Signs of Life - Chapitre 9
Pour Bohem - avec un jour de retard - et Mari, joyeux anniversaire. ♡♡♡
1993
- L O U I S -
« I got a girl crush, hate to admit it but
I got a heart rush, ain't slowin' down. »
- Girl Crush (oui Bohem, c'est aussi pour toi :p)
Louis est assis à sa fenêtre, les jambes pendantes dans le vide. La nuit est tombée sur le village, et il n'entend que la rumeur étouffé d'un apéro entre voisins, dans la maison d'à côté. Ses parents y sont, il le sait. Il perçoit le rire trop haut de sa mère, les exclamations de voix de son père. Lui a refusé d'y aller, ne se sentant pas capable de jouer un rôle pendant toute une soirée. Il a besoin d'être seul et de réfléchir.
Il ne fume pas. Ses doigts ne cessent de revenir se poser sur ses lèvres, qu'il effleure et mordille. Sur sa langue, le goût de celle d'Harry est en train de lentement s'effacer. Louis a envie d'hurler. D'hurler et de pleurer et de se consumer de désir. C'est un feu qui ravage son ventre chaque fois qu'il repense à leur baiser, moite et brûlant, halluciné par l'herbe et la morsure du soleil.
Non.
Louis sait que Harry, tout comme lui, était conscient de ce qu'ils faisaient. La fièvre, c'était autre chose, c'était... Une envie irrésistible de se dévorer. Peut-être qu'ils l'auraient fait, totalement inconscients de l'endroit où ils se trouvaient, si un bruit de course ne les avaient pas forcé à se séparer brusquement, les joues rouges et le souffle court. Louis avait regardé Harry, il avait voulu murmurer quelque chose, n'importe quoi, mais rien n'était sorti. Parce que Harry était ridiculement magnifique, et que ses yeux étaient écarquillés comme s'il mourrait soudain de peur et de honte à la fois.
Romain était entré dans la cabane, ôtant à Louis toute chance de parler, l'air à la fois vexé et surpris de les trouver là tous les deux.
— On vous cherchait partout ! Qu'est-ce que vous foutez là ?
Louis avait senti — dans son ton — qu'il n'appréciait pas tellement qu'il ait emmené Harry dans ce qui avait été leur refuge à tous les deux. Mais Louis n'arrivait pas à regretter.
Il avait embrassé Harry.
Harry.
Ce garçon sublime et étrange et adorable, ce garçon aux mains immenses et aux genoux si doux, ce garçon qui portait un médaillon brillant autour de son cou, dont les cheveux bouclés n'étaient jamais coiffés, et donc les yeux immenses semblaient être ceux d'une poupée. Louis avait embrassé ses lèvres, son cou, sa mâchoire, il avait senti son souffle s'emballer dans sa poitrine, il avait pu toucher sa nuque ses bras ses doigts. Il l'avait tenu contre lui.
Ça ne pouvait pas être réel.
Louis ne pouvait pas avoir cette chance là.
Harry allait sans doute le repousser, à présent, lui dire qu'il le dégoûtait, qu'il ne voulait plus jamais avoir affaire à lui... Louis n'avait aucune idée de ce qu'il allait faire si cela arrivait.
Il était déjà sorti avec des filles, évidemment. Mais ça n'avait été que des amours de collège, des baisers pour rire, pour avoir l'air grand. Il n'avait jamais été amoureux. Non pas qu'il soit amoureux de Harry mais... Il sentait que c'était différent. Tout avait l'air sérieux, soudain. Il ne voulait pas faire un pas de travers. Il voulait que Harry continue de le regarder comme il l'avait regardé cet après-midi, pupilles immenses et noires, dévorées de désir. Il allait se battre pour ça.
Le reste lui importait bien peu.
*
*
*
— Tu n'es pas venu.
Louis est en équilibre sur sa planche de skate, une cigarette entre les doigts. C'est la fin de la soirée et l'air est doux même si le sol goudronné du skatepark brûle encore la semelle de ses Vans délavées. Devant lui, bras croisé sur sa poitrine, un air boudeur sur le visage, Agathe le fusille du regard.
— Venu où ?
— Chez moi. Tu avais dit que tu viendrais.
— J'avais plus envie.
