Hésitations
Ils étaient Cinquième. Et comme tous les Cinquième, Cendre se rendit dans le petit atelier pour prendre la liste des courses à faire et l'argent nécessaire.
Mais il laissa en place ses chaussures à roulettes. Comme la semaine d'avant.
En fait, n'avait pas revu Maryan depuis le bal. Il ne se sentait pas le courage de parler avec qui que ce soit.
Il descendit doucement la pente raide qui menait au village, étonné de la trouver si longue, lui qui avait l'habitude de l'expédier en quelques minutes.
Concentré sur l'endroit où il mettait les pieds, il faillit rentrer dans quelqu'un.
Il releva la tête et tomba nez-à-nez avec Maryan, droite comme un pique, les bras croisés sur sa poitrine, les yeux irradiant du courroux du juste outragé.
Cendre déglutit.
-Heu...
Nouveau regard accusateur.
-Bonjour Maryan... Comment vas-tu...
Silence.
-Tu... Euh... Tes cheveux sont très beaux aujourd'hui...
-Cendre Winchester (c'était le nom de son père), claqua la voix de la vieille dame. Peut-on savoir pourquoi votre majesté n'a point daigné me rendre visite depuis le bal ? Aurait-on attrapé la grosse tête ?
-Si c'est pour tes habits... commença pitoyablement le jeune homme.
Il leva de nouveau les yeux. Croisa le regard de Maryan. Et explosa en sanglots.
La vieille dame perdit aussitôt son attitude réprobatrice et le prit dans ses bras.
-Chut... Murmura-t-elle en lui caressant les cheveux. Ça va aller, mon petit...
-Non... sanglota Cendre au creux de son cou. Ça va pas aller du tout...
-Aller, viens, grand dadais, dit gentiment la vieille dame en essuyant de sa manche les larmes qui perlaient sur les joues de son protégé. Tu dois tout me raconter.
~
-... et je me suis enfui, conclut Cendre, assis sur un vieux fauteuil, une tasse de tisane à la main. Et il a gardé l'anneau... ajouta-t-il en évitant de croiser les yeux de sa marraine autoproclamée.
-Et peut-on savoir pourquoi tu n'y es pas retourné illico ?
-Parce qu'entre temps, j'ai appris qu'Allan s'appelait Alexandre. Et qu'il s'agissait du roi.
-Ah.
-Comme tu dis.
Maryan se resservit de la tisane, qu'elle agrémenta discrètement d'une rasade de liquide un peu plus ... revigorant. Elle était complètement coupée du monde, dans sa maison dans la forêt. Elle avait bien entendu parler de quelque chose en rapport avec le roi, une chasse au prétendant ou quelque chose du genre, mais elle n'avait jamais pensé que ça puisse concerner son petit Cendre.
-Et maintenant ? Continua-t-elle.
-Il essaie de me retrouver, dit Cendre d'une toute petite voix. Mais comme tout le monde prétend être moi, il doit faire essayer l'anneau à chaque personne qui se présente...
-Et tu peux me dire pourquoi tu es en train de raconter tes malheurs à une vieille dame dans la forêt au lieu de courir vers le château en criant « c'est moi, mon amour, fais-moi essayer l'anneau et embrasse-moi fougueusement ! » ?
Cendre rougit des pieds à la tête.
-J'ai peur, avoua-t-il. Tu comprends, Maryan, ma vie jusque-là a été tellement... Tellement... Enfin, je ne me plains pas, ça aurait pu être pire. Mais lui... C'est si important pour moi, Maryan. Je ne comprends pas comment c'est possible, mais c'est si important... Je suis terrorisé à l'idée qu'il ne me reconnaisse pas, ou qu'en apprenant qui je suis réellement, il se désintéresse de moi, ou qu'il ne m'aime pas... Je crois que ça me détruirait, Maryan. Vraiment. Je suis paralysé par la peur. Tu sais à quel point je manque de courage ! Vingt fois par jour, je me dis que je vais tout laisser tomber pour aller le retrouver, et à chaque fois je m'arrête au dernier moment, incapable de passer outre le risque qu'il ne m'accepte pas tel que je suis. Après tout, qu'a-t-il vu de moi ? Une soirée ? Un masque ? Un mensonge...
-Pourtant, mon petit, tu n'as pas vu beaucoup plus de lui, et ça ne t'empêche pas de l'aimer.
-De l'aimer...
La voix du jeune homme savoura un instant ces mots. Comme ils étaient étranges, appliqués à son propre cœur ! Mais ils sonnaient juste. Incroyablement juste.
-Mais je suis lâche, Maryan, finit-il d'une toute petite voix. Je préfère rester dans l'illusion que c'est peut-être possible plutôt que de me confronter à la réalité et risquer que ça ne soit pas vrai. Et je me déteste pour ça, si tu savais...
-Tu n'es pas lâche, dit doucement Maryan. Tu es humain.
La porte de la maisonnée s'ouvrit brutalement.
Une dizaine de villageois entrèrent dans la cabane. Maryan glissa la main dans sa poche, où elle gardait ses ciseaux de couture ; longs, effilés, aiguisés. Les villageois l'avaient toujours traité comme une sorcière depuis le jour où elle s'était installé ici. Ils n'étaient pas réellement méchants, mais elles se méfiaient par principe.
Le boulanger s'avança. Il hésita un instant, se rendit compte que leur entrée avait été un peu brutale, retira son chapeau pour se faire pardonner, et se racla la gorge.
-Cendre... euh... bonjour... Nous nous disions... Enfin... Bref. C'est bien toi, n'est-ce pas ? L'inconnu.e du bal ?
Il y eut un instant de silence.
-Euh... Oui... convint le jeune homme.
Les villageois échangèrent des sourires entendus.
-On en était sûr. Bernard t'as vu sauter dans le train, l'autre nuit, et moi j'ai vu une silhouette remonter vers le manoir Trémaine, le soir du bal. Écoute, petit, il vient d'y avoir une proclamation. Le roi va venir lui-même de maison en maison et de village en village pour te chercher. Et nous, on s'est dit que t'avais toujours été un chouette petit, toujours à nous réparer nos bidules quand on en avait besoin, et te débrouiller pour nous éviter la colère des sorcières Trémaine et tout et tout... Alors on s'est dit, tu vois, que le moins qu'on pouvait faire c'est te prévenir, et pis dire au roi quand il arrivera que t'es là-haut. Ça serait bien si un du peuple épousait le roi, au lieu d'un pourri d'en haut. Comme une petite revanche, tu vois ?
Cendre eut un sourire si éclatant qu'il illumina la pièce entière.
Maryan ne pu s'empêcher de sourire. Ce garçon avait un don incroyable pour faire surgir tout autour de lui ce qu'il y avait de mieux dans le cœur des gens.
-MERCI ! Hurla-t-il en se jetant au cou du boulanger, qui n'en menait pas large, malgré ses cent-vingt kilos.
-Euh... Ouais... dépêche-toi, bafouilla le bonhomme en se défaisant de l'étreinte.
Il ne fallut pas lui dire deux fois. Un instant plus tard, Cendre n'était plus là.
-Il vous en a fallu, du courage, pour vous rendre dans une maison de sorcière, ironisa Maryan, un brin cynique.
Tous ceux qui étaient là baissèrent les yeux, honteux.
-À propos de ça...
~
Cendre déboula hors d'haleine dans le grand hall du manoir... Pour tomber nez-à-nez avec Lady Trémaine.
Les deux sœurs se tenaient derrière leur mère, vertes de rages. Cendre comprit à leur accoutrement qu'elles revenaient du village.
-Quelle honte, lâcha lady Trémaine. Un pouilleux au bal du roi. Le pauvre a bien besoin qu'on lui remette les idées en place.
Elle fit un geste. Una mercenaire, payé.e pour l'occasion, posa ses mains sur les épaules de Cendre, qui sursauta.
-Qu'est-ce que vous...
La fin de sa phrase fut étoufée par la main qui se posa sur sa bouche.
Cendre se débattit avec la rage du désespoir. Mais il était impuissant. Impuissant ! Alors qu'Alexandre allait venir ici ! Les larmes lui montèrent aux yeux.
-Enfermez-le quelque part, dit lady Trémaine avec un petit geste de la main, comme s'il s'agissait de se débarrasser de la vermine. On s'en occupera plus tard. Le roi devrait arriver d'ici la fin de l'après-midi. Je veux que le domaine soit parfait, du jardin au salon. Embauchez qui vous voulez. Vous avez carte blanche.
Lae mercenaire s'inclina et jeta Cendre en travers de son épaule.
Le pauvre eut juste le temps de voir la lady se retourner vers ses filles, qui n'en menaient pas large.
-Quant à vous, dit-elle d'une voix froide, vous avez intérêt à ce que le roi choisisse l'une ou l'autre, par tous les moyens possibles. C'est compris ?
Cendre ne vit pas la suite. Un chiffon se plaqua contre son nez. Une odeur amère emplit sa bouche.
L'obscurité l'engloutit d'un coup.
La dernière image qu'il emporta, étrangement, fut celle d'un homme au regard doux et aux cheveux blonds qui l'invitait à danser.
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