Time - Chapitre 16
Pour Leah, je te souhaite encore un très joyeux anniversaire. x
1999
- H A R R Y -
" And then one day you find ten years have got behind you.
No one told you when to run, you missed the starting gun. "
- Time, Pink Floyd.
Les matins à Kyoto sont toujours calmes. Harry aime se réveiller grâce au chant des oiseaux. Les draps sont doux contre sa peau, et il peut passer des heures, les yeux embués de sommeil, à observer le ciel se colorer lentement. Il n'a jamais ressenti cet apaisement avant. Les matins de son enfance étaient toujours angoissés, transpirants des mauvais rêves de la nuit et du goût amer de ce qui l'attendrait en descendant en bas, dans la cuisine grise. Les quelques matins avec Louis, pendant l'été 1993, étaient doux mais trop vite brisés. Il faisait trop chaud, à cette époque là. Le corps de Louis était trop sec, trop fin. Harry savait qu'il finirait pas se casser entre ses mains. Puis il y avait eu les matins avec Elio, et ceux-là étaient beaux aussi. Mais ils avaient un goût de médicaments, de cernes noires et de regards mélancoliques. Ils avaient toujours un goût d'au-revoir. Harry savait qu'ils ne dureraient pas. Il avait fait tout son possible pour ne pas s'attacher à eux.
Les matins à Kyoto, donc... Des matins de nuages blancs, de thé vert, des matins doux comme le pelage de Mochi. Depuis une semaine, des matins qui ont l'odeur de la peau nue de Louis, aussi. Car la première chose que Harry regarde à présent, en ouvrant les yeux, ce n'est plus le ciel mais le visage endormi du plus beau garçon qu'il connaisse, appuyé sur son épaule ou noyé dans l'épaisseur de l'oreiller.
Harry a peur parfois, mais il sait qu'il n'a pas fait d'erreur. Peut-être que Louis va le faire souffrir. Peut-être que Louis va finir par partir, sans un regard en arrière. Peut-être que Louis, un beau matin, l'embrassera pour la dernière fois et quittera le Japon, mais pour le moment, il n'y pense pas tellement. Louis le rend heureux, et c'est bon d'être heureux, de ne penser à rien d'autre qu'à l'amour qui fleurit comme un cerisier dans le creux de sa poitrine. Harry avait oublié ça, à quel point Louis était capable de le faire sourire.
Lentement, il fait courir ses doigts sur l'épaule nue du jeune homme. La peau de Louis se couvre de frissons. Il a toujours ce teint hâlé, ces mèches blondies de soleil, ces genoux abîmés par le skate. Harry se demande s'il en fait encore régulièrement, ou si l'objet est rangé dans le fond de son garage, en France. Est-ce que Louis a un garage d'ailleurs ? Peut-être qu'il habite dans un minuscule appartement. Ou dans une grande villa. Harry ne sait pas grand chose de lui, de son autre vie, du montant sur son compte en banque ou des souvenirs qu'il a accumulé en six ans. Harry a envie de savoir. Il a envie que Louis lui raconte tout, qu'ils fassent naître avec des mots des images que Harry ne verra jamais autrement qu'en noir et blanc.
Il quitte le lit sans faire de bruit, et va se faire un thé dans la cuisine. Tout est silencieux, il n'entend que le bruit lointain de la route et les pas étouffés du voisin du dessus, qui lui adresse toujours des bonjours polis lorsqu'ils se croisent dans l'escalier. L'eau boue dans la casserole et Mochi, à peine réveillé, vient se frotter contre lui avec des miaulements plaintifs. Toutes ces choses, ces petites détails immobiles, forment son quotidien depuis 3 ans. Est-ce que Louis est en train de tout bouleverser ? Pas vraiment. Plus les jours passent et plus Harry se rend compte que Louis est plutôt en train de se glisser dans le moule de sa vie sans le modifier. C'est comme s'il avait toujours été là, comme si rien ne les avait jamais vraiment séparé. Harry n'est pas très à l'aise avec la majorité des êtres humains. Avec Louis, ce n'est jamais le cas. Harry n'a pas besoin de lui dire quand il a besoin d'être un peu seul. Louis sait s'éclipser, lui laisser un espace nécessaire. Harry n'a pas non plus besoin de lui dire lorsqu'il a besoin d'être rassuré. Louis est toujours là, prêt à l'enlacer et à poser une main dans le bas de son dos, à le retenir pour ne pas qu'il tombe. Et Louis le fait rire. Louis lui fait voir le monde autrement. Louis allège le poids dans son coeur, qui parfois disparaît totalement, comme s'il n'avait été qu'un mauvais rêve. Louis a toujours une remarque intelligente à faire. Louis s'intéresse à ce qu'il dit. Louis l'embrasse comme Harry aime être embrassé.