Agathe soupire, et pendant un instant, Louis espère qu'elle tourne les talons et le laisse en paix. Mais la jeune fille se contente de s'asseoir sur le muret à côté d'eux. Elle tend la main vers Louis et n'a pas besoin de dire un mot pour qu'il comprenne et lui donne sa cigarette à moitié consumée.
— Qu'est-ce que tu as Louis ?
— Rien de spécial.
— Tu as l'air triste.
— Je ne le suis pas. Je réfléchis.
Agathe tire sur la cigarette. Louis observe ses ongles manucurés, le vernis s'effritant un peu sur son pouce droit. Elle porte toujours des tas de bracelets autour de son poignet qui cachent une ancienne cicatrice qu'elle s'est faite gamine en tombant de vélo, et qu'elle déteste. Du moins, c'est ce qu'elle raconte.
— Et à quoi est-ce que tu réfléchis ?
— Tu crois vraiment que je vais te livrer tous mes secrets aussi facilement ?
La bouche d'Agathe s'étire en un sourire amusé, et elle secoue vaguement la tête.
— Parce que monsieur a des secrets maintenant ?
— Je crois.
Louis se mordille la lèvre, cachant assez misérablement son amusement. Agathe écrase la cigarette sur le bitume, puis repousse une mèche de ses cheveux avant de marmonner :
— Laisse moi deviner... Tu es amoureux. C'est pour ça que tu ne veux plus me voir.
Le jeune homme lève les yeux au ciel, et soupire :
— Non, je ne suis pas amoureux. De qui voudrais-tu que je le sois, de toute façon ?
— Je ne sais pas, tiens... Peut-être de Sam. Mais comme elle sort avec Romain, qui est ton meilleur ami, ce serait un cas typique d'amour impossible et tragique ! Ou alors avec Nour, mais comme Nour n'a d'yeux que pour Harry, tu sais qu'elle ne se retournera jamais sur toi alors-
— Nour veut sortir avec Harry ?, la coupe Louis avec un peu trop de précipitation.
Agathe pince légèrement les lèvres et ses yeux se mettent à briller victorieusement :
— C'est Nour ?! Je le savais ! Je ne pensais pas qu'elle était ton style cela dit...
— Je ne suis pas amoureux de Nour ! Je... Je n'ai même pas envie de sortir avec elle ou quoi que ce soit. C'est une amie.
— Hm... Bon alors pour te répondre, oui, elle trouve Harry très mignon. Mais je pense qu'elle n'aura pas le courage de lui proposer un rendez-vous. Harry est un peu... Solitaire ? Remarque, t'es son pote toi, non ? Tu pourrais lui demander à sa place !
— Non.
— Pourquoi ?
— Parce que.
Louis soupire et se relève soudain, attrapant sa planche de skate. Harry... Que ferait Harry si Nour lui proposait une sortie ? Est-ce qu'il dirait oui ? Peut-être, après tout. Il ne doit rien à Louis. Ce n'est pas un malheureux baiser qui veut dire... Qui veut dire quoi, d'ailleurs ? Qu'est-ce qu'espère Louis ? Que veut-il ? Sortir avec Harry ? Ce serait... Louis a du mal à l'imaginer. Et puis, il n'est pas sûr qu'il assumerait ça. Après tout, Harry est un mec. Il n'a pas envie d'être la « tapette » du groupe ou le mec gay ou...
— Tu viens ce soir ?, le coupe Agathe.
Il se retourne, sourcils froncés.
— Où ?
— Tu sais bien... Il y a la fête foraine qui s'installe sur la grande place. Et il y a le bric-à-brac nocturne.
— Ah, oui. J'avais oublié... Je serai là.
Agathe hoche la tête en souriant.
— Alors à ce soir.
Et sans que Louis n'ait eu le temps de reculer, elle s'approche et lui plante un baiser franc sur les lèvres. Avec un petit rire joyeux, elle fait trois pas en arrière et s'éloigne, disparaissant derrière le skatepark. Il ne reste plus sur la bouche de Louis que le souvenir collant de son Labello à la fraise.
*
*
*
Des guirlandes lumineuses traversent toute la place du village, se rejoignant au sommet du Barnum où cinq hommes, dégoulinants de sueur, font cuire saucisses et frites. L'odeur grasse et âcre est désagréable, mais Louis s'approche quand même, jouant des coudes pour arriver jusqu'à la table branlante faisant office de bar. C'est la mère de Jim, Karine, qui sert les boissons, et elle l'accueille avec une exclamation joyeuse. Tout son visage est rouge de transpiration. Louis demande une limonade, et tout en cherchant les pièces dans le fond de sa poche, il demande :
— Votre fils est dans le coin ?
