Chào các bạn! Vì nhiều lý do từ nay Truyen2U chính thức đổi tên là Truyen247.Pro. Mong các bạn tiếp tục ủng hộ truy cập tên miền mới này nhé! Mãi yêu... ♥

SPIN-OFF - Chapitre 1


TW : Drogues, mention de V.


1 an après que le groupe se soit séparé.







Parfois, la vie se présente à nous comme un plateau doré.

Rempli de trésors que l'on ne sait pas toujours apprécier.

Elle nous offre des richesses, une beauté éblouissante, et tout semble alors possible. Mais au fond, l'essentiel nous échappe.

L'amour, un don si précieux.

Celui d'aimer et d'être aimé.

Taehyung avait toujours été là.

Dans les souvenirs d'enfance, une présence familière. Mais Jungkook n'avait pas su voir à quel point il comptait. Avec le temps, il avait réalisé que l'amour, même s'il était présent, s'était perdu dans le tumulte de la vie.

La vie, la mort, la joie, la haine...

Jungkook se retrouvait souvent ainsi, pensant à lui, à ce qu'ils auraient pu être.

Il pleuvait ce soir-là. Que pouvait-il faire d'autre qu'essayer de ne pas l'oublier ?

Son âme sœur lui manquait, et pourtant, il sentait que tout cela touchait à sa fin.

Sans lui, la vie semblait vide, sans saveur.

Il aurait aimé que tout s'arrête, que le poids de l'absence se lève, car vivre sans lui, c'était comme errer dans un labyrinthe sans issue.

Ainsi, il pleurait, toujours dans l'obscurité, cherchant sa lumière dans ce gouffre amer qu'était devenu son quotidien.

Plus l'amour s'estompait et plus la douleur s'imposait.

Et lui, ne cessait de crier à l'univers que sans lui, il était l'Enfer.

– Jungkook, c'est à vous dans cinq minutes !

Assis sur ce grand canapé en cuir, immobile dans cette immense loge qui lui avait été confié comme à chaque représentation, Jungkook sursauta en entendant l'assistant appelé son nom. Il était perdu dans ses pensées depuis maintenant plus d'une heure, n'ayant pas voulu se mêler à son équipe qui s'était jetée sur les petits fours à leur arrivée dans les locaux du Tonight Show.

Il était fatigué, même épuisé par toute cette promotion qui n'en finissait plus, d'autant plus que l'effet de cette nouvelle drogue, bien qu'efficace, commençait déjà à se faire ressentir et à jouer sur son humeur.

Mais comment faire autrement ?

Un an sans le sentir, le toucher, entendre sa voix, parce que l'image que lui renvoyait les magazines ne pouvait pas combler le vide. La vie l'avait déjà par le passé éloigné loin de lui à des milliers de kilomètres et déjà son absence l'avait terriblement manqué. Mais depuis qu'il l'avait touché, goûté, cette absence était bien plus cruelle. Le manque était devenu insupportable, au point de ne plus pouvoir ressentir quoi que ce soit quand il touchait quelqu'un.

Un an de solitude au milieu de la foule qui l'adulait.

Il regarda l'horloge sur le mur, et se leva, prêt à se mettre en scène, jetant un dernier coup d'œil sur son reflet dans le miroir.

Le miroir, son pire ennemi, renvoyant cette image de lui qu'il détestait.

Beau, il l'était. Il l'avait certainement même toujours été, c'était même son meilleur atout mais à cet instant, ce n'est pas cette image qui lui vint. On pouvait le maquiller, coiffer, le rendre encore plus parfait qu'il ne l'était mais rien ni faisait à son sens, parce que parfait il ne l'avait jamais été.

Non, il était tout simplement parfaitement imparfait comme le disait son âme sœur.

Bordel, il n'avait que vingt-trois ans, et son visage était marqué comme s'il en avait vingt de plus.

Mais n'était-il que le seul à le voir ?

Déchéance, c'était sa vie, ça l'avait toujours été en réalité.

C'était de sa faute après tout, entre les concerts, les émissions, et surtout, l'alcool, la drogue et... Le manque.

Et puis il y avait elle.

Oui, elle... Mais là encore, il n'avait qu'à s'en prendre à lui-même.

– Ivy ? dit-il soudain comme de retour à la réalité.

– Je suis là Jungkook, répondit sa maquilleuse.

– Fais-moi disparaître ces putains cernes s'il te plait, je peux pas y aller comme ça.

Dubitative, sa maquilleuse s'approcha et scruta son visage.

– Mais... Je t'ai fait les retouches il n'y a même pas dix minutes... Tu es parfait Jungkook, pas une seule cerne, crois-moi.

– Ah ? Tu étais là ?

Loin d'être surprise, le visage de la jeune femme ne pu exprimer que de la peine pour cet artiste qu'elle suivait depuis maintenant un an et demi. Elle s'était toujours bien entendue avec lui, et avait tout de suite éprouvé un attachement particulier face à ce jeune homme talentueux mais débordant de peine et de tristesse. Jungkook était un professionnel, et ne laissait jamais rien paraître en surface, néanmoins, elle ne pouvait se résoudre à lui faire la morale, quand depuis des mois, il noyait sa peine dans toutes sortes de substances, se détruisant à petit feu.

Ses fans ne le voyaient-elles pas ? se demanda-t-elle. C'était pourtant si évident.

– Oui, j'étais là.

– Mais... Tu es sûr ?

Elle fit mine d'hésiter, puis lui sourit chaleureusement, se mettant sur la pointe des pieds muni de son attirail.

– Quoi que, fit-elle mine trouver quelque chose à arranger sur son beau visage, peut-être une juste là, ne bouge pas.

Jungkook laissa ses mains habiles agir, puis il sourit pour la remercier.

– Tu sais que ma proposition tient toujours, Ivy.

– Celle d'aller au cinéma ensemble, c'est ça ? se moqua la maquilleuse, rangeant son matériel.

– Le cinéma ouais, c'est ça, dit-il avec un sourire charmeur.

– Je vais peut-être y réfléchir sérieusement, lui dit-elle avec ce jolie sourire qui lui sciait tant.

Il lui rendit, se laissant complètement abandonner quelques secondes, tentant de ressentir la douceur de ses mains délicates sur son visage.

Ressentir.

Sentir.

Le ressentir, le sentir...

Tout cela était si loin maintenant. Taehyung était parti et avec lui son âme.

Jungkook rouvrit alors les yeux et tomba dans le regard de la jeune femme. Ils se dévisagèrent quelques instants, puis, sans s'en rendre compte, il lui remit une mèche de cheveux derrière l'oreille. Soudain, son cœur fit un bon, le secouant légèrement. Ce geste, il l'avait si souvent fait avec... C'est alors que le visage de Taehyung lui revint en pleine face avec une clarté si nette qu'il crut l'espace de quelques millièmes de secondes qu'il était bien là. Mais très vite, cette vision s'estompa pour laisser place au visage de sa maquilleuse.

Gêné par son geste, il retira sa main et fit un pas en arrière.

– Excuse-moi, je... Je ne voulais pas, enfin, je...

– Ça va aller Jungkook, y'a pas mort d'homme.

Il lui fit un petit signe de la tête et lui sourit timidement, comme un enfant perdu. La jeune femme eu envie de le prendre dans ses bras pour le réconforter, mais ils n'étaient pas assez proches pour cela, elle n'était que sa maquilleuse après tout.

– Merci, dit-il finalement comme pour briser le silence.

– De quoi ?

– D'être là, de...

Soudain, la porte s'ouvrit dans un fracas, laissant entrer son manager, qui fit un signe de la main à la jeune femme pour qu'elle s'en aille, ce qu'elle fit sur le champ, comme apeurée par cet homme imposant.

– Attends, tenta Jungkook, comme pour la retenir.

Mais trop tard, elle avait quitté la pièce sous le regard insistant du manager. Furieux mais désabusé, Jungkook tourna la tête et regarda l'homme qui lui faisait face.

– Toujours aussi aimable, Collin. J'ai toujours aimé la façon dont tu traitais les gens, et tout particulièrement tes équipes, souffla Jungkook avec un air désabusé, insistant sur ses mots. Tellement... Tellement... Bah j'ai pas les mots, quoi.

– Arrête de foutre de ma gueule Jeon, je suis pas ton pote. T'as intérêt à te tenir à carreau putain, parce que tout le monde en a ras-le-cul de ton comportement de merde, et...

– Ok reçu, let's go pour être le roi des cons et le top des enfoirés !

En colère, Collin s'approcha et s'arrêta face à lui, bombant le torse, certainement pour l'intimider, mais Jungkook n'en avait rien à faire. Rien ne le surprenait, rien ne lui faisait peur, il avait trop souvent touché le fond pour ça.

– T'es à ça mec, dit Collin en pinçant ses deux doigts, à ça d'être viré, tu captes ?

– Et ?

– Et arrête de te foutre de nous, dernière fois. Joue ton rôle, et fais le bien, la production ne peut pas continuer à assumer tes ingérences malgré ton succès.

Jungkook ne le regarda même pas et le contourna, pour se diriger vers les coulisses de la scène.. C'était devenu monnaie courante entre eux depuis quelques mois.

– Monsieur Jeon, c'est à vous dans deux minutes !

Ses danseurs l'attendaient déjà, il leur tapait dans les mains, devenant à cet instant l'artiste adulé et le leader de son équipe. Et quand le métronome et le décompte se fit entendre dans ses oreillettes, Jungkook attrapa discrètement le médaillon de son collier dont il fit sauter un minuscule loquet, avant d'étaler rapidement et avec dextérité sur sa main, une petite ligne de poudre blanche qu'il huma aussitôt.

Il devait tenir malgré la fatigue et la douleur qui lui dévorait les tripes.

– Il est là... La super pop star mondiale qui ne cesse de nous charmer à chacune de ses prestations. Il est beau, il est sexy, il est celui que vous attendez toutes et tous, j'ai nommé, Jeon Jungkook !

Rassuré, il se positionna bien droit, détendit ses muscles, jeta un dernier coup d'œil à sa troupe de danseurs et inspira profondément avant de s'élancer sur la scène.

Les premières notes résonnèrent dans la salle, un battement sourd et hypnotique qui se répandit comme une vague invisible. Les lumières baissèrent d'un coup, plongeant la scène dans une obscurité presque totale, seulement percée par quelques halos de lumière blanche. Un silence électrique s'installa, comme si le monde entier retenait son souffle.

Et Taehyung... Retenait-il son souffle lorsqu'il le voyait ? pensa-t-il alors.

Le rythme s'amplifia, un crescendo délicat, mêlant des synthétiseurs aériens et des percussions profondes, firent vibrer le sol sous les pieds du public. L'air sembla chargé d'une énergie palpable, une tension subtile avant l'explosion.

Puis, lentement, sa silhouette est apparue. Jungkook émergea de l'ombre, sa présence magnétique captant immédiatement tous les regards. Il avança d'un pas lent, calculé, son corps en parfaite harmonie avec la musique. Chaque geste était fluide, presque félin, comme s'il glissait sur scène. Sa tête légèrement inclinée, il dégagea une aura de confiance.

Le tempo s'accélèra, et avec lui, Jungkook se mit en mouvement. Ses bras se levèrent doucement, ses épaules se balançaient au rythme des basses, tandis que ses pieds marquaient la mesure sur le sol. Il était à la fois gracieux et puissant, une parfaite maîtrise de son corps et de l'espace qui l'entourait.

Tout ce qu'il n'était pas capable de faire dans sa vraie vie. Mais le mensonge, la tromperie, le faux semblant, c'était de famille non ?

L'éclairage changea soudainement, des faisceaux bleutés inondèrent la scène, dessinant autour de lui une aura presque surnaturelle. Le public fut captivé, suspendu à chacun de ses gestes, attendant le moment où sa voix viendrait enfin s'ajouter à cette symphonie envoûtante.


Play me slow

Push up on this funk and give me miracles...

(Joue moi un morceau lentement

Profite de ce funk et donne-moi des miracles)


Sa prestation fut sans pareille, toujours encouragée par les cris de tous ces fans en délire. Même s'il était épuisé, au bord du gouffre, c'était une chose dont Jungkook ne pouvait se passer. Dès les dernières notes de son single titre, Standing next to you, Jungkook enchaîna avec deux autres morceaux phares de son dernier album, 3D et Seven.

Ces morceaux étaient entrainants, et surtout, à l'image de la personnalité publique que Jungkook était devenu, choisissant une carrière solo juste après la dissolution du groupe.

Seul.

C'était ça sa vie, en réalité.

La musique s'arrêta et la caméra fit un gros plan sur son beau visage, laissant place aux hurlements des fans en délire. Comme à son habitude, il laissa un petit sourire charmeur dont lui seul avait le secret se dessiner sur ses lèvres et alla rejoindre le présentateur qui l'attendait sur le sofa pour l'interview.

– Merci d'être là avec nous pour nous présenter en exclusivité votre tout dernier titre de votre dernier album, Jungkook.

– C'est un plaisir.

– On va quand même lâcher les bombes : depuis un an, votre carrière solo à pris une dimension planétaire, vous avez fait la une de tous les magazines, remporté toutes les récompenses que le monde de la musique peut offrir, votre tournée mondiale a fait le buzz dans le monde entier et les places se sont vendues à chaque fois en quelques minutes. Que pouvez-vous attendre maintenant ?

Jungkook fronça légèrement les sourcils, sentant que les substances qu'il avait inhalées quelques secondes avant de faire ses prestations commençaient à le plonger dans un état nauséeux et déprimant. Un an plus tôt, il aurait apprécié son palmarès, mais aujourd'hui, quel intérêt y avait-il à tout ça ?

L'argent ? Pas besoin, il était milliardaire bien avant d'être connu.

La reconnaissance, et pour quelle raison ? Pour plaire à qui ?

Il était si seul.

Alors oui, que pouvait-il bien attendre maintenant ?

Un sourire se dessina sur ses lèvres, et il gonfla le torse avant de répondre du tac au tac.

– La mort.

Le présentateur fut un peu déstabilisé par cette réponse et pendant quelques secondes qui parurent à une éternité, le silence s'installa. De l'autre côté, dans les coulisses, son producteur cru tomber à la renverse. Son poulain était devenu plus qu'ingérable ces derniers mois et cette réflexion venait de confirmer son choix.

– Ah ! Jungkook, vous êtes un véritable petit blagueur ! Vous avez presque failli me déstabiliser avec cette petite blague, lança le présentateur en riant de plus belle.

– Une blague ? répéta Jungkook en plissant les yeux pour tenter de stabiliser son champ de vision.

– Mais oui, "la mort" ? Vous êtes vraiment incroyable quand même, je...

– Incroyable, vraiment... ? Qu'est-ce qui si est incroyable ?

– Vous me faites jouer, hein... ? Encore une corde à votre arc, un vrai acteur.

Jungkook poussa le bout de sa langue à l'intérieur de sa joue, tic qu'il avait depuis son plus jeune âge quand il était énervé ou contrarié et son regard se dirigea lentement derrière la scène, où son manager était positionné. Leurs regards se croisèrent, et très vite, il pu lire la colère dans ses yeux. Alors il prit une grande respiration et poussa un grand soupir avant de reprendre la parole.

– Vous y avez cru n'est-ce pas ? Je sais je suis très fort a ce jeu là aussi, dit-il avec toute la conviction qu'il pouvait encore y mettre.

– Génial, on applaudit l'artiste !

Le public applaudit avec fougue et Jungkook se leva comme un acteur après une excellente prestation pour les saluer, le cœur au bord des lèvres.

– Reprenons notre interview et parlons un peu de votre vie privée si vous voulez bien.

Une vie privée, il avait vraiment une vie privée ? se dit-il au fond de lui.

Depuis que le groupe s'était disloqué, sa vie n'avait rien de privé. Il faisait la une de tous les magazines, de tous les journaux et de la télévision pour ses frasques. C'était pas très joli, il en était conscient, mais qu'est-ce qui pouvait bien l'arrêter ? Ou qui ? Il en avait bien une petite idée mais c'était déjà trop tard, il avait tout gâché.