Il soupire, ses mains enroulées autour de sa tasse brûlante. La vapeur qui s'en échappe lui rappelle brièvement cette nuit dans le onsen, il y a quelques jours seulement. Ils n'ont pas refait l'amour depuis. Pourtant, Louis a passé toutes ses nuits dans l'appartement d'Harry, le corps blotti contre le sien. L'intimité un peu timide qu'il y a entre eux plaît à Harry. Au fond de lui, il avait un peu peur que Louis ne voit en lui qu'un sexfriend facilement accessible, vu leur passé. Mais ce n'est pas ça. C'est bien plus fort. Ils n'ont pas mis de mots dessus, mais Harry le sent. Louis ne joue pas. Il n'a jamais joué, que ce soit il y a six ans ou maintenant... Et Harry sait que si en 1993 il n'était pas prêt à lui faire entièrement confiance, c'est à présent le cas.
— À quoi tu penses ?
Il se retourne sans un sursaut. La voix de Louis, comme toutes ces choses qui le compose, est une mélodie familière. Il sourit en le voyant sur le pas de la porte, un pull trop large — ne lui appartenant pas — sur les épaules.
— Tu me voles mes affaires ?
Louis lui tire la langue, puis il s'avance, se baissant pour caresser Mochi s'étant précipité vers lui.
— Je ne vole rien, j'emprunte.
Un petit silence passe puis il se redresse et ajoute, une lueur amusée dans les yeux :
— En plus je suis sûr que tu aimes bien me voir porter tes vêtements.
Harry ne répond pas. La réponse est évidente, il n'a pas besoin de dire à quel point son ventre se réchauffe lorsqu'il trouve Louis dans un de ses sweats ou avec un de ses t-shirts. Lui ne peut pas vraiment faire pareil, la valise de Louis étant resté dans sa chambre du ryokan qu'il continue de payer alors même qu'il passe tout son temps chez Harry.
— Tu veux un thé ?
Louis acquiesce et s'assoit à la table de la cuisine, repliant ses jambes contre son torse.
— Tu travailles aujourd'hui ?
— Oui. Jusqu'à seize heures. On pourra aller se promener après si tu veux ?
— D'accord. Je viendrais te chercher.
Harry a le dos tourné, occupé à remplir la casserole d'eau, mais il peut entendre le sourire dans la voix de Louis. Il aime ce quotidien facile et agréable qui s'est installé entre eux. Il aime sortir du konbini le soir et trouver Louis assis sur le muret, l'attendant avec une boîte de sucreries à la main, ou deux bouteilles de lait à la fraise. Il aime parfois le trouver aussi en train de discuter à la caisse avec Haku, comme s'ils avaient toujours été amis. Louis ne lui a jamais dit ce qu'il faisait lorsqu'ils ne sont pas ensemble, dans la journée... Peut-être se promène t-il tout seul ou en compagne de Emma et Axel. Peut-être rentre t-il au ryokan pour écrire.
Il se retourne, la tasse fumante de Louis à la main, et il hasarde, soudain curieux :
— Est-ce que tu vas travailler aujourd'hui ?
Louis lève un sourcil :
— Comment ça ? Je ne parle pas plus de cinq mots de japonais et tu veux que je trouve un emploi ?
— Je ne parlais pas de ça... Tu sais, ton roman.