— Oh, je ne sais pas... Tu le connais, toujours à traîner à droite à gauche.
Louis hoche vaguement la tête. En réalité, localiser Jim est le dernier de ses soucis. Il glisse une pièce de 1 dans la main de Karine et ajoute, l'air de rien :
— Et votre neveu ?
— Harry ?
— Ouais... Vous savez où il est ?
— Aucune idée. Sûrement avec sa mère.
Louis n'a pas le temps d'ajouter quoi que ce soit, puisque trois hommes débarquent soudain derrière lui, visiblement assoiffés. Karine l'oublie immédiatement pour s'occuper d'eux. Louis attrape sa limonade et quitte le Barnum. Sur les tables de pique nique installées tout autour, des familles discutent bruyamment, mains grasses et yeux luisants d'alcool. Les enfants, trop petits pour avoir l'autorisation de rejoindre les grands à la fête foraine, se pourchassent autour des poubelles en hurlant des gros mots qu'ils ont sans doute entendu dans la bouche de leurs parents. Louis ne s'attarde pas. Il connaît cette scène par coeur, pour l'avoir vu tous les ans. Il sait très bien qu'à un moment ou un autre, les deux fils de la famille Barni vont se lever et en venir aux poings. Il peut prévoir l'instant où Marjolaine, la fille illégitime de la coiffeuse, va se mettre à hurler sur sa mère, lui jetant au visage ses quatre vérités. Il est certain que la mère de Jim sortira du Barnum pour venir régler un conflit, puis jettera son tablier au sol, et crachera que plus jamais elle n'acceptera d'être serveuse le soir de ce foutu bric-à-brac. Il sait aussi que le calme reviendra quand un enfant, trop énervé par une soirée à veiller tard et à entendre les cris des adultes, se mettra à pleurer après s'être pris le coin d'une table dans la tempe.
Ce soir, il n'a pas vraiment envie d'assister à ce spectacle dont il se sent de plus en plus étranger. Parfois, Louis a un peu honte de se dire qu'il trouve tous ces gens — auprès desquels il a grandi — vraiment pathétiques. C'est peut-être pour ça que Harry le fascine autant... Harry n'a rien à voir avec ce monde là. Louis sent qu'il est différent. Et Louis a envie d'être près de lui, de lui parler, d'apprécier ses silences et la douceur de ses gestes, l'intelligence brillant dans ses yeux. Il sent que Harry pourrait comprendre... Il pourrait comprendre si Louis lui disait, tu sais, j'adore mon village, j'adore ce lieu où j'ai grandi, qui sent le foin, l'herbe coupé, la boue mouillée, l'essence et les grillades. mais parfois, j'ai l'impression que je vaux mieux que tout ça, que mon existence ne peut pas se finir là. dans le creux de la nuit, quand je fixe les étoiles, je m'imagine ailleurs, très loin d'ici, et je rêve de m'enfuir pour toujours, de ne jamais revenir. j'aime mes racines mais je meurs d'envie de les couper, pour ne pas me mettre à les détester, un jour.
Louis se perd dans le bric-à-brac. Les étals se ressemblent tous, montagnes de vêtements pour bébés en bas-âge, paires de chaussures affreuses, jeux de société dont le trois quart des pièces doivent manquer, vieux postes de télévisions, caisses remplies de bouquins poussiéreux où les romans à l'eau de rose se mélangent avec des classiques étudiés à l'école, babioles inutiles, pots ébréchés, poupées aux yeux de verre, tableaux ratées aux allures de chef d'oeuvre, vieux outils ressortis des garages, boulons, vis, établis rouillés, cartes à jouer, déguisements de carnaval, bracelets brésiliens vendus par trois petites filles aux sourires édentés, ballons de foot à moitié dégonflés, objets inutiles ressortis des greniers et des caves, sentant encore le moisi, ridicules et tristes sur les bancs.
Louis s'arrête, pourtant. Il hésite un peu à acheter un encrier et une plume, s'imaginant déjà écrire comme un poète torturé du siècle dernier, lorsque son nom résonne derrière lui. Il se retourne, sachant déjà que c'est Romain qui s'approche, Romain en short de foot et veste en jean, cheveux un peu gras et odeur d'herbe collée à la peau.
— Qu'est-ce que tu fous là ?
Il lui donne un petit coup de coude, et Louis hausse les épaules.
— Bah je cherche des trucs.
— Tu viens pas à la fête foraine ? Les filles sont aux auto-tamponneuses.
— J'sais pas... Je voulais faire le tour du bric-à-brac avant.
Romain lui jette un regard un peu étonné, ne semblant pas savoir comment réagir. Finalement, il enfonce ses mains dans les poches de sa veste en jean et soupire :
— Ok... Je te suis alors.
— Pourquoi ?
Louis se rend compte que sa voix a pris une intonation un peu trop sèche. Il ajoute donc rapidement, balbutiant un peu :
— Je veux dire... T'es pas obligé. Je vous rejoins après.
Romain passe nerveusement sa main dans ses cheveux, et Louis connaît ce tic. Il sait qu'il trahit son énervement. Il n'est donc pas étonné quand Romain répond, la voix teintée de colère :
— Mais qu'est-ce que t'as en ce moment Louis ? J'te reconnais plus... Est-ce que c'est à cause de... L'autre fois ?
Louis se sent rougir. Il détourne le regard, et secoue la tête.
— Non. Bien sûr que non.
Est-ce que Romain le croit ? Il suppose que oui, puisqu'après un silence, son meilleur ami reprend sans insister :
— Ok... Mais je comprends pas alors. T'es jamais avec nous. Tu passes ton temps à traîner tout seul comme si t'avais envie de crever et quand tu es avec quelqu'un c'est avec l'autre pédé.
Cette fois, Louis tique. Ses joues se colorent malgré lui et il crache :
— Arrête de l'appeler comme ça, tu ne le connais même pas.
Romain fronce les sourcils, le regard de plus en plus mauvais :
— Ah, parce que tu le défends en plus maintenant ? T'es devenu sa petite pute, c'est ça ? Vous vous sucez la queue mutuellement dans la cabane ?
Louis écarquille les yeux. Il recule de deux pas, et jette machinalement un regard inquiet autour de lui, espérant que personne n'ait entendu ça. Heureusement, les gens ne semblent pas faire attention à eux. Lorsqu'il retourne son attention sur Romain, il se sent trembler de rage.
— Harry n'est pas un pédé et moi non plus. Excuse moi d'apprécier de passer du temps avec lui... Il est seulement moins con que toi.
— Comment tu peux dire ça ? Je suis ton meilleur ami !
— Et alors ? Ça ne veut pas dire que tu ne te comportes pas comme un gros connard.
Romain serre les poings. Pendant un instant, Louis se prépare à recevoir un coup dans la mâchoire, mais le jeune homme finit simplement par reculer, son regard se décrochant de celui de Louis.
— Tu sais quoi ? Vas te faire foutre.
Et sur ces mots, Romain tourne les talons et s'en va. À nouveau, Louis se retrouve seul. Mais cette fois, ses oreilles bourdonnent étrangement.
*
*
*
Il est presque 23 heures lorsque Louis tombe enfin sur Harry, accroupi près d'un carton de livres, visiblement très absorbé par ses recherches. Il reste quelques instants derrière lui, à observer la courbe nette de son dos, l'amas bouclé de ses cheveux. Louis a un mauvais goût dans la bouche, une vague envie de pleurer. Mais voir Harry lui fait du bien. Alors, il s'approche, et tapote légèrement son épaule avant de s'accroupir à ses côtés. Harry ne sursaute pas. Il tourne simplement la tête, et ses traits, crispés au départ, se détendent en découvrant Louis.
— Ah, c'est toi. Salut.
Louis lui sourit. Harry n'a pas l'air vraiment enthousiaste de le voir, mais Louis sent que c'est parce qu'il n'est pas très à l'aise. Il jette un regard sur le livre qu'il tient entre ses mains, fronce un peu les sourcils en lisant le titre :
— Guide touristique de Kyoto... Tu as l'intention de partir vivre au Japon ?
Une lueur d'amusement passe dans le regard d'Harry et il secoue la tête.
— J'sais pas. Il me faudrait de l'argent, déjà. Et je ne parle pas japonais.
— Ça s'apprend.
— C'est compliqué.