– Depuis votre mariage, maintenant presque un an avec le mannequin vedette Mademoiselle Manoban, on vous voit assez peu ensemble... Les fans se posent des questions ! Votre coeur appartient-il toujours à cette magnifique jeune femme ou... ?

– Mon cœur... Et bien comment dire, il s'est brisé il y a bien longtemps maintenant et mon mariage n'a que peu d'intérêt à mes yeux, mais il fait la une des journaux alors soit ?

– Ce n'est pas très gentil pour votre femme ça dis-donc, lança le présentateur en riant.

– Je voulais dire que... Enfin... Et bien, je suis un artiste et ma vie privée bien que public ne regarde que moi. C'est en ce sens que mon mariage n'a que peu d'intérêt.

Il s'était plutôt bien rattrapé, il ne pouvait pas parler de son mariage de cette façon en public, bien qu'il ne lui devait rien, à elle. Ce n'était pas correct vis à vis de la famille de cette dernière, pour qui il avait de la sympathie.

– Oui, parce que vous aimez votre femme c'est une évidence.

– Une évidence, c'est ça oui.

Mais quel mensonge, si seulement ils savaient.

– Mais en quoi votre cœur a-t-il été brisé il y a longtemps ?

Il allait répondre, mais cette phrase raisonna en lui comme un électrochoc. Il sentit son cœur se serrer et sa gorge l'étouffer. Il lui fallut quelques secondes pour se ressaisir.

— Mon cœur s'est brisé quand le groupe s'est séparé, se reprit-il.

— Ah ! Oui, je comprends. Il est vrai que vous étiez tous très proche et vous retrouver seul ne doit pas toujours être simple, même si vous êtes sans conteste le plus doué de tous.

— Peut-être, dit-il sans plus suivre ce qui se passait autour de lui.

Plus rien n'avait d'importance.

Jungkook se demandait ce qu'il faisait là et n'avait envie que d'une chose : partir loin d'ici et mettre fin à tout ça. Le reste de l'interview partit dans tous les sens, entre mensonges et vérités. Il n'était plus vraiment maître de lui, la drogue s'emparant de son corps. Même le présentateur ne put le recentrer et mit fin plus tôt que prévu à leur échange afin de ne pas abîmer son image.

Jungkook quitta le plateau d'un pas lourd, le cœur oppressé, comme à chaque fois. Ce malaise, cette sensation de vide qui ne le quittait plus depuis des mois, depuis que l'homme qu'il aimait s'en était allé. Il avança dans le couloir, arrachant ses vêtements sans prêter attention à ceux qui l'entouraient, techniciens, maquilleurs, membres de l'équipe, tous invisibles à ses yeux.

Seule sa douleur comptait.

Lorsqu'il atteignit enfin sa loge, un frisson glacé de solitude le traversa. Rien n'avait changé : l'immensité du silence l'aspira aussitôt, l'écrasant un peu plus. Il se laissa tomber sur le fauteuil, ses mains tremblantes venant couvrir son visage dans une tentative vaine de retrouver un peu de calme. Mais quand il rouvrit les yeux et croisa son propre regard dans le miroir, ce qu'il vit le glaça davantage.

Un corps. Rien de plus. Une enveloppe.

Belle, lui disait-on souvent, mais d'une beauté qui n'avait plus aucune importance pour lui. Quelle valeur pouvait bien avoir cette apparence quand elle abritait un gouffre, un néant ?

Il attrapa son téléphone, comme un automatisme. Ses doigts glissèrent sur l'écran avec cette lueur d'espoir qu'il haïssait pourtant. Chaque jour, depuis plus d'un an, il attendait un message. Son message. Celui qui ne venait jamais.

À la place, il ne trouvait que des notifications vides de sens, des SMS de ces "amis" de façade, ceux qui avaient pris la place des vrais, et qui lui rappelaient cruellement à quel point il était seul.

Soudain, une boule amère se forma dans sa gorge. Les larmes montèrent, mais comme toujours, il les retint. Il n'y avait plus de raison de pleurer, plus de sens à verser ces larmes qui, de toute façon, n'éffaceraient rien. Elles étaient aussi inutiles que tout le reste. Comme cette absence. Comme son absence.

Il resta là, immobile, le regard perdu dans le vide, incapable de dire combien de temps s'était écoulé. Des minutes, peut-être même des heures ? Il ne savait plus. Le temps avait cessé d'avoir une réelle importance depuis longtemps. Ce n'était plus qu'un flot continu, ininterrompu, où chaque instant se fondait dans l'autre.

Soudain, la sonnerie stridente de son téléphone brisa le silence étouffant de la pièce. Il sursauta violemment, son cœur battant soudain à tout rompre. L'espace d'une seconde, une étincelle d'espoir illumina son regard. Il se précipita sur son téléphone, mais son excitation s'éteignit aussi vite qu'elle était née.

Bien sûr que ce n'était pas lui. Comment aurait-il pu l'appeler ? Il n'avait même plus son numéro...

Un sourire amer tordit ses lèvres alors qu'il regardait le nom qui s'affichait. Il savait déjà ce qui allait suivre, mais il décrocha quand même. Il fallait bien assumer les choses parfois à défaut de les faire correctement.

— Putain, Jungkook, t'as encore fait n'importe quoi ! La voix était acerbe, coupante. Je ne suis même pas resté jusqu'à la fin. Tu te rends compte ? Je t'avais dit quoi, hein ?

Jungkook ferma les yeux, serrant la mâchoire.

— Je suis désolé, je...

— Désolé ? siffla l'autre, furieux. Non mais tu te fous de moi ? Ça fait un an que t'es désolé, Jungkook ! Un an que t'enchaînes les conneries. Je t'avais prévenu avant cette foutue interview. C'était ta dernière chance. La dernière !

— Je vais me reprendre, je vais... tenta Jungkook, sa voix brisée par une panique qui le saisit soudain à la gorge.

Mais elle n'avait rien à voir avec le fait qu'il était conscient que sa production allait le dégager, non, cette panique c'était parce que encore une fois il se demandait comment il allait pouvoir continuer à vivre sans lui.

Le reste n'était qu'un jeu, une façon de tenter d'exister. Une promesse qu'il avait faite à Yoongi après que Taehyung les ait quittés.

— Arrête. C'est mort.

Le silence. Ces deux mots résonnèrent dans sa tête comme une condamnation.

C'est mort.

Tout était mort depuis longtemps, non ? Sa carrière, ses amitiés, sa relation... Il aurait dû s'y attendre.

Mais en même temps c'était presque libérateur de l'entendre de la bouche d'une personne qui ne comptait pas à ses yeux.

— Écoute, je vais me reprendre, je... Je vais me reprendre, souffla Jungkook d'une voix éteinte, à peine convaincu par ses propres mots.

Un jeu d'acteur ? Une tentative d'exister ?

Il savait, au fond de lui, qu'il n'y croyait plus vraiment. Ces promesses, il les avait faites mille fois, et chaque fois elles s'étaient évanouies dans le néant, comme tout le reste. Mais il ne pouvait pas se permettre de lâcher prise. Pas maintenant. Pas encore.

Il lui avait fait une promesse à lui aussi...

— Arrête, Jungkook, lâcha son interlocuteur d'un ton las, presque désabusé. Tu es complètement shooté, tu le sais, non ? T'as plus rien dans les veines, plus que de la poussière. Et encore je suis sympa quand je dis de la poussière.

Ces mots frappèrent Jungkook en plein cœur, aussi violents que la réalité qu'ils décrivaient. Il sentit sa gorge se serrer un peu plus.

— J'en ai marre de tes promesses, poursuivit l'autre, implacable. Marre de t'entendre dire que tu vas changer, que tu vas te reprendre. À un moment, faut que tu te fasses une raison, bordel. C'est fini. Nous, on a donné.

Jungkook resta silencieux.

Ces mots, il les avait entendus plusieurs fois, mais cette fois-ci, ils résonnaient avec une amertume différente. Il avait l'impression d'être face à un mur qui se refermait lentement sur lui, le privant peu à peu d'air, de lumière, de tout.

Lui aussi il lui avait dit tout ça, lui aussi il lui avait demandé de grandir, d'arrêter de mentir. Pas de changer non, parce que Taehyung était bien trop respectueux pour lui demander d'être quelqu'un d'autre, mais juste d'arrêter de lui mentir, de se mentir à lui-même et de lui rendre un peu une partie de tout l'amour qu'il lui donnait. Sans pression, sans contrainte, juste être lui. Mais ça il n'avait même pas été capable de le faire pour lui, pour la seule et unique personne qu'il ai jamais vraiment aimé, alors pour les autres...?

— Tu dois arrêter de te bercer d'illusions. Tu crois que ça va revenir comme avant ? Que t'auras une autre chance ? reprit la voix, maintenant plus calme, presque triste. T'as tout gâché, et c'est trop tard. Personne ne va attendre que tu te reprennes éternellement. On est tous passés à autre chose. Toi aussi, tu devrais.

Jungkook laissa son regard se perdre à nouveau sur le sol de sa loge. Ses mains tremblaient. Il n'avait rien à dire, rien à répondre, parce qu'il savait que c'était vrai. Au fond, il le savait depuis le début. Mais l'admettre, le reconnaître ? C'était tout autre chose.

— Jungkook ? finit par dire l'autre, après un silence pesant.

— Ouais, murmura-t-il, la voix brisée.

— Prends soin de toi. Sérieusement.

Puis la ligne se coupa.

Jungkook resta là, figé, le téléphone encore collé à son oreille, comme s'il attendait que la voix revienne, qu'une autre chance lui soit offerte.

Combien de chances lui avait-il laissé ? Il ne savait même plus.

Mais il n'y avait plus rien, juste le vide.

Toujours ce vide.

Il en était là. Il l'avait cherché, au fond. Et s'il revenait maintenant, s'il le voyait dans cet état, sans masque, sans faux semblant, qu'est-ce qu'il dirait ? Probablement rien. Il ne serait même pas étonné. Après tout, avec lui aussi, il s'était comporté comme une merde. Il avait tout gâché, encore une fois.

Jungkook ferma les yeux, le visage crispé par une douleur qui ne faiblissait jamais. Il pensa à nouveau à lui, à celui qu'il aimait plus que tout et qu'il avait perdu. Celui qui avait dû partir, qui n'avait pas eu d'autre choix. Parce que s'il était resté, Jungkook l'aurait détruit, comme il détruisait tout ce qu'il touchait. Il le savait maintenant, il l'avait toujours su, mais il n'avait rien fait pour l'arrêter.

Il se souvenait encore de son regard, de cette douleur silencieuse qu'il avait vu dans ses yeux avant qu'il ne parte. Cette nuit, cette dernière nuit qu'il lui avait offerte pour lui dire adieu. Il n'avaient pas parlé, ils avaient retenu leurs soupirs, mais tout avait été dit au travers de leurs regards.

Le regard de Taehyung, ce regard si puissant et profond qui à chaque fois le bouleversait, le transportait. Ce regard qui cette dernière nuit lui avait infligé la plus grande des douleurs. Une douleur qu'il avait lui-même infligée, avec ses mensonges, ses promesses jamais tenues, ses excès qui prenaient de plus en plus de place.

Il l'avait vu s'éloigner lentement, incapable de retenir celui qu'il aimait plus que sa propre vie. Et aujourd'hui, il payait le prix de son égoïsme.

Comment aurait-il pu espérer autre chose ? Comment aurait-il pu penser que quelqu'un pouvait rester à ses côtés, le supporter, quand lui-même ne se supportait plus ? Il l'avait détruit, pièce par pièce, et finalement, il ne lui restait plus qu'à partir pour survivre.

Ou pour vivre, tout simplement.

Jungkook savait qu'il l'avait perdu bien avant qu'il ne franchisse cette porte de cette chambre d'hôtel pour ne jamais revenir.

C'était écrit.

Il l'avait poussé trop loin, il l'avait brisé avec ses démons, ses faiblesses qu'il refusait de combattre. C'était inévitable. Et pourtant, cette absence lui faisait plus mal que tout.

Il aurait tout donné là maintenant, à cet instant pour un dernier regard, un dernier mot. Pour lui dire combien il regrettait. Pour s'excuser, même si c'était trop tard. Pour lui dire qu'il l'avait toujours aimé depuis le tout premier jour, alors qu'ils n'étaient que des enfants, qu'il l'aimait encore, et qu'il l'aimerait toujours. Mais qu'est-ce que ça changerait ?

Rien.

Il l'avait laissé partir parce que c'était la seule chose qu'il pouvait faire pour ne pas le détruire entièrement.

Et maintenant, il n'y avait plus que ce vide, cette culpabilité insoutenable. Cette certitude qu'il avait tout perdu, non pas à cause des autres, mais à cause de lui. Parce que lui seul était son propre ennemi. Parce que c'était sa faute si l'amour de sa vie était parti, s'il n'y avait plus que des fantômes autour de lui.

Oui, il se souvenait chaque jour qui se levait de la douleur. Il se souvenait de ce moment horrible où seul sur la terrasse haute de cet hôtel il l'avait vu rentrer dans ce taxi pour le quitter pour de bon. Il lui avait été impossible de lui dire adieu en face, au milieu de tous les autres. Il avait pensé que les choses seraient plus faciles, mais en aucun cas.

Un coup de poing dans le ventre, un coup de poignard et l'air l'avait quitté lui, et ses poumons et alors tout s'était écroulé. Il n'avait rien fait pour le retenir. Comment l'aurait-il pu ? Il avait vu cette lueur d'épuisement dans ses yeux, cette détresse et c'était lui la cause de tout ça.

Il avait fini par l'éteindre.

Il le méritait, il savait qu'il méritait cette douleur. Comment pouvait-il espérer parfois lors de quelques moments de lucidité être pardonné alors qu'il n'avait fait que repousser les limites encore et encore ? Il se détestait pour ça, pour tout ce qu'il lui avait fait. D'ailleurs, quiconque aurait fait du mal à Taehyung l'aurait payé de sa vie alors, la sienne...

Si seulement il pouvait revenir en arrière et à défaut de le supplier de partir, le laisserait partir plus tôt, avant que tout ne devienne toxique.

Mais à quoi bon ressasser tout ça ? A quoi bon rêver d'un passé qui ne pouvait plus changer ? Le mal était fait. Et il savait, au fond, que même s'il revenait aujourd'hui, rien ne pourrait effacer les dégâts qu'il avait causés.

Il était seul, perdu dans ses regrets...

— Et mec tu viens avec nous ? lui dit l'un des danseurs en passant la tête à travers la porte.

Il ne l'avait même pas entendu frapper ? Peut-être ne l'avait-il pas fait, après tout il n'avait plus vraiment d'intimité.

— Où ?

— Dans un pub, histoire de se détendre un peu, tu vois ce que je veux dire ?

Il voyait bien oui, il ne faisait que ça, se détendre dans ces endroits glauques, où le sex et la drogue formaient une miction parfaite pour le perdre un peu plus chaque jour.

— Ouais je vous rejoins, je dois mettre de l'essence, ma moto est en rade.

— Cool ! Notre hôte spécial va encore nous faire monter au plafond, dit-il plus que enjoué.

— Au plafond, ouais...

Que pouvait-il faire de toute façon ? Rentrer chez lui ? Et après, subir une énième dispute avec Lisa, pour terminer par la baiser contre un mur parce qu'elle lui sortirai ses menaces. Non, il n'en avait pas la force. Aller squatter chez Yoongi ? Jimin ne lui adressait presque plus la parole. Non, il était très bien, à sa place avec tous ses pauvres mecs comme lui.

— Bon à tout à l'heure, alors ?

— C'est ça oui, à tout à l'heure.


*


Le pub était bruyant, saturé de rires artificiels et de conversations vides de sens. Jungkook était là depuis deux heures, au milieu de cette foule qui l'entourait mais qui ne le touchait jamais vraiment. Des femmes gloussaient autour de lui, et des "amis" de circonstance l'adulaient, mais tout ça n'avait plus de saveur. Tout n'était que façade, illusion. Lui-même en faisait partie. Un masque, un rôle qu'il jouait depuis des mois.

