Rencontre
-Je m'appelle Cendre, déclara l'intéressé. Je suis un homme.
C'était l'usage depuis toujours à Élestra, en se présentant, de donner son genre. Il n'y avait pas pire insulte que présumer du genre d'un individu.
Cendre, songea le roi. Quel étrange prénom.
Peut-être parce qu'il réduisait en cendres le cœur de ceux qui osaient le regarder ?
-Moi aussi je suis un homme, répondit Alexandre, complètement subjugué par cet incroyable point commun.
Il lui fallut un instant pour se rendre compte que l'autre en attendait un peu plus. Il faut dire qu'il n'avait pas vraiment l'habitude de se présenter. En fait, il n'était même pas sûr d'avoir déjà eut à le faire au cours de sa vie.
-Je m'appelle Al...
Il se rendit compte au milieu de sa phrase que l'autre ne savait pas qui il était. Il ne savait pas qui il était !
-Al ? Reprit Cendre, circonspect.
-Euh, oui, Al pour mes amis proches. Allan, en fait. Tu peux m'appeler Allan.
-Enchanté, Allan, s'amusa Cendre. Peut-on savoir ce qui nous a valu une course effrénée dans les couloirs du château ?
-Je... euh... Je suis désolé...
Je lui dis quoi ? Paniqua Alexandre. « Ils allaient tous se jeter sur toi et je voulais t'avoir en premier » ?
-Tu semblais mal à l'aise, improvisa-t-il. J'ai eu peur que tu ne fasses un malaise. Il fait très chaud dans cette salle.
Cendre haussa un sourcil, peu convaincu, mais laissa passer l'explication bancale. Après tout, quelles que puissent être les motivations du beau blond, il n'était pas contre...
Il se rendit compte avec un rougissement intempestif de ce qu'il venait de penser et décida aussitôt de remettre ses pensées sur le bon rail.
-Hem, tu as l'air de bien connaître le château. Tu travailles ici ?
-On peut dire ça, s'amusa le roi. Je suis valet. Au service de sa majesté, improvisa-t-il.
-Oh, s'étonna Cendre. Et il te laisse partir comme ça ?
-Pourquoi pas ? s'étonna à son tour Alexandre.
-Je ne sais pas, je l'imaginais plus... plus sévère. Après tout, il faut être bien cruel pour mener la Guerre comme il le fait... Les corbeaux ont dit que tout un régiment avait été sacrifié, hier. Tout un régiment ! Beaucoup de gens ont pleuré dans mon village.
Alexandre chancela comme s'il s'était pris un coup dans le ventre. Une dizaine de minutes, il avait échappé à son horrible quotidien. Durant cette dizaine de minutes, il avait été charmé, embarrassé et joyeux, mais ni triste ni coupable. Et maintenant il apprenait que tout le pays – y compris ce mystérieux inconnu – le considérait comme un être cruel et sans cœur.
-Peut-être... murmura-t-il, les larmes au bord des yeux, qu'il n'avait pas vraiment le choix...
Cendre s'aperçut qu'il venait de faire une gaffe. Il eut l'impulsion de tendre sa main vers Allan, pour le consoler, mais se retint au dernier moment.
-Je suis désolé, dit-il. Tu le connais beaucoup mieux que moi. Je n'aurais pas dû le juger comme ça. Après tout, je suis stupide, et je n'y connais rien à la guerre.
-Je suis certain que ce n'est pas vrai, répondit le roi avec un pauvre sourire.
-Dis-moi, Allan, déclara Cendre, changeant à nouveau de sujet, puisque tu habites ici, tu saurais peut-être me dire s'il y a une bibliothèque dans ce château ?
-Une bibliothèque ? Répéta Alexandre, complètement pris de cours. Heu... Oui, je crois... Mais pour quoi faire, grands Dieux ?
-Bein... Pour lire.
-Lire ? Dans la bibliothèque ?
-C'est usuellement ce qu'on y fait... répondit prudemment Cendre, pas certain de comprendre l'étonnement du jeune homme. Tu m'y conduis ?
-Si tu veux, abdiqua Alexandre.
Il rencontrait l'homme de sa vie et il lui demandait d'aller à la bibliothèque. Ça n'arrivait qu'à lui, ces choses-là.
Ils errèrent un bon bout de temps dans les couloirs tandis que le roi essayait de se souvenir de la localisation de la bibliothèque et du chemin pour s'y rendre. Plus personne n'était allé là-bas depuis des dizaines d'années, ça, il en était certain. Tous les livres qui s'y trouvaient dataient du Temps des Splendeurs. La langue – l'élyen – avait bien évolué depuis, et bien peu étaient ceux qui arrivaient à la déchiffrer. Encore plus rares étaient ceux qui s'en donnaient la peine, car même une fois déchiffré, personne ne comprenait plus rien à ce qui avait été la science d'autrefois. Ça faisait bien longtemps qu'aucune école n'avait plus été fréquentée dans le royaume, et le savoir s'était lentement perdu. Il ne restait plus que les Grands et les nobles pour apprendre à lire, par pur esprit de luxe.
Se pourrait-il que ce garçon, se Cendre sache... Non, c'était impossible. Et pourtant... Pourtant, il était si étrange, si incompréhensible... Oui, tout était possible, venant de lui. Tout.
-Ça ne serait pas ici ? s'amusa Cendre en désignant une lourde porte.
Une plaque ternit par le temps y était encore accroché, pendouillant au seul clou qui tenait vaillamment en place. On arrivait encore à y déchiffrer le mot « bibliothèque ».
Alexandre, avec l'impression de se sentir complètement ridicule, se mordit les lèvres. Cendre laissa échapper un petit rire qui bousilla le cœur du roi et ouvrit la porte, qui obéit docilement. Puis il entra.
Le roi aux cheveux d'or reprit son souffle et partit à sa suite.
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