Derrière les masques
Cendre réfléchit à toute vitesse.
S'il visualisait bien ou se trouvait sa cellule, il devait être juste derrière son atelier secret. Le mur était certainement plus fin, à cet endroit-là.
Mais s'il s'enfuyait par l'atelier... Alors, forcément, les Trémaine en apprendrait l'existence.
Était-il prêt à sacrifier ce qui avait le plus d'importance à ses yeux juste pour l'espoir qu'Alexandre le reconnaisse ?
Il fit glisser ses doigts sur le mur, jusqu'à rencontrer une pierre descellée par le temps et l'humidité.
Il la tira à lui. Puis, son bélier en main, il frappa le mur.
Encore, et encore.
Chaque choc se répercuta le long de son bras pour remonter jusqu'à son cœur. À moins que ce ne soit l'inverse ?
Qu'importe.
~
Les nobles s'assirent autour du buffet proposé par Trémaine, qui se trémoussait en enchaînant révérences sur révérences.
Maryan regarda autour d'elle. Elle commençait à avoir peur. Où était son petit protégé ?
-Sire... commença-t-elle.
Une main se plaqua sur sa bouche.
Sur un geste de la patronne, lae mercenaire avait tiré la vieille dame dans l'obscurité d'un couloir adjacent.
Iel l'assomma violemment et laissa son corps choir sur le sol, presque distraitement. Puis iel l'enjamba et retourna dans la salle principale, prêt à agir au moindre ordre lancé.
Alexandre, qui ne s'était aperçu de rien, en avait assez. Il n'aimait pas la maîtresse de maison, et ses deux filles, qui lui jetaient des regards crispés, le mettait mal à l'aise.
Il sortit l'anneau.
-Procédons, voulez-vous ? Lança-t-il sans préambule.
-Mais bien sûr, roucoula lady Trémaine en poussant Anastasie devant le roi.
Alexandre remarqua qu'elle avait l'air terrorisé sous sa couche de fard. Il lui sourit gentiment.
-Je ne te ferai aucun mal, dit-il en prenant ses mains, qu'elle gardait l'une dans l'autre.
-Puis-je le mettre moi-même ? Murmura Anastasie.
-Certes, acquiesça le roi en lui tendant le bijou transparent.
Anastasie baissa la tête, de telle façon qu'on ne la vit pas faire.
Elle se crispa un instant... Puis poussa un énorme soupir de soulagement.
-Il me va, dit-elle.
Toute la cour retint son souffle.
Alexandre fronça les sourcils.
Il prit délicatement la main de la jeune fille dans la sienne et la leva à hauteur de son visage. Elle grimaça de douleur.
Alexandre eut un sursaut d'horreur.
Sa main était pleine de sang.
-Qu'avez-vous... Balbutia-t-il, qu'avez-vous fait ?
Anastasie sembla sur le point de s'effondrer.
-L'anneau est rentré, dit-elle avec obstination.
-Certes, dit doucement Alexandre, mais ce n'est pas pour autant que vous êtes Cendre, n'est-ce pas ?
Anastasie se mordit la lèvre. Le roi soupira et retira le plus doucement possible l'anneau du doigt en sang. Elle avait dû frotter longtemps pour atteindre ce résultat, et souffrir énormément. Alexandre se demanda ce qui pouvait motiver quelqu'un à se faire aussi mal à soi-même.
-L'anneau est rentré, répéta Anastasie.
Javotte acquiesça frénétiquement.
-Qu'on aille chercher un médecin ! Lança le roi. Ces deux jeunes filles rentrent avec moi au château.
-Sire ?! s'exclama Elis, surprit. Serais-ce...
-Bien sûr que non, le coupa l'autre, en colère. Aucune d'entre elle n'est Cendre. Mais elles ont besoin de soin, et quelque chose ici semble les terrifier.
Il jeta un regard à lady Trémaine, qui le soutint froidement. Elle n'avait jamais baissé les yeux devant personne. Jamais.
Pourtant, lorsque le roi s'avança vers elle, le regard chargé de fureur, elle tressaillit. Et lorsque sa mâchoire se contracta, lady Trémaine flancha, et détourna très légèrement les yeux.
Le roi fit alors volte-face et se dirigea vers la sortie, sa cour à sa suite. Un noble avait passé un bras autour d'Anastasie, très pâle, qui soutenait elle-même Javotte. Elles n'arrivaient pas à croire ce qu'elles venaient de voir. Quelqu'un avait maté leur mère. Il y avait peut-être un endroit dans le monde où elle pourrait ne pas la craindre.
Alexandre se demanda un instant où se trouvait la vieille dame qui leur avait servit de guide, puis haussa les épaules. Elle devait être repartie. Le manoir Trémaine n'avait pas une atmosphère des plus agréables. Il ne comprenait vraiment pas pourquoi les villageois avaient tenus à ce qu'il monte jusqu'ici.
À l'instant où il allait sortir de la pièce, il y eut un grand bruit, comme un éboulement.
Toutes les têtes se tournèrent vers le haut des escaliers, où une silhouette venait de surgir.
Cendre, les habits déchirés, tout entier couvert de suie, de saleté, de gravats, de poussières et d'humidité, dégringola les marches plus qu'il ne les descendit. Sa jambe boiteuse le faisait horriblement souffrir.
-J'aimerais, souffla-t-il, essayer l'anneau.
Il n'osa pas regarder Alexandre. Il avait trop honte de son état.
-Vous n'y pensez pas ! s'exclama lady Trémaine. Ce n'est qu'un pauvre souillon !
Javotte et Anastasie approuvèrent vigoureusement de la tête.
Alexandre ne dit rien.
La cour tout entière se tu alors qu'il s'approchait lentement du nouveau venu.
Folle de rage, lady Trémaine fit un signe de tête au mercenaire, qui jaillit de l'ombre et se précipita vers la main tendue du souverain.
Élis pâlit. Tout ce qu'iel vit, c'était un individu armé se précipiter vers son roi.
Iel cria et se jeta sur l'attaquant, qu'iel heurta de plein fouet. Lea bandit se débarrassa du chambellan comme d'un insecte, d'un coup de poing qui le fit s'effondrer. Lae pauvre était un être de plume, pas d'épée.
Lae mercenaire reprit le cours de sa trajectoir. Iel arracha l'anneau de la main du roi, qui s'était précipité vers son chambellan, et le jeta par la fenêtre ouverte. Puis iel sortit une dague et...
S'écroula.
Élis, très pâle, un filet de sang sur la tempe, se tenait derrière, une statuette de bronze dans une main.
-Ça va ? Dit-iel.
-Oui, répondit Alexandre avec un petit soupir de soulagement. Merci.
Il aurait bien voulu prendre son chambellan dans ses bras, mais il ne pouvait pas, au milieu de tant de témoins. Il se contenta de lui envoyer un regard, que l'autre accepta avec un sourire.
-L'anneau est partit, murmura Cendre, penché à la fenêtre.
Ma dernière chance, songea-t-il.
Alexandre s'approcha de lui et prit son menton dans ses mains, sans se soucier de la saleté qui tâchait ses gants blancs.
Il regarda longuement ce visage couvert de suie, au milieu duquel brillaient deux yeux immenses, d'un bleu extraordinaire.
Il passa ses doigts sur ses joues, nettoyant un peu du noir qui s'y était accumulé.
-Tu penses vraiment, dit-il doucement, que j'ai besoin d'un anneau pour te reconnaître ?
Puis il se pencha en avant.
Et l'embrassa.
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