Harry se rassoit, attrapant un mochi au litchi dans la boîte qu'il a acheté pour Louis. Ce dernier reste d'ailleurs étonnamment silencieux, et au bout de quelques secondes, il finit par hausser les épaules.
— Peut-être. Je ne sais pas encore ce que j'ai envie de faire.
Harry n'insiste pas. Après tout, Louis est un écrivain, et les écrivains sont un peu secrets concernant leurs oeuvres, non ? Harry n'a pas envie de le forcer à parler de ce dont il ne veut pas parler. Il n'a aucun droit pour faire ça. Alors, il mange en silence jusqu'à ce que Louis se mette à parler avec enthousiasme d'un coin de Kyoto que Emma lui a fait découvrir hier. Harry sourit en l'écoutant, et la pointe d'inconfort qui était née entre eux disparaît vite.
*
*
*
Le lendemain, Harry termine à vingt heures. Il se dépêche de retirer son tablier vert aux couleurs du konbini et de mettre sa casquette dans son casier, enfilant à la place un bonnet noir. Lorsqu'il se ressort de l'arrière boutique, Haku est en train d'éteindre les lumières et lui sourit :
— Tu viens au karaoké ce soir ?
— Je ne crois pas. J'ai promis à Louis qu'on allait aller à Nakagyo-ku, pour qu'il voit les machines à sous, les salles d'arcades et les boutiques un peu plus « branchées » que la partie traditionnelle de Kyoto.
— Oh, c'est une bonne idée ! Il va adorer.
Harry hoche la tête, sentant ses joues rosir un peu. À chaque fois qu'il parle de Louis à quelqu'un, il ne peut pas s'en empêcher. C'est idiot, pourtant. Haku est son meilleur ami et il connaît Louis. Harry ne devrait pas se sentir intimidé à l'idée de parler de leur... leur relation. Il l'est, pourtant. Peut-être parce que tout ça compte beaucoup pour lui. Peut-être parce qu'il a l'impression de sortir avec son premier petit-ami... Ce qui est un peu stupide, compte tenu de leur passé. (Et qui l'est encore plus lorsque Harry réalise que Louis n'a jamais sous-entendu qu'il sortait ensemble actuellement, même s'il agit souvent comme s'ils étaient en couple.)
— Je crois que ça va lui plaire oui.
— Tu peux partir maintenant si tu veux, je vais m'occuper de l'alarme et tout ça...
— T'es sûr ?
— Mais oui ! À demain Harry.
— Merci... À demain Haku.
Après un dernier sourire à son ami, Harry sort dehors. L'air est doux, de plus en plus frais à mesure que les jours passent. L'automne va sans doute bien arriver et couvrir la ville de ses brouillards épais. Harry adore cette période.
Il avance sur le trottoir, prêt à traverser pour aller chercher son vélo garé de l'autre côté, lorsqu'un mouvement au coin de la rue attire son regard. Il ne met que quelques secondes à réaliser que c'est Louis qui est debout à quelques mètres, de dos, une main sur la hanche et l'autre collée à son oreille, tenant un téléphone portable. Harry s'approche, sourire aux lèvres. Louis n'avait pas dit ce matin qu'il l'attendrait à la sortie. Il n'est qu'à quelques mètres de lui lorsqu'il réalise soudain que Louis est en train de téléphoner à quelqu'un, sa voix un peu orageuse. Harry s'arrête net, n'osant plus bouger. Peut-être qu'il devrait partir pour lui laisser de l'intimité ? Mais Louis le repèrerait sûrement s'il faisait ça, non ? Harry ne veut pas donner l'impression de l'espionner et pourtant... Il ne peut pas faire autrement que d'entendre ce qu'il marmonne à son interlocuteur :
— ... c'est comme ça... Oui je sais que ça fait longtemps maintenant... Non... Non, vous ne comprenez pas... J'aime vraiment ce pays, je suis bien ici... Oui, oui, je suis au courant... Bien sûr... Mais non je ne compte pas rester indéfiniment !... D'accord, si vous pensez que c'est mieux... Je passerais vous voir à votre bureau dès que je suis à Paris alors...