Déconnecté de la réalité, il riait fort, faisait le beau, attirant l'attention comme toujours. Il était l'artiste du moment, celui que tout le monde voulait, alors que lui ne voulait qu'une seule et unique personne.

Quelle ironie.

C'était devenu sa nouvelle normalité. Rire pour ne pas penser. Boire pour oublier. Faire le pitre pour éviter de se confronter à ce vide immense qui le rongeait. Parce qu'il savait que si les rires s'arrêtaient, le silence serait insupportable. Le silence, c'était elle...

Le silence qui faisait échos à ses erreurs.

Quand il se leva pour aller aux toilettes, une fille, brune et provocante, le suivit. Une autre silhouette interchangeable parmi celles qui défilaient dans sa vie sans jamais laisser de trace. Une distraction.

Il l'entraîna dans les toilettes, ne cherchant même plus à comprendre pourquoi. Juste un besoin. Celui d'effacer, encore une fois, ce poids qui l'écrasait.

Oublier, encore.

Toujours.

La fille gloussa, heureuse d'avoir pu attirer son attention. Elle le taquina comme pour tester ses limites, le provoquer, l'exciter. Il la bloqua contre le mur, son corps pressé contre le sien, son souffle court et désordonné. Il était ailleurs, son esprit flottant dans une brume épaisse de désir et de dégoût mêlés. Mais alors qu'il s'apprêtait à aller plus loin, ses mots coupèrent net son élan.

— Vas-y. Putain, fais-le, sinon...

Il s'arrêta net, son corps se figeant tel piquet, surpris par cette phrase sortie de nulle part ou peut-être pas tant que ça. Le ton, la manière... Quelque chose en elle résonnait étrangement.

— Sinon quoi ? demanda-t-il, froid et choqué, comme s'il ne comprenait pas.

Elle sourit, un sourire ignare, provocateur, croyant avoir le dessus, croyant qu'elle pouvait jouer avec lui avant de continuer

— Sinon je dirais...

Mais avant qu'elle ne puisse terminer sa phrase, quelque chose se brisa en lui. Une rage sourde monta comme un ascenseur dans tout son corps et sa colère éclata. Sans réfléchir, sans laisser la logique reprendre le dessus, il la coupa et la plaqua plus fort contre le mur.

— Dégage !

Il la repoussa brusquement, ses mains tremblantes d'une colère qu'il ne comprenait que trop bien. Il la fixa avec des yeux pleins de fureur, mais derrière cette colère il y avait quelque chose de plus profond, de plus sombre. Quelque chose qu'il ne maîtrisait plus, lui, Jeon Jungkook. Elle avait réveillé en lui ce qu'il se refusait à croire depuis des années.

— T'es qui pour me menacer, hein ? T'es qui, putain ?

La jeune femme se figea, ses yeux s'agrandissant sous le choc, une lueur de peur traversant son visage. Elle pensait jouer, mais lui ne semblait pas vraiment trouver son jeu à son goût. Elle ne chercha pas à répondre, elle recula, visiblement effrayée par ce changement brutal en lui, et s'éclipsa rapidement, laissant Jungkook seul dans la pénombre des toilettes.

Il resta là, immobile, les mains tremblantes avant de se laisser lentement glisser le long du mur. Son dos heurta le carrelage froid et il sentit tout son corps s'effondrer sous le poids de sa vie. Il ferma les yeux, tentant de refouler les pensées qui le rongeaient, mais c'était impossible, elles revenaient toujours, implacables, le poussant à affronter cette réalité qu'il fuyait. Le monde extérieur était devenu flou, saturé d'alcool et de faux sourires, mais en lui, tout était d'une brutalité terrifiante.

— Putain, laissa-t-il échapper entre ses lèvres.

Il se prit la tête dans les mains, tentant de reprendre son souffle, de retrouver un semblant de contrôle, mais les pensées revenaient avec violence. Cette phrase, cette façon de le provoquer...

C'était elle.

Elle, celle qu'il détestait plus que tout, mais dont le nom était coincé dans sa gorge comme une plaie qu'il ne voulait plus toucher. Elle, celle qui l'avait piégé, celle qui l'avait obligé à devenir quelqu'un qu'il n'était pas, qu'il ne voulait pas être. Elle, avec son sourire sournois, son chantage pervers qui l'avait détourné de la seule et unique personne qu'il aimait comme un fou, détourné de son âme sœur. L'homme de sa vie. Celui qu'il aimait plus que tout, et qu'elle lui avait arraché avec son chantage abominable.

Oui, il la haïssait, mais il se haïssait tout autant.

Son esprit dériva malgré lui, remontant un an en arrière, ce jour maudit, le jour de son mariage. Il se revoyait là, debout devant l'autel, avec cet anneau au doigt, échangeant des vœux qu'il n'avait jamais cru ni voulu. Pourquoi ?

Parce qu'elle le tenait en otage, lui, Jeon Jungkook le garçon libre et revendicateur.

Parce qu'elle savait.

Elle savait pour Ja. Cette information, ce secret si lourd qu'elle brandissait au-dessus de sa tête chaque fois qu'il tentait de s'échapper.

"Si tu ne m'épouse pas, si tu ne me touches pas, je dirai tout à votre père et tu sais ce que ça veut dire pour Ja, tu le sais JK..."

Le poids de cette menace l'avait poussé dans un enfer dont il ne pouvait plus sortir, anéantissant sa vie a tout jamais. Ces mots résonnaient encore dans sa tête, comme une sentence qu'il ne pouvait jamais oublier. Lisa avait tout contrôlé. Elle l'avait poussé dans ce mariage de convenance, l'avait forcé à s'arracher de Taehyung, à le trahir. Et pour quoi ? Pour protéger son frère. Mais au fond, est-ce que ce n'était que ça ? N'y avait-il pas autre chose, une autre raison plus enfouie, une autre peur plus profonde ?

Parce que ce n'était pas juste le chantage qui l'avait fait céder. Il y avait quelque chose d'autre n'est-ce pas ? Quelque chose qu'il ne voulait pas admettre.

Peut-être que, quelque part, il avait encore du mal à accepter son propre amour pour Taehyung. Peut-être que c'était cette éducation stricte qu'il avait reçue, cet environnement qui l'avait conditionné à croire que ce qu'il ressentait était mal. Après tout, son père, ou plutôt, son pseudo-père, n'avait jamais caché son dégoût pour ces choses-là.

"Un homme doit être un homme."

Ces mots, il les avait entendus toute sa vie, comme un mantra, une loi non négociable. Le poids de ce nom, de cette lignée, de cette image à maintenir, tout ça l'avait façonné malgré lui.

Et Taehyung...

Taehyung l'avait compris.

Il l'avait toujours compris, même quand Jungkook ne se comprenait pas lui-même. Il avait accepté cette situation, cette horreur, ce partage infernal. Il avait accepté de rester dans l'ombre, de partager Jungkook avec cette femme qu'il haïssait, pour que ce secret ne soit jamais révélé, pour que Jungkook puisse protéger son frère, mais aussi, peut-être, protéger son propre cœur. Et ça, ça rendait tout encore plus insupportable.

Parce que Taehyung l'aimait tellement qu'il avait accepté de se sacrifier, de supporter l'intolérable, alors que savoir Jungkook dans les bras de cette femme le détruisait. Jungkook le savait. Il avait vu les regards de Taehyung, les silences, les sourires qui cachaient une douleur qu'il ne voulait pas exprimer. Mais il avait continué, prisonnier de cette situation, incapable de tout briser, trop lâche pour affronter la vérité en face.

Elle avait gagné, elle avait le contrôle sur lui. Alors chaque caresse, chaque baiser échangé sous la contrainte étaient une blessure de plus qu'il s'infligeait, une façon supplémentaire de s'éloigner un peu plus de celui qu'il aimait.

— Taehyung... Comme tu me manques, souffla-t-il entre ses lèvres.

C'est alors que ce sentiment profond qu'il avait enfoui lui revint en pleine figure.

Parce qu'au fond, il avait toujours eu du mal à l'admettre, à comprendre ce qu'elle lui faisait vivre depuis qu'elle avait découvert ce secret. Oui, il avait honte, il était un homme, il était fort, viril, comme l'avait toujours dit Jun et pourtant ce qu'il subissait c'était... C'était des abus.

Du viol.

Parce que pour lui, ce mot interdit qui lui faisait si peur, c'était autre chose, c'était brutal, violent, pas cette manipulation silencieuse, pas cette contrainte invisible qui l'enfermait chaque jour un peu plus. Il avait honte. Honte d'avoir accepté. Honte de ne pas s'être battu pour Taehyung, pour eux.

Le poids du secret, le poids du nom.

Voilà ce qu'était devenue sa vie.

Une succession de mensonges, de faux-semblants, de compromis. Il se demandait parfois si son pseudo-père, cet homme inflexible et dur, aurait jamais pu comprendre ce qu'il vivait. Ce qu'il ressentait vraiment. Ou si, au fond, il n'aurait été qu'une autre voix jugeant, condamnant, rejetant tout ce qui ne correspondait pas à son idéal rigide. Peut-être qu'il n'y avait jamais eu d'échappatoire. Peut-être que depuis le début, il était condamné à vivre dans cette cage, à protéger un secret qui finirait par le détruire.

Il retint ses sanglots écrasant sa main avec violence, comme pour s'infliger une douleur plus forte, sur sa bouche. Il avait suffit d'une phrase d'une pauvre fille pour que tout lui revienne dans la figure. Non, c'était la redescente, c'était toujours comme ça quand il redescendait. Alors il prenait conscience de la misère de sa vie, lui, le garçon riche, beau et adulé par des millions de gens.

Un viol psychologique, émotionnel et physique. Il n'arrivait même plus à mettre des mots sur ce qu'il ressentait depuis plus d'un an maintenant. Sans lui, il était perdu, il n'était plus rien. Sans lui c'était trop grand, trop douloureux.

Il secoua la tête comme pour effacer la douleur, c'était le pouvoir de la drogue aussi. Il préférait se convaincre qu'il s'était mis dans cette situation lui même , oui, c'était ça, c'était sa faute, c'était lui le coupable et après tout coucher avec Lisa n'était pas si grave, même si à chaque fois il avait envie de vomir.

"Tu es un homme Jungkook..."

Oui, c'était de sa faute, parce que l'accepter autrement, accepter la vérité, c'était accepter l'insoutenable.

Mais il s'était marié, il avait fait ce qu'on lui avait demandé. De toute façon qu'aurait-il pu faire de sa vie après le départ de Taehyung ? Elle l'aimait au moins, et pourtant même ce jour-là, il n'avait pas réussi à comprendre pourquoi elle s'acharnait encore à le vouloir.

Parce que tout chez elle ce jour-là lui avait semblé faux, comme si tout n'était qu'un spectacle pour les autres. Elle l'avait forcé à l'aimer, ou plutôt à prétendre l'aimer et ça lui suffisait pour se dire qu'il lui appartenait Ce n'était qu'une mise en scène, une prison dorée dans laquelle il s'était enfermé mais elle aussi avec le recul.

Comme lui, elle infligeait une vie de mensonge, de dispute et aujourd'hui, de violence. Mais elle lui hurlait à chaque fois qu'elle l'aimait quitte à se détruire et à le détruire aussi. Finalement ils se ressemblaient, lui aussi il l'avait presque détruit lui.

Il ferma les yeux et se laissa aller dans ses pensées revivant ce jour maudit.



1 an plus tôt, Busan.


— Je ne vais pas pouvoir assurer Yoongi.

Dans cette petite pièce à l'écart, juste avant la cérémonie, l'air était étouffant.

Jungkook se tenait là, figé, en costume, le cœur battant à un rythme qu'il n'arrivait pas à contrôler. Les bruits de la rue au loin lui semblaient irréels, comme s'il n'était pas vraiment là, comme si cette journée appartenait à quelqu'un d'autre. Mais non, c'était bien lui. C'était bien son mariage, ce moment qui aurait dû être l'un des plus importants de sa vie, et qui, pourtant, n'était qu'un cauchemar dont il ne pouvait s'échapper.

À ses côtés, Yoongi était silencieux, mais ses yeux noirs, si perçants, trahissaient une inquiétude qu'il n'exprimait pas. Yoongi savait. Ils le savaient tous, tous les sept, mais Yoongi était le seul à véritablement comprendre combien ce mariage était une abomination pour Jungkook. Depuis qu'il était parti, depuis seulement quelques mois, il l'avait tant de fois pleuré dans ses bras, tant de fois pris sa douleur.

Yoongi brisa le silence, sa voix basse, mais tranchante :

— Mon frère, je te dirai bien une chose, mais tu refuserai de l'écouter.

— Tu sais très bien que je ne peux pas faire ça, c'est mon frère, c'est de sa vie dont on parle, de celle de Yuna et de leurs enfants.

— Quelque part ça t'arrange, lui dit Yoongi las de le voir subir cette situation insoutenable. Tu peux encore tout arrêter, tu sais ? T'es pas obligé d'y aller.

Jungkook secoua la tête et se retourna pour lui faire face, le visage sévère, prêt à en démordre.

— Quoi, c'est une blague, tu veux faire quoi là, me frapper ?

Jungkook serra les poings, sa mâchoire se crispant sous l'intensité de sa colère contenue.

— Si ça peux t'ouvrir les yeux, alors vas-y mec.

— Si je dis non... Elle dira tout à mon père, Yoongi. Tu sais ce que ça veut dire pour lui. Mon frère... Il ne pourrait pas survivre à ça. Je dois le protéger, peu importe ce que ça me coûte. Je ne peux pas faire autrement.

Le silence de Yoongi fut lourd. Il savait à quel point la situation était complexe, à quel point Jungkook portait ce fardeau pour sa famille, pour son frère. Mais il ne pouvait pas accepter de le voir se sacrifier ainsi. Pas pour elle, peut-être pour Ja...

— Tu crois que ça vaut la peine, tout ça ? demanda Yoongi doucement, ses yeux le perçant de cette lucidité qui faisait mal.

— C'est pas juste pour mon frère, Yoongi, dit-il enfin, sa voix se brisant légèrement.

— C'est pas juste pour toi ! s'emporta le plus vieux, prenant cette réflexion comme un coup de poignard.

Il l'aimait d'un amour fraternel, celui qu'il n'avait jamais eu. Il souffrait tout autant que lui de cette situation, ce qui pesait souvent sur sa relation avec Jimin.

— Notre père, enfin... Son père... Tu sais ce qu'il pense de tout ça. Du fait d'aimer un homme. Et mon grand-père... Ça m'a toujours pesé, et maintenant... Je me demande si je me suis pas foutu moi-même dans cette merde.

Yoongi soupira, l'air triste. Il s'approcha et posa une main ferme sur l'épaule de Jungkook. Ils échangèrent un long regard. Yoongi ne le jugerait jamais, mais il voyait à quel point Jungkook se perdait dans ce choix impossible.

— C'est le poids du nom, du secret, tout ça. Putain de famille riche. Mais est-ce que ça vaut Taehyung ? Est-ce que ça vaut la vie que tu es en train de foutre en l'air ? De te foutre en l'air ?

Jungkook détourna le regard, les mâchoires serrées. Yoongi avait raison, bien sûr. Mais ce poids, ce secret, cette honte, ces attentes... Il les portait depuis si longtemps qu'il ne savait plus comment s'en défaire.

Le secret de son frère, son propre amour pour Taehyung, le nom de sa famille...

Tout cela pesait sur lui comme des chaînes impossibles à briser.

Il n'était pas comme lui, il était cet homme froid et sans cœur, non. Il avait un cœur et il l'offrait à Ja, le seul et unique enfant de cette famille à valoir quelque chose. Lui n'était qu'une erreur, comme ce mariage, rien de plus. Et maintenant, son frère avait un enfant et jamais il ne ferait ressentir à ce dernier ce que lui avait subi. Il était le premier d'une lignée Jeon qui ne souffrirait pas, il se l'était juré en le voyant pour la première fois.

Jungkook détourna le regard de la fenêtre, un sourire ironique flottant sur ses lèvres alors que les cris des fans montaient en crescendo à l'extérieur. Ils étaient là, massés en bas, espérant l'apercevoir, lui ou un autre des anciens membres du groupe, juste l'espace d'un instant. Leur dévotion, leur amour inconditionnel, résonnaient douloureusement en lui.

— Elles sont là, à attendre... C'est fou quand même d'être aimé par des millions de gens et d'être rejeté par la seule personne que tu voudrais avoir à tes côtés, murmura-t-il, la voix empreinte de tristesse.

Yoongi soupira, las. Parfois, Jungkook était le garçon le plus immature qui soit.

— Taehyung ne t'a pas rejeté, mon pote. Il s'est juste protégé. Tu sais bien que lui et moi, ce n'était jamais l'entente parfaite, même dans les meilleurs moments. Mais honnêtement, il a tenu bien plus longtemps que n'importe qui à sa place aurait pu. T'as fait des erreurs, de grosses erreurs... Et partir, c'était la meilleure chose qu'il pouvait faire pour lui-même. Tu ne pouvais pas lui offrir la vie qu'il méritait, et il le savait, expliqua Yoongi calmement, avec ce pragmatisme qui le caractérisait.

Jungkook acquiesça lentement, le regard perdu dans le vide. Il le savait bien, au fond. Taehyung avait sacrifié tant d'années à tenter de l'aimer malgré tout, malgré les mensonges, malgré ce mariage imposé qui l'avait déchiré. Jungkook l'avait vu souffrir, l'avait vu se décomposer à petit feu, et pourtant, il n'avait rien fait pour l'en empêcher. Peut-être parce qu'il était trop lâche, trop pris dans ses propres chaînes pour briser celles qui emprisonnaient Taehyung.

— Oui, je sais... murmura-t-il, pensif, alors que ses yeux s'attardaient sur la scène en bas.

Il aperçut alors Hoseok et Kim sortir d'une grande limousine, rayonnants, adorés par la foule. Les fans les acclamaient, leur offrant cette admiration sans limite. Ils saluaient avec grâce, toujours souriants, presque intouchables dans leur bonheur parfait. Jungkook les observa, envieux. Ce n'était pas leur gloire qu'il convoitait, non... C'était leur liberté.

Leur amour.

Leur simplicité malgré tout.

Ils avaient réussi à trouver cet équilibre que lui n'avait jamais pu atteindre.

Auraient-elles fait la même chose avec lui et Taehyung si elles avaient su ? Il en doutait.

Peu après, Jin et Namjoon arrivèrent à leur tour, provoquant une vague de cris encore plus forte. Yoongi, intrigué, vint se poster à ses côtés, et observa la scène à son tour.

— Jin est leur chouchou, comme toi, dit-il avec une pointe d'amusement.

— Jin est le meilleur d'entre nous, répondit Jungkook, presque sans réfléchir, admiratif malgré tout.

— Peut-être, admit Yoongi dans un souffle, les yeux fixés sur le groupe en bas.

Un silence s'installa, lourd de non-dits, de souvenirs partagés, de blessures encore à vif. Puis, Jungkook se tourna lentement vers Yoongi, son frère de cœur, un éclat de sincérité dans les yeux. Il plongea son regard dans le sien, cherchant les mots.

— Merci, finit-il par dire.

— Merci ? répéta Yoongi, surpris. Merci pour quoi ?

— Merci d'avoir toujours été là, d'être encore là aujourd'hui, malgré tout ce que je vous ai fait subir à toi et à Jimin. Tu es mon frère, Yoongi, et je n'aurai jamais assez d'une vie pour te rendre tout ce que tu m'as donné.

Yoongi resta silencieux un instant, touché par ces mots qu'il n'avait pas vus venir. Puis, avec son éternel sarcasme, il laissa échapper un rire léger, se frottant la barbe.

— Une seule vie suffira, crois-moi. T'es déjà assez difficile à gérer comme ça, dit-il en souriant.

Malgré l'humour, Jungkook ressentit l'émotion derrière les mots. Il s'approcha de Yoongi, hésitant, puis, d'un geste lent, l'enlaça maladroitement. C'était inhabituel pour lui, pour eux. Yoongi n'était pas du genre démonstratif, sauf avec Jimin, l'amour de sa vie. Mais Jungkook avait besoin de ce contact, de ce soutien, même s'il était maladroit. Il avait besoin de sentir que, malgré tout ce qui s'était effondré autour de lui, certains liens tenaient encore.

Yoongi se figea légèrement sous l'étreinte, surpris, puis répondit doucement, tapotant le dos de son ami avec une affection contenue, mais sincère.

— C'est rien, murmura Yoongi, presque gêné par ce moment d'émotion. On est là, Jungkook. On sera toujours là.

Et dans cette petite pièce, loin de la foule, loin du tumulte de sa vie publique, Jungkook sentit, l'espace d'un instant, un poids s'alléger sur ses épaules. Mais au fond, le vide laissé par Taehyung ne s'effacerait jamais, il le savait.

Soudain, on frappa à la porte, interrompant leur moment de tendresse inhabituelle. Gênés, ils se séparèrent rapidement, chacun retrouvant sa posture habituelle, presque comme s'ils venaient d'être pris en flagrant délit de faiblesse.

Ils se ressemblaient tellement.

La porte s'ouvrit, et son frère apparut dans l'embrasure, un sourire éclatant sur le visage. L'allure impeccable, il semblait parfaitement à l'aise dans l'agitation du moment, comme si le chaos émotionnel que vivait Jungkook n'était qu'un léger détail dans la journée. Mais là aussi ce n'était qu'une façade, un jeu d'acteur qu'il maîtrisait à la perfection, comme Jungkook.

— Hello frérot ! Je vous dérange pas ? lança-t-il en passant son regard entre Jungkook et Yoongi, un brin amusé par leur air surpris.

Jungkook, malgré le nœud qu'il sentait toujours au creux de son estomac, ne put s'empêcher de sourire en voyant son frère. La tension de la salle se radoucit un peu, comme si sa présence apportait une bouffée d'air dans cette atmosphère pesante.

— Non, entre, répondit-il, sincèrement heureux de le voir.

Yoongi fit un pas en arrière pour laisser place à Ja, sa place, observant la scène d'un œil tranquille mais attentif. Jungkook et son frère avaient toujours eu cette connexion particulière, presque indéfectible, celle qui transcende les secrets et les silences. Mais dans un coin de son esprit, l'ombre de ce mariage forcé et de ce que Jungkook avait sacrifié pour le protéger ne cessait de le hanter. Au fond de lui, il lui en voulait de faire vivre cet enfer à Jungkook même s'il savait que Ja n'était pas au courant. Combien de fois avait-il fait le trajet pour aller tout lui raconter ? Mais Jimin l'en avait dissuadé.

Son frère entra, l'air détendu, mais un éclat dans son regard laissait deviner qu'il savait que ce n'était pas juste une journée ordinaire pour Jungkook.

— Ça va toi ? demanda son frère en posant une main légère sur son épaule, ses yeux cherchant une réponse au-delà des mots.

Jungkook hocha la tête, un sourire de façade étirant ses lèvres. Ils se comprenaient sans avoir besoin de parler, mais cette fois, il sentait la dissonance, l'écart entre ce qu'il montrait et ce qu'il ressentait réellement. Son frère, bien qu'intuitif, ne connaissait pas toute l'étendue de son mal-être. Il savait que ce mariage n'était pas basé sur l'amour, tout comme le sien ne l'avait pas été. Un mariage pour le nom, pour les apparences. On leur avait imposé ce destin, une lignée à maintenir, des attentes à satisfaire. Mais Jungkook avait un secret bien plus lourd à porter.

Son frère ne savait rien du véritable chantage derrière cette union avec Lisa. Jungkook ne lui en avait jamais parlé, par peur de le détruire. Il était le seul à l'avoir toujours aimé et il se devait de le protéger. C'était presque un instinct de petit frère, un devoir qu'il ressentait viscéralement. Comment aurait-il pu lui avouer que ce mariage n'était pas seulement un sacrifice pour l'image de leur famille, mais aussi un moyen de le protéger, lui, de la honte et des conséquences que Lisa menaçait de révéler ?

Il avait failli tout lui dire, ce jour fatidique, celui de son mariage. Il se souvenait encore de ce moment où ils étaient seuls, où les mots avaient presque franchi ses lèvres. Mais l'annonce de la grossesse de Yuna l'avait arrêté net. Comment briser ce bonheur naissant avec ses propres tourments ? Et puis, en parler, c'était aussi avouer autre chose. C'était admettre qu'il aimait un homme, qu'il aimait Taehyung.

Rien que de penser à ce nom, son cœur se serra.

L'ironie était presque cruelle. Son frère aimait aussi les hommes.

Mais Jungkook...

Lui, il avait toujours été le "playboy", celui que les gens regardaient avec admiration, surtout leur grand-père. Ce même grand-père qui se vantait d'avoir un petit-fils capable de séduire n'importe qui, qui voyait en lui l'image parfaite du jeune homme dont tout le monde rêvait. Comment aurait-il pu avouer à cet homme qu'il aimait Taehyung ?

Jungkook s'arracha à ses pensées pour regarder son frère dans les yeux, tentant de cacher cette douleur silencieuse qui le rongeait de l'intérieur. Son frère souriait toujours, mais Jungkook pouvait voir dans son regard qu'il se posait des questions.

Pas les bonnes, heureusement.

— Bien sûr que ça va, dit-il finalement, la voix un peu plus stable qu'il ne l'aurait cru. Je suis heureux de te voir ici.

Mais au fond de lui, il savait qu'il était loin d'aller bien.

— Bon, je vais vous laisser un peu tous les deux, lança Yoongi avec son habituel sourire en coin, tout en posant une main légère sur l'épaule de Jungkook.

Il savait reconnaître les moments où sa présence devenait superflue, et malgré son attachement indéfectible à son ami, il comprenait que cette conversation entre frères avait besoin de se dérouler sans témoin. Yoongi échangea un regard bref avec Jungkook, un mélange de compréhension silencieuse et de soutien. Puis, sans ajouter un mot, il donna un petit coup complice sur l'épaule de son ami avant de quitter la pièce, laissant derrière lui un vide qui semblait soudainement plus lourd.

Le silence s'installa un instant, presque oppressant. Jungkook regarda la porte se refermer, puis reporta son attention sur son frère, qui le scrutait avec une lueur inquiète dans les yeux.

— Alors, frérot, qu'est-ce qui se passe vraiment ? demanda son frère doucement, comme s'il cherchait à percer à jour les murailles que Jungkook avait érigées autour de lui.

Jungkook ouvrit la bouche pour répondre, mais les mots restèrent bloqués dans sa gorge. Combien de fois avait-il voulu tout lui dire ? Combien de fois avait-il souhaité pouvoir déposer ce fardeau, partager la vérité avec la seule personne qui l'avait toujours aimé inconditionnellement ? Mais à chaque fois, la peur revenait, tenace. Il devait protéger son frère. Le mensonge était devenu une seconde nature, et la honte... Une compagne de tous les jours.

— Rien, tout va bien, répondit-il finalement, un sourire forcé sur les lèvres, tentant de balayer les non-dits d'un revers de la main.

Mais son frère n'était pas dupe.

— Je sais que tu n'aimes pas Lisa comme un dingue, reprit son frère en croisant les bras, une note de frustration dans la voix. Frérot, je ne comprends pas pourquoi tu t'acharnes à rester avec elle. Notre père... Il se reprit, soupirant légèrement. Mon père n'a plus d'influence sur toi aujourd'hui. Alors pourquoi tu t'obstines à rester avec elle, quand tu as littéralement toutes les filles de la terre à tes pieds ?

Le regard de Jungkook se fit distant, comme si ces mots avaient touché une corde trop sensible. Il détourna les yeux vers la fenêtre, cherchant une échappatoire, mais il savait que cette confrontation était inévitable. Son frère ne le lâcherait pas tant qu'il n'aurait pas de réponse, mais que pouvait-il dire ? Que derrière cette façade de playboy, derrière les apparences et les faux sourires, il n'avait jamais eu le choix ?

Il ouvrit la bouche, cherchant les bons mots, mais tout ce qui lui venait, c'était ce poids sur sa poitrine, cette vérité qu'il étouffait depuis trop longtemps.

— Ce n'est pas si simple, murmura-t-il, sa voix rauque trahissant l'émotion qu'il tentait de contenir.

— Pas si simple ? C'est toi qui rends ça compliqué, Jungkook ! Je ne comprends pas pourquoi tu restes piégé dans ce truc qui te ronge ! Je te connais mieux que personne. Tu n'as jamais voulu ça. Tu ne voulais pas de mariage, tu voulais ta liberté, tu te souviens, c'est ce que tu disais il y a quelques années, et autant que je m'en souvienne quand nous étions des gamins. Alors pourquoi ?

Son frère avait raison. Il n'avait jamais voulu ça. Mais comment lui expliquer que ce mariage n'était pas un simple choix de carrière ou de nom ? Comment lui dire que Lisa l'avait prit en otage d'une manière bien plus cruelle que tout ce qu'il avait jamais affronté ? Que c'était pour le protéger, lui, qu'il s'était condamné à cette vie. Pour que son frère puisse continuer de vivre sans que leur monde ne s'écroule sous le poids des secrets.

Jungkook serra les poings, son souffle un peu plus court, son regard toujours perdu.

— Si je pouvais te dire... commença-t-il, hésitant, avant de laisser tomber, ses épaules s'affaissant sous le poids de ce qu'il cachait. Mais je ne peux pas. Tu ne comprendrais pas.

Son frère fronça les sourcils, inquiet, mais aussi visiblement irrité par cette réponse évasive.

— Pourquoi ? Pourquoi tu ne peux pas me dire, JK ? Je suis ton frère. Si quelqu'un peut comprendre, c'est moi. Pourquoi il y a toujours des sous-entendus entre nous hein...?

Jungkook se tourna enfin vers lui, ses yeux brillants d'une douleur qu'il ne pouvait plus cacher, se sentant sur le point de dire quelque chose qu'il regretterait. La vérité était sur le bout de sa langue, prête à éclater, mais il savait qu'il ne pouvait pas la laisser sortir. Pas ici, pas maintenant. Pas à lui, jamais.

— Écoute, dit-il en soupirant, c'est juste... Compliqué, ok ? Toutes les choses n'ont pas forcément une explication à donner Je gère ça à ma manière, d'accord ?

Ja, toujours perplexe, n'était visiblement pas satisfait par cette réponse. Il ouvrit la bouche pour insister, mais Jungkook le coupa avant qu'il ne puisse parler.

— Et puis, tu sais, ce n'est pas comme si j'étais mal loti. Lisa est belle, elle sait ce qu'elle veut, et à ce stade... Je m'y fais. C'est pas si terrible, tu vois ? ajouta-t-il avec un sourire forcé, espérant clore la discussion.

Mais ce sourire n'atteignit pas ses yeux, et son frère le remarqua.

— J'ai juste du mal à croire que c'est la vie que tu voulais. Toi, enfermé dans un mariage sans amour, alors que tu as toujours été celui qui vivait sans limites, libre. Tu te souviens ? Le Jungkook que je connais, il ne se laisse pas mettre en cage.

Jungkook haussa les épaules, faisant mine d'être indifférent.

— Les choses changent, c'est tout. On grandit, on prend des responsabilités. C'est pas parfait, mais c'est la réalité. Toi aussi, tu sais comment c'est.

Un silence pesant s'installa. Jungkook savait que son frère n'était pas convaincu, mais il espérait que cette esquive suffirait à détourner le sujet.

— Ouais... Je suppose, dit finalement son frère, bien qu'il restait dubitatif. Mais j'ai un sentiment de déjà vu, comme ce jour à mon mariage, je suis persuadé que cela avait quelque chose à voir avec...

Jungkook lui coupa la parole se forçant à sourire à nouveau, puis posa une main sur son épaule.

— Allez, on a un mariage à gérer. Faut que je fasse bonne figure, pas vrai ? lança-t-il en riant doucement, essayant d'alléger l'atmosphère.

Mais au fond, il savait qu'il avait évité la vérité une fois de plus, et cela le rongeait.

C'est alors qu'on frappa à la porte une nouvelle fois. Leur mère apparut, impeccable comme toujours, son élégance froide et maîtrisée illuminant la pièce. Elle portait ce masque de perfection que tout le monde admirait, une grâce naturelle qui la distinguait parmi toutes. Comme eux, elle souffrait en silence. Mais pour Jungkook, ce visage n'avait jamais été synonyme de chaleur.

— Mes garçons, vous êtes magnifiques, dit-elle avec ce sourire calculé, parfaitement en place.

Ja lui rendit un sourire sincère.

— Merci, Eomma.

Jungkook, de son côté, se contenta d'un sourire de façade, aussi figé que celui de sa mère. Il n'avait jamais su comment établir un lien avec elle. Toute sa vie, il avait cherché, essayé, mais en vain. Une ombre intouchable.

Aujourd'hui, il comprenait mieux ce qui s'était passé entre eux.

Il savait désormais qu'elle avait aimé plus que tout cet homme, son oncle, son père biologique. Un amour dévorant, passionné, mais tragique. Et lui, Jungkook, avec ses traits si semblables à ceux de cet homme, n'avait été que le rappel constant de cette relation perdue. Il lui rappelait à chaque instant cet amour, et dans son incapacité à gérer cette souffrance, elle s'était éloignée de lui, oppressée aussi par Jun qui lui rappelait chaque jour son horrible crime, sa tromperie.

Ce n'était pas qu'elle ne l'aimait pas. C'était pire. Elle l'avait aimé, mais l'amour qu'elle avait porté à cet homme l'avait consumée, et Jungkook en avait payé le prix. Par égoïsme, par faiblesse, elle avait préféré fuir, s'éloigner de lui pour ne pas être hantée par ses souvenirs. Elle s'était protégée, incapable d'être la mère qu'il avait tant voulu, et il en avait souffert en silence, à chaque étape de sa vie.

— Jungkook, tu es prêt ? demanda-t-elle finalement, les yeux sur lui, mais toujours avec cette distance, comme si le voir de trop près la blesserait.

Il se contenta d'un léger hochement de tête.

— Oui, murmura-t-il, la gorge nouée par cette incompréhension qui pesait toujours.

Elle ne dit rien de plus, et se tourna pour quitter la pièce, laissant derrière elle ce même vide qu'il avait ressenti toute sa vie.

Jungkook la regarda partir, le cœur serré.

Il savait maintenant que ce n'était pas la haine ou l'indifférence qui l'avait séparée de lui, mais son propre égoïsme, sa peur de souffrir à travers lui. Un égoïsme qui avait détruit la seule chose qu'il avait toujours voulu : son amour, son attention. Mais il ne pouvait plus rien y faire. Il l'acceptait maintenant, ou du moins, il essayait.

Il jeta un coup d'œil à Ja, qui semblait aussi mal à l'aise, et prit une profonde inspiration. Il devait tenir bon encore une fois, comme il l'avait toujours fait. Après tout, il savait jouer ce rôle à la perfection.

Pas vraiment en réalité, parce qu'il savait que la nuit se terminerait embué par ses démons, seul moyen de s'accrocher à ce semblant de vie.

Jungkook resta immobile un instant, fixant la porte que leur mère venait de refermer derrière elle. Ses pensées tourbillonnent dans un mélange de colère, de tristesse, et d'incompréhension. Il n'avait jamais su comment l'atteindre, comment briser cette barrière invisible qui les séparait. Mais avant qu'il ne puisse s'enfoncer davantage dans ce labyrinthe de ressentiments, la voix de Ja le sortit de ses pensées.

— Elle t'aime, tu sais... A sa manière, elle ne sait juste pas l'exprimer, dit doucement Ja, presque comme s'il essayait de le convaincre autant que lui-même.

Jungkook serra les poings. Ces mots, il les avait déjà entendus tant de fois quand il était enfant, comme une justification à l'absence émotionnelle de leur mère. Comme si cela pouvait tout excuser.

— Elle ne sait pas l'exprimer... répéta Jungkook amèrement, son regard toujours fixé sur la porte. C'est facile de dire ça, mais tu crois que ça change quelque chose ? Que ça efface tout ce qu'elle m'a fait ressentir toutes ces années ?

Ja se tourna vers lui, cherchant ses mots, mais Jungkook ne lui en laissa pas le temps.

— Je lui ai tellement pardonné, tellement de fois. Mais à un moment, c'est plus suffisant. Je suis fatigué d'essayer de comprendre. D'essayer de me dire qu'elle m'aime alors que tout ce qu'elle fait, c'est m'éviter. Comme si j'étais une erreur qu'elle doit corriger à chaque fois qu'elle me voit.

Sa voix se brisa légèrement, un mélange de frustration et de douleur qu'il n'avait jamais vraiment exprimé, même à Ja. Il se passa une main sur le visage, tentant de reprendre le contrôle.

— Je sais qu'elle a souffert, reprit-il après un silence. Mais ça ne change rien au fait qu'elle m'a rejeté toute ma vie. Peut-être qu'elle m'aime, mais... Je ne le sens pas. Je ne l'ai jamais senti. Même ce jour à ton mariage et pourtant j'ai voulu y croire.

Ja hocha doucement la tête, comprenant cette douleur silencieuse que Jungkook traînait depuis l'enfance.

— Elle n'est pas parfaite, tu sais. Elle ne le sera jamais. Mais ça ne veut pas dire qu'elle ne t'aime pas, Jungkook. Je pense qu'elle t'aime plus que tu ne le crois. Autant qu'elle a aimé ton père. Elle n'est pas heureuse, elle se détruit, alors s'il te plaît, ne fait pas comme elle.

Jungkook le regarda, les yeux fatigués par toutes ces années à chercher un amour qui semblait hors de portée. Mais il ne ressentait plus vraiment rien vis à vis de ça, il y avait quelque chose de plus important à ses yeux aujourd'hui.

— Peut-être, souffla-t-il. Mais à ce stade, je ne suis plus sûr que ça change quelque chose pour moi.

Son frère posa une main sur son épaule. Un geste réconfortant, silencieux.

— Je comprends... dit-il doucement. Mais ne laisse pas ça te bouffer. Ce mariage, tout ça... C'est ta vie maintenant. Essaie de ne pas tout porter seul.

Jungkook hocha la tête sans vraiment y croire. Peu importait de toute façon.

— Et puis maintenant tu n'es plus seul frérot, je suis là, tes amis sont là... Enfin...

Il savait qu'il manquait une personne importante pour son frère.

Ja s'arrêta en pleine phrase, sentant l'hésitation envahir ses mots. Il savait qu'il manquait une personne importante à ce mariage, une présence sans laquelle Jungkook ne serait jamais vraiment complet.

— Tu as des nouvelles de Taehyung ?

À l'évocation de ce nom, le cœur de Jungkook explosa en mille morceaux. Taehyung. Juste ce prénom suffisait à faire remonter tout un flot d'émotions qu'il essayait désespérément de contenir. Si seulement Ja savait... Si seulement il comprenait que, comme lui, Jungkook aimait un homme. Que cet homme avait toujours été là, au cœur de sa vie, mais que le poids du silence et du mensonge avait détruit leur bonheur.

Mais non. Il ne pouvait pas dire tout cela. Pas ici, pas maintenant. Alors il tenta de se ressaisir. Mais Ja n'était pas dupe, il perçut cette tension, ce silence prolongé, bien trop lourd.

— Ça va, frérot ? demanda-t-il, la voix inquiète. Il y a quelque chose que tu voudrais me dire ?

Jungkook tourna la tête vers lui, mais son regard semblait vide, absent. Tout en lui criait qu'il avait besoin de parler, de hurler même, mais il n'en avait plus la force. Comment aurait-il pu expliquer cette souffrance, ce chagrin qui le dévorait ?

Ja soupira doucement, insistant, comme s'il essayait de percer le mur que son frère avait érigé autour de lui.

— Je sais que Taehyung et toi avez toujours été proches, poursuivit-il. Des hauts, des bas... Je l'ai tellement détesté quand il t'a dénoncé pour ce truc, et que notre père... Enfin, mon père t'a envoyé aux États-Unis... J'étais fou de rage.

Jungkook serra les mâchoires, se forçant à ne pas réagir. Taehyung n'avait jamais voulu lui faire de mal, il avait simplement fait ce qu'il pensait être juste. Et lui, il avait tout gâché ce jour-là. Il aurait dû se battre, aurait dû parler, mais au lieu de cela, il s'était laissé écraser sous la pression. Il avait failli à leur promesse de protection de leur ami.

— Ce n'était pas sa faute, souffla-t-il, la voix rauque. Il ne faisait que le défendre, et j'ai merdé. J'aurais dû... J'aurai... Mais c'est du passé, Ja. N'en parlons plus.

Ce dernier fronça les sourcils, sentant que quelque chose clochait, que le poids du non-dit devenait insupportable.

— Il aurait pu être là... Aujourd'hui, insista son frère, les yeux plongés dans ceux de Jungkook.

Un sourire amer se dessina sur les lèvres de Jungkook. Cette pensée revenait sans cesse le hanter. Oui, Taehyung aurait pu être là, à ses côtés, s'il avait eu le courage de se battre pour lui. Mais il ne l'avait pas fait. Et maintenant, il était piégé dans cette vie qu'il n'avait pas choisie.

— Comme Irasu, lâcha-t-il dans un souffle.

Le silence se fit plus lourd encore. Ja le regarda, surpris par cette déclaration, ses sourcils se fronçant sous l'effet de la confusion.

— Comment ça, comme Irasu ? Qu'est-ce que tu veux dire ?

Jungkook secoua la tête, tentant de balayer la conversation d'un revers de main. Il ne voulait pas en parler, pas maintenant et il ne voulait encore moins se disputer avec son frère. Ses pensées avaient été plus vite que lui. Mais pourquoi il avait remis ça sur le tapis?

— Laisse tomber, je suis fatigué.

Mais Ja insista, ne voulant pas le laisser s'échapper aussi facilement.

— Non, non. Irasu et moi, c'est différent, reprit-il, plus sérieux cette fois. Lui, c'est l'homme de ma vie, et quand il est venu à mon mariage, c'était son choix. Enfin, notre choix. J'avais besoin qu'il soit là, à mes côtés.

Jungkook ferma les yeux un instant. Il connaissait bien ce genre de souffrance, celle de voir l'être aimé dans une situation où l'amour n'était qu'un murmure interdit. Il hocha la tête, la voix brisée lorsqu'il murmura :

— Et il a souffert en silence.

Ja baissa les yeux, sentant la douleur de son frère.

— Moi aussi, Jungkook. J'ai souffert ce jour-là. Je me mariais avec une femme géniale, c'est vrai, mais je ne l'avais pas choisie. Je ne l'aimais pas comme je l'aime, lui. Si j'avais eu le choix, c'est lui que j'aurais épousé. Tu le sais, non ? Alors oui, ce jour-là, j'ai souffert, terriblement.

Jungkook sentit sa gorge se serrer, luttant contre les émotions qui menaçaient de le submerger. Comment expliquer à Ja que lui aussi, il avait vécu la même chose ? Que l'amour de sa vie était là, quelque part, loin de lui, à cause de tout ça.

— Ça n'a rien à voir, articula-t-il, les poings serrés. Tu crois que... ? Putain, Ja, laisse tomber. Taehyung et moi, on n'était que des amis... Enfin, plus maintenant.

Ce dernier le fixa, visiblement troublé par ce qu'il venait de dire. Il avait toujours eu du mal à comprendre l'amitié entre Jungkook et Taehyung. Parfois, il avait cru percevoir autre chose dans leurs regards, quelque chose de plus profond, de plus intime. Il se souvenait de ce jour, lors de son propre mariage, où il avait insisté pour que Taehyung vienne. Il avait vu des choses ce jour-là, des regards, des gestes qui l'avaient interpellé.

— Mais qu'est-ce que... il s'arrêta un instant. Qu'est-ce que Taehyung vient...

— Bon, frérot, arrêtons de parler de ça, c'est l'heure, dit Jungkook en se tournant vers la porte, l'air résigné.

— Tu peux encore dire non, tu sais, tenta son frère, une lueur d'espoir dans la voix.

Jungkook secoua la tête, un sourire triste se dessinant sur ses lèvres.

— Tu sais que c'est impossible.

Ja se rapprocha, cherchant les mots pour convaincre son frère de ce qui semblait pourtant évident pour lui.

— Ton père s'est battu pour ses idées et pour ce qu'il était. Il n'a jamais laissé quelqu'un lui dicter sa vie.

— Oui, mais je ne suis pas lui, répondit Jungkook d'un ton sec.

Un poids pesait sur ses épaules, trop lourd, bien plus lourd qu'il ne l'avait imaginé.

Ja soupira, sentant qu'il touchait une corde sensible, mais sachant que cette bataille était perdue d'avance. Après un silence, il osa poser la question qui le taraudait depuis le début.

— Frérot, est-ce que toi et Taehyung vous... ? Enfin est-ce que toi et lui vous avez, vous...

Il ne savait pas comment lui exprimer les choses.

— Taehyung est parti, il a brisé le groupe et il est parti, il n'y a plus rien a dire la-dessus. Nous étions amis et il a choisi de partir vers d'autres aventures, d'autres personnes. Qu'est-ce que tu vas imaginer hein.

— Rien, juste une idée, finit-il par dire. Mais si tu veux qu'on...

— Je ne veux rien Ja, juste que ce mariage se termine et que j'aille me coucher.

— D'accord, et ton père ? Tu as des nouvelles ? Dit-il pour changer de conversation et ne pas énerver plus son petit frère.

Jungkook hocha la tête.

— Oui, on s'appelle souvent. On se voit dès que c'est possible. Mais c'est compliqué ces derniers temps.

— Dommage qu'il ne puisse pas être là aujourd'hui, ajouta son frère tout en sachant que cette réflexion était bête.

Jungkook laissa échapper un rire amer.

— Pourquoi faire ? Pour me soutenir dans cette mascarade ?

— Pour te soutenir, tout simplement, répéta Ja avec douceur. Mais je sais, je sais qu'il n'a malheureusement pas sa place ici, une des conséquences de ces choix passés...

Jungkook croisa les bras, le regard perdu, et répondit d'une voix sourde

— Il me soutient déjà, Ja. En n'étant pas là. C'est sa manière de me dire qu'il comprend, qu'il respecte ce que je traverse. Il sait que je suis en train de commettre la plus grosse erreur de ma vie, mais il respecte mon choix. Et je le respecte pour ça. Et puis franchement tu imagines mon père venir aujourd'hui avec ton père et Halabeoji ? Tu délires.

— Une utopie, c'est vrai, dit-il pensif.

— Une dystopie tu veux dire...

Le silence tomba entre eux, lourd, presque palpable. Ja comprit que plus rien ne pouvait être dit, que Jungkook était déjà trop loin pour revenir en arrière.

On frappa à la porte, interrompant leur conversation. Jungkook et Ja échangèrent un regard, avant que la porte ne s'ouvre lentement. L'air de la pièce sembla se figer un instant, puis ils les virent entrer, un par un.

Ils étaient tous là.

Yoongi en tête, suivi de Jimin, Hoseok, Jin et Namjoon. Leur présence emplissait la pièce d'une chaleur inattendue, presque réconfortante, malgré l'atmosphère pesante. Ils souriaient doucement, mais leurs regards trahissaient la compréhension. Chacun savait ce que ressentait Jungkook aujourd'hui. Tous connaissaient le poids de cette journée, le fardeau qu'il portait sur ses épaules.

Mais un seul manquait.

Taehyung.

Jungkook sentit son cœur se serrer violemment. La salle semblait soudain trop étroite, étouffante, malgré la présence bienveillante de ses amis. Ils étaient là pour lui, comme toujours. Pour le soutenir, pour l'empêcher de s'effondrer sous le poids de ses décisions. Mais leur présence ne comblait pas l'absence qui le rongeait.

Celle de l'homme qu'il avait perdu.

Yoongi, fidèle à lui-même, s'approcha en premier et posa une main ferme sur son épaule. Un geste simple, mais chargé de signification.

— On est tous là, murmura-t-il. Pour toi.

Jungkook hocha la tête, tentant de sourire, mais l'amertume dans son cœur l'empêchait d'aller plus loin. Oui, ils étaient tous là, tous sauf lui.


* Quelques heures plus tard *


Assis à cette immense table de réception, au cœur d'un château féerique, Jungkook fixait son verre de champagne avec indifférence. Tout autour de lui, la fête battait son plein.

Des rires, des toasts, des regards admiratifs posés sur lui et Lisa, la "plus belle" des mariées selon les invités. Un mariage parfait en apparence. Mais pour lui et ses amis, cette scène n'était qu'une façade, une illusion cruelle. Ils savaient tous que cet événement n'était rien de plus qu'un mensonge déguisé en rêve, une prison dorée dont il ne pouvait s'échapper.

Pour une seule et unique raison.

Il leva les yeux et regarda autour de lui, désabusé, vide et personne ne semblait le voir. Sa mère, magnifique, éclatante comme toujours, semblait incarner la perfection à elle seule. Belle, élégante, mais tellement fausse. Elle jouait son rôle à merveille, tout comme Jun, ce pseudo père qui l'avait enfermé, lui et son frère, dans une vie de contraintes et de faux-semblants. Il les avait modelés, façonnés pour perpétuer cette dynastie dont le nom, Jeon, pesait sur eux comme une malédiction transmise de génération en génération. Ce nom, qui réclamait le sacrifice de leurs désirs et de leur liberté.

Quelle ironie, pensa-t-il. Ceux qui les enviaient n'avaient aucune idée du cauchemar qu'était leur vie. Être né avec le poids de la richesse et du prestige sur les épaules était tout sauf un rêve. Combien de fois des journalistes l'avaient-ils abordé avec ce regard empli d'admiration, lui posant cette question si répétée :

« Êtes-vous conscient que vous avez tout, Jungkook ? La beauté, l'intelligence, la richesse, la gloire, et maintenant l'une des plus belles femmes de Corée à vos côtés... »

Chaque fois, il souriait, jouait son rôle. Mais à l'intérieur, il brûlait. Non, il n'avait pas tout. Il n'avait jamais eu l'essentiel.

Taehyung, ce nom qui le bouleversait à chaque fois qu'il raisonnait en lui.

Le seul être qui lui avait donné un semblant de paix, qui l'avait aimé sans conditions depuis leur plus jeune âge, qui l'avait vu tel qu'il était, avec ses forces et surtout ses faiblesses. Celui qui l'avait soutenu dans les pires moments. Et aujourd'hui, celui qui était absent, volontairement éloigné, car il ne pouvait assister à cette farce.

Taehyung, son âme sœur. L'unique "chose" qu'il ne pourrait jamais posséder. Pouvait-on même posséder une personne ?

Jungkook ferma un instant les yeux. La fête autour de lui s'effaça, et il se perdit dans le vide qu'avait laissé son absence. La paix, le silence, c'est ce qu'il voulait.

La voix familière de son grand-père le ramena brusquement à la réalité.

— Ça va, mon petit ? demanda-t-il d'un ton bienveillant, tout en posant une main rassurante sur son épaule.

Jungkook sursauta légèrement.

— Oui oui, ça va. Juste un peu fatigué, c'est tout... répondit-il, cherchant à masquer son malaise.

— Va falloir que tu te reprennes, hein ? T'as encore la nuit de noces à assurer, lança son grand-père en lui faisant un clin d'œil complice, comme si tout cela relevait d'une simple formalité.

La mention de la nuit de noces le frappa comme un coup de poing. Son estomac se serra, et un goût amer monta dans sa bouche. Il avait presque oublié cette étape, comme si son esprit l'avait occultée pour se protéger. C'était complètement dingue pour un homme qui avait déjà eu des milliers de femmes dans son lit. Lentement, son regard se tourna vers Lisa, assise à l'autre bout de la table. Leurs yeux se croisèrent. Ils se dévisagèrent en silence, un échange silencieux mais brutal.

Dans ses prunelles sombres, il ne laissa transparaître que de la haine. Elle savait ce qu'il ressentait, elle avait toujours su. Et pourtant, ça ne l'atteignait pas. Elle se moquait de ses tourments, tant qu'il était là, tant qu'il lui appartenait, tant qu'il n'était pas à lui, à Taehyung.

Lisa détourna finalement le regard et laissa échapper un rire forcé, superficiel, un rire pour ses convives, mais surtout pour lui, une réponse muette qui lui disait :

"Tu es à moi maintenant."

— Halabeoji, excuse-moi, je dois...

Il ne termina pas sa phrase. Incapable de rester plus longtemps, il se leva brusquement, manquant de renverser sa chaise, et se dirigea d'un pas rapide vers les toilettes.

Il avait besoin de s'échapper, ne serait-ce qu'un instant.

Il claqua la porte des toilettes avec une telle force que le bruit résonna dans le couloir faisant sursauter quelques personnes autour. Le cœur battant à tout rompre, il se précipita vers le lavabo, ouvrant l'eau à fond, et s'envoya des trombes d'eau sur le visage. Comme si l'eau pouvait effacer cette dernière vision, ce sourire hypocrite de Lisa, cette vie qu'il ne voulait pas. Mais rien n'y faisait.

Soudain, une vague de nausées monta en lui, irrépressible. Il se plia en deux et vomit tout ce qu'il avait, ses tripes se vidant de leur contenu, comme si son corps essayait de se débarrasser de cette vie qui lui pesait.

L'alcool qu'il avait ingéré depuis le début du repas n'y était pas pour rien non plus et il sentait que déjà beaucoup de choses lui échappaient. Il était résistant à force mais là, s'en était trop.

Essoufflé, il se redressa lentement, le visage blafard, les mains tremblantes, et croisa son reflet dans le miroir. Ce qu'il y vit le dégoûta. Ses yeux, creux et hantés, ses traits tirés, tout en lui trahissait la souffrance qu'il s'efforçait de cacher depuis trop longtemps.

Depuis qu'il était parti, depuis quelques mois.

— Putain, lâcha-t-il dans un murmure désespéré, sa voix résonnant dans l'espace étroit.

Il se sentait prisonnier de lui-même, coincé dans une vie qu'il n'avait jamais choisie, à jouer un rôle qui n'était pas le sien.

Jungkook serra les bords du lavabo, son corps tremblant sous l'effet de la rage et du dégoût. La nuit de noces... Cette dernière humiliation.

Il se redressa, regardant son reflet, ses traits tendus et fatigués. Comment en était-il arrivé là ? À être piégé dans cette vie qui n'était pas la sienne. Sa respiration était saccadée, comme s'il cherchait à expulser cette douleur qui l'étouffait.

Un murmure franchit ses lèvres.

— Taehyung...

Il ferma les yeux un instant, cherchant du réconfort dans ce souvenir.

Il se redressa brusquement, s'essuyant le visage d'un revers de main, comme s'il pouvait ainsi effacer sa souffrance. Mais au fond de lui, il savait que rien ne pourrait l'apaiser.

Vaincu, il se décida à repartir vers son enfer et poussa la porte de la salle de réception, la tête basse, le poids du moment pesant sur ses épaules comme une chaîne invisible. Dès qu'il franchit le seuil, il sentit tous les regards se tourner vers lui. Son père, debout, près du micro, interrompit la conversation générale d'un geste autoritaire.

— Te voilà enfin ! dit-il, sa voix résonnant dans la salle.

Mais son sourire, lui, n'atteignait pas ses yeux.

Jungkook leva doucement les yeux vers lui, mais le visage figé de son père trahit une vague de déception mêlée de colère. C'était un homme habitué à tout contrôler, y compris ses émotions, mais la vue de son "fils", probablement marqué par la tempête intérieure qu'il venait de traverser, fit vibrer cette façade d'une colère retenue.

— Nous t'attendions pour ton discours, reprit-il, ses lèvres se serrant dans une tentative de maintien, Mais comme je vois que tu es... Très ému par ce mariage, je vais d'abord laisser la parole à ta merveilleuse et magnifique femme.

Jungkook sentit son estomac se tordre sous la pique déguisée en compliment, mais il garda le visage fermé. Sans un mot, il tourna légèrement la tête, cherchant un point d'ancrage dans ce chaos. Il trouva Yoongi, assis parmi ses amis. Leurs regards se croisèrent, et dans ce simple échange silencieux, il trouva un peu de réconfort.

Yoongi comprenait. Il n'y avait pas besoin de mots entre eux. L'inquiétude dans son regard était aussi une promesse tacite : Je suis là.

Jungkook hocha imperceptiblement la tête, tentant de dissimuler le tremblement dans ses mains, puis se dirigea vers sa place aux côtés de Lisa. Il s'assit, lourdement, son corps raidi par la tension. Elle, au contraire, se leva avec la grâce d'une reine, savourant l'instant sous les projecteurs. Ses yeux brillants se posèrent un instant sur Jungkook avant de se diriger vers l'assistance.

Elle prit le micro, son sourire calculé éclatant comme un masque parfait, et commença son discours d'une voix douce mais assurée. Elle parlait de leur "amour", de la "magie" de cette union, chaque mot sonnant plus faux que le précédent dans les oreilles de Jungkook. Il serra les poings sous la table, ses ongles s'enfonçant dans ses paumes, une manière de garder le contrôle, de ne pas se laisser submerger par la haine qui bouillonnait en lui.

À chaque phrase, chaque rire feint de Lisa, un peu plus de lui se consumait de l'intérieur. Ce mariage n'était qu'une mascarade, une prison dorée dans laquelle il avait été enfermé, et elle, détenait la clé qui verrouillait cette prison, avec un sourire triomphant. Lorsqu'elle tourna la tête vers lui, un instant, et que leurs regards se croisèrent, il ne vit que cette satisfaction froide, cette certitude qu'elle avait gagné. Lisa savait. Et ça ne lui importait pas.

Jungkook ravala la bile qui menaçait de remonter. Tout autour de lui, la salle éclata en applaudissements chaleureux à la fin du discours de Lisa, mais pour lui, ce bruit n'était qu'un écho lointain, noyé sous la tempête de désespoir qui grondait en lui.

Il voulait partir. Il voulait fuir. Mais il ne pouvait plus. Il était piégé, à jamais.

— Et pour finir, conclut-elle de sa voix douce mais parfaitement maîtrisée, je voulais remercier cet homme merveilleux avec qui je vais faire ma vie et avoir des enfants qui, j'espère, lui ressembleront en tout point.

Jungkook sentit son cœur se serrer à ces mots, comme si une main invisible venait de l'étrangler. Chaque syllabe sonnait comme une sentence, renforçant l'idée d'un avenir qu'il n'avait jamais désiré. Autour de lui, les applaudissements retentirent, couvrant un instant le tumulte de ses pensées.

Lisa se tourna vers lui, un sourire éclatant, tel celui d'une actrice sur le point de recevoir une ovation.

– Je t'aime, mon cœur d'amour, ajouta-t-elle en se penchant, ses lèvres à peine effleurant les siennes.

Ce n'était pas un baiser, c'était un geste parfaitement chorégraphié pour l'audience, une performance sous les projecteurs, un spectacle.

Sous le masque de ce mariage parfait, Jungkook était prisonnier d'une illusion que Lisa entretenait à la perfection. Ses lèvres contre les siennes n'éveillèrent rien en lui, si ce n'était une amertume profonde, et dans le tumulte des applaudissements, il sentit son âme s'éloigner un peu plus.

— Chéri, c'est à toi.

La voix mielleuse de Lisa le ramena à la réalité.

Il la fixa, les mâchoires serrées, et lui arracha presque le micro des mains. Les applaudissements autour de lui s'évanouirent, ne laissant place qu'à un bourdonnement sourd dans ses oreilles. Que dire ? Ses pensées se bousculaient, tourbillonnant dans un chaos amer.

Que cette femme était un monstre ? Peut-être. Mais, peut-être qu'il n'était pas mieux après tout... Peut-être qu'il méritait cette punition, cette vie sans lumière. Après tout, il avait brisé Taehyung, l'homme qu'il aimait plus que tout, celui qu'il avait laissé partir, qu'il n'avait pas su protéger. C'était ça, sa vraie peine, l'avoir perdu, lui, et devoir supporter l'illusion d'un bonheur qu'il ne vivrait jamais.

Il aurait voulu leur crier la vérité. Dire que tout cela n'était qu'une mascarade, comme sa naissance, sa vie, sa famille. Leur dire qu'il se sentait mourir à l'intérieur, que son cœur était vide, et que celui qui le remplissait autrefois était loin, trop loin. Il aurait voulu hurler que c'était Taehyung qu'il aimait, qu'il en avait assez de ces faux-semblants, de cette prison dorée, des attentes ridicules de cette société étouffante. Il aurait voulu dire qu'il les emmerdait tous, avec leurs préjugés. Que ce mariage n'était qu'un chantage, une manœuvre cruelle de Lisa pour protéger son secret et celui de son frère.

Mais au lieu de cela, il se leva maladroitement. L'alcool commençant à embrouiller son esprit, il tituba légèrement, un sourire idiot flottant sur ses lèvres. Ses yeux se perdirent dans la salle, croisant le regard de ses amis, de ses parents, du public... Presque tous étrangers à la tempête qui grondait en lui.

— Je, je...

Il sentait ce goût amer remonter dans sa gorge, brûlant de colère et de désespoir.

– Ce... Mariage, c'est une...

Il s'interrompit, un rire nerveux et incontrôlable s'échappant de ses lèvres.

Un silence étrange tomba dans la salle. Les invités se figèrent, leurs sourires crispés, les regards inquiets. Au loin, ses amis retenaient leur souffle, échangeant des regards lourds de sens, prêts à intervenir. Ils savaient que Jungkook pouvait être imprévisible, explosif, surtout dans des moments comme celui-ci, où ses émotions débordaient. Ils le connaissaient trop bien pour ignorer les signes avant-coureurs.

Il se mit à rire tout seul, un rire amer, presque incontrôlable, son regard flottant sur la foule comme s'il assistait à une pièce tragique dans laquelle il n'avait jamais voulu jouer. Il voyait leurs visages faussement bienveillants, leurs sourires polis, leurs applaudissements mécaniques. Tout ça sonnait creux, tout ça n'était qu'un spectacle grotesque.

Lisa, à ses côtés, le fixait avec une lueur d'inquiétude dans les yeux, mais elle conservait son sourire, celui qu'elle réservait pour les caméras, pour leur public. Elle le tenait, elle le savait.

— Parfois...

Il laissa sa voix traîner, cherchant ses mots.

– Parfois, la vie est vraiment une putain de blague, non ?

Ses rires continuèrent, mais plus personne ne riait avec lui. Yoongi ferma les yeux, tout comme Jin et Namjoon, Hoseok et Jimin, eux, se regardèrent désespérés prêts à prendre la foudre.

— Il va se reprendre, lança doucement Kim, le cœur en morceau de voir Jungkook aussi malheureux.

Hoseok lui fit un petit baiser sur les lèvres et attendit, comme tout le monde, la suite du discours.

— Je... Et bien...

Jungkook commença, une grimace se dessinant sur son visage, le goût amer de l'angoisse et de la rage mêlés lui montant à la gorge. Il regarda la salle, les visages bienveillants qui l'observaient, ignorant la tempête qui faisait rage en lui.

— Ce mariage, c'est une... Une véritable célébration, n'est-ce pas ?

Il s'arrêta un instant, feignant d'être ému. Un sourire amer étira ses lèvres alors qu'il plongea dans le regard de Lisa, qui sembla osciller entre l'inquiétude et la jubilation.

— Oui, une célébration ! Comme un spectacle où tout le monde joue un rôle. Comme un film à gros budget, rempli d'effets spéciaux, mais où le scénario reste désespérément plat.

Les murmures parcoururent la salle. Ses amis échangèrent des regards, comprenant que Jungkook était sur le point de lâcher ce qu'il avait sur le cœur.

— Je dois dire que je suis vraiment honoré de partager cette scène avec une actrice de si grand talent. Bravo, Lisa, vraiment !

Son ton était sarcastique, sa voix résonnant comme un coup de poignard.

— Je veux dire, qui d'autre aurait pu jouer le rôle de la parfaite épouse dans cette comédie romantique que nous appelons mariage ? A part toi mon amour, continua-t-il en riant.

Il observa la foule, tous ces visages, ces inconnus qui ne comprenaient rien.

— Oui, Mesdames et Messieurs, ici, ce soir, nous fêtons l'amour ! Enfin, l'amour selon les normes de la société. Parce qu'après tout, qu'est-ce que l'amour, n'est-ce pas ? Juste un contrat, un arrangement... Un beau partenariat pour faire briller le nom Jeon !

Un ricanement s'échappa de ses lèvres, et il se força à balancer son regard vers ses amis, présents pour le soutenir, mais avec des cœurs lourds. Yoongi lui fit un non de la tête mais il n'en fit pas cas. Tout était bien trop brouillé dans la sienne.

— Vous savez, c'est drôle... Je me souviens de mes rêves d'enfant, de l'amour véritable. Parce qu'il existe, ce n'est pas qu'une vieille légende, hein Jun ? Mais apparemment, l'amour n'a pas de place ici, pas dans ce décor de château, pas dans cette vie dorée où je suis censé sourire, en prenant soin de ne jamais déplaire.

Il reprit son souffle, son regard se posant une nouvelle fois sur Lisa.

— Alors Lisa, ma chère épouse, je te remercie. Merci de me rappeler chaque jour que l'illusion est bien plus confortable que la réalité.

Il se pencha doucement vers elle, éloigna son micro afin que personne ne l'entende et lui souffla dans l'oreille :

— Que même dans cette prison dorée, je peux toujours rêver d'un amour perdu, d'un amour que je ne pourrai jamais avoir. Merci à toi de me faire vivre ça.

Lisa ne releva pas, elle se contenta de sourire comme s'il lui avait dit quelques jolis mots. Lui, se mit à rire, un rire déchirant, lourd de sens.

— Mais après tout, qui ai-je vraiment perdu ? L'homme que j'aime, celui qui a toujours été là, bien que loin... Peut-être que son absence est le plus grand cadeau que tu m'aies offert, n'est-ce pas ? continua-t-il tout bas.

Il se redressa, son visage se durcissant sous l'effet de l'alcool et de la douleur, mais aussi d'une lucidité inébranlable.

— Alors levons nos verres, Mesdames et Messieurs ! À l'amour, à l'illusion, à cette mascarade qu'on appelle mariage ! Et surtout, à ceux qui n'ont jamais été là...

Il se tourna vers ses amis, son regard rempli de gratitude mêlée de tristesse.

— Merci de m'accepter dans cette vie de mensonges, merci d'être là pour voir l'échec de ce qui aurait dû être un bonheur.

Il se tut un instant, le regard perdu, avant de souffler presque pour lui-même.

— Et surtout, dit-il en se tournant vers Jun, merci à celui qui m'a appris que l'amour est bien plus que des promesses vides...

L'assemblée resta silencieuse, le poids de ses mots résonnant dans l'air.

Jun se leva, le visage rouge de colère, et arracha le micro des mains de son "fils" avec une brusquerie désapprobatrice.

— Excusez-le, il a un peu trop forcé sur l'alcool ! Sa voix était ferme, essayant de reprendre le contrôle de la situation.

Mais Jungkook, comme possédé par une force qui le dépassait, lui reprit le micro. Son regard était glacé, presque étranger.

— Oui, j'ai un peu forcé sur l'alcool, et Dieu merci ! Même si je crois pas en cette putain de supercherie qu'est ce Dieu à la noix.

Ses mots frappèrent l'air comme des éclats de verre, brisant le silence gêné qui s'était installé dans la salle.

— Mais allez, oui, c'est la fête ! Amusez-vous ! Faites comme d'habitude, fermez les yeux et critiquez tout ce qui n'est pas comme vous en étant persuadés que vous avez la vérité absolue, continua-t-il d'une voix teintée d'une ironie mordante.

— Jungkook, arrête ! l'interrompit Jun, une note d'inquiétude dans sa voix, parce qu'il perdait le contrôle.

— Non, toi aussi, tu devrais un peu réfléchir à tout ça, lui lança Jungkook en balayant la pièce du regard, son cœur battant à tout rompre, conscient de chaque visage qui le scrutait. Mais je voulais quand même te remercier, poursuivit-il, sa voix se radoucissant légèrement, pour m'avoir donné cette capacité incroyable à refouler mes sentiments. À sourire et à faire comme si tout allait bien, alors que, tu sais quoi ? Tout est à chier !

Il s'arrêta un instant, prenant une profonde inspiration pour reprendre ses esprits, mais il n'avait aucune intention de s'arrêter.

— Parce que, soyons honnêtes, tout ce que j'ai toujours voulu, c'est être libre. Libre d'aimer qui je veux, libre de ressentir ce que je ressens.

Le regard de Jungkook se figea sur Lisa, un mélange de défi et de douleur.

Il avait dit ces derniers mots des sanglots dans la gorge, ses pensées soudain dirigées vers celui qu'il aimait plus que tout, plus que sa propre vie et qui n'était pas là. C'est alors qu'il comprit qu'il avait été trop loin et qu'il faisait une grosse erreur, dont le prix allait coûter la vie de son frère.

— Tout ça n'est que de la comédie et vous y avez cru, n'est-ce pas ? Moi aussi je suis un très bon acteur.

Les invités se regardèrent ne sachant pas quoi penser et c'est Jun qui prit les devants en applaudissant, suivi de toute l'assemblée.

— Je reconnais bien là mon fils, quel petit farceur ! Vraiment bravo Jungkook, on y aurait presque cru.

— Je lève mon verre à ma merveilleuse femme et à tous les faux-semblants, aux attentes de la société, et à cette vie qui m'attend ! Et je vous souhaite à tous et à toutes de trouver votre propre vérité. Parce que moi...

Jun lui arracha le micro, et sans que personne ne le voit, le força à s'asseoir. Jungkook se laissa faire et regarda Lisa, qui laissa un soupir s'échapper des ses lèvres.

Le reste de la soirée avait été un flou total, une spirale descendante ponctuée de nausées et de regrets. Après son discours catastrophique, Jun l'avait pris à part, prêt à lui asséner une nouvelle série de remontrances. Mais son grand-père, avec ce tact et cette sévérité qui lui était propre, avait interrompu Jun, prétextant l'alcool et le stress d'un jeune marié pour excuser son comportement. Son petit fils était tout pour lui et même son propre fils n'était qu'une ombre à côté de lui.

Il avait ensuite escorté Jungkook dans un petit salon privé, l'isolant des regards curieux.

– Ce n'est rien, lui avait-il dit d'une voix apaisante. Les gens comprendront.

Mais pour Jungkook, rien de tout cela n'avait d'importance. Les gens ? Ils pouvaient bien penser ce qu'ils voulaient. Tout ce qui comptait, c'était l'absence qui le rongeait, celle de Taehyung.

Mais comment aurait-il pu le lui dire ?

Peu après, Yoongi était venu le chercher, accompagné de Namjoon et de Jin. Ils avaient partagé quelques verres dans un silence pesant, sans tenter de forcer la conversation. Les trois amis avaient compris que Jungkook n'avait plus la force de faire semblant, eux non plus ils n'en pouvaient plus de devoir fermer les yeux sur la souffrance de leur ami.

Finalement, l'alcool avait pris le dessus, et il avait passé une bonne partie de la soirée agenouillé au-dessus de la cuvette des toilettes, vomissant à la fois son mal-être et ses frustrations.

Quelques heures plus tard, Il ne se souvenait plus de comment il avait fini dans cette chambre d'hôtel. La transition entre le bal et cet espace froid et impersonnel s'était effacée de sa mémoire, comme emportée par les vapeurs d'alcool. Étendu sur le lit, sa tête lui faisait mal, son corps lourd comme du plomb. Il aurait souhaité ne jamais se réveiller, ne jamais avoir à affronter cette nuit de noces qui n'avait de « noces » que le nom.

Soudain, la voix de Lisa résonna depuis l'autre bout de la chambre, le tirant violemment de ses pensées. Mal à l'aise, il tenta de se dégager, mais l'alcool qui brouillait ses pensées et rendait ses gestes lourds, l'empêchant de réagir correctement. La pièce tournait tout autour de lui, rendant chaque effort pour lui échapper inutile.

– Alors, tu comptes rester allongé là toute la nuit ou tu vas enfin te lever ?

Son ton était sec, tranchant, et il pouvait presque sentir le venin dans ses mots. Elle savait qu'il ne viendrait jamais à elle de son plein gré, mais la satisfaction de l'avoir piégé ici semblait être suffisante pour elle.

Jungkook ouvrit à peine les yeux, les fixant sur le plafond, essayant d'ignorer la présence oppressante de Lisa dans la pièce.

– Je suis bourré.

Elle laissa échapper un petit rire méprisant.

– Peu m'importe.

Qu'est-ce que tu veux, Lisa ? demanda-t-il, la voix rauque et las.

– Ce que je veux ? Je veux juste te rappeler que tu es à moi maintenant, lié par le pacte de mariage. Peu importe ce que tu ressens ou ce que tu veux, tu es ici avec moi. Alors tu ferais bien de t'y faire.

Elle s'approcha du lit, ses talons résonnant sur le sol, chaque pas faisant monter la tension dans la pièce.

Jungkook tourna enfin la tête vers elle, ses yeux sombres trahissant une haine froide qu'il ne prenait plus la peine de dissimuler. Mais au fond, tout ce qu'il ressentait, c'était une immense fatigue.

– Lisa... murmura-t-il, pourquoi ? Pourquoi faire tout ça ? Pourquoi si tu m'aimes comme tu me le dit, tu ne me laisses pas partir ? Pourquoi tu m'imposes tout ça et pourquoi tu te rabaisse à ça ? Je ne t'aime pas, et jamais je ne pourrais t'aimer. Jamais je ne pourrais te pardonner de m'avoir éloigné de Taehyung, parce que c'est lui l'amour de ma vie, lui et lui seul. T'es rien à côté de lui, tu n'existe pas pour moi.

Elle s'approcha encore, le toisant de haut.

– Parce que je le peux, dit-elle en retenant les larmes dans sa gorge... Parce que j'ai gagné.

Ses yeux étincelaient de satisfaction cruelle, alors qu'au fond, elle ne rêvait que de lui donner un amour profond et total. Néanmoins, elle devait être forte et s'il la faisait souffrir, alors elle aussi devait lui rendre la pareille. Parce qu'il était fait l'un pour l'autre, parce que selon elle, ils étaient les mêmes et que tout était écrit depuis leur plus jeune âge.

– Tu crois vraiment que quelqu'un va te sauver ? Tu es à moi, Jungkook, et personne ne viendra te sortir de cette prison dorée, comme tu dis.

Ces derniers mots frappèrent Jungkook en plein cœur, scellant la douleur qu'il ressentait déjà, bien qu'elle lui avait tant de fois dit ces choses. Cette nuit, ces mots avaient un tout autre goût.

Le visage de Taehyung apparut devant ses yeux, flou, hors de portée et son cœur s'arrêta presque. Si seulement c'était possible d'arrêter ce cœur de battre, alors il souffrirait moins, il pourrait partir et enfin arrêter la comédie de cette vie qu'il n'avait jamais demandé.

Lisa s'approcha de lui avec une lenteur délibérée, féline, ses mouvements empreints d'une sensualité glaciale. Elle tendit la main et lui caressa doucement la joue, son geste en apparence tendre, mais empoisonné par l'intention qui s'y cachait. Jungkook, mal à l'aise, tenta de se dégager, mais l'alcool brouillait ses pensées et rendait ses gestes lourds, l'empêchant de réagir correctement.

– Je suis bourré putain, reussit-il à dire à nouveau.

Lisa s'approcha davantage, ses doigts glissant le long de sa mâchoire, avant de se pencher pour murmurer à son oreille.

– Tu ne m'as pas assez humiliée tout à l'heure avec ton discours pitoyable. Maintenant, c'est à ton tour.

Ces mots, murmurés avec un calme effrayant, résonnèrent dans sa tête comme un coup de massue. Il essaya de se lever, de lui échapper, mais ses jambes flanchèrent sous le poids de l'alcool. Une vague de désespoir monta en lui. Son corps lui appartenait peut-être, mais son cœur et son âme étaient ailleurs, loin d'ici, avec celui qu'il ne pourrait jamais avoir.

Il n'était plus rien. Lui, le playboy autrefois sûr de lui, l'homme adulé, la fierté de son grand-père Jeon, n'était plus qu'une marionnette décharnée. Chaque fil qui le tenait autrefois droit et fier semblait désormais coupé, laissant place à un vide abyssal.

Son reflet dans le miroir de cette chambre lui renvoyait l'image d'un homme brisé, piégé dans une vie qui ne lui appartenait pas. Sa prestance, son arrogance, tout avait disparu, ne laissant derrière que l'ombre d'un homme qui portait un masque pour survivre.

Le "golden boy", celui qui faisait rêver, n'était plus qu'un fantôme. Ses pensées se tournèrent à nouveau vers Taehyung, la seule personne avec qui il aurait pu être entier, être lui-même. Mais ce soir, il n'était qu'un corps captif, obligé de jouer un rôle qui lui dégoûtait. Une marionnette entre les mains de Lisa, de sa famille, du destin.

Taehyung.

Son nom résonna dans sa tête comme une prière, une imploration silencieuse. Mais ici, dans cette chambre étouffante, il n'y avait pas de salut.

Lisa se pencha sur lui, ses doigts glissant doucement sur sa joue avec une tendresse mêlée de froideur. Elle le regarda intensément, ses yeux brillants d'un amour déformé, obsessionnel.

– Tu sais quoi ? Je vais te laisser te reposer ce soir. Moi aussi, j'en ai besoin. Mais demain, quand tu te réveilleras, sa voix baissa d'un ton, se faisant plus dure. Tu te souviendras que tu es à moi. Et si je ne peux pas avoir ton cœur, alors je prendrai tout le reste. Parce que c'est ce que tu me dois.

Elle se redressa, la mâchoire serrée, cachant mal la douleur derrière sa façade. Elle l'aimait, oui, d'une manière dévorante, mais aussi d'une manière égoïste. Elle ne se souciait plus d'être aimée en retour. Elle voulait juste le posséder, lui rappeler son devoir de mari, même si c'était dans la haine, même si c'était sans amour.

– Peu importe que tu me haïsses, je t'aime assez pour deux, murmura-t-elle.

Elle resta près de lui, continuant à caresser doucement sa joue, ses doigts traçant des cercles lents et réguliers, presque apaisants.

– Bonne nuit, Jungkook. Je t'aime.

Elle se pencha, s'allongeant doucement sur sa poitrine, ses cheveux effleurant son torse. Sa respiration se fit plus lente, plus calme, comme si tout ce qu'elle avait toujours voulu, c'était d'être à cet instant précis, même si son amour n'était pas partagé.

Jungkook, de son côté, se laissa lentement emporter par le sommeil. L'alcool faisait encore tourner la pièce autour de lui, mais le poids de Lisa contre lui, le contact de son corps, n'arrivait qu'à l'écraser davantage. Il sombra rapidement dans un sommeil lourd et agité, ses pensées brouillées par le poids de la soirée, la douleur de la trahison, et ce vide immense que l'absence de Taehyung creusait dans son cœur.

Les cauchemars arrivèrent, violents et confus. Des souvenirs d'enfance, des éclats de rire avec Taehyung, se transforment en cris silencieux. Le visage de son frère le regardant avec désespoir. Celui de Yoongi, tendre et sévère à la fois. Celui de Taehyung, distant, inaccessible, et celui de Lisa, omniprésente, le retenant prisonnier dans une spirale infernale.

Chaque rêve l'emprisonnèrent un peu plus, lui rappelant ce qu'il avait perdu, ce qu'il ne pouvait plus avoir.

Puis tout bascula dans le néant.

Le tourbillon de ses cauchemars s'éteignirent brusquement, comme si quelqu'un avait éteint la lumière. Plus rien. Le silence absolu, une absence totale de pensées, de sensations.

Un trou noir où son esprit s'était perdu.

Il ne sentait plus la pression du corps de Lisa contre lui, ni le poids écrasant de ses angoisses. Tout avait disparu, comme si le monde lui-même s'était effacé. Pas de douleur, pas de peine. Juste un vide immense et sans fin. Un moment d'abandon, de paix étrange. Mais au fond de lui, il savait que ce n'était qu'un répit éphémère.

Puisque le lendemain, la routine déchirante recommença.

Jungkook s'était levé tôt, préférant se perdre dans la douche, laissant l'eau chaude frapper son dos pour noyer ses pensées, retarder encore ce moment qu'il redoutait. Mais à son retour dans la chambre, Lisa l'attendait, impatiente, et il n'avait d'autre choix que de répondre à ses attentes.

Quand tout fut fini, elle se leva, l'air satisfaite, et partit prendre une douche. Jungkook, lui, resta allongé, fixant le plafond, encore plus brisé qu'avant. Il attendit qu'elle s'endorme profondément, épuisée par cette fausse intimité, avant de se lever à son tour et de se réfugier dans la salle de bain. Là, il s'assit par terre, ses genoux ramenés contre son torse, la tête penchée en avant, les larmes silencieuses coulent de ses yeux fatigués.

Combien de fois s'était-il retrouvé dans cette même situation, dans cette même position ?

Dans la pénombre de la salle de bain, il prit son téléphone. Ses doigts tremblants firent défiler les souvenirs qu'il avait soigneusement gardés, des photos de Taehyung endormi, paisible et beau. C'était leur moment à eux, volé au monde.

Ces souvenirs finirent par le détruire à petit feu, mais c'étaient les seules choses qui lui restaient de lui.

Les souvenirs.


De nos jours.


Dans les toilettes faiblement éclairées, Jungkook était effondré, le dos contre la porte, son visage blême et ses yeux mi-clos. À peine conscient, il ne distinguait que de vagues échos autour de lui, glissant lentement vers l'inconscience, entre présent et passé.

La porte des toilettes s'ouvrit brusquement, et Yoongi entra, le regard affolé. En voyant son ami à terre, le souffle coupé, il sentit la panique monter, sa poitrine se serrant.

Cette scène, il l'avait déjà vécu tant de fois...

— Putain, Jungkook, lâcha-t-il d'une voix rauque, en s'agenouillant immédiatement à ses côtés.

Yoongi chercha d'une main tremblante le pouls de son ami, l'angoisse déformant son visage habituellement si calme. Sentant sa respiration faible, il hurla sur le gérant qui l'avait suivi jusque dans les toilettes.

— Appelle une ambulance ! Vite, on est en train de le perdre !

Alors que le gérant disparaissait dans le couloir, Yoongi serra Jungkook contre lui, le tenant fermement, cherchant à transmettre un peu de sa force à celui qu'il considérait comme son frère. La peur déferlait, mêlée de colère et de chagrin, et les mots s'échappèrent de sa bouche, tremblants, désespérés.

— Jungkook, tiens bon, putain. Tu vas pas nous refaire ça, hein ? Tu peux pas partir maintenant. Pas comme ça, pas maintenant !

Yoongi resserra son étreinte, son front posé contre celui de Jungkook, comme pour le retenir, le rappeler à la réalité, à la vie. La peur, la colère, la tristesse, tout se mélangeait en lui, chaque mot s'échappant avec désespoir.

— On est là, mon pote. Mon frère... Putain de merde, on est là, et tu vas pas nous abandonner comme ça. Tu vas pas abandonner Taehyung. Il a besoin de toi, tu m'entends ? Taehyung et toi c'est pas fini, j'en suis certain, même si j'arrête pas de te dire le contraire. Me laisse pas, Jungkook... Je t'aime, mec.

Ses mains tremblaient alors qu'il tenait Jungkook contre lui, s'accrochant à l'espoir ténu qu'il allait s'en sortir. C'est à ce moment-là que les urgentistes arrivèrent en trombe, forçant Yoongi à desserrer son étreinte, le détachant douloureusement de son ami.

Yoongi resta là, effondré contre le mur des toilettes, regardant les urgentistes s'affairer autour de Jungkook. Ils posèrent les électrodes, fixèrent les machines, cherchant à faire battre son cœur à nouveau. Chaque mouvement des médecins lui parurent un éternel supplice, et les larmes qu'il retenait depuis longtemps éclatèrent enfin, coulant sans retenue, le ramenant à l'enfance, à cette peur primitive de perdre quelqu'un qu'il aimait plus que tout.

Il fixa le corps inerte de son ami, murmurant silencieusement une prière qu'il n'avait jamais apprise, priant simplement pour que cette fois encore, Jungkook soit sauvé.

Deux mois plus tard, Jungkook poussa les portes vitrées de l'agence, les doigts tremblants mais le regard décidé, prêt à affronter ce qui l'attendait. Il savait qu'il devait des excuses à ses managers, à ceux qui avaient couvert ses dérapages à répétition, mais surtout à lui-même, pour cette descente en enfer qu'il s'était imposée.

Malgré les avertissements de Yoongi, qui lui avait conseillé de rester au repos, il n'avait pas pu résister à l'envie de reprendre sa vie en main, à sa manière comme d'habitude et c'était très certainement tout le problème.

Droit comme un piquet, vêtu de noir, ses cheveux tombant légèrement sur son front, magnifique, il paraissait inébranlable. Pourtant, il sentit son cœur s'emballer, luttant pour dissimuler les failles encore béantes de ses deux derniers mois d'hôpital.

Il n'eut pas le temps d'aller bien loin avant de se heurter à la sécurité, deux agents s'interposant immédiatement pour bloquer son passage. Leur regard était lourd, méfiant, comme si sa simple présence dérangeait. L'un d'eux, d'une voix ferme mais polie, lui dit :

— Monsieur Jeon, je crains que vous ne puissiez entrer sans rendez-vous.

Jungkook serra la mâchoire, essayant de se contenir, son regard sombre fixant l'agent en face de lui.

— Vous savez qui je suis, dit-il d'une voix basse mais pleine de détermination.

— Oui Monsieur, mais nous avons des ordres.

— Des ordres ? répéta Jungkook, la voix glaciale.

— Oui, Monsieur Jeon, répondit l'agent sans ciller.

— Des ordres pour m'interdire d'entrer dans mon agence ? souffla-t-il, entre l'irritation et l'incrédulité.

— Oui, Monsieur. Votre entrée est interdite.

Jungkook resta immobile un instant, l'échange des mots résonnant encore dans l'air, puis il se redressa, un sourire de défi se dessinant sur ses lèvres. Il laissa sa langue glisser contre l'intérieur de sa joue, comme il le faisait quand il était énervé et fixa l'agent de sécurité, sans aucune intention de reculer.

— Vous croyez vraiment que quelques ordres vont m'arrêter ? demanda-t-il d'une voix basse et assurée.

— Monsieur Jeon, nous avons reçu des instructions claires, je ne peux pas vous laisser passer.

Jungkook se pencha légèrement en avant, son regard perçant ancré dans celui de l'agent.

— Je ne peux pas être traité comme un moins que rien, quand cette agence s'est construite sur mon image. Et vous pensez que je vais m'arrêter à quelques consignes de sécurité ? Désolé, mais ça ne marchera pas comme ça.

D'un pas résolu, il fit mine de contourner le garde, prêt à en découdre, mais l'agent s'interposa aussitôt, tendant une main pour bloquer son avancée. Les muscles de Jungkook se raidirent, il ferma les yeux pour retenir la violence qui faisait rage en lui. Et sans aucune hésitation, la voix plus dure que jamais, il repoussa l'agent.

— Dernier avertissement, souffla-t-il. Je ne suis pas venu ici pour être ignoré.

L'agent hésita, mais il tint bon. Il aimait beaucoup cet artiste, l'un des seuls à toujours lui dire bonjour, pas comme tous les autres trop imbues de leur petite personne. Et pourtant, il avait de quoi l'être, il était un artiste mondial, un fils de l'une des plus grande famille d'Asie. Il n'était pas fier de devoir le traiter de cette façon, mais son travail était important, il devait gagner sa vie, alors il n'avait pas le choix.

— Je suis désolé Monsieur Jeon, croyez-moi, mais je n'ai pas d'autres choix, s'il vous plaît.

Jungkook avança d'un pas, prêt à se battre pour franchir cette porte, déterminé à prouver qu'il n'était pas homme à abandonner ce qu'il avait construit. Mais le regard de cet homme lui arracha le cœur.

— Laisse-moi passer Joe, dit-il avec dureté.

Soudain, le directeur de l'agence et le manager de Jungkook apparurent dans le hall, alertés par le bruit. Le directeur observa la scène avec une légère crispation, mais aussi une note de respect visible dans son regard. Après tout, c'était grâce à Jungkook et à son groupe que l'agence avait atteint les sommets de l'industrie musicale.

— Jungkook... Qu'est-ce que tu fais ici ? demanda le directeur, sa voix trahissant une pointe de surprise mêlée de prudence.

Jungkook, les épaules redressées, défia leurs regards.

— Je viens récupérer ma place, répondit-il d'un ton ferme. Cette agence, c'est aussi moi qui l'ai construite. Deux mois d'absence n'effaceront jamais tout ce que j'ai fait ici.

Le directeur prit une profonde inspiration, son visage fermé, presque las.

— Jungkook, je suis désolé, commença-t-il, sa voix sans appel. Tu es un artiste incroyable, tu as été le pilier de cette agence pendant des années, mais c'est fini. On ne peut plus gérer tes dérapages, ni te couvrir. Tu as franchi trop de limites. On t'avais prévenu...

Jungkook sentit son cœur se serrer, mais il refusa de baisser les yeux. Il força un sourire amer, bien que le poids des mots le frappe comme un coup de poing.

— Trop de limites ? Je vous ai tout donné, et c'est tout ce que ça vaut ? lança-t-il, sa voix tremblante de rage et de douleur.

Le directeur secoua la tête, détournant le regard un instant avant de le fixer à nouveau, impassible.

— Je sais combien tu as donné Jungkook, mais l'agence ne peut plus porter ce fardeau. Tu as trop abusé. Maintenant, il est temps pour toi de partir. Il faut que tu prennes soins de toi, que tu arrêtes de te détruire. Tu vas y arriver, tu es un super gars.

Le manager, celui qui avait toujours été à ses côtés, s'avança et posa une main hésitante sur son épaule, incapable de soutenir son regard.

— C'est trop tard, murmura-t-il presque comme une excuse. Prends soin de toi et recommence.

Jungkook esquissa un sourire amer, glissant son regard d'un visage à l'autre, comme pour ancrer ce moment dans sa mémoire. Il repoussa la main de son manager d'un geste brusque, presque blessé.

— Bien sûr... Laissez-moi. Vous avez ce que vous voulez après tout, lâcha-t-il, sa voix vibrante d'une tristesse qui, l'espace d'un instant, sembla troublé même le directeur.

Mais malgré l'émotion palpable, personne ne bougea.

Le silence pesant fut brisé par la voix du directeur, un peu plus froide, comme s'il tentait de se détacher de la situation.

— Joe va te raccompagner.

Jungkook secoua la tête, esquissant un sourire sans joie.

— Laisse tomber. J'ai pas besoin de nounou... J'ai jamais eu besoin de personne, dit-il d'une voix sèche, avant de faire demi-tour, les poings serrés.

Jungkook, le regard voilé par une colère sourde, tourna les talons et quitta l'agence, fier comme il l'avait toujours été. Mais chaque pas furent lourd de regret, chaque souffle une lutte contre la douleur qui l'étreignait.

Enfourchant sa moto, il la fit rugir, prenant la route à plein régime, comme si la vitesse pouvait effacer ses démons.

Plus de joie. Plus de travail.

Il n'avait plus rien.

Les lumières de la ville filtraient dans son champ de vision, floues et distordues, tout comme sa réalité. Taehyung lui manquait plus que tout au monde. Chaque pensée de lui était une lame, tranchante et brutale, ravivant des souvenirs qu'il préférait oublier.

C'est alors que sa descente aux enfers prit tout son sens.

La vitesse, le vent sur son visage, ne faisant qu'accentuer son sentiment de vide. Il était enfermé dans une spirale, tournoyant dans une obscurité qu'il avait lui-même créée. Chaque virage était une tentative désespérée de fuir un passé qu'il ne pouvait pas changer, et une réalité qu'il ne voulait pas, ou plus affronter.

Sa moto vrombit sous lui, un cri de rage contre le monde, mais au fond, il savait que la route qu'il empruntait ne le mènerait nulle part.

Ces derniers mots, ses dernières pensées furent pour Taehyung, l'écho de son sourire résonnant dans son esprit. L'image de son ami, de l'homme qu'il avait tant aimé et qu'il aimait encore plus que sa propre vie, se mêlait à ses souvenirs, floue et éclatante à la fois. Il se souvint des moments partagés, des rires et des secrets, de cet amour non exprimé qui le dévorait de l'intérieur. Chaque souvenir le hantait, chaque instant passé loin de lui le poignardait un peu plus.

Comme un dernier souffle d'espoir, il pensa à la promesse qu'il n'avait jamais pu tenir : celle de revenir, celle de choisir la vie, celle d'être l'homme que Taehyung méritait.

Mais alors qu'il plongeait plus profondément dans l'obscurité, la réalité s'estompa. Il savait qu'il allait tout perdre, mais au fond de lui, il ressentait une paix troublante. La liberté d'échapper à sa douleur le submergea.

Puis, tout devint noir.








******


Hello hello, nous voilà parti pour le spin-off le plus loufoque de ma carrière wattpadienne, j'ai nommé le désespoir de mes personnages que j'aime tant torturer (oui oui, j'assume).

Comme je l'ai dit dans les informations du S-O, je voulais vous donner accès à toutes les choses qui se sont déroulés entre les timelapse de l'histoire. Vous étiez beaucoup à m'avoir demandé ce qui c'était passé, et bien qu'on en apprend pas mal dans les chapitres concernés de l'histoire (ici, je rappel que ce chapitre se déroule après le 63 !), je voulais vous en donné plus encore.

Oui, vous allez enfin savoir ce qui est advenu de Lisa (je le répète, j'adore l'artiste IRL la pauvre), vous allez connaître la déchéance de Jungkook, toute l'étendue de sa peine, ainsi que celle de Taehyung. Néanmoins, sachez que ce spin-off va beaucoup tourné autour de notre Jeon adoré, parce que... Parce que. (Ceux qui ont la ref >>>)

Bon, des choses à dire sur ce premier chapitre ? D'ailleurs, sachez que ma peine est grande devoir utilisé SNTY comme ça, sachant que c'est une de mes préférées de GOLDEN mais vous comprendrez vite pourquoi j'ai fais ce choix. On va repartir dans les analyses littéraire avec Prof Chilo, au rapport !

Enfin bref, on retrouve les chapitres qui demandent un RTT pour les lire, mais j'espère que ça vous plaira autant qu'à moi de les retrouver. Sur ce, on se retrouve je ne sais encore quand pour la suite. 

Des bisous et gardez un peu de larmes pour la suite ! 

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro