Correspondance
« Cher Cendre... Deux semaines, déjà, et mon cœur n'en peut plus. Comment tiendrai-je deux ans de plus avant de te revoir ? L'attente me paraît insurmontable. Je te vois partout, je ne cesse de penser à toi. Je rêve de toi, aussi, beaucoup. Parfois, nous sommes heureux, tous les deux, en haut de la tour en ruine. Parfois, nous faisons l'amour. Parfois, je t'écoute parler pendant des heures et des heures sans me souvenir d'aucun de tes mots, tant ton visage me captive. Et puis parfois, tu es mort. Ton cadavre mutilé est étalé sur un champ de bataille abominable. Tes yeux ne voient plus. Ta peau est tachetée de rouge. Tellement de rouge. Tes cheveux si doux sont poisseux de crasse, de sueur et de sang. Et je m'éveille terrifié, incapable de parler ou de respirer, hanté par l'idée que je t'ai peut-être perdu, toi, le sens de ma vie, au moment où je t'avais enfin trouvé. Ces horribles songes me poursuivent au cours de la journée. À chaque décision que je prends sur la guerre, je revois ton corps mort, et je tremble, car je ne sais rien de ce que tu fais en ce moment, où tu es, avec qui, et comment : tu es un de ces milliers de points sur les cartes de nos généraux, un de ces soldats sans visages dont nous décidons aveuglement des mouvements. Comment savoir laquelle de mes décisions te sera fatale, et laquelle te sauvera la vie ? Je ne vis plus, Cendre. Je t'attends. Donne-moi de tes nouvelles, je t'en prie. À jamais, Alexandre ».
« Mon amour... Je sais, ce n'est pas un formule que nous utilisons beaucoup, mais si tu savais à quel point j'ai besoin de ces mots pour réchauffer mon cœur... Je me les répète le soir, parfois, dans un murmure. Je dis ton nom à voix haute, et je joue à prétendre que je suis au château, avec toi. Le plan que nous avons monté pour piéger les Ennemis s'est parfaitement déroulé, sans aucune victime de notre côté. J'ai trouvé beaucoup d'alliés ici, et me suis fait plus d'ami qu'au cours de toute ma vie. Ensemble, nous avons bricolé quelques machines de l'ancien temps. Nous nous sommes dissimulés sur le terrain, dans les machines que tous croyaient inutilisables. Cachés au vu et au sus de tous. Ils sont arrivés. Et nous avons fait feux. Le temps d'une seconde, nous nous sommes félicité en criant de joie. L'instant d'après, nous avons entendu les hurlements. Oh, Alexandre, les hurlements... Je n'avais jamais compris, Alexandre. Quel triple idiot, quel imbécile, quel âne bâté égocentrique je suis ! Je n'avais simplement pas pensé que l'Ennemi était humain, avec tout ce que ça implique de vie et de douleur. Je ne sais pas comment je me l'étais représenté. Un monstre informe, aveugle, sans sentiments et sans vie, sûrement. C'est ça, l'horreur de la guerre. Déshumaniser l'autre. Ils ont crié de douleur, et de peur, ils ont appelé à l'aide, et c'était ma faute, ma faute... C'est moi qui avais fait ça... Oh mon amour... Je n'arrive plus à penser à moi sans dégoût. J'ose à peine espérer que tu me gardes ton affection. Pourrais-tu aimer un meurtrier ? Pour toi toute l'éternité, Cendre. »
« Mon Cendre, si tu savais comme je suis triste pour toi ! La guerre est une machine horrible, et nous nous apercevons toujours trop tard que nous avons été entraînés par ses engrenages, que nous avons perdu un peu d'humanité dans ses mécanismes, jusqu'à perpétuer des actes qui sont comme autant de cicatrices... Quant à ta dernière question, mon cher Cendre, je crois que je t'aimerais encore si tu venais me planter une dague dans le cœur. Tiens bon. Fait attention, je t'en prie. Raconte-moi autre chose. Parle-moi de tes amis. De ton quotidien. Élis te passe son salut. Je t'aime. Alexandre. »
« Alexandre ! ANASTASIE EST DANS MON RÉGIMENT ! Apparemment, elle faisait partit des « volontaires » aussi, son groupe ayant été totalement exterminé (sauf elle, ce qui est pour le moins louche), elle s'est retrouvé réassigné avec moi. Mais pour la première fois de toute mon existence, mon entourage est de mon côté, et je n'ai rien à craindre d'elle. C'est plutôt étrange... Sinon, Maryan est fidèle à elle-même. Elle a trouvé un moyen (que je n'ai toujours pas saisi) pour faire la cuisine correctement, et elle a repris en main toute l'organisation intérieure de la forteresse. Mariel m'ignore complètement, ce que je ne peux lui reprocher, mes je crois que ses généraux m'aiment bien. Mon meilleur ami s'appelle Zack. Son rêve est de jouer de la musique ! D'ailleurs, tu ne trouves pas ça étrange, que tous les « volontaires » soient des intellectuels ? ». Nous n'avons pas subi de nouvelle attaque, depuis la dernière fois. Je crois qu'ils essaient encore de comprendre ce qui s'est passé. Zack et moi parlons de plus en plus souvent de changer les choses. La prochaine fois, nous essayerons de faire des prisonniers. Prends soin de toi aussi, et passe le bonjour à Élis. Je t'aime. Cendre. »
« Mon Cendre, ne t'inquiète pas, j'ai vérifié : Javotte est bien au château ! Par contre, aucune trace de Lady Trémaine... Comment est ce Zack ? Gentils ? Courageux ? Beau ? Ce que tu me dis, à propos des intellectuels, est plutôt étrange. Je vais mener mon enquête. Dieux, le soleil se lève, et je n'ai pas dormis... Une maladie a décimé toutes les récoltes, au sud. Nous organisons tant bien que mal des relais d'urgence pour la nourriture, mais la situation est critique. Je pense sans cesse à toi. Je t'aime. Alexandre ».
« Alexandre... Serais-tu jaloux ? L'idée me touche, même si elle est plutôt absurde. Tout le monde ici sait que je ne parle que de toi... Ce que tu me dis à propos du royaume m'inquiète. J'aimerais tant être près de toi pour t'épauler ! Fais attention à toi, je t'en prie... Et maintenant, il faut que je te le dise : nous avons fait une prisonnière. Mariel et les officiers ont faillis avoir une crise cardiaque. Apparemment, c'est quelque chose qui ne se fait pas, un point c'est tout. On croirait que j'ai ramené une maladie vénéneuse ! Heureusement (dois-je vraiment me féliciter d'avoir réussit une mutinerie devant le roi?) les autres sont tous de mon côté. Sauf Anastasie. Mais personne ne fait plus attention à elle, de toute façon. Tout ce que nous avons réussi à tirer de notre prisonnière, pour le moment, c'est qu'elle s'appelle Kern, et que c'est une femme. Je ne devrais peut-être pas le dire, mais ses différences physiques sont fascinantes. Comme le fait qu'elle parle une langue extrêmement proche de la nôtre. J'ai hâte de l'interroger. Tu te souviens, ce dont nous avons parlé, sur l'oreiller, après notre première nuit ensemble ? Un traité me semblait complètement fou, à l'époque. Et maintenant, je la regarde, assise au fond de sa cellule, et malgré sa peau bleutée, ses yeux bridés et ses longues oreilles, je la trouve si semblable à moi... Tout est possible, mon amour. J'ai foi en toi. En nous. Je t'aime. Cendre ».
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