Louis lui prend doucement le livre des mains, et l'ouvre au hasard. Les photos sont en noir et blanc et montrent un dédale de rues aux allures étrangères. Une femme en kimono et au visage très blanc se tient près d'une boutique, un petit sac rond à la main. Les arbres plient sous le poids de petites fleurs. Le temps a l'air figé d'une façon très douce, presque irréelle.
— C'est joli.
Harry hoche la tête.
— Oui... C'est joli.
— Tu vas l'acheter ?
— J'ai pas d'argent.
Alors, sans hésiter, Louis se relève, et sans demander son avis à Harry, il tend le livre à la jeune femme attendant derrière la table — visiblement ravie que quelqu'un s'intéresse à ses affaires — et dit :
— Je le prends.
Harry se redresse à son tour. Il regarde Louis donner quelques pièces sans intervenir. Quand le jeune homme lui tend le livre en murmurant, c'est cadeau, il secoue la tête.
— Non... Il est à toi.
— Je ne l'ai pas acheté pour moi.
— Vraiment ?
Louis roule des yeux pour cacher son amusement, puis pousse le bouquin contre la poitrine d'Harry qui le prend avec un sourire timide. Louis sent son estomac s'alléger en voyant une jolie teinte rosée s'étaler sur ses joues.
— Merci beaucoup, Louis.
— C'est rien. Ça me fait plaisir.
— Non... Vraiment, merci.
Leurs regards se croisent, et Louis sent son souffle mourir quelque part dans sa poitrine. Les yeux d'Harry sont si verts à la lueur des petites ampoules multicolores qui passent au-dessus de leur tête, un vert chaleureux et tendre, piqué d'étoiles floues. Brusquement, Louis sent à nouveau monter en lui l'irrépressible envie de l'embrasser, d'attraper sa nuque et de chercher la chaleur de sa langue. Peut-être que Harry le lit dans ses yeux. Peut-être qu'il ressent la même chose. Le silence s'éternise un peu trop longtemps, et il faut qu'une petite fille, courant dans l'allée, bouscule légèrement Louis, pour qu'il décroche enfin son regard de celui d'Harry et se racle la gorge.
— Hm, je... On continue ?
Harry hoche la tête. Mais l'air est bien plus lourd autour d'eux, chargé d'une électricité nouvelle et agréable, qui semble parcourir les veines de Louis à toute vitesse pour venir s'échouer dans le fond de son ventre, vague épaisse et bouillonnante.
Ils déambulent côte à côte dans les allées. Louis a du mal à se concentrer. Leurs bras n'arrêtent pas de se frôler, et il sent son coeur s'emballer un peu trop rapidement dès que Harry se penche vers lui pour lui montrer quelque chose. L'odeur des frites et des saucisses grasses, noyées sous le ketchup, est soudain remplacée par celle d'Harry, le mélange d'un parfum bon marché, légèrement fleuri, et un shampoing à la pêche. Louis fait exprès d'approcher son visage de ses cheveux lorsque Harry se penche pour glisser ses doigts entre des vinyles poussiéreux. Il fait exprès d'effleurer ses doigts un peu trop longtemps lorsqu'ils se penchent en même temps pour attraper un objet. Il fait exprès de prendre son coude dans le creux de sa main pour l'attirer vers un étal. Il n'a pas vraiment honte, il se sent juste stupide et heureux à la fois.
Et, vraiment. Louis n'est pas niais. Il n'a jamais aimé les histoires à l'eau de rose — ou juste comme un petit plaisir coupable, dans des moments de faiblesse. Il n'a jamais rêvé de tenir la main d'une fille et de lui murmurer des trucs à l'oreille pour la faire glousser. Mais avec Harry... Il a envie de ça. Il a envie de lier ses doigts aux siens, de caresser la peau de son poignet avec son pouce. Il a envie de glisser sa main dans la poche arrière de son jean, geste un peu possessif pour signifier aux autres, il est à moi, peu importe à quel point vous le voulez, à quel point vous le trouvez sublime. Il a envie de prendre Harry par la taille, de rire avec son bras lâchement enroulé autour de ses épaules, d'embrasser la fossette se creusant dans sa joue, quand il sourit.
Il ne comprend pas. Il ne comprend pas d'où lui viennent tous ces envies, d'où lui vient cet irrépressible besoin de ne plus jamais laisser Harry partir. Pourtant, il n'arrive pas à avoir peur. Le sentiment est trop agréable, et Louis ne peut pas à se sentir coupable, surtout pas quand Harry se retourne vers lui en lui faisant une grimace, tenant à la main une horrible poupée à la tête barbouillée de crayon rouge.
Ils arrivent à la fin du bric-à-brac. Les quelques manèges de la fête foraine sont juste devant eux, illuminés de néons roses et jaunes, et de la musique s'échappe du carrousel sur lequel Louis aimait tant aller lorsqu'il était jeune. Il se souvient très bien de l'époque où il était trop petit pour aller au deuxième étage, et où il pleurait lorsque sa mère le forçait à rester assis sur un cheval de bois, qui ne bougeait même pas la tête.
— Tu veux une barbe à papa ?
Il pointe du doigt la petite roulotte à sucreries, et Harry hésite à peine quelques secondes avant d'acquiescer.
— D'abord, mais je te rembourse demain.
Ils en choisissent une rose, énorme et duveteuse, petite nuage de sucre qu'ils partagent assis sur un banc, devant le carousel. Les doigts de Louis collent et sa bouche a un goût de fraise chimique, mais il n'y fait pas tellement attention, trop absorbé par la façon dont Harry tire la langue avant de mettre un gros morceau de barbe-à-papa dans sa bouche, riant comme un gamin.
— Tu t'en mets partout...
Les yeux de Harry brillent, et il remonte ses jambes pour appuyer ses genoux contre sa poitrine, enroulant son bras autour.
— Toi aussi, tu en as sur le nez.
— Vraiment ?
Louis louche légèrement, espérant voir le bout de barbe-à-papa sur son nez, et Harry éclate une nouvelle fois de rire. Le bruit envoie des papillons dans le ventre de Louis. Il n'a jamais vu Harry aussi joyeux... Il se demande si c'est grâce à lui, si sa présence est la raison de son sourire. L'idée rend ses mains un peu moites.
— Non, attends... Là.
Harry approche sa main et Louis le laisse faire, retenant sa respiration lorsque le pouce de Harry frotte délicatement son nez. Et comme cette fois où Louis s'était mis du lait sur le menton, Harry retire son doigt plein de sucre pour le lécher, regard ancré dans celui du jeune homme. Louis sent le monde ralentir autour de lui, et toutes les lumières de la fête foraine se diriger brutalement dans les pupilles d'Harry, et exploser en millions de petits morceaux brûlants. Et. Harry est si beau. Le réaliser lui fait presque mal. Harry est si beau, avec son médaillon doré au creux de sa poitrine, entre les pans de sa chemise à moitié ouverte. Harry est si beau, avec ses joues parsemées de petites tâches de rousseur brunes, apparues sous la morsure tendre du soleil. Harry est si beau, avec son bandana dans les cheveux, les mèches folles et floues de ses cheveux, presque dorées. Harry est si beau avec sa bouche rose, luisante de sucre. Harry est si beau, et Louis ne devrait pas le trouver si beau. Louis ne devrait pas avoir envie de se rapprocher à ce point, pour sentir son souffle contre ses lèvres, une nouvelle fois. Louis ne devrait pas avoir envie de glisser ses doigts dans le creux de sa nuque, pour l'embrasser jusqu'à ce que le monde cesse de tourner une bonne fois pour toute, pour que le monde deviennent leurs deux respirations mélangées, pour que le monde ne soit plus que larmes bleues et vertes, peaux brunes et blanches, Harry et Louis.
— Ne fais pas ça, il souffle.
Le dire est douloureux et le dire n'est pas suffisant pour que Harry lâche son regard. Ses cils papillonnent, immenses et noirs.
— Quoi ?
— Me regarder... Comme dans les films.
— Comme dans les films ?
Harry esquisse un sourire. Son regard a perdu de son intensité, se faisant soudain beaucoup plus doux. Mais Louis se sent toujours au bord d'un précipice vertigineux.
— Oui... Au moment, où, tu sais, les personnages s'embrassent.
Cette fois, Harry détourne lentement les yeux. Il se tourne vers le carousel, et sur son visage se reflètent les ombres des chevaux, qui tournent, tournent sans fin. Louis a envie de passer ses doigts sur la ligne droite de son nez, d'effleurer ses lèvres, son menton, sa gorge. Mais il ne bouge pas. Et la voix d'Harry se mêle à la musique du carousel, un peu plus sourde que tout à l'heure :
— Tu dis ça mais c'est toi qui me regarde comme ça depuis le début.
Louis ne répond pas tout de suite, incapable de dire quoi que ce soit, alors Harry reprend, amer :
— Je ne sais pas ce que tu me veux... Je ne sais pas ce que ça veut dire pour toi, l'autre fois. Je ne sais pas si tu regrettes, si tu es dégoûté, si tu as peur, si tu veux te foutre de ma gueule... Je ne sais pas si c'est la première fois que tu fais ça. Je ne sais pas si ça représente quelque chose, ou si tu expérimentes seulement. Je ne sais pas si tu es sincère, ou si tu joues. Et... Et je ne sais pas pourquoi j'espère quelque chose de toi. Pourquoi j'ai l'impression que t'es pas comme les autres. Je ne sais pas pourquoi je mets autant d'espoir dans... Dans un baiser que tu ne voulais sûrement pas.
Louis n'a jamais eu autant envie de pleurer. Il ouvre la bouche, mais l'air semble s'être bloqué quelque part dans ses poumons, l'empêchant d'articuler. Pourtant, les mots sont simples, les mots sont clairs dans sa tête.
Je ne joue pas. Je n'ai jamais joué, depuis ce soir où nos regards se sont croisés au-dessus du feu. Je n'ai jamais joué, et je n'ai jamais eu aussi envie de quelque chose. Mais j'ai peur... J'ai peur de l'intensité de ce que tu me fais ressentir. J'ai peur de ce que ça veut dire de moi. J'ai peur du reste du monde. J'ai peur d'avoir envie de me noyer dans tes yeux, à chaque putain de sourire que tu m'accordes. J'ai peur, parce que je ne te connais que depuis deux semaines, et pourtant j'ai l'impression de t'avoir attendu toute ma vie. Et je ne sais pas si tu es prêt à m'entendre dire ça. Je crois que tu diras que je suis fou.
Il n'a pas le temps de dire quoi que ce soit, de toute façon. Il n'a pas le temps parce que, brusquement, leur banc est envahi par leurs amis. Et Harry disparaît de la vision de Louis. Harry à qui il n'a eu le temps de ne rien expliquer. Harry qui croit... Qui croit que Louis se fout de lui. Que Louis ne ressent rien.
Il tend la main, un peu bêtement, comme s'il voulait attraper Harry, prendre sa main, retrouver toute son attention. Ce n'est pas sa peau qu'il touche, cependant. Seulement la hanche de Agathe, plantée devant lui avec un grand sourire.
— Eh, on vous cherche depuis tout à l'heure !
Louis cligne des yeux. Il n'avait pas remarqué que ses paupières étaient humides. Il se lève, un peu chancelant, et s'écarte du groupe. Agathe le suit. Il la sent attraper sa hanche, murmurer contre son oreille :
— Ça va pas Louis ?
Il veut lui dire de partir, de le laisser tranquille, de le laisser respirer, mais ses yeux retrouvent enfin Harry, debout près de Nour, en train de rire. Harry qui ne le regarde même plus. Alors, il attrape le poignet d'Agathe, et secoue la tête.
— Non, tout va bien... Tout va bien.
Le jeune fille lui jette un regard un peu circonspect mais elle finit par acquiescer. Louis passe sa main autour de sa taille et lui sourit. Et même s'il ne se sent pas à sa place pendant tout le reste de la soirée, ça n'a pas tellement d'importance.
De toute façon, les petites lumières qui brillaient pour lui sont mortes dans les yeux d'Harry.
—————————
Notes :
Le chapitre devait se finir sur une note beaucoup plus positive, dans mes plans... Je ne sais pas ce que je fabrique. Ma propre histoire m'échappe.
En tout cas j'espère que ça vous plaît. Merci BEAUCOUP pour vos retours, ça me fait super plaisir de voir que cette petite fiction attire de nouveaux lecteurs et de nouvelles lectrices. ♡
À vendredi - sauf si je n'ai pas le temps d'écrire le chapitre, parce que je vais en Irlande pendant une semaine... Dans tous les cas je vous préviendrais, mais normalement le chapitre 10 sera là à temps, je vais faire tout mon possible. :)
#CAPfic
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro