jean ajusté qui mettait en valeur ses cuisses musclées, et d'un débardeur blanc qui laissait entrevoir son torse tatoué. Son apparence était aussi décontractée que magnétique, et son sourire chaleureux fit naître une étrange chaleur dans la poitrine de Taehyung.
— Salut, lança Jon, son regard pétillant.
Taehyung resta un instant figé, détaillant les tatouages sur ses bras, les lignes de son visage qui semblaient encore plus marquées qu'autrefois.
— Entre, ajouta Jon en s'écartant pour lui faire place, son ton naturellement apaisant.
Taehyung hocha la tête et franchit le seuil, sentant l'atmosphère familière et créative du studio l'envelopper. L'intérieur était baigné de lumière naturelle, les murs ornés de clichés en noir et blanc. L'endroit dégageait une simplicité élégante qui ressemblait beaucoup à Jon lui-même.
— Café ? Thé ? demanda Jon en refermant la porte derrière lui.
— Du thé, s'il te plaît, répondit Taehyung, tentant de masquer l'agitation qu'il ressentait.
— C'est vrai j'avais oublié, tu ne bois pas de café.
— Jamais non, Enfin...Celui de... Oublie dit-il en laissant sa main virevolter avec grâce, comme pour chasser un mauvais souvenir.
Ils échangèrent un sourire, et pendant un instant, le reste du monde sembla disparaître.
Taehyung mit fin à leur échange, et naturellement, Jon lui indiqua un grand bureau où de nombreux clichés étaient éparpillés.
Taehyung s'approcha, curieux, et se pencha pour observer les photos. Il prit son temps, passant de l'une à l'autre, ses doigts frôlant parfois les bords des tirages. Une expression de satisfaction adoucit ses traits.
— Alors ? demanda Jon en entrant dans la pièce, un petit plateau en équilibre sur une main.
Dessus, une tasse délicate et une théière en porcelaine semblaient l'attendre.
— Tu as vraiment du talent, Jon, répondit Taehyung, la voix sincère. Cette façon de faire ressortir le meilleur de nous avec ton objectif... C'est bluffant.
Jon posa le plateau avec soin, un sourire presque timide flottant sur ses lèvres.
— Ça n'a rien à voir avec moi, Taehyung, rétorqua-t-il en s'approchant. C'est toi. Tu es juste incroyablement magnifique. Tu l'as toujours été, et aujourd'hui encore plus.
Ses yeux captèrent ceux de Taehyung, un regard intense qui sembla percer une carapace invisible. Taehyung détourna légèrement les yeux, troublé.
— Je... balbutia-t-il.
Jon continua, la voix douce mais ferme.
— Tu sais, tout le monde l'adulait, lui, parce qu'il avait cette aisance naturelle, cette façon de se mettre en avant, de bouger avec confiance. Mais toi... Outre ta voix chaude, tu étais le visage du groupe. Tu avais cette présence unique.
Taehyung releva les yeux vers lui, une ombre de douleur passant sur son visage.
— Jungkook était le meilleur d'entre nous. À tous les niveaux, dit-il, la voix pleine d'une conviction presque douloureuse.
Jon soupira légèrement, croisant les bras, son expression se durcissant juste assez pour trahir son désaccord.
— Non, tu te trompes, Taehyung. Et crois-moi, j'étais bien placé pour le savoir.
— Ah oui ? dit-il sur les dents comme un moyen de défense.
— Oui, Jungkook est loin de cet homme parfait que les magazines ont longtemps mentionné. Il est menteur, infidèle et irrespectueux envers lui et les autres.
— C'est à cause de sa famille.
— Ce n'est pas une raison pour faire subir aux autres ce que sa famille lui a fait.
— Je sais...
—Tu étais, et tu es toujours, le meilleur de tous. Regarde ce qu'il est devenu...
Taehyung secoua la tête, le poids de la culpabilité visible dans ses yeux.
— Il souffre, murmura-t-il.
Jon fronça les sourcils.
— Et toi, tu ne souffres pas ? répondit-il, le ton légèrement plus sec.
— C'est différent, insista Taehyung, sa voix tremblant presque. C'est moi qui suis parti. Par ma faute, il se détruit.
Jon s'avança de quelques pas, posant ses mains sur le bord du bureau, se penchant légèrement vers Taehyung.
— Non, Taehyung. Pas la tienne. Seulement la sienne.
Taehyung secoua la tête, le poids de la culpabilité visible dans ses yeux.
— Il n'a pas le choix, rétorqua Taehyung, les poings serrés, la voix presque cassée. Il doit protéger...
— C'est toi qu'il aurait dû protéger, Taehyung, le coupa Jon, sa voix ferme mais empreinte de douleur. Toi, et personne d'autre. Moi, je l'aurais fait. Si tu avais été dans ma vie, je l'aurais fait.
Les mots de Jon laissèrent Taehyung sans voix. Il fixa Jon, les sourcils légèrement froncés, cherchant à comprendre la portée de cette déclaration.
— Pardon, oublie ce que je viens de dire, reprit Jon, adoucissant son ton. C'est juste que... Tu es un mec bien, Tae. Je veux le meilleur pour toi.
Taehyung détourna à nouveau le regard, la mâchoire serrée, une lutte intérieure visible sur son visage.
— Je ne veux pas m'attacher, Jon, murmura-t-il. Je ne peux pas. Il est trop présent. Ici, dit-il en pointant son cœur. Et là, ajouta-t-il en effleurant sa tempe.
Jon hocha la tête, comprenant la profondeur du conflit qui se jouait en Taehyung.
— Il le sera toujours, admit-il calmement. Il fait partie de toi. Mais ça ne veut pas dire que tu ne peux pas laisser une place à un autre.
— Et lui mentir ? souffla Taehyung.
— Non, répondit Jon immédiatement. Parce que tu es honnête, Taehyung. Tu lui dirais tout.
Taehyung serra les lèvres, secouant légèrement la tête.
— Je suis incapable de faire ça.
— Alors tu finiras seul, déclara Jon, le ton tranchant, mais non dépourvu de compassion.
— C'est mieux que de faire souffrir un homme qui m'aimerait, répliqua Taehyung, une lueur de douleur dans les yeux.
Jon inspira profondément, croisant ses bras, comme s'il cherchait à retenir une réponse qu'il savait risquée.
— Et si cet homme était prêt à l'accepter ? demanda-t-il doucement.
Taehyung releva les yeux, surpris, fronçant légèrement les sourcils.
— Je veux dire... Si cet homme savait qu'une partie de ton cœur n'était pas à lui, mais que la partie que tu lui offrirais était réelle et unique ?
Jon attendit, son regard plongé dans celui de Taehyung, espérant une réponse, un signe. Mais rien n'arriva.
— De toute façon, ce n'est pas le sujet. Jungkook c'est de l'histoire ancienne et je suis venu pour voir ces clichés.
— Juste pour ça, vraiment ?
Taehyung jeta un dernier coup d'œil aux photos et comme si de rien n'était lui répondait.
— Oui, je suis très satisfait, tu peux les envoyer.
— Très bien, lui répondit le tatoué un peu déçu de son attitude.
— Je dois te laisser, j'ai un rendez-vous important à l'agence.
— D'accord...
Taehyung sentit la déception dans sa réponse et se reprit.
— Merci de m'avoir invité, ça m'a fait du bien de revoir un ami.
Jon força un sourire en hochant la tête, mais ses yeux trahissaient une certaine tristesse.
— Toujours un plaisir, Taehyung. Je suis content qu'on ait pu se revoir, dit-il doucement.
Taehyung ajusta la manche de sa chemise, visiblement mal à l'aise. Il détestait laisser les choses en suspens, mais il était incapable de mettre des mots sur ce qu'il ressentait. Trop de souvenirs, trop de poids dans son cœur.
— À bientôt, Jon, finit-il par dire avant de se diriger vers la porte.
Jon le suivit du regard, immobile, une main glissant machinalement sur le bord du bureau.
— Tae ?
Taehyung s'arrêta net, une main sur la poignée, mais il ne se retourna pas.
— Si jamais... Tu veux parler, ou même juste venir boire un thé, tu sais où me trouver.
Le silence s'étira un instant, puis Taehyung hocha la tête sans un mot et quitta le studio.
Dans la rue, il inspira profondément, laissant l'air froid de la matinée effleurer son visage. Les mots de Jon résonnaient encore dans son esprit, comme une mélodie qu'on n'arrive pas à oublier.
Il marcha d'un pas rapide, espérant que le mouvement ferait taire son esprit. Mais ce n'était pas aussi simple. Jon avait raison. Il vivait prisonnier de ses souvenirs, incapable de s'ouvrir à autre chose, à d'autres possibles.
Alors pourquoi ressentait-il cette chaleur étrange en repensant à leur échange ?
Pourquoi avait-il envie de revenir, juste pour entendre encore Jon lui dire qu'il méritait d'être heureux ?
Les jours s'écoulèrent semblables les uns aux autres, et Taehyung s'adapta à cette routine où Jon semblait toujours présent, tel un pilier discret mais essentiel. Jon avait cette façon d'être là sans jamais s'imposer, toujours à écouter, à soutenir, à offrir une présence réconfortante dans les moments où Taehyung se sentait sombrer dans ses souvenirs.
Avec Namjoon, les échanges étaient chaleureux mais sporadiques ces derniers temps, il était très pris. Leurs vies avaient pris des chemins si différents qu'ils ne se croisaient plus que rarement. C'était une amitié solide, mais marquée par la distance et les responsabilités. À mesure que Jon occupait une place plus importante dans son quotidien, Taehyung ne pouvait nier le parallèle avec leur passé.
Jon était à nouveau cette constante, comme il l'avait été autrefois, l'ami patient et dévoué. Taehyung voyait bien que Jon ressentait quelque chose pour lui. Ces regards prolongés, ces silences pleins de sous-entendus, cette disponibilité presque totale... Tout en Jon criait un amour inavoué.
Mais Taehyung se refusait à lui donner une autre place que celle d'ami.
Il avait peur.
Peur que Jon devienne l'ombre de Jungkook, se souvenir impossible à effacer. Peur de blesser cet homme qui méritait tellement mieux qu'un cœur brisé incapable de guérir.
Une nuit, alors qu'ils partageaient un dîner improvisé chez Jon, Taehyung osa enfin poser la question qui tournait dans sa tête depuis des semaines.
— Pourquoi tu fais tout ça ? Toujours être là pour moi, toujours te rendre disponible, comme si...
Il s'interrompit, mal à l'aise, mais Jon ne détourna pas le regard.
— Comme si quoi, Tae ?
— Comme si j'étais tout ce qui comptait pour toi, répondit-il doucement, les yeux baissés.
Jon posa ses baguettes et croisa les bras, pensif.
— Parce que tu es important pour moi. Depuis toujours.
— Mais ça n'a pas de sens. Je... Je ne peux rien t'offrir, Jon. Mon cœur est déjà pris.
Jon hocha lentement la tête, un sourire triste se dessinant sur ses lèvres.
— Je sais.
— Alors pourquoi ?
Jon inspira profondément avant de répondre, sa voix calme mais empreinte d'une honnêteté brutale.
— Parce que je t'aime assez pour accepter les miettes, si c'est tout ce que tu peux me donner.
Taehyung sentit son cœur se serrer.
— Tu mérites tellement plus que ça.
— Peut-être, répondit Jon, haussant les épaules. Mais tu mérites d'être aimé, même si ce n'est pas parfait, même si ce n'est pas facile.
Un silence lourd s'installa entre eux, chargé d'émotions non dites. Taehyung savait qu'il devait répondre, mais il n'en avait pas la force. Tout ce qu'il put faire, ce fut murmurer :
— Je suis désolé.
Jon lui adressa un sourire doux, résigné, avant de changer de sujet.
— Alors, tu veux du dessert ?
Et comme toujours, Jon était celui qui acceptait tout, même de souffrir en silence.
*
Ce matin-là, Taehyung eut un mal terrible à se lever. Cette journée allait être une épreuve pour lui, bien plus que les autres jours. Il la vivait suffisamment souvent pour l'appréhender. Aujourd'hui, il allait devoir affronter Lisa, cette femme qui était bien plus qu'une simple collègue. Pour le public, ils formaient un duo parfait, les mannequins vedettes d'une prestigieuse marque de vêtements. Pour lui, chaque rencontre était une douleur sourde.
Lorsqu'il arriva sur le lieu du shooting, il fut immédiatement pris en charge par le staff. Les assistants, habitués à sa ponctualité et à son professionnalisme, l'escortèrent rapidement vers les loges. Pourtant, même les gestes familiers, la routine rassurante des préparatifs, ne parvinrent pas à apaiser l'angoisse qui grandissait en lui.
Après s'être préparé, il rejoignit l'équipe sur le plateau. La première chose qu'il vit fut Lisa. Elle était là, au centre de l'attention, entourée de stylistes et d'admirateurs, telle une reine dans sa cour. Magnifique, grandiloquente, imposante. Son rire cristallin résonnait, suffisant pour éclipser tout le reste.
Taehyung inspira profondément, rassemblant son courage, et s'avança. Chaque pas semblait plus lourd que le précédent. Il n'avait pas besoin de croiser son regard pour sentir cette aura suffocante qu'elle émettait, ce mélange de charme et de domination qui captivait tous ceux autour d'elle.
Lorsqu'elle le vit, son sourire s'élargit, une étincelle malicieuse s'allumant dans ses yeux. Elle s'approcha, avec cette grâce calculée, et planta son regard dans le sien.
— Taehyung, quel plaisir de te revoir, dit-elle d'une voix douce mais perçante, assez forte pour que tous l'entendent.
Taehyung s'inclina légèrement, gardant son expression neutre.
— Lisa, répondit-il simplement, sans sourire.
Elle fronça légèrement les sourcils, déçue de son manque de réaction, mais n'en montra rien. Au contraire, elle ajouta, avec un ton faussement concerné :
— Tu as l'air fatigué... Tout va bien ?
Il sentit la pique derrière ses mots. C'était toujours comme ça avec elle, des phrases anodines qui cachaient des dagues.
— Je vais très bien, merci, répondit-il sobrement, sans lui accorder plus d'attention.
Mais Lisa ne se contentait jamais de si peu. Elle glissa une main dans ses cheveux, un geste aussi naturel que arrogant, et reprit, assez fort pour que les membres du staff à proximité entendent :
— Tu sais, Jungkook a mentionné quelque chose à ton sujet l'autre jour...
Taehyung sentit son cœur se serrer, mais il ne broncha pas.
— Ah oui ? fit-il, essayant de masquer sa tension.
Lisa lui sourit, satisfaite d'avoir capté son attention, et continua :
— Oui... Enfin, il m'a surtout parlé de vous, toi et lui. Tu sais comme il est, toujours si protecteur...
Elle laissa planer un silence, observant sa réaction, avant d'ajouter .
— Mais je suppose que ce n'est plus vraiment un sujet, n'est-ce pas ? De vieux souvenirs sans importance.
Taehyung serra imperceptiblement les poings, mais il resta de marbre. Il avait appris, au fil des années, à ne pas mordre à l'hameçon.
— Exact, répondit-il simplement, en détournant le regard.
Ce manque de réaction sembla l'agacer, mais elle n'insista pas.
— En tout cas, tu es magnifique aujourd'hui, dit-elle avec un sourire. C'est toujours agréable de travailler avec toi, conclut-elle, avant de se détourner, sa robe flottant derrière elle comme un symbole de sa supériorité.
Taehyung resta immobile un instant, le cœur battant. Chaque rencontre avec Lisa était un rappel cruel de tout ce qu'il essayait de fuir. Mais il inspira profondément, se redressant. Il n'allait pas lui donner ce pouvoir sur lui. Pas aujourd'hui.
Elle prenait toujours un malin plaisir à parler de lui, à faire des allusions qu'il savait fausses. Taehyung en avait l'habitude, mais cela ne l'agaçait pas moins. Elle connaissait suffisamment bien son passé pour appuyer là où ça faisait mal, mais il savait que ses mots n'étaient qu'un écran de fumée. Jungkook, il en était certain, ne devait même plus lui parler, ou très peu. Il avait coupé contact avec presque tout le monde, et ce qu'il entendait de temps à autre ne faisait que confirmer son isolement.
Taehyung décida d'ignorer Lisa, comme il l'avait toujours fait. Il ne lui donnerait pas cette satisfaction. Il joua son rôle à la perfection, le visage neutre, maîtrisé, tandis qu'elle s'agitait dans son cercle, cherchant l'attention. Il ne la laisserait pas gagner, pas cette fois. Elle avait déjà pris trop de place dans sa vie : son adolescence marquée par son ombre, ses débuts de jeune adulte assombris par ses manigances. Elle lui avait volé tant de choses, mais il restait une chose qu'elle ne pourrait jamais atteindre : son âme.
Lorsque la pause arriva, il profita de l'instant pour s'éloigner. Le staff avait prévu un buffet somptueux, mais il n'avait pas faim. Le tournage drainait son énergie, et il avait besoin d'un moment de calme. S'installant sur l'un des grands canapés, il ouvrit un livre qu'il avait emporté, espérant s'évader dans ses pages pour oublier où il se trouvait et surtout avec qui.
Mais Lisa, fidèle à elle-même, ne l'entendit pas ainsi. Bien qu'elle soit à quelques mètres de lui, entourée de son petit groupe de fans et d'assistants, elle haussa volontairement la voix.
— Vous savez, je suis tellement heureuse en ce moment, commença-t-elle avec cet enthousiasme surjoué qu'il connaissait trop bien.
Une des jeunes femmes de son entourage répondit avec un sourire admiratif :
— Tu as de la chance, Lisa, il est tellement beau.
Taehyung tourna la page de son livre, feignant l'indifférence.
— Oh, vous n'imaginez même pas ! répondit-elle en jetant un regard furtif dans sa direction. Lui et moi, ça ne date pas d'hier. C'est mon amour d'enfance, ajouta-t-elle avec un sourire presque triomphal.
Le groupe autour d'elle s'anima immédiatement, intrigué.
— Sérieux ? s'étonna une des filles.
— Bien sûr, répondit Lisa avec assurance. Vous savez quoi ? Un jour, il m'a regardée droit dans les yeux et il m'a dit, dans un anglais parfait, que j'étais sa princesse. Son seul et unique amour.
Taehyung sentit son cœur se serrer, mais son expression ne changea pas. Ses yeux restèrent rivés à son livre, bien que ses pensées aient quitté les mots imprimés depuis longtemps.
— Vous aviez quel âge ? demanda une autre, captivée par l'anecdote.
Lisa prit un air faussement rêveur, jouant son rôle à merveille.
— Dix ans, répondit-elle, comme si elle ressassait un souvenir précieux. J'étais déjà la femme de sa vie, conclut-elle avec une fierté à peine dissimulée, son regard glissant à nouveau vers Taehyung pour observer sa réaction.
Mais il ne bougea pas, son visage demeurant un masque de calme. Pourtant, son esprit le trahit. Malgré lui, il fut transporté ailleurs.
Des images lointaines refirent surface, des souvenirs qu'il pensait avoir enfouis. Une époque où il était jeune, insouciant, et où déjà Jungkook occupait tout son univers...
(Flashback.)
Ils étaient dans sa chambre, une petite pièce à la décoration simple, mais où tout semblait imprégné de leur complicité. Jungkook était assis par terre, le dos appuyé contre le lit, les yeux rivés sur l'écran de sa console portable, concentré sur l'un de ses jeux préférés. Taehyung, lui, était allongé sur le lit, les jambes croisées, absorbé par un drama romantique qu'il adorait. Le contraste entre leurs centres d'intérêt était flagrant, mais leur présence l'un près de l'autre suffisait.
— Tu vas venir avec moi et Eomma à la fête foraine la semaine prochaine ? demanda Taehyung soudainement, les yeux toujours fixés sur l'écran de son téléphone.
Jungkook ne répondit pas immédiatement, perdu dans son jeu.
— Jungkook, tu m'écoutes ? insista Taehyung, se redressant légèrement.
— Hein ? Quoi ? marmonna Jungkook sans lever les yeux.
— Tu viens avec Eomma et moi à la fête foraine la semaine prochaine ? répéta Taehyung, avec une pointe d'agacement dans la voix.
— Ben, je sais pas... grogna-t-il, concentré sur un passage difficile de son jeu.
— Mais tu avais dit oui l'autre jour ! protesta Taehyung, fronçant les sourcils.
Jungkook soupira bruyamment, comme s'il était harcelé.
— Ouais, peut-être.
— « Peut-être » ? Tu peux jamais répondre à rien, grogna Taehyung en croisant les bras.
Cette fois, Jungkook releva enfin les yeux de sa console pour regarder Taehyung, légèrement amusé par son air vexé.
— Pourquoi c'est important ? demanda-t-il, un coin de sa bouche se levant dans un sourire malicieux.
— Parce que j'ai envie que tu viennes, c'est tout ! répliqua Taehyung en détournant les yeux, tentant de masquer l'importance que cela avait réellement pour lui.
— T'as peur d'être seul avec ta maman quoi ? En même temps je peux comprendre, des fois elle me fait flipper avec ses regards, taquina Jungkook.
— Non, idiot. C'est juste c'est mieux si tu est là.
Jungkook le fixa un moment, son sourire disparaissant pour laisser place à une expression plus douce.
— Ok, j'irai, lâcha-t-il finalement.
Taehyung le regarda, surpris mais ravi.
— Vraiment ? demanda Taehyung, un sourire éclairant son visage.
— Oui... répondit Jungkook, un peu hésitant.
— D'accord, je dirai à Eomma de venir nous chercher à...
Mais Jungkook le coupa, baissant les yeux comme s'il craignait sa réaction.
— Attends, non, c'est pas possible. J'y vais avec Lisa.
Le sourire de Taehyung s'effaça instantanément.
— Mais tu avais promis, murmura-t-il, cherchant à comprendre. On va toujours ensemble à la fête foraine !
— Ben oui, mais cette fois, j'y vais avec Lisa, répondit Jungkook, un peu agacé comme s'il voulait éviter une confrontation.
Taehyung détourna le regard et répondit doucement.
— D'accord.
Sa voix trahissait sa déception, mais il n'insista pas. Il se replongea dans son drama, ou du moins essaya. Jungkook, de son côté, reprit sa console, mais son jeu ne le captiva plus comme avant. Au bout de quelques minutes, il posa sa console et leva les yeux.
Taehyung n'était plus le même. Son expression s'était figée, ses yeux ne suivant même plus l'écran devant lui. Il semblait soudain éteint, absent.
Jungkook le fixa longuement, puis, avec une petite moue contrariée, monta sur le lit pour s'asseoir à côté de lui. Il le poussa doucement de l'épaule.
— Eh, tu boudes ? lança-t-il, cherchant à détendre l'atmosphère. On dirait ta mère.
— Non, répliqua Taehyung sans le regarder. Tu veux y aller avec elle, alors d'accord.
— C'est ma copine, Hyung, ajouta Jungkook pour justifier sa décision.
— Arrête de m'appeler comme ça, rétorqua Taehyung sèchement.
— Ben c'est vrai, c'est toi le plus vieux, non ? dit Jungkook en tentant de le taquiner, un sourire aux lèvres.
— J'ai pas envie de rire, Jungkook. Je regarde un film, répondit Taehyung, sa voix coupante.
Jungkook suivit son regard jusqu'à l'écran et grimaça.
— C'est pas un film, c'est un drama nul, grogna-t-il en croisant les bras.
— C'est mieux que tes jeux, répliqua Taehyung sans même le regarder.
Jungkook roula des yeux, exaspéré.
— Ouais, si tu veux...
— Non c'est pas si je veux, c'est vrai, affirma-t-il à nouveau. Tu devrais faire comme ces garçons un peu, parce que eux, ils sont cool.
Il en avait marre de toujours aller dans le sens de Jungkook et puis ce dernier abusait parce qu'en réalité, il regardait souvent des drama en douce, faisant semblant de jouer.
Jungkook lui fit un grand sourire, celui-là même qui le faisait craquer mais qui voulait aussi dire "j'ai une idée de merde".
— Tu devrais avoir une copine toi aussi, lança-t-il brusquement.
— J'ai pas besoin, répondit Taehyung du tac au tac.
— C'est cool, Lisa est cool.
— Non, elle est chiante, rétorqua Taehyung froidement.
— Elle est cool, insista Jungkook, visiblement agacé par les critiques.
— Elle te change, murmura Taehyung.
Le silence s'installa entre eux. Jungkook regarda Taehyung longuement, comme s'il essayait de comprendre ce qu'il venait de dire. Taehyung, lui, garda les yeux fixés sur son écran, mais ses mains tremblèrent légèrement, alors il tenta de les cacher dans ses poches.
— Je change pas, répondit enfin Jungkook, presque dans un murmure.
— Si, tu changes, murmura Taehyung, cette fois avec un regard direct, blessé.
Jungkook ne trouva rien à répondre.
— Tu es toujours avec elle. Tu parles que d'elle... Et moi alors ? Nous ? demanda Taehyung en croisant les bras, visiblement agacé.
— Quoi, nous ? répondit Jungkook, feignant l'innocence.
— Ben, on est meilleurs amis, non ? Et on s'est fait une promesse...
— Ça change rien, protesta Jungkook, haussant légèrement les épaules.
— Elle me déteste, murmura Taehyung en détournant le regard.
— Non, c'est pas vrai, dit Jungkook rapidement.
— Si.
— Non.
— Si.
— Non ! insista Jungkook, légèrement irrité.
Taehyung le regarda et planta son regard dans le sien.
— Elle te trouve juste bizarre, avoua Jungkook après une pause, comme si c'était un détail sans importance.
— Tu vois ! répliqua Taehyung, les yeux écarquillés.
— Ben... C'est vrai que t'es bizarre des fois quand elle est là, répondit Jungkook avec un sourire narquois.
— Elle ne m'écoute pas, elle me coupe la parole tout le temps, grogna Taehyung, blessé.
— Je vais lui dire alors, déclara Jungkook avec une assurance qui ne convainquit pas Taehyung.
— Non, laisse tomber, répondit-il sèchement.
— Tae, je vais lui dire d'être plus gentille.
— Laisse tomber je te dis.
— Alors arrête d'être chiant.
— Moi ? Chiant ?
— Ben non, c'est...
Mais Taehyung le coupa.
— J'ai pas envie de parler d'elle, lâcha-t-il, coupant court à la conversation.
— T'es jaloux, taquina Jungkook, un sourire amusé se dessinant sur son visage.
— Non.
— Si.
— Non.
— Si !
— Non.
— Alors quoi ? C'est juste une copine, je vais pas me marier moi ! Je te l'ai dit, je vais devenir le plus grand playboy de Corée, lança Jungkook avec une fausse fierté, bombant légèrement le torse.
— Super comme ambition, répondit Taehyung, blasé.
— Ben ouais, répondit Jungkook en rigolant.
— Et t'es super intelligent, trop drôle, répondit-il en levant les mains en l'air désespéré.
— Intelligent ouais, mais cool, Monsieur ! En gros un Einstein version Cho Yong Pil.
Taehyung se contenta de lever les yeux au ciel, ça ne valait pas plus. Cette réaction fit sourire Jungkook, il était conscient que ce genre de réflexion énervait son ami et il adorait l'embêter. Il avait cette petite moue boudeuse qui le faisait craquer.
— Et Lisa, alors ?
— Quoi Lisa ?
— Elle va faire quoi ? demanda Taehyung, haussant un sourcil, curieux malgré lui.
— Ben... Je sais pas moi. J'ai que onze ans, dit Jungkook, haussant les épaules avec un éclat de rire.
— Tu me saoules, Jungkook, grogna Taehyung, tentant de garder son sérieux.
— Tu m'aimes trop, répondit Jungkook, provocateur.
— Non.
— Si.
— Non.
— Si !
Avant que Taehyung ne puisse répondre à nouveau, Jungkook le poussa sur le lit, déclenchant une petite bagarre entre eux, mélange de taquineries et de rires.
— Tu seras toujours là, Taehyung, dit soudain Jungkook, essoufflé mais sérieux, en le regardant droit dans les yeux.
— J'espère, répondit Taehyung dans un murmure, surpris par le ton sincère de Jungkook.
— Tu es mon meilleur ami, et personne ne pourra détruire ça... encore moins une fille, ajouta Jungkook avec un sourire sincère.
Un moment de silence s'installa, lourd de promesses, et leurs rires s'éteignirent peu à peu, remplacés par une chaleur rassurante.
Taehyung revint brusquement à la réalité lorsqu'un éclat de rire de Lisa atteignit à nouveau ses oreilles. Il releva la tête et la regarda, entourée de ses admirateurs, brillant d'un éclat qu'il trouvait faux.
Taehyung referma son livre avec un soupir, prêt à retourner à sa loge pour enfin quitter cet endroit. Mais il n'eut pas le temps de faire plus de quelques pas qu'un membre du staff l'interpella.
— Taehyung, on finit les clichés, et on vous libère, ok ?
— Ok, répondit-il d'un ton neutre, hochant légèrement la tête.
La journée continua comme elle avait commencé : entre les rires forcés de Lisa et ses remarques insidieuses. Mais Taehyung tint bon. Il resta professionnel, masquant chaque émotion derrière un sourire figé.
Lorsque tout fut terminé, il salua poliment l'équipe et les mannequins avant de s'éclipser. Alors qu'il s'apprêtait à franchir les portes pour partir, Lisa le rattrapa, ses talons résonnant sur le sol.
— Taehyung, attends ! lança-t-elle, sa voix pleine d'insistance.
Il s'arrêta, mais sans se retourner.
— Je n'ai plus rien à te dire, Lisa. Le jeu est terminé, lâcha-t-il froidement.
— Tu penses que je fabule, hein ? reprit-elle, comme si elle n'avait pas entendu.
Il fronça les sourcils, se retournant légèrement.
— Quoi ?
— Quand je dis que Jungkook m'aime.
Taehyung écarquilla les yeux, choqué par l'audace de ses mots.
— C'est à moi que tu oses dire ça ? dit-il, sa voix trahissant une colère qu'il peinait à contenir.
— Je...
— Tu tiens Jungkook par la menace. Tu le détruis à chaque fois que tu poses tes yeux sur lui, à chaque fois que tu poses tes mains sur lui. Tu as détruit notre amour. Et tu oses venir me dire ça ? A moi... Vraiment ? Tu crois que je vais te croire ?
Lisa ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit immédiatement. Puis elle articula avec difficulté
— Il l'aime... Il m'a toujours aimé... Toi, tu étais une erreur dans sa vie. Et c'est pour cette raison qu'il est si mal aujourd'hui. Tu l'as rabaissé en tant qu'homme et je me dois de réparer cette erreur.
Le cœur de Taehyung se serra un instant, mais son visage resta de marbre.
— La seule erreur dans sa vie, Lisa, c'est toi, répliqua-t-il, une froideur tranchante dans la voix. Mais il a choisi parce qu'il n'avait pas d'autre choix que ça....Maintenant, moi, je me fiche de toi, de lui, de tout ce que vous êtes. Je suis parti. Ça fait quatre ans. Alors fais ce que tu veux, crois ce que tu veux. Mais sache une chose : j'espère qu'un jour, tu paieras pour tout le mal que tu lui fais.
Furieuse, Lisa leva la main, son visage déformé par la rage, prête à le gifler. Mais Taehyung l'arrêta net, attrapant son poignet avec une poigne ferme.
— Tu n'as aucun pouvoir sur moi, murmura-t-il, son regard planté dans le sien, glacé.
Puis, de son autre main, sans lâcher la sienne, il désigna son propre cœur avant de poursuivre
— Et vois ce qu'il y a là. Dans celui de Jungkook aussi. Ça, tu ne pourras jamais le détruire, tu ne pourras jamais nous l'enlever quoiqu'il arrive, quoique tu fasses, jamais tu entends... Jamais.
Il relâcha son poignet avec dédain, la laissant figée sur place, et tourna les talons sans un mot de plus.
— Je te déteste Kim Taehyung ! Tu ne l'auras jamais tu entends, jamais !
Lisa resta immobile, regardant son dos s'éloigner, le poids de ses paroles s'écrasant sur elle. Mais Taehyung ne se retourna pas. Cette fois, il était définitivement passé à autre chose.
Enfin... Presque.
En vérité, tout cela l'avait atteint bien plus qu'il ne l'avait laissé paraître. La colère et la douleur bouillonnaient en lui, cachées sous cette façade de froide indifférence. Taehyung remonta son col pour se protéger du vent glacial qui mordait sa peau et marcha sans but précis, ses pensées le submergeant.
Chaque pas était une lutte contre les souvenirs. Ils le harcelaient, revenant comme des vagues incontrôlables. Comment pouvait-il arrêter de penser à lui ? Comment pouvait-il échapper à cette ombre qui hantait encore chaque recoin de son esprit ?
Quatre ans.
Il ferma les yeux un instant en marchant, et aussitôt, une image lui apparut : un regard tendre, un sourire apaisant. Une chaleur qu'il avait si longtemps cherché. Taehyung rouvrit les yeux, son cœur battant plus vite.
Il avait besoin de réconfort. Besoin d'être aimé. Besoin d'aimer à nouveau.
Quatre ans... Quatre années à s'empêcher, à se fermer.
Il était seul et quelque chose au fond de lui venait de lui dire qu'il fallait à nouveau aimer, différemment, mais aimer. Parce que l'être humain n'était pas fait pour vivre seul, non. Son âme sœur lui avait été arraché mais ce n'était pas une fin en soit. On pouvait aimer sans la passion, sans la flamme, sans cette flamme incroyable et puissante. Oui on pouvait aimer tout simplement, avec un petit "A" et avancer vers des jours meilleurs.
Alors, sans réfléchir davantage, il se laissa guider par cette lueur dans son esprit, ses pas le menant devant une porte qu'il connaissait par cœur maintenant.
Il s'arrêta, hésitant. Ses doigts effleurèrent le bois de la porte comme si une force extérieure l'en empêchait, avant de frapper trois coups secs.
L'attente ne fut pas longue. La porte s'ouvrit, et il fut accueilli par ce même sourire qui avait envahi son esprit quelques minutes plus tôt.
— Taehyung, mais qu'est-ce que...
Jon n'eut pas le temps de finir sa phrase. Taehyung, submergé par ses émotions, se jeta sur lui, attrapant son visage entre ses mains pour l'embrasser avec une fougue incontrôlable.
— Jon, tu as raison, lâcha-t-il d'une voix haletante entre deux souffles. Je... j'ai... Je veux à nouveau aimer, je veux à nouveau ressentir qu'on m'aime, un réconfort, j'ai besoin de tout ça, alors est-ce que tu veux construire quelque chose avec moi ?
— Mais... balbutia Jon, encore sous le choc de cet élan inattendu.
Taehyung le dévisagea avec toute l'intensité de son regard, celui -là même qui le faisait tant craquer. Et pour une fois, il lui était adressé. A lui, Jon.
— Tu veux bien ? insista Taehyung, les yeux brillants d'une lueur désespérée, presque suppliante, tu veux bien...
— Taehyung, qu'est-ce que... ?
— Je t'aime beaucoup Jon. Il y a si longtemps que je n'ai pas aimé... Je vais te donner cette partie de moi. Celle dont tu m'as parlé, celle que je garde enfermée. Je sais c'est un peu égoïste parce que une partie de moi sera toujours à lui mais l'autre, elle est sincère, et elle t'attend, elle te désire...
— Taehyung, Attends, tu... Enfin...
— Je suis prêt. Et toi ? Jon, j'ai besoin de savoir, si, si...
Jon le regarda, un mélange de surprise et d'émotion dans les yeux. Après un court silence qui sembla durer une éternité, il murmura.
— Je la prends. Oui... Oui, je veux bien que tu me donnes cette partie de toi Taehyung.
Un sourire soulagé illumina le visage de Taehyung avant qu'il ne pousse Jon contre le mur, l'embrassant cette fois avec une passion encore plus grande.
— J'ai besoin de toi, Jon, murmura-t-il contre ses lèvres.
— Non, c'est moi qui ai besoin de toi. Mais ça, tu le sais déjà, ou si ce n'est pas le cas, tu vas très vite le savoir, répondit le beau tatoué dans un souffle, enroulant ses bras autour de lui.
Et dans cette étreinte, leurs cœurs semblèrent enfin trouver un apaisement qu'ils cherchaient tous les deux depuis trop longtemps.
Jungkook était loin... Il allait enfin vivre sa vie.
Il était vraiment prêt cette fois-ci et cet homme incroyable allait l'y aider, il en était certain.
Il n'y avait pas de hasard...
N'est-ce pas ?
***
Hello la commu, on retrouve Taehyung et une bonne partie des choses qui se sont passées pour lui durant cette longue première séparation avec Jungkook, et le plus beau, c'est que nous sommes au mois de décembre !
J'avais hésité à le posté le jour de l'anniversaire de notre Taehyung international, mais l'attente est trop longue, je suis impatience, et je voulais vous laisser avec ce petit cadeau de Noël, tout comme vous m'avez donné le miens...
CENSURE A ATTEINT LES 400k de lectures ce jour (23/12/24) ou peut-être avant qui sais-je, et je trouve ça complètement dingue alors mille merci pour tout cet amour.
Je vous aimes, à très bientôt pour la suite...
Chilo.
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