Obscured by Clouds - Chapitre 10
note : pour une immersion optimale dans ce chapitre (lol) je vous conseille de lancer la chanson dès que cela sera précisé ! :) - La chanson commence à 1m environ. Et vous pouvez aussi écouter la version originale de Shania Twain, si vous préférez. (Et oui, Angèle, j'ai accompli ton souhait <3)
1999
- L O U I S -
« You're still the one I run to
The one that I belong to
You're still the one I want for life »
- Still the one
Louis tourne en rond dans sa chambre, le téléphone fixe du ryokan coincé entre son épaule et son oreille. Sa main droite tient un paquet de bonbons acidulés dans lequel il n'arrête pas de piocher sans même vraiment s'en rendre compte, absorbé par sa discussion.
Sa mère a l'air si loin, derrière l'écho du téléphone. Il a du mal à l'entendre, sans doute parce qu'elle se trouve près de la télévision — dont le son est toujours trop fort, même pendant les pubs. Il s'arrête devant la petite fenêtre de sa chambre, le regard fixé sur la supérette, et soupire :
— Mais oui maman... Je t'assure que je mange bien... Et non, il n'y a pas que du poisson cru.
Tout en disant cela, il jette un coup d'oeil sur son paquet de bonbons à moitié vide et grimace, le posant sur le bord de la fenêtre.
— Je prends soin de moi, je te jure... Oui, oui... Je ne sais pas quand je vais rentrer... Je suis bien ici... Mais si, vous me manquez... Tu as reçu ma carte postale d'ailleurs ?... Ah ! Je savais que tu allais l'accrocher sur le frigo...
Avec un petit sourire, il s'assoit sur le rebord de la fenêtre, et plie ses jambes de manière à pouvoir appuyer sa joue contre son genou. Dans la rue, juste en bas, un couple de japonais passe en vélo et s'arrête devant le konbini. La porte automatique s'ouvre pour les laisser entrer, mais Louis n'arrive pas à apercevoir Harry. Sa mère, a des kilomètres de là, est en train de lui parler d'Agathe — devenue boulangère — et qui vient d'accoucher d'un petit garçon qu'elle a appelé Thomas.
— Tu te rends compte... Quand je pense que tu aurais pu avoir une situation avec elle. J'aurai pu être grand-mère aujourd'hui...
— Maman...
Louis soupire, un vague malaise s'installant dans le creux de son ventre. Sa mère toussote, et elle ajoute très vite, comme si elle savait qu'elle venait de dépasser les bornes :
— Oui oui, bien sûr, ce n'est pas grave mon chéri... Tu pourras toujours adopter d'ailleurs.
Louis lève les yeux au ciel. Il a envie de lui faire une remarque un peu grinçante du style, « Est-ce que tu m'as mis au monde juste dans le but que je me reproduise à mon tour ? » mais il ne le fait pas, conscient que sa mère ne fait pas vraiment exprès de reproduire ses aspirations de vie sur la sienne. Enfin, ses aspirations... Tout ce que la société patriarcale et hétéronormée lui a dicté sans qu'elle ne s'en rende compte, plutôt. Cela dit, Louis n'est vraiment pas prêt pour un débat de ce style avec sa mère, alors il préfère changer de sujet :
— Dis moi, tu te souviens de Harry, le cousin de Jim ?
— Le cousin de Jim...
La voix de sa mère est un peu distante, comme si elle n'était pas vraiment attentive à la discussion. Louis suppose qu'elle regarde la télé en même temps, et il hésite à insister, jusqu'à ce qu'elle le coupe :
— Ah si, Harry ! Je vois. C'était le gamin qui-
— Oui. Lui.
Louis ferme un instant les paupières. Il n'a pas envie... Il n'a pas envie qu'elle le dise. Même si ça fait six ans. Même si Louis ne fait plus de crises de panique en y repensant. Même s'il a appris à avoir l'air détaché, lorsque les gens du village en reparlent comme d'une chose banale, d'un évènement qui avait mis un peu de piment à leur existence. Il prend une petite inspiration, puis il murmure :
— Je l'ai revu.
— C'est vrai ?
Cette fois, sa mère a l'air pleinement attentive, et Louis a la vague impression que l'information qu'il s'apprête à lui donner va vite être dans toutes les bouches, et alimenter les discussions dans la queue de la charcuterie. Pourtant, il ne peut plus faire marche arrière. Et il a envie d'en parler à quelqu'un qui sait qui était le Harry de 1993.
— Oui... Il vit à Kyoto. On... On s'est croisés par hasard.
— Ça alors ! Et... Il va bien ?
— Je crois. On a pas énormément discuté et je ne voulais pas le déranger mais il avait l'air... Épanoui.
Le mot sonne bizarrement. Louis n'est pas sûr qu'il aille vraiment à Harry, d'ailleurs. Peut-être aurait-il plutôt dû dire, apaisé.
— Je n'y crois pas ! Quelle coïncidence, continue sa mère d'une voix un peu aiguë. Je pensais qu'il allait mal terminer, après ce qu'il s'était passé... Est-ce qu'il a un bon travail ? Une femme ? Oh, attends... Il a épousé une Japonaise ?
Louis retient un rire. Même après toutes ces années, il a dû mal à comprendre comment sa mère — alors même que Harry avait passé tant de temps chez eux pendant l'été 1993 et qu'il dormait avec Louis — n'a pas pu réaliser que c'était lui qui l'avait éclairé sur sa sexualité. N'a t-elle vraiment jamais remarqué l'air amoureux de son fils, lorsqu'il regardait la télévision avec son petit-ami et qu'elle partait au travail en leur disant de passer une bonne journée ? N'a t-elle vraiment jamais remarqué leurs mains traînantes, lorsqu'ils s'isolaient dans le jardin pour discuter près de la balançoire ? N'a t-elle vraiment jamais entendu le bruit de leurs baisers, de leurs souffles démultipliés par le plaisir, certains soirs de fièvres et de lune rousse ? N'a t-elle vraiment jamais compris que l'épisode dépressif de Louis avait été lié au départ d'Harry, que c'était un chagrin d'amour qu'il vivait, que c'était son coeur qui tombait en morceaux ? N'a t-elle vraiment jamais réalisé que le H à qui était adressé la dédicace au début de son roman, était Harry ? Comment avait-elle pu être aussi aveugle ?
Avec une lenteur un peu lasse, il appuie sa tête contre la vitre froide de la fenêtre et répond :
— Je ne sais pas ce qu'il fait dans la vie. Et je crois qu'il est célibataire... Mais notre discussion a été assez rapide.
— Quel dommage... Il faudrait que tu retournes le voir ! Invite le à manger.
— Tu veux que je sois ton espion, c'est ça ?
Sa mère rit un peu, sans pour autant se défendre :
— J'ai juste envie de savoir ce qu'il devient... Pauvre gamin... Tu sais qu'il ne parle plus du tout à sa mère ? Je suis sûre qu'elle ne sait même pas qu'il vit au Japon.
Louis se mordille les lèvres. Il se sent mal, soudain, d'avoir révélé la localisation d'Harry. Il sait pertinemment que sa mère — même s'il lui demande de ne pas le faire — ira tout raconter.
— Il y a sûrement une raison. Je n'ai pas envie de fouiller son passé et de lui rappeler de mauvais souvenirs.
— Bien sûr, bien sûr. Mais quand même... Enfin, je suis contente de savoir qu'il va mieux. Si jamais tu le croises à nouveau, dis-lui bonjour de ma part. C'était un gentil garçon, même s'il était un peu bizarre.
Lorsque la conversation prend fin quelques minutes plus tard, Louis reste un long moment immobile, le téléphone dans la main. Son regard reste fixé sur le konbini, d'où entrent et sortent des clients qu'il reconnaît maintenant vaguement. Au-dessus des petites maisons et des fils électriques, le soir est en train de tomber. Dans le ciel, des trainées de nuages roses glissent lentement jusqu'aux cimes des montagnes, et semblent venir les enlacer.
Tout est calme et tranquille, air doux et vaguement humide. Peut-être qu'un orage se prépare à l'horizon. Peut-être que demain sera fait de pluie et de vent. Mais Louis n'y pense pas. Un seul mot lui reste en tête, celui qu'il n'a pas prononcé, celui que sa mère n'aurait pas compris.
Apaisé.
Et peu à peu, il se souvient. Il se souvient d'Harry, six ans plus tôt, son visage caché dans le creux de son épaule, membres enlacés aux siens. Il se souvient de sa voix un peu rauque de sommeil, qui disait, J'espère un jour trouver un lieu où je serai en paix avec moi-même et les autres. Est-ce que Kyoto est ce lieu pour Harry ?
Louis l'espère.
Car même lorsque Harry lui avait brisé le coeur, Louis ne voulait que son bonheur.
Peu importe qu'il en fasse ou non parti.
*
*
*
Emma est appuyée contre la porte de la chambre de Louis, sourire amusé sur les lèvres. Devant elle, le sol est un champ de bataille, t-shirts roulés en boule et jeans froissés, mélangés à des sweats multicolores et des joggings informes. Louis est planté au milieu de la pièce, mains sur les hanches, et l'air totalement désespéré.
— Je ne comprends pas pourquoi tu angoisses à ce point pour cette sortie... Ce n'est pas la première fois que vous allez quelque part, non ?
— Oui mais cette fois je vais rencontrer ses ami.e.s ! Je ne veux pas avoir l'air totalement idiot... Qu'est-ce que les Japonais mettent pour un karaoké ?
— La question devrait plutôt être : Qu'est-ce que tu as envie de mettre pour ce karaoké où tu comptes séduire ce garçon ?
Louis se retourne vers Emma, sentant ses joues s'enflammer légèrement :
— Je ne veux pas le séduire ! Ce n'est plus comme ça entre nous, il... Il n'est pas intéressé.
— Ah, excuse moi. Je pensais que tu te préparais pour un rendez-vous galant.
La jeune femme fait un geste évasif vers le sol de la chambre, et Louis soupire, se mordillant nerveusement la lèvre.
— Bon, ok... Peut-être que j'aimerais bien qu'il... Enfin... Je ne sais pas.
Il cache son visage avec ses mains, espérant dissimuler son désarroi — et sa gêne croissante — mais Emma s'avance et le prends doucement dans ses bras. Louis est surpris par le geste, ne s'attendant pas vraiment à cette démonstration d'affection, mais il finit par se détendre et l'enlace à son tour, respirant l'odeur agréable de ses cheveux.
— Ça va aller, d'accord ?, murmure la jeune femme.
Louis hoche la tête, se sentant un peu plus léger, même si sa gorge continue de le serrer.
— Merci... Je veux dire, tu n'es pas obligée d'être là. Je suis un peu pathétique, je crois.
Emma émet un petit rire et secoue la tête, se reculant un peu pour regarder Louis.
— Tu n'es pas du tout pathétique. Je ne sais pas trop ce qu'il s'est passé avec Harry, mais d'après ce que tu as laissé entendre à chaque fois que tu nous parles de lui, tu l'aimes beaucoup. Et il compte pour toi. Alors je comprends que tu veuilles le récupérer, ou au moins lui faire comprendre qu'il est toujours aussi important à tes yeux.
— Je te mérite pas...
Les yeux d'Emma brillent, et elle sourit, lui donnant une petite tape sur le bras avant de le lâcher tout à fait pour jeter un regard circulaire sur la pièce.
— Bon. Maintenant, on va fouiller dans ce bazar, et trouver le jean qui te mettra le plus en valeur. Tout Kyoto va se retourner pour regarder tes fesses.
Louis se met à rire, et en regardant Emma s'activer pour trier ses affaires, il ne peut pas s'empêcher de sentir une chaleur douce s'infiltrer dans ses veines. Peut-être que Harry ne voudra plus jamais de lui, mais au moins, il aura trouvé une amie.
*
*
*
L'air dehors est chargé d'une humidité moite. La chaleur semble s'être épaissie dans la nuit tombante, et lorsque Louis sort du ryokan, il lève un regard incertain vers le ciel, bas et sombre. Il hésite un moment à retourner à l'intérieur pour prendre une veste, mais ses yeux tombent sur Harry, qui, de l'autre côté du trottoir, l'attend près d'une bicyclette verte. Le jeune homme lui fait un petit geste timide de la main et Louis oublie instantanément la menace de la pluie pour traverser les quelques mètres les séparant. En arrivant à sa hauteur, il remercie mentalement Emma d'avoir passée autant de temps à l'aider pour choisir sa tenue, parce que Harry, lui, est absolument renversant dans son long manteau noir. Le bonnet rose qui ne cache pas tout à fait les boucles folles de ses cheveux est assorti à son pantalon de velours, un peu large et semblant venir d'une autre époque. En haut, il porte un t-shirt blanc au col assez large pour laisser voir l'ombre d'un tatouage sur son torse (des ailes d'oiseau ?) et à ses pieds, des Vans sans doute autrefois blanches.
— Tu es..., commence Louis, en ne sachant pas s'il doit dire sublime, à couper le souffle ou magnifique.
— En retard ?, le coupe Harry.
Il passe nerveusement sa main derrière sa nuque, et Louis sent sa gorge s'assécher un peu en remarquant soudain à son cou le petit médaillon doré qu'il avait déjà, il y a six ans. J'ai embrassé ce médaillon. J'ai posé ma tête dessus, lorsque son torse était humide et brûlant après l'amour. Je l'ai pris entre mes dents pour le mordiller, et ses yeux verts brillaient lorsque je faisais ça.
— Eh, ça va ?
Louis cligne des paupières deux fois avant de réaliser qu'il est resté un peu trop longtemps fixé sur le bijou.
— Euh, oui. Excuse-moi, j'étais... Ailleurs.
Harry lui sourit — un sourire encore une fois timide, et contenant une pointe de tendresse que Louis n'a pas très envie d'analyser immédiatement.
— Je suis désolé, je n'ai pas de voiture. Juste un vélo. Tu veux bien monter sur le porte-bagage ?
— Bien sûr !
Louis s'empresse de faire le tour du vélo pendant que Harry grimpe sur la selle, et il s'assoit sur le porte-bagage, ne sachant pas trop quoi faire de ses mains.
— Tu devrais te tenir, lui fait doucement remarquer Harry, en lui jetant un coup d'oeil par-dessus son épaule.
Louis hoche la tête, et avale sa salive avant d'attraper un pan du manteau de Harry, juste au niveau de sa hanche.
— Est-ce que c'est loin ?, il demande alors que Harry commence à pédaler.
— Pas vraiment... Je suis vraiment vraiment désolé de ne pas avoir de moyen de locomotion plus... confortable.
— Ce n'est pas grave ! Mes fesses ont connu des traitements pires que ça, plaisante Louis avant de se rendre compte que cette phrase possède un double-sens un peu gênant.
Il ajoute donc très vite, bafouillant un peu :
— Enfin, ce n'est pas... J'ai juste déjà fait de longs voyages en étant-
— C'est bon Louis, murmure Harry avec un petit rire. J'ai compris ce que tu voulais dire.
Louis se tait, un peu mortifié. Les rues qu'ils traversent sont étrangement silencieuses, et le vélo d'Harry semble fendre l'air moite avec légèreté, sans aucun heurt. Peu à peu, les allées minuscules et tortueuses laissent cependant place à des avenues plus larges, illuminées par les vitrines des restaurants et des arcades de jeux encore ouvertes. Louis reconnaît facilement le centre-ville dans lequel il s'est déjà baladé de nombreuses fois, seul ou avec Harry pour lui pointer des monuments historiques, et lui expliquer l'histoire de la ville.
— Est-ce que le karaoké est dans le quartier de Gion ?, demande Louis, mettant ainsi fin au silence confortable s'étant installé entre eux.
— Non... À Gion, la nuit, il y a surtout des restaurants. On ne va pas y passer je pense, mais on pourra y aller une autre fois, si tu veux. Tu verras, c'est très joli. Il y a des petits lampions partout, et c'est très calme. Un peu hors du temps.
Louis serre un peu plus fort le manteau de Harry, n'écoutant plus vraiment ce que le jeune homme raconte. On pourra y aller une autre fois, si tu veux. L'idée que Harry ne soit plus aussi réticent à passer du temps avec lui fait battre son coeur un peu plus fort.
Ils traversent une rivière, et Louis sourit en sentant le vent s'engouffrer dans ses cheveux, et les faire voleter dans tous les sens. Sur l'eau calme, la lune, qui apparaît à peine entre les nuages, laisse des traînées blanches et vaporeuses. Louis ferme un instant les yeux. Il n'entend que le souffle d'Harry, le crissement rouillé d'une pédale, le bruit lointain des voitures. Il a envie de poser sa tempe contre le dos d'Harry et de rester ainsi longtemps, à le laisser l'emmener à l'autre bout de la ville, ses bras enroulés autour de sa taille, une main glissée sous son t-shirt, pour sentir la chaleur de sa peau.
Mais le vélo s'arrête trop vite, et Louis rouvre les paupières, un peu déstabilisé en sentant Harry descendre de la selle, et se retourner.
— On est arrivés !
Louis lâche le manteau d'Harry et lève la tête vers la petite enseigne lumineuse qui clignote au-dessus de lui. Rainbow Karaoké. Un sourire se dessine sur ses lèvres, et il ne peut pas s'empêcher de commenter :
— J'adore ce nom.
Harry le fixe un instant sans que Louis arrive à comprendre ce que veut dire son regard, puis il se détourne sans répondre.
— Viens, les autres doivent déjà être à l'intérieur.
*
*
*
Louis est assis sur une banquette orange, un verre de bière à la main, et il tente de répéter mentalement les prénoms des ami.e.s de Harry qui l'entourent. En réalité, ce n'est pas très compliqué, parce que le cercle est assez restreint. Louis connaît déjà Haku, qui l'a accueilli avec une exclamation joyeuse. Celui-ci est venu avec Hanayo, sa petite-amie, une jeune fille aux cheveux coupés courts et au sourire très doux. Louis l'apprécie dès l'instant où elle lui dit, dans un anglais un peu hésitant, qu'elle est très heureuse de rencontrer l'ami d'Harry dont Haku parle si souvent. L'autre fille de la soirée s'appelle Rin, et elle semble beaucoup moins timide qu'Hanayo, avec sa longue chevelure rousse — Louis la suspecte fortement d'avoir fait une teinture — et sa tenue tout droit sortie d'un manga. Cela dit, Louis se sent également toute de suite à l'aise avec elle, beaucoup plus qu'avec le dernier garçon de la bande, un certain Katsuro, habillé tout en noir, visage sérieux et lunettes rectangulaires.
Louis avale une petite gorgée de sa bière et cherche de le regard d'Harry, assis de l'autre côté de la petite table où les gens du karaoké leur ont disposés leurs boissons. Mais Harry ne fait pas attention à lui, plongé dans une discussion avec Katsuro. Louis aimerait bien pouvoir comprendre ce que Harry raconte, et l'idée d'en être à ce point empêché par la langue l'énerve. Il aurait dû prendre des cours de japonais, avant de venir ici. Même si quelques cours pris en vitesse n'auraient sans doute rien changé.
Soudain, à sa droite, Rin attrape sa main et la serre dans la sienne avec un petit rire joyeux :
— Alors, qu'est-ce que tu fais dans la vie toi ? Raconte nous.
Louis met quelques secondes à trouver ses mots en anglais, mais le sourire de Rin l'encourage suffisamment pour qu'il n'ait pas honte de prendre son temps avant de répondre :
— J'écris des histoires. Je suis écrivain... Mais en ce moment, je suis en vacances.
— Écrivain ? C'est génial !
Hanayo se penche à son tour pour suivre la discussion, son verre de limonade coincé entre ses genoux. Louis sourit, un peu mal à l'aise d'être au centre de leur attention.
— Oui... Enfin, je n'ai écrit qu'un seul livre. Je ne suis pas très connu.
— C'est déjà formidable, murmure Rin d'un ton rêveur. Je me demande ce que j'écrirai moi... Quel est le genre d'histoire que ton roman raconte ?
Louis avale une nouvelle gorgée de bière, hésitant un peu.
— Je crois... C'est une histoire d'amour un peu triste.
— Triste ? Pourquoi ?
— Parce que... Parce que les deux personnes n'étaient pas prêtes pour s'aimer à ce moment-là.
— Il y aura une suite ?
Louis rit, et repose son verre sur la table basse avant d'hausser les épaules.
— Je ne sais pas. Je n'avais pas pensé à en écrire une.
— Tu devrais.
Rin lui sourit et Louis ne trouve rien à répondre. Quand il tourne la tête pour reprendre son verre, il croise le regard d'Harry, fixé sur lui. Un regard clair et attentif, dont Louis ne comprend à nouveau pas la signification. Il savait lire en Harry, avant, pourtant. Il devinait ce que signifiaient ses silences, ses moues boudeuses, ses rires brefs. Pour la première fois, Louis se rend réellement compte qu'en six ans, Harry a bien changé. Harry n'est plus le même que celui qu'il connaissait. Harry n'est plus un garçon. C'est un homme. Il n'est plus la personne dont Louis était amoureux, il est... Un étranger avec qui il a partagé une histoire, il y a bien longtemps. Et peut-être que Louis devrait arrêter de vouloir retrouver le passé à tout prix. Peut-être qu'il devrait simplement laisser tomber, et rendre à Harry sa tranquillité, sa nouvelle vie.
Louis s'assoit bien dans le fond du canapé, ses mains enfouies dans la poche avant du sweat Adidas vert que Emma lui a fait mettre — Il met vraiment bien en valeur tes yeux, Louis, je t'assure. Autour de lui, les autres parlent en japonais, et il se laisse porter par le flot de la langue, vaguement submergé. Rin se bat manifestement avec Haku pour choisir quelle chanson va ouvrir le karaoké, tandis que Hanayo, penchée vers Harry et Katsuro, leur montre la liste des desserts que propose la carte. Quand la jeune fille se tourne vers lui pour lui montrer la photo d'une coupelle de glace inondée de chantilly, il hoche la tête, ne voulant pas la vexer en lui disant qu'il n'a pas très faim. Puis, il se redresse, et demande, la voix un peu sourde :
— Harry... Où sont les toilettes ?
Harry se relève, appuyant sa main sur l'épaule de Katsuro pour s'aider.
— Je vais te montrer. Il faut que je me lave les mains, de toute façon.
— D'accord.
Louis fait le tour de la table basse, souriant à Rin qui est en train de mettre la première cassette dans le lecteur, visiblement tout excitée à l'idée d'être la première à chanter, et il suit Harry dans le couloir. La lumière est tamisée, contrastant avec l'ambiance néon de la salle de karaoké et au sol, un vieux parquet vernis grince sous leurs pieds. Louis se concentre sur la rondeur des épaules d'Harry, dévoilées par le tissu fin de son t-shirt blanc, maintenant qu'il a enlevé son manteau. Derrière sa nuque, ses cheveux ont l'air doux et fins, petites plumes d'oisillon ébouriffé. Louis a envie d'y passer ses doigts.
— C'est ici.
Harry fait coulisser une porte de bois, et se décale un peu pour laisser Louis passer en premier. Les toilettes ne sont pas très grandes, identiques à ce qu'on peut trouver en occident, avec une rangée d'urinoirs sur la gauche et des lavabos à droite. Louis choisit un urinoir et tout en baissant la fermeture éclair de son jean, il demande, espérant ainsi rompre le silence installé entre eux :
— Comment est-ce qu'on dit « toilettes » en japonais ?
Il entend l'eau du robinet couler derrière lui, et la voix d'Harry, visiblement amusé :
— Ici ce sont des yoshiki, des toilettes à l'occidental. Parfois tu peux trouver des washiki, qui sont des toilettes traditionnels, un peu comme les toilettes à la turque.
— Hm, je vois... Je pensais qu'il y aurait partout des toilettes futuristes, avec pleins de boutons pour faire marcher la chasse d'eau ou ce genre de choses inutiles.
— C'est surtout dans les hôtels, ça... Mais je comprends ta déception.
Louis referme son pantalon et se retourne pour se diriger à son tour vers les lavabos. Harry est en train de s'essuyer les mains, et il suit le jeune homme du regard. La gorge de Louis s'assèche un peu lorsqu'il sent le regard de Harry le détailler machinalement des pieds à la tête, s'attardant sur la courbe de ses cuisses, serrées dans son jean extra slim. Peut-être que Emma a fait le bon choix, en lui proposant d'enfiler un des siens. Mais il n'a pas le temps d'y réfléchir davantage, puisque Harry soupire soudain :
— Je suis désolé si Rin est un peu... Intrusive. C'est une fille géniale, mais elle est très tactile et extravertie. Si elle dépasse les bornes, n'hésite pas à le lui dire.
Louis fronce les sourcils, passant ses mains pleines de savon sous l'eau froide :
— Je ne l'ai pas trouvé intrusive, si ça peut te rassurer. En fait je l'aime beaucoup... Par contre je crois que Katsuro ne m'apprécie pas tellement.
— Il est juste très timide... Mais c'est une personne formidable, quand on apprend à le connaître.
Louis referme le robinet et hausse les épaules.
— Si tu le dis.
Il ne sait pas pourquoi il réagit comme ça, comme s'il était sur la défensive. Harry semble aussi surpris que lui :
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Rien...
Et sans attendre sa réponse, Louis quitte les toilettes.
*
*
*
Quand Haku lui a proposé d'essayer de boire du saké, Louis ne savait pas que c'était un alcool aussi fort. Bon. Peut-être qu'il n'a pas non plus tellement écouté Harry qui lui disait de ne pas en boire plus qu'un fond de bol. Mais quand même. À présent, sa tête tourne beaucoup trop pendant qu'il rit aux éclats en écoutant Rin interpréter de la façon la plus dramatique qui soit, l'hymne français. Cela dit, l'impression n'est pas si désagréable que ça. Au moins, Louis est si euphorique qu'il n'a pas vraiment le temps de s'attarder sur la façon dont Harry et Katsuro se sont rapprochés au fur et à mesure de la soirée, assis l'un à côté de l'autre, leurs cuisses se frôlant sans cesse.
Ou peut-être que l'alcool l'aide juste à ne pas partir en courant, ou à casser le mur face à lui. Ce qui serait vraiment vraiment trop exagéré. Harry ne doit rien à Louis. S'il a envie d'avoir un petit ami japonais mystérieux et timide, soit. Il peut. Ce n'est pas comme si Louis était toujours amoureux de lui, de toute façon, n'est-ce pas ?
Cela dit, il se sent tout de même vaguement nauséeux lorsque Harry se penche en riant — les yeux un peu troublés par l'alcool — et qu'il vole un morceau de glace dans la coupelle de Katsuro, avant de lui dire quelque chose en japonais qui les fait tous deux sourire. Et Louis connaît ce type de sourire. C'est un de ceux que l'on échange avec quelqu'un que l'on connaît très bien, quelqu'un avec qui l'on partage tout un tas de secrets. Un sourire complice et tendre.
La chanson se termine, et Rin, repose son micro en faisant semblant de saluer une foule en délire.
— C'est ton tour, Louis !
Elle lui tend la main. Louis met quelques secondes avant de réaliser que le Louis à qui elle s'adresse est précisément lui, et il attrape ses doigts. Le visage de Rin est couvert de paillettes multicolores — Louis ne se souvient pas qu'elle brillait autant en arrivant au karaoké — et il s'accroche à sa taille pour ne pas s'écrouler en se levant.
— Pardon... C'est... Un vertige, il bafouille.
Rin le regarde sans comprendre ce qu'il vient de dire, et Louis se rend compte qu'il a oublié de parler anglais. Bon. Peut-être que le saké n'était vraiment vraiment pas une bonne idée. Il lâche la jeune fille et s'approche du livret, les titres dansant un peu sous ses yeux lorsqu'il se met à tourner les pages. Pendant qu'il fait son choix, les autres se remettent à bavarder. Catégorie sport. Catégorie anime. Catégorie films internationaux. Catégorie amour. Catégorie...
Catégorie amour.
Le goût amer de l'alcool n'a pas quitté ses lèvres. Louis relève la tête, juste assez pour apercevoir Harry qui le regarde par-dessus son verre, sourcils un peu froncés, cils immenses, un genou remonté contre sa poitrine.
Alors, le vertige le reprend. Bien plus fort qu'avant. Harry. Stupide Harry, avec tes boucles dans tous les sens, tes joues rougies par la bière, le saké, et la chaleur de la pièce. Stupide Harry que Louis a écouté chanter un duo mièvre avec Hanayo. Stupide Harry et sa voix profonde, ses pupilles dilatées et ses doigts si longs. Stupide Harry, qui l'a ignoré presque toute la soirée, préférant offrir son attention à Katsuro.
Stupide Harry, que Louis n'a jamais jamais jamais pu oublier, malgré les années passées. Stupide Harry pour qui il a écrit un stupide livre. Stupide Harry qui lui a volé son coeur, un jour de l'année 1993, et qui ne le lui a jamais rendu depuis.
Alors, Louis sait ce qu'il va chanter.
Les doigts un peu tremblants, il attrape la cassette et la met dans le lecteur, se concentrant sur l'éclat de l'écran télévisé. Il entend Rin battre des mains, à moitié allongée sur le canapé, mais les sons lui parviennent étouffés, brouillés, lointains. Plus rien d'autre ne compte que la mélodie lente de la musique qui pulse jusque sous ses veines, se dilue dans son sang.
[musique]
Louis se sent fiévreux.
Louis sait que ce qu'il fait n'a aucun sens.
Louis ne sait même pas si Harry va comprendre.
Mais les paroles arrivent à l'écran avant qu'il ne puisse reculer. Et courageusement, il se met à chanter, la voix mal assurée.
Looks like we made it
Look how far we've come my baby
We mighta took the long way
We knew we'd get there someday
Louis ne voit pas tout de suite la réaction d'Harry, trop concentré sur le texte, ne voulant pas rater une phrase. Mais lorsqu'il ose enfin détacher son regard de la télévision, c'est pour se heurter à celui de Harry, clair et illisible à la fois.
Louis connaît cette chanson. Il la connaît par coeur. Le reste lui vient naturellement, comme si les mots devaient être dit, comme si rien d'autre au monde n'était plus juste en cet instant.
They said "I bet they'll never make it »
But just look at us holding on
We're still together still going strong
Les autres ont disparu, dans la pièce. Le sol est un vertige sans fin, et Louis sent la sueur dégouliner le long de son dos. Mais rien a d'importance. Il ne voit plus qu'Harry, comme si celui-ci se trouvait sous une source de lumière, la seule au milieu d'un monde plongé dans l'ombre. Et Harry ne le lâche pas du regard, lui non plus. Ses yeux sont brouillés, et Louis ne sait pas si c'est parce que les siens sont remplis de larmes, ou s'il s'agit simplement d'une illusion d'optique causée par l'alcool. Peut-être les deux. À moins que ce ne soit Harry, qui pleure ?
L'idée fait trembler sa voix, qui craque légèrement :
You're still the one I run to
The one that I belong to
You're still the one I want for life
Les lèvres d'Harry bougent doucement. Louis sourit derrière le micro, un sourire idiot, presque incrédule. Est-ce que Harry chante avec lui ? Peu importe, de toute façon. Louis sait qu'il a compris. C'est dans le vert immense de ses yeux, dans la façon dont sa poitrine se soulève, presque difficilement. Le reste de la chanson coule comme de la sève sur un morceau de velours, épais et doux. Louis ferme les yeux pour le dernier couplet, laissant les mots glisser jusque sous sa peau, s'imprimer quelque part sur son coeur.
You're still the one I love
The only one I dream of
You're still the one I kiss good night
I'm so glad we made it
Look how far we've come, my baby...
Les lumières se rallument brutalement. Louis cligne des yeux. Rin et Haku applaudissent bruyamment, mais Louis ne les voit pas. Toute son attention est focalisée sur Harry qui, après un moment d'immobilité, se lève soudainement. Son geste fait revenir le silence, épais et poisseux, n'ayant rien plus d'agréable. Rin et Haku, les mains en suspens, le fixent sans comprendre.
— Harry ?
— Je... Je reviens.
Et il contourne la table basse, passant devant Louis pour sortir de la pièce.
*
*
*
Dehors, la pluie a finalement commencé à tomber. Le ciel sombre est déchiré d'éclairs blancs et électriques, qui illuminent brièvement le sommet des montagnes avant de les plonger à nouveau dans une ombre menaçante.
Louis se glisse dans la rue, cherchant Harry des yeux. Il ne met pas longtemps à le repérer. Le jeune homme est debout près de son vélo, les bras croisés sur sa poitrine, et le visage baissé. Louis s'avance lentement.
— Harry ?
Sa voix est rauque. Il se racle la gorge, un peu gêné. Harry se retourne. Ses cheveux sont déjà humides, ses boucles collant à ses tempes. Malgré l'obscurité, Louis devine l'encre noire des nombreux tatouages sur sa poitrine et son ventre, en transparence sous son t-shirt. Harry a l'air en colère. Une colère sourde et aussi violente que l'orage qui gronde au-dessus d'eux. Une colère qui le fait trembler. Sa voix fend l'épaisseur de l'air :
— Pourquoi est-ce que tu es venu ?
La question surprend un peu Louis, mais il répond doucement, cherchant à l'apaiser :
— Parce que je voulais m'assurer que tu allais bien.
— Non. Je veux dire, pourquoi tu es ici, au Japon ?
Louis s'avance encore. Les gouttes qui tombent sur sa peau sont chaudes, mais il frissonne quand même. Peut-être parce qu'il a peur. Peut-être parce qu'il sent qu'il a tout gâché.
— Par hasard... Vraiment, Harry. J'ai juste... J'ai voulu faire un voyage, et j'ai décidé de partir au Japon.
— Tu savais que je voulais vivre à Kyoto, pourtant. Est-ce que tu me cherchais ?
Que... Quoi ? Louis fronce les sourcils, déstabilisé. Comment aurait-il pu savoir que Harry voulait vivre à Kyoto ? Il n'en avait aucun foutu id-
Putain.
Le livre. Le bouquin que Harry feuilletait sans arrêt. Celui que Louis lui avait acheté au bric-à-brac. Un livre sur le Japon... Sur Kyoto.
— Je... J'avais oublié, murmure Louis d'une voix misérable. Je te jure. Je ne te cherchais pas. Je n'en ai pas fait exprès.
Harry détourne le regard. Ses épaules restent tendues, tous ses traits semblant soudain avoir été dessinés à la machette. Louis n'aime pas le voir comme ça. Louis préfère Harry avec sa silhouette douce et tendre, la courbe légère de sa bouche, de ses cuisses, l'épaisseur floue de ses cheveux.
— Je ne te crois pas, finit soudain par marmonner Harry. Ça ne peut pas être le hasard...
— Et pourquoi pas ?
Louis sait qu'il sonne vraiment désespéré, mais peu lui importe de se ridiculiser à cet instant. Il s'approche encore d'Harry, attrapant son bras pour toucher sa peau, chaude et étrangement familière sous ses doigts.
— H... Je te jure que je ne suis pas venu au Japon dans l'espoir de t'y trouver. J'ai fait ce voyage pour retrouver l'inspiration et me changer les idées. Ça fait six ans. Si j'avais voulu te retrouver, je l'aurais fait avant, tu ne crois pas ?
Harry lève les yeux vers lui, et le souffle de Louis lui fait mal, pendant une seconde. Harry est magnifique. Sur ses joues, la pluie roule et creuse ses sillons invisibles. Ses cils sont trempés et noirs, donnant à ses yeux verts une profondeur qu'ils n'avaient jamais eu auparavant, une immensité dans laquelle Louis veut se noyer. Ses doigts tremblent un peu sur le bras d'Harry, et son autre main vient machinalement s'accrocher au tissu de son t-shirt, rapprochant leurs deux corps.
— Retrouver l'inspiration ?
La voix d'Harry est un murmure rauque au milieu des halètements sourds de l'orage. Louis hoche lentement la tête, ne lâchant pas ses yeux de peur que tout disparaisse soudain autour d'eux, que tout redevienne sombre et sans vie.
— Oui. Je n'arrive plus à écrire.
— Pourquoi ?
— Je ne sais pas. Je crois que je n'ai plus rien à raconter.
— Est-ce que... Est-ce que c'est à moi, que tu as dédicacé ton roman ?
Ce n'est qu'un murmure. Un murmure tremblant, à peine audible. Harry à l'air si fragile, à cet instant, plein d'un espoir terrifié. Louis a envie de pleurer, soudain. De pleurer et de serrer Harry contre lui, de sentir son coeur battre près du sien. De pleurer pour tout ce temps perdu, de pleurer pour tous ces mots arrachés à sa plume, de pleurer pour ce soir de l'été 1993, où la douleur avait choisi de remplacer l'amour.
— Oui. C'était pour toi... Tout était pour toi.
Harry ferme les yeux. Une larme roule sur sa joue, se frayant un chemin maladroit entre les gouttes de pluie. Louis lâche doucement son bras et avance sa main vers son visage, passant son pouce sur le coin de sa bouche où la larme est venue mourir. Il sait que s'il léchait son doigt maintenant, le goût salé du ciel se mêlerait à celui de la peau de Harry. Mais Louis ne le fait pas, car la bouche d'Harry est épaisse et chaude près de son pouce. Ses autres doigts caressent tendrement la ligne de sa mâchoire, bien plus ciselée qu'auparavant, et pourtant toujours aussi douce.
Harry soupire contre sa main. Et les mots qu'il prononce creusent le temps ralenti d'une coupure nette et sanglante, et résonnent étrangement contre la paume de Louis :
— Alors ne le fais plus. N'écris plus pour moi. Ne chante plus pour moi.
Louis sent le sol dérober sous ses pieds. Ses doigts s'accrochent un peu plus au t-shirt de Harry, à l'os saillant de sa hanche.
— Quoi ?
— Tu as entendu. Arrête... Arrête de vouloir... De vouloir croire que quelque chose existe encore entre nous.
— Je ne crois pas ça, il balbutie.
Harry tourne la tête, regard à présent rivé vers l'horizon sombre. La main de Louis glisse le long de sa nuque. Et il veut avaler les frissons qui parcourent la nuque d'Harry, l'eau qui dégouline de ses cheveux.
— « You're still the one I love »... C'est ce que tu as chanté, non ? Ne me dis pas que tu n'en as pas fait exprès.
Louis ferme brièvement les yeux. Il a du mal à respirer, comme si l'air, trop épais, ne parvenait plus jusqu'à ses poumons. L'orage se rapproche au-dessus d'eux, et la pluie tombe de plus en plus rapidement. Son sweat devient lourd sur ses épaules, et le jean d'Emma colle à ses cuisses d'une façon qui n'a plus rien d'agréable. Et, soudain, il se sent las. Las de cette dispute sans aucun sens, las d'avoir trop bu, las d'avoir été jaloux d'un garçon qu'il ne connaît même pas, las d'être toujours ici, dans un pays inconnu, à perdre son temps pour un amour perdu depuis longtemps.
Alors, lentement, il recule. La chaleur du corps d'Harry s'éloigne. Et quand le jeune homme tourne à nouveau la tête pour le regarder, Louis murmure :
— C'est ce que j'ai chanté. Et tu as raison, je n'aurai pas dû. Ça n'avait pas de sens. Toi et moi... Ça n'a plus de sens...
Ils restent silencieux un long moment, au milieu des éclairs déchirants le ciel et de la pluie balayant le trottoir. Louis n'arrive plus à voir la couleur des yeux d'Harry, le vert semblant s'être délavé, avoir coulé pour devenir gris, un gris métallique et très lointain. Alors, pour ne pas se noyer tout à fait, pour avoir encore une chance de sortir vivant de la tempête, Louis se détourne. La route lui semble immense et inquiétante, mais il se met à marcher, des sanglots l'empêchant de respirer correctement. La pluie fouette son visage et ses pieds glissent sur le goudron humide. Il voudrait courir, s'enfuir très loin, jusque dans les montagnes, ne plus jamais rien entendre du monde, rien, surtout pas la voix d'Harry qui pourtant lui parvient, au milieu des grondements sourds de l'orage.
— Louis !
Il ne se retourne pas, mais il s'arrête. Son estomac est lourd et il se sent prêt à vomir, jusqu'à ce que soudain le cri de Harry se rapproche et l'enlace entièrement, jusqu'à ce que le souffle d'Harry heurte sa poitrine, jusqu'à ce que leurs deux corps ne fassent plus qu'un, immobile et fragile au milieu de la route silencieuse balayée par la pluie.
Louis reste de dos, mais ses mains s'accrochent à celle de Harry, sur sa poitrine.
Et il ne veut pas réfléchir.
Il ne veut pas savoir ce que cela veut dire, il ne veut pas que Harry parle.
Il veut simplement rester ici, à sourire et à pleurer au milieu de la pluie, trempé et ruisselant, Harry blotti contre son dos, son visage enfoui dans son cou, ses lèvres froides sur sa nuque, comme avant, il y a six ans, lorsque l'été moite embrassait leurs peaux fiévreuses, lorsque l'été moite faisait de leurs yeux amoureux des océans d'étoiles qui ne mourraient jamais.
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Notes :
Vous aussi vous avez remarqué que j'adore les situations dramatiques et dignes d'un film hollywoodien ? 😭 En tout cas j'espère que ce chapitre vous aura plu ! C'est le plus long depuis le début de la fiction, il me semble. J'espère qu'il vous a plu..
Pour info, le Rainbow Karaoké existe vraiment... Je ne sais pas s'il était déjà ouvert en 1999 mais bon, on fera comme si c'était le cas. ;)
Merci beaucoup beaucoup pour votre soutien et vos petits mots. ♡ Je répondrais à vos commentaires lundi, quand je serais rentrée d'Irlande !
À vendredi. :p
#CAPfic
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