Harry a envie de vomir. Il recule de trois pas, se fichant bien que Louis puisse le voir ou non. Il s'appuie derrière un arbre, retenant ses larmes. Je ne compte pas rester indéfiniment. Bien sûr que non. Comment a t-il pu commencer à baisser sa garde ainsi ? Comment a t-il pu laisser Louis prendre autant de place dans son existence, aussi vite ? Évidemment qu'il allait devoir rentrer. La vie de Louis n'est pas au Japon. Elle est en France, à Paris visiblement. Harry ne peut pas le supplier de rester, il n'en a pas le droit. Ces vacances que s'octroient Louis pour retrouver l'inspiration sont une jolie parenthèse qui va bientôt se refermer. Et, encore une fois, il ne représentera pour Harry qu'un amour de quelques semaines, intense et merveilleux mais court et périssable. Ce n'est pas si grave, non ? Peut-être que c'est seulement leur destin. Peut-être que dans six ans, Louis reviendra encore et qu'il s'aimeront à nouveau pendant une poignée de jours. Harry est certain qu'il sera capable de l'attendre ainsi, de retenir sa respiration jusqu'à son prochain séjour.
— H ?
Cette fois, il sursaute. Louis est devant lui, un petit sourire aux lèvres. Mais Harry voit bien à son visage qu'il n'est pas aussi heureux que d'habitude.
— Oh, salut. Je voulais attendre que tu descendes du ryokan, il bafouille sans savoir quoi dire.
Il ne veut pas que Louis pense qu'il a écouté sa conversation ou qu'il était caché là pour l'épier. Louis a un petit rire et se penche pour l'embrasser sur la joue avant de murmurer :
— Eh bien tu vois, j'avais anticipé. Je ne t'ai même pas vu sortir du travail... J'étais trop... Perdu dans mes pensées. Je suppose.
Harry hoche la tête. Il souffle quelque chose comme bien sûr, ce n'est pas grave, et Louis ne semble même pas se rendre compte de son trouble. Il se contente de lui sourire à nouveau et de dire :
— Alors, on y va ?
Et Harry le suit, le coeur au bord des lèvres. Que peut-il faire d'autre, de toute façon ? Si le compte à rebours jusqu'au départ de Louis s'est mis en place, Harry décide qu'il veut profiter de toutes les poignées de secondes qui lui restent. Il veut se souvenir longtemps du visage de Louis, lorsqu'il aura disparu à l'autre bout du monde.
*
*
*
Nakagyo-ku est particulièrement animé la nuit. Louis s'extasie devant tout, s'arrêtant devant chaque salle d'arcade, devant chaque machine fluorescente, devant chaque boutique de figurines de mangas. Ils croisent beaucoup d'adolescent.e.s en cosplay et Louis sautille en tirant sur la main d'Harry, les yeux brillants de lumières multicolores.
— Regarde ça, Harry ! Et là ! Je n'ai jamais vu un endroit pareil ! C'est fou, non ?
Harry ne peut pas s'empêcher de rire avec lui, même si la boule dans sa gorge s'épaissit à chaque fois que Louis se penche pour lui murmurer quelque chose à l'oreille, ou à chaque fois que leurs doigts s'entrecroisent au milieu de la foule. Louis a l'air jeune, sous l'arc multicolore des néons qui colorent les rues. S'il fermait un instant les yeux, Harry se trouverait transporté en 1993, au milieu de la fête foraine qui s'était installée quelques jours sur la place du village. Louis n'aurait plus de barbe, moins de petites rides autour des yeux, et des vêtements bien plus lâches et abîmées. Mais il serait toujours aussi beau joyeux et brûlant de vie. Il serait toujours le garçon faisant battre son coeur bien trop vite. Il serait toujours le garçon prêt à le lui briser.
Ce n'est pas juste. Le temps n'est pas juste. Harry ne veut pas revivre ça, il ne veut pas avoir à perdre Louis encore une fois. Il ne veut pas se retrouver seul à nouveau, et errer comme une âme en peine au milieu des rues humides de Kyoto, à la nuit tombée, pendant l'hiver. Il veut pour toujours la paume de Louis posée dans son dos, et l'odeur de sa nuque quand il s'endort. Il veut pour toujours que son seul horizon soit ses yeux océans et que son rire soit la seule musique qu'il entende, même les jours de grand vent.
Mais il ne dit rien. Il ne pleure pas. Il ne s'arrête pas au milieu de la rue pour se mettre à hurler, Je t'en prie reste avec moi. À deux ce sera mieux, je te jure qu'on s'aimera à en faire trembler la terre. Les secondes s'égrèneront sans fin et l'univers ne tournera que pour nous. Il ne dit rien et Louis ne se rend pas compte de la tempête qui les entoure, Louis n'y fait jamais allusion.
Peut-être que c'est mieux comme ça. Peut-être qu'Harry souffrira moins, si Louis disparaît du jour au lendemain. Il ne veut surtout pas à avoir à dire au-revoir. Ou adieu. Peu importe. Il ne veut pas.
— Regard, un Totoro géant !
L'exclamation ravie de Louis le sort de sa torpeur. Dans une boutique un peu moins fréquentée que les autres, une peluche XXL d'un des fameux héros du Studio Ghibli leur sourit. Harry se laisse entraîner par Louis qui fonce immédiatement vers Totoro, les yeux brillants.
— Il est super doux, touche.
Harry se mordille la lèvre pour ne pas sourire. Louis est adorable, la joue posée sur le ventre énorme de la créature.
— Est-ce que tu vas me faire un caprice pour l'avoir ?, il demande en laissant ses doigts errer sur la tête de la peluche, constatant que, en effet, elle est très douce.
— Évidemment, fait Louis en haussant les épaules, visiblement décidé à ne pas lâcher le Totoro.
Quel petit con. Harry cherche l'étiquette et grimace en voyant le prix. 4869 yen. (*40€)
— C'est un peu cher, il lui fait remarquer.
Mais Louis se met à faire la moue, ses yeux immenses et suppliants sachant exactement comment le faire craquer.
— Harryyyy. J'ai été super sage...
Harry lève les yeux au ciel, amusé malgré lui. Ce n'est pas un Louis de 22 ans qu'il a retrouvé, c'est un gosse de 6 ans. Cependant, avant qu'il ait eu le temps de dire quoi que ce soit, la voix d'un vendeur les interrompt.
— La peluche Totoro vous intéresse, messieurs ?
Harry se retourne, surpris d'entendre quelqu'un parler français, et ses yeux s'écarquillent davantage en découvrant l'homme planté devant lui avec un grand sourire, enveloppé dans un kigurumi à l'effigie du personnage de Ghibli. Est-ce qu'ils sont tombés dans un univers parallèle style DisneylandParisVersionJapon ? Derrière lui, Louis se redresse en s'exclamant joyeusement :
— Vous êtes un Totoro vivant !
Le vendeur — est-il au moins vendeur ? — se met à rire.
— D'habitude ce sont les enfants qui veulent me faire un câlin mais si vous voulez, je peux faire une exception.
Louis ne se le fait pas répéter deux fois, exagérant son enthousiasme exprès pour faire rire Harry — qui ne peut définitivement pas résister à son cinéma. Lorsqu'il se détache du vendeur-Totoro, celui-ci se présente un peu plus habituellement, un grand sourire aux lèvres :
— Je m'appelle James. Je tiens cette boutique depuis quelques années maintenant.
— Vous êtes Français ?, demande Harry avec curiosité.
— Non, anglais. Mais ma femme était Française alors j'ai appris cette langue... C'est assez pratique pour parler avec les touristes ici. Vous êtes en vacances ?
— J'habite ici depuis trois ans. Et Louis est-
— Harry me fait visiter Kyoto, le coupe Louis avec un grand sourire. C'est un très bon guide... Même s'il ne veut pas me faire de cadeaux.
James se met à rire :
— Vous voulez vraiment ce Totoro, n'est-ce pas ?
— Je l'aime beaucoup...
Louis se retourne pour regarder la peluche puis il ajoute pensivement, comme s'il se parlait à lui-même :
— On a regardé le film avec Harry l'autre jour. Je n'avais jamais vu de Ghibli avant. Ce serait un joli souvenir...
— Je peux vous le faire à 4000 yen si vous voulez.
— Je vais lui prendre, décide immédiatement Harry en sortant son portefeuille. C'est vraiment très gentil.
— Je ne voudrais pas que votre ami... ou petit-ami reparte sans sa peluche.
Harry se sent rougir, et il jette un regard vers Louis qui ne réagit pas à la remarque de James, occupé à regarder les rayons regorgeant d'objets en tout genre. Il baisse la tête et souffle :
— Ami. C'est un ami, il prononce douloureusement.
James lui sourit gentiment, comme s'il avait compris, et Harry a à nouveau envie de pleurer.
Finalement, ils ressortent de la boutique avec la peluche et un t-shirt portant l'inscription I ♡ KYOTO pour la mère de Louis. Harry essaye de ne pas penser au fait que Louis est en train de s'acheter des souvenirs qui lui rappelleront le Japon, lorsqu'il sera rentré en France.
Le jeune homme tient fièrement son Totoro sous le bras et il attrape Harry par la nuque pour l'embrasser dès qu'ils se trouvent dans une rue déserte.
— Tu sais que je vais mettre cette peluche dans ton lit et qu'elle va prendre toute la place ?
Harry grimace.
— Tu prends déjà toute la place, ça ne va pas changer grand chose.
Louis se met à rire avant de secouer doucement la tête.
— Ne fais pas comme si ça te dérangeais. En plus c'est toi qui te colle tout le temps à moi pendant la nuit.
— Je ne fais pas ça.
— Si.
— Non.
Ils se chamaillent pendant quelques minutes jusqu'à ce que le silence les environnant deviennent trop épais. Harry sait que Louis est en train de se perdre dans ses pensées, à la façon dont son pas ralentit un peu sur la route. Il ne cherche pas à le retenir. Il n'ouvre plus la bouche jusqu'à ce qu'ils arrivent dans la rue de Harry, et qu'il se retourne pour murmurer :
— Tu vas devoir payer un supplément dans l'avion, pour pouvoir ramener cette énorme peluche chez toi.
Le regard que lui jette alors Louis n'a jamais été aussi illisible.
*
*
*
Ils font l'amour cette nuit-là. Harry laisse les fenêtres ouvertes sur l'odeur de la nuit, sur le chant lent des suzumushi. Cette fois, leurs corps sont nus dans la lumière laiteuse de la lune. La vapeur n'est pas là pour les cacher, pour dissimuler le temps qui a passé et les a marqué, inexorablement. Harry surtout a peur des mains de Louis lui retirant tendrement ses vêtements. Il ferme les yeux lorsque Louis se recule pour l'observer, et ne les ouvre que lorsque le jeune homme revient vers lui pour l'enlacer.
— Je suis désolé...
Harry sent son coeur se serrer. Il n'aime pas ces paroles là, ne les a jamais accepté venant d'autres personnes. Il déteste la pitié. Mais venant de Louis, il sait que ce n'est pas ça. Il sait que c'est bien plus fort, que ce ne sont pas juste des mots creux et vaguement polis, un peu horrifiés aussi, sûrement. Il embrasse doucement sa tempe.
— Ce n'est plus important.
— Si. Ça l'est.
Et Louis se recule. Ils sont tous les deux face à face et à genoux sur le lit, nus. Louis avance doucement ses mains vers les cuisses d'Harry. Du bout des doigts, comme s'il avait peur de lui faire mal, il retrace les petites cicatrices droites et blanches qui y sont dessinés en relief, comme une armée dressée pour lui rappeler à quel point c'était douloureux, à un moment, de vivre. Harry sent ses yeux se remplir de larmes malgré lui. Les doigts de Louis tremblent un peu. Il sait qu'il est en train de compter. 32. À quoi est-ce que cela correspond ? Harry ne veut plus le dire. Même s'il ne veut jamais oublier non plus.
— Elles n'étaient pas là avant, souffle Louis.
Avant. En 1993. Pendant l'été de notre premier amour... Non, elles n'étaient pas là. Mes cuisses n'étaient recouvertes que de tes baisers moites, de ta salive et de ton sperme. Elles ne tremblaient que pour toi. Le sang n'avait pas encore dévalé le long de mes genoux.
— C'était après..., il finit par répondre.
Les doigts de Louis se sont arrêtés, posés contre sa hanche.
— Après ? Quand tu étais... Là-bas ?
— Oui. Et quand je suis sorti, aussi, un peu.
— Pas depuis que tu es arrivé au Japon ?
— Non. Ça fait des années que je ne me suis pas fait du mal.
— Tu n'as plus envie de t'en faire ? Tu es heureux ?
— Je suis vide. Sauf quand tu es là.
Louis se penche, et embrasse sa poitrine. Juste à l'endroit ou son pendentif repose sur sa poitrine. Harry sourit lorsqu'il le sent l'attraper entre ses dents pour le mordiller, comme avant. Doucement, il glisse ses doigts dans les cheveux de Louis, encore mouillés de sa douche. Sa gorge est toujours aussi serrée mais il se sent bien en même temps. C'est exactement comme dans le onsen. Le temps est en train de ralentir. Faire l'amour avec Louis, c'est se retrouver figé dans l'éternité. Harry veut y rester pour toujours.
— Embrasse-moi, il souffle soudain.
Il n'avait pas prévu de dire ça. Les mots devaient rester aux bordures de ses lèvres et ne pas traverser. Mais il ne regrette pas, quand Louis se redresse pour attraper doucement ses joues entre ses mains. Son regard est profond et sérieux. Il se penche pour l'embrasser, et Harry entrouvre immédiatement ses lèvres, cherchant sa langue entre ses dents. Ses doigts dans les cheveux de Louis se perdent, puis descendent sur ses épaules, son dos, la courbe de ses reins, la rondeur ferme de ses fesses, l'épaisseur de ses cuisses. Il veut tout toucher, son ventre sa poitrine le creux de ses coudes l'os dur de ses chevilles ses pommettes et le bout de ses doigts.
Ils s'allongent au milieu des draps. Tout est brouillon et n'a plus rien à voir avec la lenteur folle de leur étreinte dans le onsen. Cette fois, Harry se sent trembler d'excitation. Le corps de Louis sous le sien est souple et plus petit, brûlant de fièvre. Il est exactement comme avant, mais plus musclé, plus épais, plus assuré aussi. Sa barbe le pique un peu lorsqu'il l'embrasse sous sa mâchoire et Harry aime tellement cette sensation qu'il pourrait en pleurer, pleurer de l'odeur de Louis et de la douceur rude de sa peau, pleurer de sentir ses doigts se glisser entre ses fesses et pleurer des cuisses de Louis entremêlées aux siennes comme s'ils ne faisaient plus qu'un.
Ils passent un temps infini à s'embrasser, à se lécher et se mordre et se respirer et se murmurer à l'oreille des mots doux et des mots crus des mots fous. Harry n'a laissé personne le toucher depuis des années, depuis Elio et ses mains noueuses, depuis Elio et sa façon étrange de le serrer contre lui comme s'il avait peur qu'il ne parte, depuis Elio et ses larmes au milieu de l'orgasme, depuis Elio et leurs étreintes qui ne voulaient rien et tout dire à la fois, dans le secret de leurs petites chambres blanches, à l'hôpital.
Louis balaye tout autour de lui, Louis fait de son corps une page blanche inexplorée, et sous ses doigts Harry a l'impression de ne jamais avoir rien ressenti auparavant. Il se tord et se cambre et halète et la langue de Louis retrace la courbe de ses respirations, embrasse son nombril et l'intérieur de ses cuisses. Sur leurs corps alanguis, leurs doigts dessinent des traînées d'étoiles dont la lumière ne s'épuisent pas.
Quand Louis s'enfonce en lui, Harry se met à sangloter silencieusement. Leurs peaux sont humides et glissantes, et Louis le tient tout contre lui, tempe appuyée contre la sienne. Il lui demande s'il a mal, s'il veut arrêter et Harry l'empêche de se retirer en enroulant ses cuisses autour de ses hanches. Il n'a pas mal. Ce n'est pas ça. Il pleure parce que tout est trop bon et trop fort et si le monde était juste, si le monde le laissait être heureux plus d'un été, si le temps pouvait ne plus jamais passer, il prendrait le visage de Louis entre ses mains et lui dirait,
Tu es l'amour de ma vie.
Mais il ne le dit pas car ce moment, aussi beau qu'il soit, n'est pas éternel. Car les mains de Louis, sa bouche et ses yeux débordant d'amour, ses hanches s'enfonçant dans les siennes, leurs coeurs battant au même rythme fou, leurs souffles mélangés, leurs joues brûlantes et leurs tempes mouillées, leurs ventres creusés leurs cuisses tremblantes, tout cela passera.
Brouillé par le temps, ce souvenir n'existera que pendant quelques années dans la tête d'Harry. Un jour, il ne sera capable que de se rappeler du mouvement de deux ombres. Les odeurs les bruits, les mots, tout aura disparu. Il ne verra plus les visages, n'entendra plus les voix, les gémissements rauques. Il n'y aura que le prénom, Louis, et le souvenir de quelque chose qui aura compté plus que tout au monde, d'un garçon qu'il aura aimé plus que sa propre vie, et à qui il aurait tout donné, si seulement cela avait été possible.
Un jour, Harry mourra, et il n'y aura plus personne pour se souvenir à sa place de cette nuit d'amour dans un petit appartement de Kyoto, entre les bras de Louis. Il n'y aura plus personne pour dire, ce moment-là, c'est celui, sans doute, où il a été le plus heureux.
*
*
*
Ce n'est que quelques jours plus tard. Harry n'est pas vraiment surpris. Il s'y attendait. Il vient juste de sortir de la douche, torse nu et en short. Il a vaguement entendu Louis, pendant qu'il se séchait, dire qu'il descendait chercher quelque chose au konbini du quartier.
Il passe dans le salon, jette un coup d'oeil désintéressé au carnet que Louis a laissé grand ouvert sur la table basse. Puis, il s'arrête.
Il ne tremble pas. La boule dans sa gorge ne grossit pas. En réalité, tout son corps lui semble soudain très vide. Car en lettres capitales noires, Louis a noté l'horaire d'un avion.
AEROPORT DE KYOTO, SAMEDI 12 - DEPART 12H47.
Samedi 12.
Dans deux jours.
Harry reste immobile plusieurs minutes avant de se remettre à marcher comme un automate vers sa chambre. Il s'assoit sur le lit. Face à lui, l'énorme peluche Totoro lui sourit. Roulé en boule sur son ventre, Mochi dort.
Au loin, dans le bourdonnement de son esprit, Harry entend la porte de l'appartement claquer. Louis s'exclame quelque chose comme je suis rentré tu es encore dans la douche ? Puis plus rien, un silence épais, et Harry suppose que Louis s'est remis à regarder les détails de son voyage pour rentrer en France mais non, finalement Louis entre dans la chambre et il est en train de sourire alors Harry lui sourit en retour et même si la boule dans sa gorge l'empêche totalement de dire quoi que ce soit il se lève attrape Louis le plaque contre la porte et l'embrasse passe ses doigts sous son t-shirt pour trouver sa peau chaude parce qu'il ne veut pas
Surtout pas
Parler.
_____________
NOTES :
Pour une fois que je poste à l'heure : YES. J'espère que vous avez aimé ce petit chapitre... Je voulais qu'il soit entièrement soft et en fait, non mdrrr. Il n'en reste plus que 4 avant la fin... J'avoue que je suis un peu triste. :( D'ailleurs je ne sais pas si le 20 sera un chapitre ou l'épilogue. Je verrais !
Merci beaucoup, comme toujours... Et rien à avoir mais j'espère que vous avez eu votre bac si vous le passiez !!! Si jamais vous allez aux rattrapages, courage. <3
À vendrediiii.
#CAPfic
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